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Avec la France Insoumise : polémiquer, lutter, rassembler ?
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Comment faire de la politique à gauche aujourd'hui ? Comment construire les mobilisations sociales essentielles ? Comment exister face aux hégémonismes ?
Pas simple, aujourd’hui, d’être un militant anticapitaliste. Les faibles scores de l’extrême gauche aux dernières élections n’ont pu créer un paysage politique pluriel à gauche. De fait, c’est la France Insoumise qui est hégémonique médiatiquement, et qui rythme la vie politique de notre camp social.
Bien entendu, ce constat peut être contrebalancé. L’hégémonie de LFI est partielle, puisqu’il existe, des autres forces militantes et électorales à gauche. En effet, les candidatures de Philippe Poutou pour le NPA ou de Benoît Hamon (pour la social-démocratie) montrent que d’autres alternatives existent, et aucune recomposition ne pourra se faire en effaçant ces courants politiques – y compris en polémiquant avec eux. Il faut également ajouter le PCF à l’équation, lui qui est parvenu, à la surprise générale, à former un groupe parlementaire à l’Assemblée nationale.
Mais concrètement, comme cela est précisé plus haut, LFI apparaît à une échelle de masse comme l’unique opposition de gauche au gouvernement.
Une stratégie perdante pour s’imposer
Il pourrait en être autrement. Toutefois, LFI joue de la situation pour construire cette image d’opposition unique à Macron. Dès les législatives, il n’y a pas eu de logique victorieuse réelle – si ce n’est des incantations délirantes à la victoire sous la seule bannière LFI, de la part de Mélenchon. La gauche radicale s’est présentée en ordre dispersée, avec des candidats FI d’un côté, PCF de l’autre, EELV par ci, frondeurs par là. C’est-à-dire le scénario permettant à LFI de gagner le leadership à gauche, mais empêchant d’envoyer le maximum de députés « de gauche » à l’assemblée. C’est un choix stratégique partiellement juste – on comprend largement la volonté de ne pas s’allier à ce qu’il reste du PS, et même parfois du PCF et de EELV, qui ont mené la gauche où elle est à force de trahisons – mais cette position pose question pour un groupe se disant « prêt à gouverner » et refusant toute logique révolutionnaire ; la FI est en effet idéologiquement totalement compatible avec le PCF, EELV et les hamonistes.
C’est donc bien à une volonté hégémonique que se prête LFI. Il s’agit d’imposer le projet populiste dans le champ politique, afin de le rendre incontournable, pour ne donner aux autres composantes du mouvement ouvrier et écologiste qu’une possibilité : le ralliement à LFI.
Un mouvement non-démocratique
Aussi, on a pu lire qu’une partie de la Gauche Anticapitaliste – scission du NPA ayant contribué à la construction de Ensemble, autour notamment de Pierre-François Grond et de Myriam Martin (anciens dirigeants du NPA et de la LCR) – a fait le choix du ralliement à LFI. Ces camarades partent du même constat : LFI est devenue politiquement incontournable pour notre camp social. Pour eux, c’est donc là qu’il faut être. Rappelons que ces camarades ont fait la même analyse en 2012, quittant le NPA pour rejoindre le Front de gauche, avec le succès que l’on connaît.
Prenons au sérieux, quand même, la position de ces camarades de la GA.
Bien sûr il y a un intérêt à se tourner vers LFI, à la lumière de la campagne de Mélenchon qui a attiré des milliers de gens, et recueilli 7 millions de voix. Evidemment, LFI jouera un rôle central dans les prochains mois pour combattre Macron et construire un nouvel outil militant – bien qu’il serait utile de savoir comment.
Cependant, le programme de LFI n’est pas anticapitaliste. Il ne se définit même pas comme étant de gauche. Aussi, comment des militants anticapitalistes peuvent-ils se dissoudre dans LFI alors qu’ils défendent des positions opposées à celles de Mélenchon sur de nombreux points (sur l’expropriation des grands groupes, le colonialisme, l’armée et la police, l’Etat en général, l’internationnalisme, les migrants, etc.) ?
Précisons cette remarque. Il pourrait en effet être discutable d’intégrer LFI malgré ces désaccords, dans un souci général de construire la plus grande opposition possible à Macron. Mais encore faut-il que ces désaccords puissent s’exprimer, démocratiquement, avec la possibilité de créer des tendances, autour de revues ou de journaux, ou d’un site, permettant l’expression de ces désaccords. Or, là, le fonctionnement de la FI nous impose des adhésions individuelles – où chacun pourra dire ce qu’il veut mais sans se coordonner.
On pourrait également ajouter un problème propre à LFI. Comment intégrer un tel mouvement alors que Mélenchon y prend toute la place médiatiquement ? Il est évident que le rôle de chef – propre au projet populiste – n’est pas compatible avec un projet pluraliste – et de surcroit émancipateur.
Parlementarisme, propagande et agitation politique
La France Insoumise a été créée pour la présidentielle et les législatives. Il s’agit d’un outil électoral, qui s’est transformé en outil parlementaire. Assez logiquement le mouvement est aujourd’hui secoué puisqu’il faut lui trouver une seconde vie sans élection. Comme je l’ai précisé plus haut, le fonctionnement actuel n’est pas démocratique. C’est la direction, rassemblée autour de Mélenchon, qui décide, les groupes d’appuis mettant en pratique ces décisions. Cela commence à poser des problèmes pour bien des militants qui souhaitent que le mouvement se démocratise – avec des congrès, des votes, une direction élue, etc. – mais Mélenchon en personne n’est pas sur cette position, et souhaite poursuivre dans le fonctionnement actuel. Pour ce faire, Mélenchon explique que le mouvement doit rester un mouvement et ne pas prendre la forme d’un parti, afin de ne pas tomber dans les déviances des partis traditionnels. C’est une lecture très solférinienne – voire lambertiste – des partis (c’est-à-dire autoritaire) que Mélenchon a là. C’est en fait sa vision et sa pratique du parti, tout simplement.
Mais posons la seule question qui a de l’intérêt : quel est le plus important, l’efficacité ou la démocratie interne ? Mélenchon répond efficacité. L’opposition de gauche historique au stalinisme rétorque démocratie. C’est ici un principe essentiel pour ne pas reproduire les erreurs du passé et ne pas revivre des révolutions – ou des réformes – trahies.
Malheureusement pour celles et ceux qui, dans la FI, se battent pour imposer un mouvement démocratique, rien ne permet – statutairement – de faire entendre et gagner ce positionnement – autrement qu’en usant des mêmes méthodes bureaucratiques.
Le groupe parlementaire à l’Assemblée nationale est aujourd’hui la vitrine de la FI. Très clairement, la stratégie mise en place par Mélenchon fonctionne plutôt bien en matière de communication. Il s’agit d’user de tous les artifices légaux – et symboliques – pour faire « vivre » la démocratie parlementaire. Aussi, les députés FI sont très actifs et déposent de nombreux amendements. Si ce travail est salutaire, il est malgré tout important d’en dire deux choses : d’abord que Mélenchon et les députés insoumis ont une croyance en la démocratie républicaine, ils voient une légitimité à leur action légale (leur critique étant contre la Vème république pas contre la République bourgeoise). Ensuite que ce travail parlementaire semble – pour beaucoup – assez inutile et peut créer des illusions. En effet, seule la mobilisation sociale peut faire reculer Macron et son gouvernement, pas le jeu parlementaire légal fait par et pour les dominants. Le risque du parlementarisme est multiple. Il peut mener à ne faire que cela, à terme. Il peut renforcer le caractère légitime de l’outil parlementaire. Il peut couper les classes populaires des élus censés les représenter.
Entendons-nous bien. Je ne dis pas ici que les élus ne doivent pas exercer leur mandat correctement. Je dis simplement qu’il y a un risque à faire de cette action une propagande républicaniste, alors que le rôle des élus – d’autant plus d’opposition de gauche – est de faire de l’agitation. L’action des élus ne doit pas, dans le cadre bourgeois, être autre que de mobiliser les classes populaires – par la démonstration que l’institution ne permet rien – contre l’institution bourgeoise en question.
Rapports aux mouvements sociaux, unité et alternative militante
C’est sans grande surprise que LFI fait du parlementarisme. Nous savons tous l’attachement de Mélenchon à la République et à la loi. Cet attachement l’emmène y compris à creuser une frontière entre le mouvement social et le mouvement politique. Pour Mélenchon, les syndicats s’occupent du social, les hommes politiques s’occupent de la politique – au parlement.
Or, cette séparation là est justement l’un des problèmes qui empêche la construction d’une alternative pluraliste, un front de résistances sociales et politiques.
Cette séparation formelle, mêlée à la volonté d’hégémonie du moment, emmène la FI dans une stratégie sectaire grave au moment où il faut se battre contre les attaques du gouvernement Macron.
Aussi, alors que la gauche d’opposition et les syndicats sont en train de mobiliser pour une grève le 12 septembre, Mélenchon – qui appelle quand même au 12 – appelle, sous l’unique bannière de la FI, à une marche sur le même sujet le 23 septembre. Aucune volonté de rassembler les partis, syndicats, luttes unitaires (comme le Front social), usines en grève, mouvement de luttes pour les migrants ou pour l’écologie. Non, Mélenchon appelle « les gens ».
Il y a pourtant, ici, la possibilité de marcher ensemble, à égalité, pour l’intérêt collectif, comme le propose le NPA. Et si nous ne pouvons pas trouver les moyens d’agir ensemble dans la rue, comment sera-t-il possible de débattre, de polémiquer, pour avancer et construire, ensemble ?
Parce qu’aucun ralliement n’est possible en l’état, le cadre n’y est pas, et trop de choses ont été dîtes par Mélenchon qui ne peuvent rester sans confrontations. Pourtant, un rassemblement est nécessaire et, sans lui, la FI s’enfermera dans le sectarisme et/ou la trahison et l’impuissance.
Il y a urgence à lutter ensemble. Et à débattre.
Débattre de la démocratie interne. Débattre de la Syrie. Débattre du colonialisme. Débattre de la libre circulation et installation. Débattre du nationalisme, du drapeau tricolore et de la Marseillaise. Débattre de la place de la police, de l’Armée et de l’Etat. Débattre de la France et de son histoire, du Vél D’hiv. Nous ne nous allierons pas politiquement tant que quelques comptes n’auront pas été réglés. C’est une question de principe. Débattons.
Alexandre Raguet
Poitiers, le 28 juillet 2017.