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Eric Aunoble, La Révolution russe, une histoire française.
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https://dissidences.hypotheses.org/7004
Eric Aunoble, La Révolution russe, une histoire française. Lectures et représentations depuis 1917, Paris, La Fabrique éditions, 2016, 264 pages, 14 €.
Un compte rendu de Jean-Guillaume Lanuque (suivi d’un entretien avec Eric Aunoble)
Ce petit ouvrage d’Eric Aunoble, historien remarqué en particulier par son livre sur « Le Communisme, tout de suite ! ». Le mouvement des Communes en Ukraine soviétique (1919-1920)1, se penche sur la perception de la révolution russe en France2. Il s’agit donc d’une synthèse qui se pense en même temps comme une invitation à reprendre les études sur la période 1917-1921, « (…) tant elles peuvent encore apprendre à tous celles et ceux qui, aujourd’hui encore, visent l’émancipation. » (p. 17). D’emblée, ce qui domine chez les contemporains de l’événement, c’est une vision négative des bolcheviques, mal connus, et une perception au prisme de la guerre et de l’ennemi allemand. Le manque de sources et les biais partisans expliquent pour l’essentiel la rareté de ces premiers regards lucides, dont les rares exceptions sont à chercher chez Serge de Chessin (Au Pays de la démence rouge, clairement hostile mais parfois pertinent) et Victor Serge.
L’entre-deux-guerres est marqué d’un côté par les visions hostiles d’un Curzio Malaparte ou d’un Nicolas Berdiaev, invoquant un certain fatalisme des événements, la singularité russe et traçant un parallèle avec le fascisme, et de l’autre par des efforts plus historiens, ceux de Léon Trotsky, Victor Serge et Boris Souvarine. Mais « Ces ouvrages trouvent donc essentiellement un écho dans des milieux politisés, restreints et assez marginaux car coincés entre une opinion majoritairement conservatrice et la montée du philosoviétisme. » (p. 49). Les nombreuses publications du Parti communiste français (PCF) tentent en effet de générer une vision spécifique de la révolution russe, basée quasi exclusivement sur des traductions du russe (paradoxalement, le seul best-seller de ces publications est le livre de John Reed, Dix Jours qui ébranlèrent le monde). Eric Aunoble n’oublie pas les romans, qui à ses yeux « (…) tracent des années révolutionnaires un tableau beaucoup plus complet que les productions savantes. » (p. 61), leur richesse étant surtout sensible dans les années 1920, évoluant par la suite vers une certaine prédilection pour la violence sanglante, sensible chez Joseph Kessel3 ou Vladimir Pozner4 par exemple.
Après la Seconde Guerre mondiale, le philosoviétisme provisoirement dominant favorise l’action du PCF, dont un des membres, l’historien Jean Bruhat, signe un « Que sais-je ? » sur le sujet, marqué par un déterminisme lourd. Parallèlement, les études universitaires demeurent rares (L’Ancien Régime et la Révolution russes, de Boris Nolde, réédité et augmenté en 1948, se heurte à un grand silence), les écrits dissidents négligés (La Révolution inconnue, de Voline, « dernier des grands essais-témoignages » p. 84). C’est également le moment où les réseaux anti-communistes se mettent en place, derrière Raymond Aron et surtout Boris Souvarine, avec les éditions Les Îles d’or et la création du Bulletin de l’association d’études et d’informations politiques internationales, renommé Est & Ouest en 1956. De ces milieux émerge un travail documenté et sérieux : « Pensée essentiellement comme une arme politique, l’argumentation est protéiforme : elle est libertaire avec les anarchistes, marxiste avec les socialistes, libérale avec les démocrates. En ajoutant les différents points de vue critiques les uns aux autres, elle en augmente la charge destructive globale. » (p. 91).
Les années 1960 sont contradictoires. Si, pour le grand public, à l’approche du cinquantenaire, le sentiment d’une dépolitisation domine, symbolisée par le film de David Lean Le Docteur Jivago, dans le cadre universitaire, une nouvelle génération de chercheurs mieux armés émerge. C’est ce qui fait dire à Eric Aunoble qu’avec le « Que sais-je ? » de François-Xavier Coquin, « C’est le début en France d’une histoire vraiment scientifique de la révolution, histoire qui sait néanmoins rester passionnée. » (p. 105). Il convient d’y adjoindre les historiens trotskystes que sont Jean-Jacques Marie, toujours salué pour la qualité de son travail, et Pierre Broué5, les points forts de son livre sur Le Parti bolchevique étant soulignés, quand bien même Eric Aunoble le considère comme souffrant d’un défaut similaire, mais inversé, au Précis d’histoire du Parti communiste (bolchevik) de l’URSS. Pour découvrir une histoire qui prend de la distance avec l’angle partidaire et idéel, au profit d’une démarche plus profondément sociale, il faut se pencher sur les travaux de Marc Ferro6. Basés sur des sources nombreuses, ils ont, pour Eric Aunoble, le mérite d’avoir remis en cause la nature de classe de la révolution et mis à jour l’existence d’un processus de bureaucratisation et de terreur venu d’en bas.
Les années 1968 qui s’ouvrent ne remplissent pas tous les espoirs que l’on pouvait placer en elles : si Jean Ellenstein développe une histoire communiste plus critique que par le passé, le « gauchisme » ne se réapproprie pas vraiment la révolution russe, à l’exception des anarchistes et de la figure de Makhno (Eric Aunoble nous semble toutefois traiter un peu trop rapidement des volumes de Charles Bettelheim sur Les Luttes de classes en URSS). Le retournement, sans surprise pour ceux qui ont lu Michael Scott Christofferson7, Eric Aunoble le date de la période 1975-1985, passage de l’URSS au purgatoire, pour paraphraser Hélène Carrère d’Encausse. Une phase qui correspond à un retour du politique chez les historiens, et subséquemment de l’idéologique presque exclusif. La bande dessinée d’Hugo Pratt, Corto Maltese en Sibérie, à ce titre, fait office de butte témoin, véhiculant selon l’auteur une vision propre à l’extrême droite (avec la fascination pour la figure contre-révolutionnaire du baron Ungern)8. Sa critique des travaux d’un Alain Besançon ou d’un Dominique Colas est sans appel : « En fait, ces auteurs produisent un envers d’idéologie soviétique, une construction intellectuelle anhistorique qui surplombe la réalité plus qu’elle ne l’explique. » (p. 148-149).
« L’enfer » des années 1990, marqué par Le Livre noir du communisme, n’est finalement que le prolongement de ce retournement, cette vision devenant dominante en particulier dans les médias et les programmes du secondaire. Dans cette optique, l’analyse de la démarche d’un Nicolas Werth est particulièrement précieuse. Eric Aunoble montre bien, en effet, que sa contribution au Livre noir… est à charge contre les bolcheviques, nuançant considérablement son propos9. On est bien entré, selon le propos de l’auteur, dans l’ère des victimes10, qui contribue à évacuer tout sens des événements (une caractéristique postmoderne, qu’Eric Aunoble ne développe pas comme telle). Cela ne l’empêche pas, bien au contraire, d’inviter à des traductions plus larges de l’historiographie anglo-saxonne, et d’ouvrir sur des pistes de recherche prometteuses : les itinéraires de radicalisation des plébéiens à compter de 1905, la classe ouvrière pendant la révolution, les phénomènes culturels, la guerre civile11…
La Révolution russe, une histoire française est un livre passionnant et stimulant, qui pose un certain nombre de jalons, mais ne constitue finalement qu’une première approche, qu’il s’agira de compléter par des analyses plus précises, plus fines. Les précisions manquent parfois, comme sur les chiffres de vente, et des ouvrages importants sont négligés, ceux d’Arthur Rosenberg, Isaac Deutscher, ainsi que ceux d’auteurs de l’extrême droite, comme Roland Gaucher (Le Roman vrai de la révolution russe) ou Jean Marabini (La Vie quotidienne en Russie sous la révolution d’octobre). De même, passées les années 1968, la fiction est majoritairement négligée, à l’exception d’Antoine Volodine, représentatif d’une forme de désespérance politique.
Cinq questions à… Eric Aunoble (entretien numérique réalisé le 11 mars 2016)
1- Qu’est-ce qui vous a incité à vous lancer dans l’écriture d’un travail sur la perception de la révolution russe en France ? Comment s’est déroulée la collaboration avec l’éditeur ? Y a-t-il une lecture en particulier qui vous a stimulé dans cette approche ?
Ce livre est né d’une idée d’Éric Hazan, des éditions La Fabrique. Après avoir relu Aux Armes, historiens, la réaction d’Eric Hobsbawm aux débats parisiens autour du bicentenaire de la Révolution de 1789, il souhaitait qu’à l’approche du centenaire de la Révolution russe s’exprime un point de vue critique sur les palinodies françaises quant à Octobre. Et il m’a sollicité, déjà parce que nous ne sommes pas bien nombreux à travailler sur ces événements sans chercher à les dénigrer systématiquement, et aussi parce qu’il avait apprécié mon premier livre, tiré de ma thèse « Le Communisme tout de suite ! ». Ceci étant, si ce nouveau livre répond à une commande, l’éditeur m’a laissé entière latitude dans l’écriture.
De mon côté, je n’avais publié jusque-là que dans un cadre académique alors même que je suis bien conscient de la nécessité de s’adresser à un public plus large, moins spécialisé mais peut-être plus impliqué. Cette histoire française de la Révolution russe était aussi l’occasion de réfléchir à ce qui avait longtemps été une frustration de lecteur : lisant avidement tout ce qui me tombe sous la main concernant la Révolution russe, j’ai plus été marqué par la littérature et les témoignages que par les livres d’historiens. Ainsi, la révolution et la guerre civile ont eu d’abord pour moi le visage d’Anton Makarenko (Le Poème pédagogique) puis de Boris Pilniak (L’Année nue). Mon travail d’historien vise à approcher les formes d’engagement et d’expression populaires qu’on voit dans ces livres et qui se dérobent souvent au regard surplombant de l’historien.
2. Comment avez-vous travaillé ? Vu la masse de documentation disponible, vous ne pouviez, dans le cadre limité qui semble vous avoir été accordé, qu’en traiter une partie. Sur quels critères avez-vous opéré la sélection ?
Dans l’année qu’a pris l’élaboration de ce livre, l’écriture a certes été assez rapide (le temps étant forcément limité par la date de remise du manuscrit à l’éditeur), mais elle a fait suite à plusieurs mois de réflexion sur la forme que devait prendre un tel projet.
Au début, je pensais faire un tour d’horizon critique de l’historiographie académique. Or, si la bibliographie savante sur 1917 et ses suites est imposante, elle reste fort modeste en langue française en comparaison de ce qui est disponible en anglais. Je me souviens du choc que j’avais ressenti, jeune doctorant, la première fois que j’avais vu les listes de publications des presses universitaires d’Oxford ou Cambridge sur la Russie révolutionnaire…
Cependant, en me contentant de discuter la constitution des écoles « totalitarienne » puis « révisionniste » et leur dépassement depuis 1991, je n’aurais pas ajouté grand-chose aux excellents travaux d’Abbott Gleason ou d’Enzo Traverso et aux synthèses de Sabine Dullin ou de Jean-Paul Depretto12. De plus, j’aurais fait un livre d’histoire pour historiens.
Le projet a donc évolué vers une histoire à la fois plus politique et plus culturelle. Une histoire politique devait relier l’écriture de l’histoire de 1917 aux enjeux hexagonaux à des périodes précises (la Grande guerre, la Libération, le gaullisme, 68…). Une histoire culturelle nécessitait d’intégrer les représentations littéraires, cinématographiques… qui, à mon sens, guident le regard sur l’événement au moins autant que les orientations idéologiques ou historiographiques.
La sélection des documents qui semblaient pertinents s’est faite dans le corpus de mes lectures, depuis ce Poème pédagogique que j’avais découvert sur les conseils de mon professeur de russe à l’âge de douze ans. C’était il y a plus de 35 ans. J’ai donc eu du temps pour lire !
Dans une perspective d’histoire culturelle, il fallait aussi traiter la réception des ouvrages d’historiens comme des œuvres littéraires et artistiques. Dans ce domaine, des portails numériques tels que Gallica.fr, Persee.fr et Jstor.org permettent de rechercher efficacement les recensions publiées au long d’un siècle dans la masse des périodiques destinés au grand public ou au milieu académique.
Enfin, le rôle d’institutions et de personnages-clés est éclairé par des travaux d’historiens. On connaît l’activité éditoriale du PCF – fondamentale pour comprendre la diffusion du schéma stalinien sur 1917 – grâce à Marie-Cécile Bouju13. La passionnante biographie de Pierre Pascal par Sophie Cœuré14 permet de suivre les premiers communistes français, de l’adhésion au bolchevisme en Russie même à la formation d’un regard de plus en plus critique. Pierre Rigoulot, qui se veut le continuateur de Boris Souvarine y compris dans son engagement anticommuniste, a eu le courage intellectuel de dévoiler le fonctionnement du microcosme antisoviétique français d’après-guerre, avec ses relais issus du collaborationnisme et sa collusion avec une fraction du patronat15.
3. Vous soulignez l’apport d’historiens comme François-Xavier Coquin, Jean-Jacques Marie ou Marc Ferro, particulièrement, dans l’approche française de la révolution russe. Si vous deviez conseiller trois ouvrages en français et trois ouvrages en langue étrangère sur la révolution russe, quelle serait votre sélection ?
Pour une première approche, il faudrait lire à la suite La Révolution russe de François-XavierCoquin16 et l’Histoire de la guerre civile russe de Jean-Jacques Marie17. Pour réfléchir à l’évolution ultérieure du régime soviétique à partir de la révolution, c’est Des Soviets au communisme bureaucratique de Marc Ferro18 qui s’impose.
Parmi les productions étrangères, je retiendrais d’abord d’Orlando Figes et Boris Kolonitskii, Interpreting the Russian Revolution, The Language and Symbols of 191719 pour mieux comprendre la dynamique des contestations. L’élan utopique de la Révolution russe, systématiquement passé sous silence aujourd’hui alors qu’il est indispensable pour comprendre notamment les ressorts de la mobilisation des classes pauvres, a été décrit par Richard Stites20. Enfin, il est dommage que les historiens russes contemporains qui étudient cette période, déjà peu lus chez eux, ne soient quasiment pas traduits. Je pense particulièrement au travail de Dmitri Tchourakov sur l’autogestion ouvrière21.
Cette sélection est partiale, j’en suis conscient. Elle est aussi très partielle et je voudrais surtout conseiller de lire les grands romanciers de l’époque (Pilniak, Babel, Boulgakov…), ainsi que les acteurs qui ont fait œuvre d’historiens (Victor Serge, Dénikine, Trotski, Voline…).
4. Que pensez-vous de l’état du champ historiographique actuel en France concernant la révolution russe et plus généralement l’histoire du communisme ? L’impression qui semble dominer est celle d’un grand écart entre des réalisations grand public très partisanes (Apocalypse Staline, les livres de Thierry Wolton) et des travaux de qualité insuffisamment reconnus (ceux de Georges Vidal ou Alexandre Sumpf, par exemple) : qu’en pensez-vous ?
Le décalage entre une production de masse, sensationnaliste et pour tout dire réactionnaire, et des publications scientifiques plus intéressantes et variées mais à la diffusion confidentielle n’a rien de spécifique à l’histoire soviétique. La situation a tout de même empiré dans ce domaine car j’ai l’impression qu’on traduit moins d’ouvrages qu’avant : les universitaires ont accès à beaucoup plus de travaux grâce à Internet et ils lisent directement en anglais. Sont publiés en français et promus des ouvrages mainstream capables de devenir des blockbusters : La Tragédie d’un peuple de Figes (qu’on a attendu dix ans quand même) et Les Terres de sang de Timothy Snyder [Gallimard, 2012]. Il y a là un tropisme idéologique : le dernier ouvrage de Moshe Lewin, Le Siècle soviétique, n’a dû sa traduction qu’à l’engagement du Monde diplomatique, tout comme L’Âge des extrêmes d’Hobsbawm.
Même si les polémiques se sont calmées, on n’est pas sorti de l’ère du Livre noir. On le voit aussi dans la terminologie. Communément, « l’histoire du communisme » est l’histoire d’un régime instauré le 7 novembre 1917 et dont le drapeau a été amené le 25 décembre 1991. Cela correspond à la définition totalitarienne des Martin Malia et Alain Besançon d’un système immuable défini par son idéologie. À mon sens, ce n’est pas la réalité de l’État qui a régné 74 ans de Brest-Litovsk à Vladivostok. En étudiant dans ma thèse quelques dizaines de communesécloses en pleine guerre civile et dont les dernières ont disparu pendant la collectivisation et la grande famine, c’est l’histoire de tout le communisme qu’il y a jamais eu que j’ai tentée de retracer. L’histoire du (des) mouvement(s) communiste(s) en politique ou l’histoire du régime soviétique dans les domaines économique, social, culturel… sont indispensables, mais elles ne constituent pas l’histoire du communisme.
En fait, le seul point de contact entre ces histoires et l’histoire du communisme tient dans la période révolutionnaire. Pour bien faire, il faudrait envisager chaque fait de la vie soviétique, chaque moment du destin de l’URSS, en faisant d’abord la mise au point sur la période 1905-1925 afin de ne voir nettement que ce qui ressort spécifiquement de cette tentative de subversion sans précédent et sortir du champ de ce que l’URSS partageait avec le commun des systèmes sociaux hiérarchiques. Je ne dis pas qu’on retrouverait alors l’Arcadie perdue. On verrait sûrement de la violence et de l’iniquité mais on étudierait vraiment la question des révolutions et du changement social.
C’est un programme de recherche exigeant et sûrement utopique. Sans doute une des choses que je dois à Michèle Riot-Sarcey.
5. Quels sont vos perspectives d’écriture à venir ? Avez-vous prévu des projets ou des événements particuliers pour le centenaire de la révolution russe ?
Avec ma collègue Korine Amacher de l’Université de Genève et l’historien ukrainien André Portnov, je participe actuellement à un projet soutenu par le Fonds national suisse pour la recherche scientifique pour étudier le regard qu’ont porté depuis 1914 les Polonais, les Ukrainiens et les Russes sur leur histoire réciproque. Dans ce cadre, je vais m’intéresser plus particulièrement à l’Ukraine, mon « terrain », et à la vision des événements de 1917, mais aussi de 1848. Ce dernier cas est particulièrement intéressant. Volonté d’émancipation vite consumée dans la montée des antagonismes nationaux sur fond de manipulation par les grands voisins de l’est et de l’ouest : de quoi comprendre la formation de représentations où la question sociale disparaît et, malheureusement, de quoi réfléchir à la situation contemporaine de l’Ukraine !
Dans la perspective du centenaire, je participerai au colloque organisé à Lausanne par Jean-François Fayet22, L’écho international des commémorations de la Révolution d’Octobre (1918-1990)en septembre prochain. J’y parlerai des célébrations de la révolution bolchevique en Ukraine soviétique dans les années Vingt, alors que factuellement il ne s’était rien passé en octobre-novembre 1917 en Ukraine.
Pour l’automne 2017, un colloque conjoint entre les universités de Bâle et de Genève est en cours d’élaboration. Son titre provisoire est La Russie en 1917 et la dissolution de l’ordre ancien en Europe. Itinéraires biographiques, expériences individuelles et reflets autobiographiques. Ce sera l’occasion pour moi de retracer des trajectoires militantes internationalistes (on dira aujourd’hui « transnationales » !) autour de l’Ukraine.
À plus long terme, je voudrais développer un travail sur les communistes ukrainiens pendant la guerre civile, comme une biographie collective, afin d’étudier les modalités de l’engagement plébéien tout en faisant l’histoire des relations de pouvoir et celle des usages de la violence. On pourrait ensuite étudier comment ce moment de tension extrême s’est reflété dans les mémoires des acteurs (des milliers de dossiers aux Instituts d’histoire du Parti et de la Révolution) et dans la culture soviétique. Du travail en perspective
1Nous publions une nouvelle version de sa recension, initialement publiée sur notre ancien site, en même temps que celle de La Révolution russe, une histoire française.
2Il complète et actualise de la sorte, dans sa première partie, l’étude de Sophie Coeuré, La Grande lueur à l’est. Les Français et l’Union soviétique, 1917-1939, Paris, Le Seuil, 1999.
3Joseph Kessel, Makhno et sa juive, Paris, Éditions Éos, 1926, réédité chez Gallimard, coll. « Folio », 2001.
4Vladimir Pozner, Le Mors aux dents, Paris, Denoël, 1937, réédité chez Actes Sud, coll. « Babel », 2005. Ce roman raconte l’aventure incroyable du baron Ungern.
5L’existence de notre volume consacré à celui-ci, « Pierre Broué, un historien engagé dans le siècle », n’est malheureusement pas évoquée. L’existence de l’Institut Léon Trotsky et des Cahiers Léon Trotsky, pourtant importante quant à la perception de la révolution russe, est également passée sous silence.
6Voir sur ce blog la chronique à venir de son livre Des Soviets au communisme bureaucratique. Les mécanismes d’une subversion, Paris, Gallimard / Julliard, collection « Archives », 1980.
7Les Intellectuels contre la gauche : l’idéologie antitotalitaire en France (1968-1981), Marseille, Agone, 2009 (édition originale en 2003).
8Cette interprétation d’Eric Aunoble ne devrait pas manquer de susciter quelques débats, puisque dans un récit fictionnel, fascination ne signifie pas ipso facto adhésion.
9« En somme, le schéma d’un « État contre son peuple » qui donne son titre au chapitre ne semble pas pertinent pour la période révolutionnaire dans la mesure où l’État soviétique et le parti communiste se construisent largement ex nihilo à partir de membres des plus basses couches de la société. » (p. 159-160).
10 Il écrit ainsi, à propos de la somme d’Orlando Figes, La Révolution russe. 1891-1924 : la tragédie d’un peuple, Paris, Denoël, 2007 (édition originale en 1996) : « Cette habileté de l’écrivain qui propose au lecteur des personnages auxquels s’identifier est en même temps la marque de l’écriture victimaire : on glisse de la réflexion vers l’empathie et la compassion peut être ressentie également pour des personnes ayant fait des choix antagoniques. » (p. 178-179).
11« La guerre civile n’est donc pas tant une lutte de l’État, ici désormais soviétique, contre le « peuple » qu’une lutte entre différents groupes sociaux qui se protègent en se dotant d’appareils politico-militaires. » (p. 187), pierre supplémentaire dans le jardin de Nicolas Werth…
12Abbott Gleason, Totalitarianism : The Inner History of the Cold War, New York-Oxford, Oxford UP, 1995. Enzo Traverso, Le Totalitarisme, le XXe siècle en débat (textes choisis et présentés par Enzo Traverso), Paris, Seuil, collection « Points Essais », 2001 ; Sabine Dullin, « Les interprétations françaises du système soviétique », in Michel Dreyfus, Bruno Groppo, Claudio Ingerflomm et alii, Le Siècle des communismes, Paris, Seuil, collection « Points », 2011 (édition originale en 2004) ; Jean-Paul Depretto, « Introduction » in Pour une histoire sociale du régime soviétique (1918-1936), Paris, L’Harmattan « Pays de l’Est », 2001.
13Marie-Cécile Bouju, Catalogue de la production des maisons d’édition du Parti communiste français 1921-1956, mémoire d’études, sous la direction de Jean-Yves Mollier, Villeurbanne, ENSSIB, 1999 ; Lire en Communiste. Les Maisons d’édition du Parti communiste français 1920-1968, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010.
14Sophie Cœuré, Pierre Pascal. La Russie entre communisme et christianisme, Lausanne, Noir sur Blanc, 2014 ; il est chroniqué sur notre blog : http://dissidences.hypotheses.org/5545 .
15Pierre Rigoulot, Georges Albertini, socialiste, collaborateur, gaulliste, Paris, Perrin, 2012.
16Paris, PUF « Que sais-je ? », 1962 (rééd. Pantin, Les Bons Caractères, 2005).
17Paris, Taillandier « Texto », 2015 (édition originale en 2005).
18Paris, Gallimard et Julliard, coll. « Archives », 1980.
19New Haven and London, Yale UP, 1999.
20Richard Stites, Revolutionary Dreams: Utopian Vision and Experimental Life in the Russian Revolution, New York & Oxford, Oxford University Press, 1989.
21D.O. Čurakov, Russkaja revoljucija i rabočee samoupravlenie [La Révolution russe et l’autogestion ouvrière], Moscou, Airo-XX, 1998.
22Auteur d’une biographie de Karl Radek (http://www.collectif-smolny.org/article.php3?id_article=1954) et d’un livre sur le soft power soviétique des années vingt (VOKS. Le laboratoire helvétique. Histoire de la politique culturelle soviétique durant l’entre-deux-guerres, Genève, Georg, 2014).