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Allez, viens, on crée notre supermarché !

Lien publiée le 11 septembre 2017

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://reporterre.net/Allez-viens-on-cree-notre-supermarche

Une trentaine de supermarchés collaboratifs sont en projet ou lancés, dont la Cagette, à Montpellier, qui a ouvert ses portes mercredi 6 septembre. Fondés sur le principe que les clients sont aussi les propriétaires, ce sont des « vrais supermarchés, mais en mieux ».

Ils s’appellent la Louvela CagetteSuperquinquin ou la Chouette Coop. De Lille à Montpellier en passant par Paris ou Toulouse, les projets de supermarchés coopératifs se multiplient depuis quelques années. Ils sèment un peu partout en France leurs drôles de noms et leurs principes alternatifs à la grande distribution. Leur but ? Être des supermarchés qui appartiennent à leurs clients associés et coopérateurs : pour pouvoir y faire ses courses, chacun doit acheter ses parts sociales, et travailler trois heures par mois à la caisse, à l’étiquetage ou encore à la livraison.

Parmi la trentaine de supermarchés en devenir en France, certains étalent déjà leurs produits sur des rayons, d’autres les stockent dans un local provisoire. Les plus jeunes se contentent pour le moment d’organiser des réunions, dans le café du coin ou dans un appartement. Car, pour monter un supermarché de A à Z ou, plutôt, de l’approvisionnement au passage en caisse, il faut du temps… et un paquet de bénévoles.

Ça part souvent de deux ou trois potes, peut-être quatre. Ils ont entendu parler de la Park Slope Food Coop, ce gigantesque supermarché coopératif de Brooklyn, au détour d’un voyage, dans le documentaire Food Coop ou grâce à la Louve, son homologue parisienne. Celle-ci n’échappe pas à la règle : elle est née de l’idée de deux amis états-uniens, qui ont décidé d’importer le modèle new-yorkais en France. Les projets français qui ont suivi apparaissent comme de petits « louveteaux » : « Ce sont des initiatives sœurs de La Louve », affirme Muriel Prévot-Carpentier, chercheuse en philosophie. Elle a observé le projet parisien durant plusieurs mois : « En 2013, lorsque leur financement participatif a été lancé, rares étaient les personnes qui connaissaient ce concept et la Park Slope Food Coop. Ce n’est qu’après que sont nés de multiples projets similaires, qui s’inspirent tous du modèle parisien, lui-même calqué sur celui de New York. » Pour Martial, membre du projet lyonnais Demain, c’est clair : « La Louve a ouvert la voie en France. »

Un moyen de se former et d’acquérir de nouvelles compétences 

Mais deux potes ne suffisent pas pour monter un projet qui s’étalera sur plusieurs centaines de mètres carrés. Le premier pas est donc de partir à la chasse aux bénévoles ou, plus précisément, aux adhérents : Les Amis de la Louve est l’association qui préfigurait le supermarché. De la même manière sont nés Les Amis de la Cagette ou Les Amis de Superquinquin, premières structures juridiques de ces projets au long cours. Le nombre d’adhérents de la plupart de ces associations n’a pas mis longtemps à croître, tant les principes qu’elles portent sont en vogue : choisir les produits que l’on consomme, à des prix abordables, en privilégiant les articles locaux voire bio et en rémunérant convenablement les producteurs. Si la Louve avait déjà emballé de nombreux bénévoles en peu de temps, les initiatives sœurs ont parfois du mal à suivre tant les intéressés se bousculent : en neuf mois, Scopeli, à Nantes, a regroupé deux mille adhérents, et l’Éléfàn, à Grenoble, a enregistré plus de cent demandes mensuelles durant plusieurs mois.

Avant d’ouvrir leur supermarché, la plupart des projets attendent généralement de regrouper au moins 1.000 adhérents. La Louve à Paris en compte plus de 5.000.

Pour travailler plus efficacement, toutes ces petites mains s’organisent en groupes de travail : achats, communication, financement, comptabilité et gestion, juridique, informatique, vie associative, gouvernance… Sous des dénominations différentes, chaque projet se dote plus ou moins des mêmes commissions, et laisse ainsi choisir à ses adhérents un ou plusieurs domaines pour mettre la main à la pâte. Les compétences requises ? En théorie, aucune. Mais quand il s’agit de déterminer la forme juridique de la future coopérative ou de gérer les logiciels comptables, quelques connaissances sont les bienvenues. « Beaucoup de bénévoles apportent leurs compétences professionnelles dans le projet », observe Muriel Prévot-Carpentier. C’est ainsi que Martial, titulaire d’un diplôme en gestion des affaires et des administrations, a rejoint le groupe comptabilité-gestion de Demain. Mais certains adhérents se jettent parfois à l’eau dans des domaines qui leur sont étrangers. « Les deux référentes de notre commission approvisionnement n’avaient jamais touché à des métiers similaires », témoigne Olivier, du projet Éléfàn. Le milieu associatif devient alors un moyen de se former et d’acquérir de nouvelles compétences.

Sur les questions les plus pointilleuses, les jeunes projets peuvent toujours demander un coup de main à ceux qui ont pris de l’avance. « L’aide des autres projets nous est précieuse, confirme-t-on chez les Breizh’i Potesil y a une réelle solidarité entre tous. » Débarqués à Rennes en septembre dernier, ils ont vite rencontré l’équipe de Nantes. « On avait plein d’interrogations : comment capter de nouveaux adhérents au début ? Comment se financer ? Comment gérer les plannings de travail ? » Le relais passe ainsi de projet en projet : après avoir reçu des conseils de la Louve et de la Cagette, l’Éléfàn a donné quelques tuyaux aux projets de Lyon, d’Annecy et de Chambéry. On se partage les modèles de statuts, les documents utiles, le logiciel comptable… Une rencontre « Intercoop » a même réuni une bonne partie des projets français et belges en février 2017.

« Conserver le côté pratique du supermarché » 

Le but de tous ces projets reste d’ouvrir un « vrai supermarché, mais en mieux, résume Muriel Prévot-Carpentier, dans lequel on peut faire l’ensemble de ses courses tout en sachant d’où provient chacun des produits que l’on glisse dans son panier. » Pour Benjamin, membre du conseil d’administration de l’Éléfàn, il est important de « conserver le côté pratique du supermarché : à terme, le but est de répondre à 100 % des besoins des clients ». Fruits et légumes certes, mais aussi viandes, poissons, produits d’entretien, biscuits… on doit pouvoir tout trouver sur les étals d’un supermarché coopératif.

Cela implique un énorme travail de recherche, souvent mené par la commission achats ou approvisionnement, qui se charge de dénicher les producteurs qui accepteront de prendre part à ce projet. Des sous-groupes de travail sont bien souvent dédiés à un produit en particulier : le pain, les fruits et légumes, les œufs… La plupart des projets misent en priorité sur la production locale, en passant parfois par des coopératives de producteurs. « Pour l’achat de produits plus exotiques, comme le café ou le chocolat, nous aimerions regrouper nos commandes avec les autres supermarchés coopératifs de Rhône-Alpes », confie Benjamin.

Chaque adhérent a droit à une voix lors des votes en assemblée générale, pour garantir un système qui soit le plus démocratique possible. (Ici, l’Éléfàn.)

Une question fait souvent surface lorsqu’il s’agit de fixer la « charte produits », qui définira la qualité des articles en rayon : bio ou pas bio ? À Nantes, Scopeli aimerait « participer à l’organisation de la filière bio : nous sommes donc partis sur des produits issus de l’agriculture biologique ou en conversion », dit Laure, du groupe communication. À Grenoble, en revanche, la question a été tranchée après de longues discussions avec les membres de la commission approvisionnement : « Le cœur du projet, ce n’est pas le bio, résume Olivier, c’est d’offrir des produits de qualité à des prix abordables pour tous. »

Attirer des coopérateurs de toutes les tranches sociales est également l’un des objectifs revendiqués de tous les projets de supermarchés coopératifs. Et ce n’est pas toujours facile : à la Louve, Muriel Prévot-Carpentier a vu défiler de nombreux coopérateurs et la majorité venait du même milieu, plutôt embourgeoisé. Mais elle ne doute pas de la volonté de mixité sociale du projet, qui s’est implanté dans le 18e arrondissement et a mis en valeur des produits qui ne se limitent pas aux panais bios.

L’étape cruciale de l’« épicerie test » 

Si la Louve a déjà investi ses locaux définitifs, ce n’est le cas de presqu’aucun des projets de supermarché coopératif français. Beaucoup préfèrent commencer petit, avec ce qu’ils appellent leur « épicerie ou supermarché test »Celui de Superquinquin a ouvert en avril dernier, et l’Éléfàn prévoit d’ouvrir le sien à la rentrée : « C’est un laboratoire de notre futur supermarché, explique Benjamin. On va y tester notre mode de gestion, notre approvisionnement, nos produits, notre système de caisse, nos plannings de travail des adhérents… » Une étape cruciale avant de pouvoir passer à la suivante. Avant d’en arriver là, les produits sont souvent testés par les adhérents, qui les commandent et les récupèrent dans un local provisoire ou même chez l’un des bénévoles. Une manière de mettre en route le groupement d’achats, deuxième structure juridique qui s’inscrit à côté de l’association. C’est ce qu’a fait l’Éléfàn durant plusieurs mois : avant de s’installer dans son laboratoire de 180 m², l’association a erré entre une pépinière d’associations et un local abrité dans une école d’architecture.

Fruits et légumes, pâtes, confitures, mais aussi chocolat ou papier toilette : on doit pouvoir trouver de tout dans un supermarché coopératif.

Mais le projet grenoblois n’a pas encore trouvé le lieu idéal pour son futur supermarché de 1.500 m². Il faut dire qu’il n’est pas facile de dénicher un lieu assez grand, qu’il soit possible d’aménager et qui ne coûte pas trop cher. Scopeli a enfin trouvé le sien : « C’était très compliqué : nous avons cherché pendant un an, en ne trouvant que des locaux trop grands, trop loin, où il y avait trop de travaux à mener, décrit Laure. Avec l’aide de la métropole nantaise, nous nous installons finalement dans une ancienne salle de sport de 1.000 m². » À Paris, la mairie du 18e arrondissement a donné un coup de pouce à la Louve dans sa recherche de local.

Le soutien des collectivités se révèle ainsi primordial, notamment en matière d’accompagnement et de financement. Des subventions peuvent venir compléter les fonds récoltés par les adhésions. Car, même aux balbutiements, un peu d’argent est nécessaire : la communication n’est pas gratuite et acquérir un local et l’aménager l’est encore moins. Une autre source de financement immanquable ? Le financement participatif. Tous les projets passent par là. À terme, les parts sociales des coopérateurs — versées cette fois à la société coopérative, la dernière structure juridique — et une très légère marge sur les produits seront les seules sources de financement.

Pas facile pour un projet de longue haleine de ne perdre personne en route 

Entre les prémices de la Louve, dès 2010, et le lancement de l’épicerie test, il s’est passé… six ans. Les projets qui se lancent depuis mettent un peu moins longtemps à émerger, mais il s’écoule au minimum entre deux et trois ans avant de voir les premiers produits en rayon. Les premiers mois se passent plutôt autour d’une table, aux assemblées générales, aux réunions d’information souvent mensuelles, et aux réunions de groupe, parfois hebdomadaires. Discuter, débattre, poser des questions et trouver des solutions ; tous les projets veulent fonctionner sur le mode le plus démocratique possible. Souvent, un conseil d’administration prend les décisions quotidiennes, mais les choix les plus importants sont adoptés en assemblée générale.

« Le plus difficile est de montrer en interne que le projet avance, confie Olivier, pour qu’aucun des centaines d’adhérents ne se sente exclu. » Pas facile pour un projet de longue haleine de ne perdre personne en route. « Au bout d’un certain temps, les gens ont besoin de concret, reconnaît Laure. Si le supermarché reste à l’état de projet trop longtemps, les bénévoles s’essoufflent. » La campagne de financement est souvent une étape qui permet de remotiver les troupes. Celles-ci voient des adhérents aller et venir, ou ne s’investir que quelques heures par mois. « Comme dans tout projet associatif, il est nécessaire qu’un noyau consacre énormément de temps au projet, et ce dans la continuité, analyse Muriel Prévot-Carpentier. Un tel projet ne pourrait pas exister si chacun des bénévoles ne s’investissait au départ qu’à hauteur de trois heures par mois, comme il est prévu dans le projet final. » Certains y consacrent tout leur temps libre, d’autres profitent d’une période de chômage pour s’engager dans un projet qui leur apportera de nouvelles compétences. D’autres encore ne donnent que quelques minutes de temps en temps, mais apportent ainsi leur pierre à l’édifice. Un édifice qui prendra, à terme, l’aspect d’un supermarché. Leur supermarché.