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Dix ans après la crise, le système financier mondial est-il solide ?
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(Les Echos) Les acteurs traditionnels de la finance ont connu plusieurs tours de vis réglementaires. Mais tous ne se sont pas complètement remis, et le risque s’est déplacé sur de nouveaux terrains.
En gelant les retraits de ses clients dans trois fonds monétaires le 9 août 2007, BNP Paribas donnait le coup d'envoi d'une crise financière mondiale qui s'est transformée en une crise économique planétaire avec la faillite de la banque américaine Lehman Brothers, en septembre 2008. Dix ans après, toutes les leçons ont-elles été tirées ? La réponse en six questions.
Les banques sont-elles vraiment remises du choc ?
Sous la pression des autorités, les grandes banques systémiques ont largement renforcé leurs fonds propres et réduit les risques à leurs bilans. Entre 2007 et 2015, elles ont doublé leur capitalisation rapportée à leurs actifs financiers. En parallèle, ces banques ont dû revoir leurs modèles pour se concentrer sur des activités compatibles avec la nouvelle donne réglementaire. Touchées de plein fouet par la crise, les grandes banques américaines ont mené, les premières, de lourdes restructurations qui leur ont permis de renforcer leur domination mondiale : elles sont désormais plus grandes qu'en 2007, certes toujours un peu moins rentables mais nettement plus que les banques européennes.
Celles-ci avancent en effet encore en ordre dispersé . Plus petites qu'avant la crise pour la plupart, elles n'ont pas encore tout à fait tourné la page. La vague de publications des résultats trimestriels a confirmé que l'écart se creuse entre celles qui doivent encore achever leurs restructurations, et qui n'en finissent pas de payer la facture des litiges passés, et celles qui ont taillé dans le vif.
L'Europe compte aussi encore beaucoup de banques convalescentes aux bilans plombés par des créances douteuses, en particulier en Italie. Malgré un mécanisme européen de supervision unique désormais en place, le politique reste encore très prégnant dans la gestion de ces acteurs.
Les produits toxiques ont-ils été éradiqués ?
Des milliers de pages de réglementation financière et plus de 320 milliards de dollars d'amendes n'ont pas arrêté la fabrication d'actifs « toxiques ». En cause : les nouvelles contraintes en capital et la faiblesse des taux ont réduit les marges des banques qui sont poussées à délester leurs bilans en recourant à la titrisation. Ce mécanisme consiste à regrouper les crédits en paquets et à les céder par tranches sur les marchés. Les emprunteurs les moins solvables en sont les premiers bénéficiaires. L'encours des subprimes atteint 250 milliards de dollars aux Etats-Unis. C'est moins qu'en 2009. Mais la part des acteurs non régulés, fonds et plates-formes de prêt, est passée de 20 à 75 % sur ce marché entre 2007 et 2015.
L'inquiétude monte sur les crédits subprime automobiles (179 milliards de dollars d'encours à fin 2016) et les prêts étudiants américains, où les retards de paiement s'accumulent. Les crédits aux ménages très peu solvables (« deep » subprimes) ont aussi explosé et pèsent désormais 33 % des crédits titrisés, contre 5 % en 2010. Enfin, les titrisations « synthétiques », qui consistent à ne transférer que le risque (et non la propriété de l'actif), se multiplient, comme en 2008.
La Chine suscite en outre de plus en plus d'inquiétude car les banques y recourent à des montages de titrisations complexes pour se délester d'actifs toxiques. Une trentaine d'entre elles totaliseraient 2.000 milliards de dollars de ce type de créance... un montant multiplié par six en quatre ans.
De nouvelles bulles sur les marchés se profilent-elles ?
Depuis 2007, le bilan des trois plus grandes banques centrales du monde (Banque centrale européenne, Fed américaine et Banque du Japon) est passé d'environ 3.500 milliards de dollars à plus de 13.500 milliards. Une masse d'argent s'est déversée sur les marchés financiers provoquant une flambée du prix des actifs. Depuis son point bas de 2009, le S&P 500 a bondi de 265%, et les profits des entreprises américaines sont capitalisés à des niveaux record. A tel point qu'aujourd'hui, selon Bank of America Merrill Lynch, un Américain doit travailler 120 heures (sur la base du salaire horaire médian) pour pouvoir s'offrir une unité du S&P 500, contre 40 heures en 2008. C'est plus encore que lors de la bulle Internet de l'an 2000.
Les technologiques s'emballent de nouveau : les Gafam valent ensemble plus de 3.000 milliards de dollars, autant que les Bourses de Paris et de Francfort réunies... Le retour de la bulle ? Pas encore, les niveaux de valorisation n'ayant pas atteint les sommets de l'an 2000 alors que les capacités bénéficiaires de ces entreprises sont sans commune mesure.
Autre marché considéré comme très cher, les obligations, conséquence de la chute des taux d'intérêt de par le monde (le prix des obligations évolue inversement au taux), alors qu'un tiers des dettes d'Etat offrent encore des rendements négatifs. Dans « Les Echos » , Jamie Dimon, le patron de JP Morgan et l'un des grands acteurs de la crise de 2007 , estimait que la « plus grande menace est la sortie de la politique monétaire expansionniste », avec le risque d'un dégonflement brutal de la bulle obligataire. La Fed est lancée, la BCE devrait y venir en 2018.
Autre interrogation : la flambée de la dette chinoise, surtout privée, consécutive à la forte hausse des prix de l'immobilier. Pour l'instant, Pékin maîtrise adroitement ce qui ressemble à une double bulle. Jusqu'à quand ?
Les régulateurs vont-ils retrouver un terrain d'entente ?
L'union sacrée a vécu. Les régulateurs financiers de la planète, qui avaient si bien su jouer collectif à la sortie de la crise financière, s'embourbent désormais dans des jeux de défense d'intérêts nationaux. Résultat : le moteur du Comité de Bâle a calé. Depuis des mois, cet « ONU de la finance », qui conçoit la réglementation bancaire, ne parvient pas à boucler une négociation portant sur les montants des fonds propres que doit détenir une banque pour couvrir ses risques (« Bâle III »).
Au coeur de ce blocage, la méfiance grandissante entre les Etats-Unis, d'un côté, et la zone euro, de l'autre. Un clivage, technique, a toujours existé entre les deux rives de l'Atlantique : les banques européennes évaluent elles-mêmes leur niveau de risque, et donc le montant des fonds propres à mobiliser. Leurs concurrentes américaines appliquent une méthode imposée, dite « standard ». Mais cette opposition a pris un tour politique, les Américains suspectant les Européens de laxisme. Et les Européens craignant que les Américains ne durcissent les règles que pour mieux s'en exempter ensuite. La présence de Donald Trump à la Maison-Blanche - qui souhaite déréguler la finance dans son pays - n'est pas étrangère à cette crispation.
Quels chantiers doivent encore être menés ?
Les gendarmes financiers peinent à boucler « Bâle III », le cadre de règles issu de la crise, mais bien d'autres chantiers restent à mener pour rendre la planète finance plus sûre. Côté bancaire, les autorités cherchent à traquer les « misconducts » (« mauvaises conduites »), comme la vente abusive de produits complexes, les trucages sur les marchés des changes ou le non-respect d'embargos... Autant d'agissements punis, au fil de l'eau, à coups d'amendes parfois spectaculaires. Mais les autorités entendent désormais davantage prévenir que guérir, notamment en augmentant la responsabilité individuelle des dirigeants. Autre chantier émergent, le suivi des fintech - ces start-up qui bousculent la finance mais doivent en suivre les règles -, ou encore de la cybersécurité.
Enfin, Bruxelles a lancé une vaste refonte de la régulation en Europe via la réglementation MiFiD II, qui s'attaque notamment à la transparence des marchés obligataires, à la rémunération des sociétés de gestion, au poids du trading haute fréquence, mais aussi à un encadrement du trading des produits dérivés, qui prévoit notamment l'obligation de les négocier sur des plates-formes. MiFiD II doit entrer en application le 3 janvier 2018.
Faut-il avoir peur de la finance de l'ombre ?
La finance de l'ombre regroupe toutes les entreprises qui assurent des services bancaires (crédit, gestion de fortune, etc.) mais qui ne sont pas réglementées comme telles. Parmi elles figurent les hedge funds, les plates-formes de prêt participatif et les sociétés de gestion de patrimoine. Cette finance de l'ombre a grossi à mesure que s'accentuait la réglementation bancaire : elle représenterait le quart de la finance mondiale aujourd'hui.
De l'avis de Janet Yellen, la patronne de la Fed , elle représente un « défi immense » pour l'économie mondiale. Echappant à tout contrôle des régulateurs, elle a le potentiel de provoquer une nouvelle crise financière. Car, contrairement aux banques, les prêts octroyés par ces institutions ne sont pas garantis par le dépôt des épargnants, mais par l'argent que veulent bien leur consentir les investisseurs. Cela les rend particulièrement vulnérables à la conjoncture. Les régulateurs réfléchissent aux moyens de limiter leurs capacités de crédit, notamment en leur imposant un minimum de capital. Mais les mesures concrètes se font toujours attendre.