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Venezuela: le point de vue de l’économiste marxiste anglais Michael Roberts

économie Venezuela

Lien publiée le 13 août 2017

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://blogs.mediapart.fr/antoine-montpellier/blog/120817/venezuela-le-point-de-vue-de-leconomiste-marxiste-anglais-michael-roberts

Ci-dessous un texte sur le Venezuela en espagnol, mais avec accès à la version anglaise, du marxiste anglais Michael Roberts qui situe son point de vue au croisement du politique, de l'économique et du social. Il pose les bases analytiques qui montrent qu'il est intenable, du point de vue de la gauche et, plus précisément, de celui de l'émancipation des peuples, de soutenir Maduro. Adressé, entre autres, à ceux et celles qui, à gauche, ne voient pas la catastrophe politique qu'il y a à donner un appui à un régime se discréditant par la corruption qui le gangrène et par les privilèges, associés à cette corruption, de ce que l'on appelle la "bolibourgeoisie" et ses relais étatiques (1). Ce régime a épuisé les possibilités d'une politique sociale radicale initiée par Chávez et perd ses appuis populaires par les effrayants dégâts sociaux, évoqués dans ce texte, que provoque son refus de rompre avec "l'insertion coloniale du pays dans l'ordre mondial" capitaliste (Edgardo Lander) (2). L'idée juste de couper l'herbe sous les pieds d'une droite et d'une extrême droite désireuses de revenir au schéma régressif de l'ancien régime n'implique aucunement de soutenir ce qui les renforce tout en provoquant le désarroi parmi les couches populaires. C'est du côté de la gauche antiMaduro qu'existe la seule possibilité d'approfondir un processus bolivarien de mobilisation populaire aujourd'hui arrivé au seuil de son dépassement, soit vers la droite, soit vers la gauche, et contre lequel jouent de façon insupportable Maduro et les siens. Une telle position doit au demeurant intégrer en son coeur une attitude de refus intransigeant de toute intervention étatsunienne au Venezuela.

(1) Venezuela. Le chavisme et les négoces financiers, la Bolibourgeoisie à l'oeuvre

(2) Venezuela. Réflexions critiques sur l’assemblée constituante ‘maduriste’

Edgardo Lander: Ante la crisis de Venezuela la izquierda carece de crítica

Voici la traduction, par mes soins, de larges extraits de cet article

"Selon le FMI, le PIB du Venezuela en 2017 est inférieur de 35% à celui de 2013, de 40% par tête d'habitant. Par comparaison les Etats-Unis virent baisser leur PIB de 28% lors de la Grande dépression de 1929-1933."

"Chávez avait amélioré les conditions de vie des plus pauvres par l'augmentation des salaires, les services sociaux et la réduction des inégalités. Ces mesures ne pouvaient cependant jouer qu'aux limites de l'économie capitaliste grâce aux revenus des exportations de pétrole à un moment où les prix de celui-ci étaient très haut. Mais ces prix ont commencé à baisser et se sont réduits de moitié ces deux dernières années.

Les exportations de pétrole ont baissé, entre 2012 et 2016, de 2 200 $ par tête d'habitant dont 1 500 $ sont dûs à la diminution des prix du pétrole. Le gouvernement de Maduro a commencé à accumuler d'énormes dettes externes pour essayer de maintenir le niveau de vie. Le Venezuela est désormais le pays le plus endetté du monde. Aucun pays n'a une dette extérieure publique supérieure si on la rapporte au PIB ou aux exportations, aucun pays n'a un service de la dette plus élevé en pourcentage de ses exportations.

Le gouvernement a eu recours à la dévaluation monétaire pour booster les revenus en dollars mais cela n'a fait que stimuler une inflation scandaleuse et des coupes dans les salaires réels. En même temps le gouvernement a décidé d'"honorer" tous les paiements de sa dette extérieure et, en corollaire, de réduire les importations. Conséquence : les importations de biens et de services par habitant se sont contractés de 75% en termes réels (compte tenu de l'inflation) entre 2012 et 2016, avec une nouvelle baisse en 2012. "

"Il s'en est suivi un effondrement de l'agriculture et de l'industrie supérieur à celui du PIB global entraînant une réduction supplémentaire de presque 1000 $ par tête d'habitant en biens de consommation produits localement.

Le salaire minimum - qui au Venezuela correspond au revenu moyen des travailleurs de par le grand nombre de ceux qui perçoivent ledit salaire minimum - a baissé, en prix constants, de 75% de mai 2012 à mai 2017. Cette chute salariale équivaut en termes de calories les moins chères disponibles pour les salariés à une baisse de 86,7%, ce qui est insuffisant pour nourrir une famille de cinq personnes, en supposant que tous les revenus sont dépensés dans l'achat des calories les moins chères. Avec leur salaire minimum les Venezueliens ne peuvent acheter que moins du cinquième de la nourriture que les Colombiens, traditionnellement plus pauvres, peuvent acheter avec leur salaire minimum.

Les revenus des plus pauvres ont connu un recul de 48% en 2014 et de 82% en 2016. Le poids de 74% des Venezueliens a baissé en moyenne de 8,6kg. La mortalité des personnes traitées médicalement s'est élevée de 10% et de 100% pour les nouveaux nés en milieu hospitalier en 2016."

"Des indices clairs de sous-alimentation infantile ont été relevés par un ensemble d'associations, dont Caritas (Secours Catholique), et d'organismes. Dans certains endroits on peut parler de crise alimentaire. Une enquête menée dans l'Etat de Miranda établit que 86% des enfants vivent dans la crainte de ne pas manger, 50% disent aller au lit en ayant faim."

"Avant Chávez, la majorité des Venezueliens étaient extrêmement pauvres sous les gouvernements de la droite capitaliste. Mais désormais, une nouvelle fois, sous Maduro, on retrouve cette situation que vivent les pauvres et la majorité des travailleurs venezueliens. Il n'est donc pas étonnant que l'appui au gouvernement de Maduro ait baissé tandis que les organisations de la réaction se renforcent. Alors que la majorité des venezueliens lutte, nombreux sont ceux qui, dans la haute hiérarchie du gouvernement de Maduro, vivent aussi confortablement que les capitalistes venezueliens et leurs partisans qui cherchent à renverser ce gouvernement.

Le gouvernement de Maduro dépend toujours plus, non de l'appui de la classe ouvrière, mais des forces armées. Et le gouvernement est à leurs petits soins. Les militaires peuvent ainsi acheter sur des marchés réservés (par exemple dans les bases militaires), ils bénéficient d'un accès privilégié aux prêts et aux achats de véhicules et de logements et ils ont vu leurs salaires augmenter substantiellement. L'armée a également décroché de juteux contrats, en gérant les contrôles des changes et les aides d'Etat - par exemple, sur la vente de l'essence bon marché achetée aux pays voisins - avec de grands profits."

"L'armée exerce un fort pouvoir économique direct par le contrôle d'entreprises, de banques, d'entreprises agricoles, de transports, de systèmes de communication, de télécommunication, des fonds d'investissement, une entreprise du bâtiment, une autre dédiée au conditionnement en bouteilles de l'eau. Sans compter une compagnie militaire minière, pétrolière et gazière anonyme.

Des secteurs importants des élites du gouvernement de Maduro ont utilisé la crise économique à leur propre bénéfice personnel. Ils ont acheté de la dette publique à forts rendements tout en s'assurant qu'il n'y aurait pas de banqueroute publique. Tout cela s'est fait au prix de la chute des niveaux de vie des gens qui doivent payer cette dette à travers les impôts et le non-perçu des revenus du pétrole. Les devises destinées au paiement de la dette externe ont été couvertes par la réduction des importations d'aliments, de médicaments ou d'intrants industriels essentiels

C'est ainsi que, tandis que les manifestants antigouvernementaux luttent contre la police et l'armée dans les rues et que le gouvernement évolue inexorablement vers un régime autoritaire, la classe ouvrière est désamparée. Le programme économique et social de l'opposition est le programme traditionnel des capitalistes nationaux appuyés par l'impérialisme, à savoir, la réforme des lois du travail (autrement dit, dans le sens de plus d'exploitation et d'agressions), la privatisation ou reprivatisation des entreprises d'Etat, la dérégulation des contrôles des investissements (soit la garantie d'un fort taux d'exploitation du travail) et, évidemment, la liberté des prix et l'unification des taux de change. La mise en place d'un tel programme, à l'égal des sanctions prévues par l'impérialisme étatsunien et ses acolytes dans la région, amènerait encore plus d'attaques contre le niveau de vie de la majorité de la population."

"Cette tragédie aurait pu être évitée si la révolution chaviste ne s'était pas arrêtée à mi-chemin, en laissant l'économie majoritairement sous le contrôle du capital. Mais les gouvernements de Chávez et de Maduro se sont appuyés sur les prix élevés du pétrole et leurs énormes réserves d'hydrocarbures pour réduire la pauvreté mais pas pour transformer l'économie à travers l'investissement productif, la propriété d'Etat et la planification.. De 1999 à 2012 l'Etat a obtenu un revenu de 383 milliards de dollars  du pétrole, non seulement grâce à l'amélioration des prix du baril mais aussi  à l'augmentation des royalties versées par les compagnies transnationales. Ces revenus n'ont pourtant pas été utilisés pour transformer les secteurs productifs de l'économie. Il est certain qu'une partie de cet argent a servi à améliorer le niveau de vie des masses les plus pauvres. Mais il n'y a pas eu de plan d'investissement et de croissance. De fait la part de l'industrie dans le PIB est passée de 18% en 1998 à 14% en 2012.

La droite favorable au "libre marché" nous dit maintenant que le Venezuela fait la démonstration que le "socialisme' ne fonctionne pas et qu'il ne peut pas échapper aux contraintes du marché. Mais l'histoire des dix dernières années n'est pas celle de l'échec du "socialisme" ou de la planification mais l'échec de la tentative de mettre fin au contrôle du capital dans un pays capitaliste (toujours plus isolé) à première vue faible ne jouissant que d'une ressource : le pétrole. Il n'y a pas eu d'investissement dans les gens, dans leur formation, dans le développement de nouvelles industries et dans l'innovation technologique : tout cela a été laissé entre les mains du secteur capitaliste. Il suffit de comparer avec le "socialisme  à caractéristiques chinoises", bien qu'il s'agisse d'un pays plus grand qui est aujourd'hui une puissante économie mondiale.

Il y a à peine plus d'un an, j'ai écrit dans une note que, pour sauver les objectifs du chavisme, "il est probable que ce soit trop tard, car les forces de la réaction gagnent tous les jours du terrain dans le pays. Il semble que nous soyons seulement dans l'attente de la décision de l'armée de changer de camp et de mettre dehors les chavistes"."