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    L’imaginaire libertaire du Grand Soir

    Lien publiée le 3 septembre 2017

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

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    Depuis la fin du XIXe siècle, la révolution sociale reste associée au Grand Soir. Un grand mouvement de révolte doit balayer l'ordre existant.

    Le Grand Soir est créé par l’imaginaire libertaire en France à partir de la fin du XIXe siècle. C’est le moment de la révolution sociale et de la rupture avec l’ordre existant. En France, le Grand Soir anime les syndicalistes révolutionnaires et une grande partie du mouvement anarchiste. La grève générale accompagne cet imaginaire. Aurélie Carrier se replonge dans cette histoire pour faire revivre l’espérance révolutionnaire dans son livre sur Le Grand Soir.

    La presse anarchiste relaie cet imaginaire insurrectionnel. « Le Grand Soir est une apothéose. Un événement soudain et imprévisible qui verra l’aboutissement fulgurant de la révolution sociale émancipatrice, marqué par l’écroulement total du vieil ordre et la mise en place d’une société harmonieuse », décrit Aurélie Carrier. Mais le Grand Soir devient un mythe fondateur qui dépasse les cercles libertaires pour susciter l’adhésion d’une grande partie des classes populaires et ouvrières. L’isolement et l’incertitude du lendemain accompagnent les conditions de vie des ouvriers. Ils décident de s’organiser comme une classe, séparée du reste de la société, portée par la croyance messianique de la révolution prochaine.                            

    Un imaginaire anarchiste

    « Au tournant du siècle, et au-delà des militants eux-mêmes, une large fraction du prolétariat rêve d’une transformation radicale du monde existant », observe Aurélie Carrier. Chaque lutte et chaque révolte porte la perspective d’un renversement ponctuel et brutal de l’ordre social. Le courant anarchiste rêve d’une société nouvelle, sans hiérarchie et sans Etat. « Aspirant à l’intégrale liberté, ils souhaitaient détruire tout l’édifice de contraintes sociales, toutes les formes de domination ou d’autorité qui pesaient sur les hommes », souligne Aurélie Carrier. A partir de 1880, le retour des communards permet le développement du courant anarchiste. Dans un contexte de crise économique et de misère sociale, la révolution semble imminente.

    Les anarchistes estiment que le renversement du vieux monde est proche. Le syndicaliste Emile Pouget refuse même les réformes qui veulent aménager le capitalisme. Ces quelques miettes ne font que retarder l’imminence de la révolution à venir. La société bourgeoise, en pleine décomposition, semble au bord de l’effondrement. Face à une société malade de ses injustices sociales, le seul remède devient le Grand Soir.

    La propagande anarchiste vise à combattre la passivité et la soumission ouvrière pour inciter à la révolte. Les moments de manifestations, de grèves et d’explosions spontanées de la colère ouvrière favorisent la diffusion des idées anarchistes. Chaque évènement peut devenir le premier acte de la révolution sociale.

    Les anarchistes analysent les échecs des révolutions du XIXe siècle. Malgré des changements dans les régimes politiques, ces révoltes ne débouchent pas vers une amélioration du quotidien des classes populaires. Les libertaires valorisent alors la révolution sociale. La violence est considérée comme autoritaire par les anarchistes. Mais elle demeure indispensable pour briser l’exploitation et l’oppression. La classe bourgeoise ne se laissera pas exproprier volontairement.

    C’est la destruction de l’ordre existant qui doit permettre la création d’un monde nouveau. Pour Mikhaïl Bakounine, « une liquidation générale est le préliminaire obligé de toute révolution ». C’est le feu qui symbolise le Grand Soir, pour mêler les images de vengeance et de purification. Les anarchistes veulent incendier les bâtiments et les lieux symboliques du pouvoir. « Il n’y aura pas de révolution sans destruction passionnée : seule la catastrophe révolutionnaire, avec un colossal déracinement, permettra aux hommes de se délivrer et d’atteindre leur idéal », résume Aurélie Carrier.

    L’imaginaire libertaire du Grand Soir

    Un imaginaire romantique

    La perspective du Grand Soir permet également d’inciter à l’action. « L’imagination créatrice est nécessaire, car elle permet de repousser les limites de la réalité. C’est par elle que naît l’action révolutionnaire, elle en est le ferment », souligne Aurélie Carrier. Le romantisme révolutionnaire du mouvement libertaire attire de nombreux écrivains.

    Des journaux polémistes et pamphlétaires permet de faire de la littérature un combat. Les écrivains anarchistes veulent rompre avec les lieux communs et les conventions littéraires pour exprimer un cri de révolte. Georges Darien, Bernard Lazare ou Octave Mirbeau figurent parmi les plus connus. L’expression littéraire agit sur le cœur pour influencer la raison.

    Les anarchistes refusent de décrire la société future en détail. Ils se contentent d’insister sur l’harmonie et l’épanouissement des individus. Malgré leur messianisme révolutionnaire, ils restent athées. Le mythe du Grand Soir correspond pourtant à une forme de millénarisme qui entend rompre avec un ordre social perverti et décadent.

    Les mouvements millénaristes décrivent le salut comme collectif, terrestre, imminent, total et universel. Mais le millénarisme anarchiste découle d’une action consciente par les humains et pour les humains. Les libertaires ne considèrent pas que la société communiste libertaire surgira de manière immédiate et sans difficultés. Mais ils combattent la stratégie marxiste de la période de transition qui suppose une prise du pouvoir d’Etat.

    Le Grand Soir apparaît également comme un mythe qui oriente l’action des anarchistes. Georges Sorel insiste sur l’importance du mythe pour entraîner les classes populaires vers la révolte. L’idéal doit inciter à l’action concrète. Le mythe libère l’imagination et pousse à l’affrontement. Les révoltes individuelles se transforment en mouvement révolutionnaire.

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    Un imaginaire syndicaliste révolutionnaire

    La grève générale devient l’arme principale du syndicalisme révolutionnaire.L’Association internationale des travailleurs (AIT) insiste également sur la grève des producteurs contre les entreprises. En 1888, la France connaît une importante vague de grèves. C’est à partir de 1892 que commence la propagande en faveur de la grève générale. Les anarchistes refusent les actions partielles qui conduisent à la défaite et démoralisent le prolétariat. Ils refusent également de discuter avec les exploiteurs. En revanche, la grève générale doit permettre la destruction de l’Etat et l’appropriation collective des moyens de production.

    Le syndicat s’organise sur des bases strictement économiques mais doit permettre la transformation révolutionnaire de la société. Emile Pouget insiste sur la « double besogne ». Le syndicat doit être un groupe de résistance face au patronat mais aussi un organe de préparation de la révolution. L’action directe est également valorisée. « Elle apprend à réfléchir, à décider, à agir. Elle se caractérise par la culture de l’autonomie, l’exaltation de l’individualité, l’impulsion d’initiative dont elle est le ferment », insiste Emile Pouget.

    L’action directe favorise la prise de conscience de l’exploité. Les grèves partielles permettent également de diffuser des pratiques d’action directe. La grève devient une gymnastique révolutionnaire qui prépare les prolétaires à la révolution sociale. Elle permet de développer une conscience de classe et des pratiques d’entraide.

    Le messianisme révolutionnaire des anarchistes se fond progressivement dans le discours syndical. La Confédération générale du travail (CGT) insiste sur la propagande pour la grève générale. La multiplication des luttes et des transgressions locales doit permettre de provoquer la grève générale. Cet imaginaire se confond avec celui du Grand Soir. En revanche, la grève générale s’inscrit dans les luttes de la classe ouvrière. La pratique précède la théorie.

    Les Brigades du Tigre : Photo Jacques Gamblin, Marc Robert, Pierre Berriau, Thierry Frémont

    Un imaginaire révolu

    Le 1er Mai devient un moment de regroupement de la classe ouvrière. Cette journée de lutte inquiète la bourgeoisie et peut provoquer le Grand Soir. La CGT lance un mouvement pour la journée de huit heures de travail. Des arrêts de travail et des grèves annoncent une montée en puissance. Le 1er Mai 1906 devient un moment décisif. La lutte pour les huit heures doit permettre une amélioration des conditions de vie des ouvriers, avec plus de liberté et de bien-être. Surtout, cette lutte s’inscrit dans la perspective d’un renversement révolutionnaire du capitalisme.

    Mais ce mouvement de grèves de 1906 apparaît comme un échec, même si une loi sur le repos hebdomadaire est votée. Les espérances révolutionnaires ne sont pas satisfaites. Le gouvernement tente d’éradiquer la CGT. Clémenceau, le « briseur de grève », utilise la répression. Mais il tente également de favoriser l’aile réformiste de la CGT contre la tendance révolutionnaire. Le courant libertaire est lui-même divisé. Certains veulent en finir avec le « romantisme révolutionnaire ». Ils valorisent les luttes du quotidien, même si la grève générale perdure comme un horizon lointain.

    En revanche, Benoît Broutchoux reste attaché à une vision insurrectionnelle. Les syndicalistes révolutionnaires s’appuient sur les grèves des postiers et des cheminots pour tenter de généraliser la lutte. Mais l’appel de la CGT pour une grève générale de solidarité est un échec. Dans les secteurs directement concernés, la grève ne touche même pas toute la profession. Les syndicalistes et les anarchistes ne parviennent pas à empêcher la guerre. En 1914, « l’Union Sacrée » brise le rêve du Grand Soir.

    Le militantisme actuel reste englué dans un soucis d’efficacité et d’immédiateté. La perspective révolutionnaire du Grand Soir semble abandonnée. Ensuite, les luttes sont spécialisées dans un domaine précis et ne s’inscrivent pas dans une démarche de changement global. « Le primat accordé à l’immédiateté et à l’investissement dans des causes visant à la transformation de la vie quotidienne (ou contre les discriminations) est devenu la norme et a rendu obsolète l’attente du Grand Soir », analyse Aurélie Carrier. En revanche, les mouvements sociaux de 2006 ou la lutte contre la Loi Travail de 2016 ravivent l’imaginaire révolutionnaire. De nombreux tags invitent à changer le monde ou à le détruire. Une nouvelle poésie de la contestation se développe. 

    Un imaginaire à raviver

    Le livre d’Aurélie Carrier permet de faire revivre une période intense et passionnante. C’est l’apogée de l’anarchisme français. Le romantisme révolutionnaire se mêle au syndicalisme d’action directe. Aurélie Carrier décrit bien la généalogie du Grand Soir pour la resituer dans son contexte historique et politique. Son étude permet également de pointer les limites de l’anarchisme français et de l’imaginaire du Grand Soir.

    La révolution sociale s’inscrit dans une vision eschatologique et quasi religieuse. Comme le théoricien marxiste Ernst Bloch, les anarchistes s’inscrivent dans un messianisme révolutionnaire. La révolution sociale, à travers le mythe du Grand Soir, devient plus une espérance qu’une réalité tangible. Néanmoins, ce messianisme ne plonge pas les anarchistes dans un simple attentisme. Le syndicalisme révolutionnaire permet d’ancrer le Grand Soir dans la réalité des luttes, des grèves et des pratiques d’action directe.

    La force du Grand Soir libertaire consiste à relier la perspective révolutionnaire aux luttes concrètes. Cet imaginaire est critiqué par les marxistes autoritaires qui insistent sur une période de transition. Pour ces gauchistes, les luttes ne suffisent pas à ouvrir une perspective de rupture révolutionnaire. Les mouvements sociaux doivent alors confier à l’Etat le soin d’organiser la transition vers une société communiste. La réalité historique montre que cette période transition comporte surtout l’autoritarisme, la répression et les camps. Le Grand Soir libertaire propose au contraire d’orienter les luttes vers un communisme immédiat à travers la grève générale.

    Néanmoins, les anarchistes et les syndicalistes ne sont pas exempts de toute démarche avant-gardiste. Des libertaires insistent sur les luttes sociales comme seule pédagogie. Les mouvements de grèves permettent d’agir et de réfléchir collectivement. Les pratiques d’action directe permettent de diffuser une conscience de classe. Mais la plupart des anarchistes restent enfermés dans une vision éducationniste pour colporter une morale frelatée. Les anarchistes peuvent valoriser l’exemplarité de l’action minoritaire. La propagande par le fait reste de la propagande. Les anarchistes continuent de séparer ceux qui savent, surtout eux-mêmes, du reste de la population. Les anarchistes veulent donc éduquer les ouvriers, ce qui suppose une séparation voire même une hiérarchie.

    Ensuite, cette recherche d’éducation s’inscrit dans la défense d’un ordre moral. Les anarchistes se présentent comme végétariens et refusent l’alcool. Ils veulent imposer leur mode de vie à l’ensemble de la population. Même si c’est par l’éducation plutôt que par la force, cette démarche comprend une dérive autoritaire d’uniformisation. Cette morale s’accompagne évidemment d’une valorisation du travail contre la paresse. Alain Pessin observe que le romantisme est balayé par une « ascèse ouvrière », avec une imagination « aux fortes colorations positivistes, scientistes, éducatrices ». Cet anarchisme tranche avec le communisme libertaire espagnol qui s’oppose à la vieille garde des moralistes du travail. En France, la critique du travail et de la marchandise semble peu présente. L’appropriation des moyens de production demeure la seule perspective.

    En revanche, le romantisme du Grand Soir doit être ravivé. Cette plongée historique d’Aurélie Carrier se termine d’ailleurs par un désir de dépassement des luttes revendicatives qui pullulent actuellement. La révolte doit permettre de détruire le monde marchand pour bouleverser tous les aspects de la vie.

    Aurélie Carrier, Le Grand Soir. Voyage dans l’imaginaire révolutionnaire et libertaire de la Belle époque, Libertalia, 2017

    Pour aller plus loin :

    Dominique Kalifa, Mélancolies du Grand Soir, publié dans le journal Libération le 14 juin 2017

    Le Grand Soir mis à jour. Une mystification réactionnaire  à l'origine d'un mythe révolutionnaire !, publié sur le blog du livre La bande noire le 26 juin 2017

    Claude Guillon, Aurélie Carrier éclaire “Le Grand Soir” ~ un livre & une rencontre (et la fête!), publié sur le blogue La Révolution et nous le 26 avril 2017