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Marx en crampons
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Marx en crampons
Neymar ou comment la finance jongle dangereusement avec le ballon rond
Comme souvent, en France, on nous présente les histoires d’argent comme une simple question « morale » ce qui permet de d’articuler à nos dépend une fois encore classe et race. La première question posée par les médias est la suivante : est-ce que c’est bien qu’un simple sportif soit aussi bien payé que Neymar ? Derrière cette question patente, il y en a une latente. Est-ce qu’un gars comme Neymar d’origine populaire et juste bon avec ses pieds mérite autant ? Et que dire de son père ? Evidemment cette question n’est jamais posée pour le fils d’un grand patron comme Lagardère ou consort.
Après tout, Neymar n’est pas français, n’a pas fait de grandes études et n’a pas d’ancêtres gaulois.
Il a le bon goût de ne pas être musulman, mais ses richissimes patrons le sont. La richesse des Qataris permet de poser aux médias français libres et indépendants de tout patron, la deuxième question : est-ce bien raisonnable de dépenser autant de la part de princes arabes ? Ce qui finit par déboucher sur la question du bon usage de l’argent des monarchies musulmanes. N’est-il pas scandaleux de faire autant n’importe quoi en période crise et s’attaquer au patrimoine français entre folie dépensière dans le foot et soutien aux djihadistes ?
Bref, comme toujours pour certains l’argent n’a pas d’odeur, pour d’autres c’est l’inverse (pour Soral c’est une fois de plus une histoire de feujs).
On peut aussi relever que ce feuilleton de l’été a fait couler beaucoup d’encre numérique et donc permit de faire un max de blé aux médias qui ont raconté cet histoire de changement d’employeur pour un footballeur.
Cet été on a subi tout un tas de considérations sur Neymar: le fric, l’origine qatari de l’argent, les bienfaits des impôts que Neymar pourrait casquer en France, dans un pays dont les classes populaires ne sont pas à 5 euros près.
Sur le chapitre de la manne d’argent public que Neymar est censé représenter, il est clair que cela ne sera pas le cas. Les Qataris ont des accords pour ne pas payer plein pots les taxes et cotisations, et dans un pays dirigé par le président des hyper-riches il est peu probable que cette affaire de gros sous puisse rapporter aux petites gens en retombant dans le domaine public.
Ce que gagne Neymar est hallucinant. Tellement que pour le compter en SMIC ou en APL il faut plusieurs vies au turbin pour arriver à de telles sommes. Le montant de son transfert et ce que représente son image en termes d’argent atteint des sommets de folie.
C’est juste dingue.
Cette folie nous fait parler de choses futiles et nous fait ainsi perdre de vue deux choses.
La première chose c’est que si on dépense de telles sommes, c’est que des gens sont (en théorie) en capacité de régler la note. Autrement dit, ce n’est pas Neymar qui est indécent, mais la manifestation du pouvoir économique des gens pour qui une telle opération est possible. Neymar est un salarié « extrêmement » bien payé, c’est aussi un produit de placement via ses droits d’image. Ses prestations et ce qu’il représente ne lui rapporte rien directement. Il est aussi une marchandise, un produit de placement. Sa valeur d’usage (ce que Neymar est en tant qu’être humain) est complètement disproportionnée à la valeur d’échange que l’ensemble de ses employeurs et bénéficiaires de ses prestations attribuent à ses qualités de footballeur.
Cela nous amène à la seconde chose qui sous le coup de l’émotion échappe souvent au premier regard : si Neymar se retrouve au PSG pour 222 millions, ce n’est pas parce que le PSG et ses dirigeants possèdent une telle somme. C’est parce que des banques prêtent cette somme. Le 8 aôut 2017, on estime que le marché des transferts estival est d’une hauteur de 3 milliards d’euros. Est-ce que les clubs du monde entier possèdent cet argent dans leurs tiroirs caisses ? La réponse est non.
Le marché du foot et du sport spectacle est en pleine expansion. Les anglais ont dynamité les chiffres avec des montants de droits télévisuels délirants il y a quelques années. Les prix flambent. C’est ainsi que pour figurer sur une manche du maillot du Liverpool FC il en coûte aujourd’hui la somme de 5 millions de Livres à l’année sur 5 ans.
Pendant que les économistes nous bassinent avec les retombées économiques des maillots de Neymar pour le PSG qui ne profiteront ni aux gamins qui les ont cousus dans des conditions infâmes ni aux gamins de nos quartiers qui rêvent de devenir un jour footballeurs, on ne trouve aucune critique sur ce gonflage exponentiel des sommes sur lesquelles banques se ruent.
L’argent du football, à l’exception de clubs comme le MFC 1871, n’est pas celui des abonnements et de la buvette. Il est celui des droits TV, de la pub, des investisseurs qui voient dans le football professionnel un nouveau moyen de faire de la spéculation. Le football bizness et plus largement le sport professionnel est simplement devenu un nouveau marché dans lequel, banques, investisseurs boursiers, fonds de pension, multinationales s’affrontent en faisant des culbutes spéculatives avec des taux de profits monstrueux. Et comment souvent quand ils ont des pertes, ils appliquent la maxime du capitalisme : Socialiser les Pertes & Privatiser les Bénéfices.
Dit comme ça, ça fait marxiste en crampons qui n’a pas confiance dans les banques et les capitaines d’industrie et dont les prouesses de Neymar font moins tourner la tête que les risques d’explosions de bulles financières.
On en est encore loin, mais si les montant des transferts sont de plus en plus hauts, que l’économie du foot est entièrement financiarisée et connectée à d’autres secteurs de l’économie, c’est signe qu’il y a un danger que tout cela peut éclater sur un battement d’aile de papillon.
Chaque année partout en Europe, des clubs des catégories inférieures déposent le bilan. L’exemple du naufrage de Parme en Italie est un bon exemple de ce qui peut arriver à n’importe quel club espagnol et cette situation n’est pas nouvelle. En France, on se croit plus raisonnable mais il suffit de regarder en France le nombre de montées dans l’élite pro qui se jouent sur tapis vert.
Nécessité d’investissement, négociation de prêt et de cautions à la banque, raté sportifs, retour au réel : saisie des biens du club en faillite qui laisse un trou dans la caisse de la banque tellement l’écart entre ce que le club possédait et ce qu’il valait vraiment est différent. Tant que ça reste sur des « petits clubs » avec des « petits » budget le système économique peut continuer à engranger sans heurt. Comme c’était le cas au début de la crise de l’immobilier avant 2007.Pour illustrer ce propos, les « achats de joueurs » ne sont pas réglés « cash » mais très souvent sont payés ou cautionnés par des banques, c’est de cette manière que le Milan AC fait un mercato spectaculaire cette saison. En cas de non qualification et sans la manne financière des droits TV, il y un risque de grande braderie contagieuse.
Cette vision du foot bizness, il n’y a pas que les critiques du capitalisme à la partager. Il y a aussi des gens qui baignent dans ce métier. C’est le cas de Monchi. Il a été un temps question que ce soit lui le Monsieur Recrutement du PSG. Il a été voir ailleurs, il semble que sa logique de travail ne cadre pas avec la manière de faire actuelle du PSG :
Vu de loin, c’est un peu la logique du gars qui fait des affaires avec des bonnes occases au prix du marché qui se méfie de la flambée des prix encadrés par la finance.
Évidemment, il n’y a rien à craindre, comme nous le répètent en boucle les VRP du modèle économique. Si on les croit, c’est à peu près aussi sûr que le nucléaire géré par le privé comme à Fukushima. Ils nous expliquent doctement que le foot et l’argent du foot ce n’est pas comparable à la crise des subprimes. Une bulle financière sur le marché de l’immobilier ce n’est pas comparable à ce que représente le foot. Au foot, tu fais des culbutes monstrueuses : quand la valeur d’un joueur passe de millions à des centaines de millions te voilà riche et la banque qui a prêté le pognon aussi. Jongler avec le fric et le ballon c’est pareil, c’est Naturel comme le capitalisme : ce serait un jeu sans perdants. Sauf que quand le soufflet de l’économie réelle retombe, ça impacte toute l’économie. Mais si on en croit les experts, ce scénario n’est pas envisagé le foot c’est rien, l’immobilier des subprimes, c’était risqué.
Ben voyons… L’immobilier c’est tout de même un brin plus stable que le ballon. La valeur d’un joueur se joue à rien, une blessure par exemple. La stabilité d’un club peut basculer sur une non qualification en ligue des champions, par exemple que se passe-t-il si le Milan AC qui a « investi » 200 millions de mercato se rate cette saison ou si la moitié des clubs espagnols qui font figuration en Liga sont en dépôt de bilan ? Si la bulle éclate, est-ce que les vendeurs d’images s’en remettront facilement ? Qui rendra le fric aux banques ?
Il faut regarder ce que représente cette industrie du divertissement au niveau mondial. Le foot sert à vendre des droits télévisuels, des rasoirs, des chaussures, des abonnements internet… Les stades privés sont des affaires de millions d’euros et portent le nom de multinationales. Avec autant de fric en jeu et de gens « sérieux », des banques d’affaires et des traders : pourquoi ça partirait en vrilles ? Tout va bien, tout est sous contrôle. Dernière affaire en date, les difficultés financières de SFR qui vient d’acquérir les droits TV sur les coupes européennes pour plus d’un milliard pour trois saisons.
La réalité c’est que l’économie de marché est loin d’être stable et les multinationales du divertissement et du sport peuvent être le premier domino qui entraîne les banques et le reste dans une grande chute. C’est à dire nous dans un nouvel épisode de l’instabilité économique du capitalisme. Pourquoi le marché du sport professionnel, en l’occurrence le football, serait épargné-il par les crises récurrentes du capitalisme ?
Bonne nouvelle pour les pauvres chargés d’éponger la future dette privée : on tient déjà le bouc émissaire de ce crash financier. Il s’agit de l’argent des princes musulmans et l’impudeur et l’immoralité de ces pauvres devenus riches grâce à leurs pieds.
Neymar n’est pas une honte, ni une bonne affaire. C’est juste la mesure visible de la financiarisation de l’économie d’un ballon rond que les spéculateurs Qataris, Français, Chinois et du monde entier vont chercher à gonfler jusqu’à ce qu’elle nous explose à la gueule.