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La légende du chômage

Lien publiée le 25 septembre 2017

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://lundi.am/La-Legende-du-Chomage

« Parce que le chômage est une histoire d’ogre pour faire peur. Une légende noire. »

Jacques Fradin - paru dans lundimatin#115, le 25 septembre 2017

Il y a maintenant plus de 40 années que le chômage (métonymie de « la crise ») a été imposé comme le problème.
Le problème à résoudre coûte que coûte (ceci, le coût, devant être lu dans les termes d’une opération militaire : reprenez cette colline coûte que coûte).

Une intense propagande tourne autour de ce sujet (du chômage) jusqu’à pousser les gouvernements à truquer les statistiques (ou leurs interprétations).
Des gouvernements ou des présidents ont construit leurs programmes et leurs promesses autour de « la question du chômage » (la question qui est déclaré préoccuper, en priorité, les électeurs).
Certains candidats et futurs présidents s’engageant même à faire « baisser le chômage » (« inverser la courbe », l’engagement du fossoyeur).
D’autres, plus téméraires, macrons sabre au clair, prétendant « résoudre la question ».

Nous en sommes là.

Et les « opposants » (l’opposition de Sa Majesté), pas en reste dans le domaine du « réalisme constructif », d’apporter leurs solutions.
Comment en finir avec le chômage ? Les solutions alternatives à « la question du chômage ». Etc.
Nous avons rencontré les propositions des Économistes Atterrés.
Très récemment, la belle revue Reporterre (en ligne), dans le numéro 136 du 23 septembre 2017, proposait un dossier : Huit idées concrètes pour créer des emplois sans casser le code du travail, avec des articles de Michel et Monique Pinçon-Charlot, Philippe Bihouix, Pablo Servigne, François-Xavier Devetter, etc. Avec le thème : solutions écologiques à la question du chômage, le retour à la terre, etc.

Et si « la question du chômage » était une fausse question ? 
Ou plutôt : si le chômage n’était qu’une construction mythologique (un piège à pigeons) ?
Une légende, une légende de plus dans la religion des modernes, la religion économique. 
Une histoire pour faire peur ; une histoire d’ogre ; un conte à faire frémir.
Ou, par derrière, apparaît l’ogre, qui se nourrit du contrôle par le travail (le vieil ogre brejnévien, originaire des belles provinces occidentales).

Si la légende du chômage n’était que la réciproque de la grande mythologie (supposée moribonde), la mythologie du travail ?
Plaçons-nous d’abord du point de vue autoritaire ou des autorités, des patrons et du gouvernement patronal.
Ou suivons les recommandations des économistes affidés : Cahuc, Zylberberg, Tirole, etc.
Écoutons bien ce qu’ils affirment : il n’y a pas (véritablement) de chômage, il y a (certainement) des « fainéants », des déserteurs, des saboteurs, etc.

Disons, de manière plus humaniste, qu’il y a des personnes qui n’arrivent pas à s’intégrer, à s’adapter, à se soumettre à la discipline du travail (comme les gothiques à piercings qui ne savent pas respecter les horaires, etc.).
Il y a chômage autant qu’il y a des personnes (les saboteurs soviétiques) qui n’arrivent pas à se soumettre, à obéir.
À se soumettre à quoi ? À l’ordre économique, ordonné par les entreprises et leurs chefs (et leur courroie gouvernementale).
Radicalement, pour « régler la question du chômage », il faut et il suffit de supprimer les allocations chômage (et tous les revenus indus style RSA).
Régler la question du chômage, c’est recréer de la pauvreté (de la contrainte au travail), de la pauvreté radicale même.
Régler la question du chômage, du point de vue économique, c’est rétablir l’ordre.
Et, encore une fois, effacer la chienlit 68.

Remettre de l’ordre dans les familles. Rétablir la discipline. Les blouses grises. Déployer des écoles militarisées. Ah ! Montessori, n’est-ce pas la source essentielle du chômage ! Rétablir des règles de politesse. Etc.
Et si les familles ne collaborent pas, ne veulent pas ou ne peuvent pas, il suffit « d’attendre à la sortie » les étudiants, un peu trop légers, irréalistes, rêveurs, etc.
Redonner tout le pouvoir coercitif aux entreprises.
Car il n’y a plus que l’économie pour faire tenir le chaos « libertaire » d’après 68.
68, la bête noire des contre-révolutionnaires, de Reagan à Trump.

Le discours économique (à la Cahuc Tirole), radicalement réactionnaire, soulève le voile ; et par derrière.
Régler la question du chômage, c’est remettre de l’ordre, rétablir la discipline, obliger les rêveurs à devenir efficaces, forcer la conscription.
Et n’est-ce pas un recalé à Normale Sup, réorienté vers ce vide nommé « sciences po », qui sert de paravent à l’offensive réactionnaire (qui se déploie depuis l’échec américain au Viet Nam – avec les arguments allemands de 1920 : la trahison des étudiants, des intellectuels, etc.) ?

Le chômage n’est pas un problème principal. Ni même un problème du tout.
Le problème est celui de l’obéissance, de la soumission, de l’admiration des chefs.
Ici, chez les réactionnaires (les macrons), « l’utopie américaine » de Fredric Jameson (Dual Power and the Universal Army, edited by Slavoj Zizek, Verso, 2016) est prise au pied de la lettre.
Rétablir la conscription. Reconstituer l’armée du travail. Reformater le travailleur soldat. Le bon travailleur d’avant 68, d’avant les « fainéants ».
Celui qui se sacrifie. Muettement. Sans un cri. Qui accepte son sort. Sa place. Qui accepte son rôle dans le collectif de combat, quel que soit son grade, mal payé ou non payé, qui respecte l’autorité, les patrons, les chefs. Qui admire ses chefs. Qui peut être directement puni : la décimation sociale pour désertion ou sabotage.

Pourquoi donc n’y a-t-il pas de « problème du chômage » ?
Parce que le chômage est une histoire d’ogre pour faire peur. Une légende noire.
La mythologie infernale du chômage est la réciproque de la mythologie paradisiaque du travail.
L’enfer et le paradis.
Cette mythologie du travail était menacée.
De plus en plus de désobéissants, ou de j’m’en foutistes. De plus en plus de fumistes. De minables qui se croient des poètes. Qui veulent vivre en chantant !
Pour rétablir la croyance, il a fallu, pour les gouvernants et leurs patrons, ramer plus de 40 années.
Combien de petits macrons ont-ils participé à cette restauration ? À ce mouvement de fond, réactionnaire ?
Résoudre la question du chômage, rétablir l’ordre du travail, c’est en fait reconfigurer toute la société, « la formation » pour parler le macron qui marche.
Et pour que le Recalé Charles X puisse réussir le coup, tant désiré par ses patrons, il a fallu que l’esprit « contestataire » (68) soit laminé. Il a fallu 40 ans.

Il n’y a pas de problème du chômage.
Le problème est celui de « la société que nous voulons ».
Économique ou anti-économique.
On ne parle plus que de cela (dans les médias de la réaction – c’est-à-dire tous) : « la gauche » s’est volatilisée.
La France serait toute à droite (sinon adroite).
Le pétainisme, enfin, triompherait (toujours grâce aux Allemands ?).
Tous communieraient dans la détestation du libéralisme politique et dans l’admiration du libéralisme économique (lui très autoritaire).
Jusqu’au FN travaillé par ce (supposé) retour à droite.
Plus profond que la question du chômage, se trouve le grand problème : il faut créer un nouveau mythe.
L’homme est un animal religieux : il veut croire, il ne peut vivre sans croire.
Face à la religion économique dominante ou hégémonique, il est (encore) nécessaire (mais bien peu suffisant) de forger une croyance alternative.
Non pas une alter économie où aurait été résolue la question du chômage (encore les Atterrés) ; mais une nouvelle civilisation débarrassée de l’économie.
Qu’est-ce qui explique la fascination, passée et passagère, pour l’URSS ?

La croyance en la capacité à construire un nouveau monde.

Jacques Fradin Économiste anti-économique, mathématicien en guerre contre l'évaluation, Jacques Fradin mène depuis 40 ans un minutieux travail de généalogie du capitalisme.