[RSS] Twitter Youtube Page Facebook de la TC Articles traduits en castillan Articles traduits en anglais Articles traduits en allemand Articles traduits en portugais

Newsletter

Ailleurs sur le Web [RSS]

Lire plus...

Twitter

Le léninisme aujourd’hui : comment commencer par le commencement

Lénine

Lien publiée le 25 septembre 2017

Tweeter Facebook

Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.contretemps.eu/zizek-leninisme-aujourdhui/

Slavoj Žižek fait retour dans ce texte sur un Lénine relativement méconnu, non le stratège des combats révolutionnaires de 1917 mais le concepteur de la NEP (Nouvelle politique économique, qui fait suite à la victoire des bolcheviks dans la guerre civile face à la contre-révolution blanche). Or c’est précisément de ce Lénine là, penseur d’un commencement toujours à répéter, dont nous avons besoin selon Žižek, étant donné l’ampleur de la défaite subie par le prolétariat mondial depuis les années 1980 et l’enfouissement de l’idée communiste sous les débris du stalinisme. 

Ce texte est initialement paru en français dans le numéro 2 de Contretemps (2009). 

Lénine avec Beckett

Dans ce merveilleux petit texte «A propos de l’ascension des hautes montagnes», écrit en 19221 quand, après avoir gagné une guerre civile qui semblait pourtant perdue d’avance, les bolcheviks durent se résoudre à la NEP (qui laissait une plus grande place à l’économie de marché et à la propriété privée), Lénine, «en guise d’exemple», imagine un alpiniste qui doit redescendre dans la vallée après une première tentative d’atteindre un nouveau sommet, pour expliquer ce qu’un repli signifie au cours d’un processus révolutionnaire, à savoir, comment se replier sans trahison opportuniste de la fidélité à la Cause :

Imaginons un homme qui effectue l’ascension d’une montagne très élevée, abrupte et encore inexplorée. Supposons qu’après avoir triomphé de difficultés et de dangers inouïs, il a réussi à s’élever beaucoup plus haut que ses prédécesseurs, mais qu’il n’a tout de même pas atteint le sommet. Le voici dans une situation où il est non seulement difficile et dangereux, mais même proprement impossible, d’avancer plus loin dans la direction et le chemin qu’il a choisis. Il lui faut faire demi-tour, redescendre, chercher d’autres chemins, fussent-ils plus longs, mais qui lui permettent de grimper jusqu’au sommet. La descente, à partir de cette altitude jamais encore atteinte à laquelle se trouve notre voyageur imaginaire, offre des difficultés et des dangers plus grands encore, peut-être, que l’ascension: les faux pas le guettent; il voit malaisément l’endroit où il pose son pied; il n’a plus cet état d’esprit particulier, conquérant, que créait la marche assurée vers le haut, droit au but, etc. Il lui faut s’entourer d’une corde, perdre des heures entières pour creuser au piolet des marches ou des endroits où il puisse accrocher solidement la corde; il lui faut se mouvoir avec la lenteur d’une tortue, et de plus se mouvoir en arrière, vers le bas, en s’éloignant du but; et on ne voit toujours pas si cette descente terriblement dangereuse et pénible se termine. On ne voit pas apparaître le chemin détourné, un tant soit peu sûr en suivant lequel il serait possible de se remettre en route plus hardiment, plus rapidement et plus directement qu’avant, vers le haut, vers le sommet.

N’est-il pas naturel de penser qu’un homme se trouvant dans cette situation puisse avoir, bien qu’il se soit élevé à une altitude inouïe, des instants de découragement? Et ces instants seraient sans doute plus nombreux, plus fréquents et plus pénibles, s’il pouvait entendre certaines voix d’en bas, de gens tranquillement installés au loin et observant à travers une lunette d’approche cette descente si dangereuse, qu’on ne peut même pas qualifier (à l’exemple des «sménoviekhovistes») de «descente en freinage», car un frein suppose une voiture bien réglée, déjà mise à l’essai, une route préparée à l’avance, des mécanismes qu’on a déjà éprouvés. Mais là, ni voiture, ni route, rien du tout, absolument rien qui ait été déjà éprouvé !

Les voix d’en bas, elles, sont pleines d’une joie mauvaise. Les unes se réjouissent ouvertement, elles piaillent et crient: il va tomber, c’est bien fait, ça lui apprendra à faire le fou! D’autres essayent de cacher leur joie, agissant plutôt à l’exemple de Ioudouchka Golovlev; ils s’attristent, lèvent les yeux au ciel. Quelle tristesse, nos craintes se justifient ! N’est-ce pas nous qui avons consacré toute notre vie à préparer un plan raisonnable pour l’ascension de cette montagne, qui demandions que l’on sursoie à l’ascension, tant que l’élaboration de notre plan n’était pas terminée ? Et si nous avons lutté si ardemment contre le chemin que l’insensé lui-même abandonne maintenant (regardez, regardez, le voilà qui retourne, qui redescend, qui se prépare pendant des heures entières la possibilité de progresser d’un seul mètre! Lui qui nous accablait des pires injures quand nous réclamions systématiquement de la modération et de l’ordre!), si nous avons condamné si ardemment l’insensé et si nous avons mis tout le monde en garde, afin qu’on ne l’imite pas et qu’on ne l’aide pas, nous l’avons fait exclusivement par amour pour le grand plan d’ascension de cette même montagne, pour ne pas compromettre en général ce plan grandiose!

Par bonheur, notre voyageur imaginaire, dans l’exemple que nous avons pris, ne peut pas entendre les voix de ses «amis véritables» de l’idée de l’ascension, sinon il serait sans doute pris de nausée. Et l’on dit que la nausée n’aide pas à avoir la tête froide et le pied sûr, particulièrement à très grandes altitudes.

[…]

Exemple n’est pas preuve. Toute comparaison est boiteuse. Ce sont là des vérités incontestables et connues de tous, mais il n’est pas mauvais de les rappeler pour montrer plus concrètement les limites de la portée de toute comparaison en général.

Le prolétariat russe s’est élevé dans sa révolution à une altitude gigantesque en comparaison non seulement de 1789 et de 1793 mais aussi de 1871. Quelle besogne, au juste, avons-nous «achevée», et laquelle n’avons-nous pas «achevée» ? Voilà de quoi il faut que nous nous rendions compte, le plus sainement, le plus clairement et le plus concrètement possible: nous garderons alors la tête froide, et nous n’aurons ni nausées, ni illusions, ni découragement.

Après avoir énuméré les réalisations de l’Etat soviétique, Lénine se tourne ce qui n’a pas été fait :

Mais nous n’avons même pas achevé les fondements de l’économie socialiste. Cela, les forces hostiles du capitalisme agonisant peuvent encore nous reprendre. Il faut s’en rende compte nettement, et le reconnaître ouvertement, car rien n’est plus dangereux que les illusions (et le vertige, surtout à grande altitude). Et il n’y a absolument rien «d’effrayant», rien qui puisse fournir un motif légitime au moindre abattement, à reconnaître cette amère vérité, car nous avons toujours professé et répété cette vérité élémentaire du marxisme, que la victoire du socialisme nécessite les efforts conjugués des ouvriers de plusieurs pays avancés. Or, nous sommes encore seuls, et dans un pays arriéré, un pays plus ruiné que les autres, nous avons fait beaucoup plus qu’il n’était croyable. Ce n’est pas tout: nous avons conservé «l’armée» des forces prolétariennes révolutionnaires, nous avons conservé sa «capacité de manœuvre », nous avons conservé la clarté d’esprit qui nous permet de calculer avec sang-froid où, quand et de combien il faut reculer (pour mieux sauter), où, quand et comment au juste il faut reprendre la besogne inachevée. Il faudrait reconnaître qu’ils sont perdus, à coup sûr, les communistes qui s’imagineraient qu’il est possible, sans erreurs, sans reculs, sans multiples remises en chantier des tâches inachevées ou mal exécutées, de mener à son terme une «entreprise» de portée historique mondiale comme l’achèvement des fondations de l’économie socialiste (particulièrement dans un pays de petite paysannerie). Les communistes qui ne se laissent aller ni aux illusions, ni au découragement, en gardant la force et la souplesse de leur organisme pour, à nouveau, «repartir à zéro», en s’attaquant à une tâche des plus difficiles, ceux-là ne sont pas perdus (et, très probablement, ne périront pas).

Ce Lénine-là est plus beckettien que jamais, faisant écho à ces impératifs de Cap au pire : « Réessayez, échouez encore, échouez mieux »2. Cette comparaison avec l’alpinisme mérite néanmoins que l’on s’y intéresse de plus près. Sa conclusion («à nouveau, « repartir à zéro »») indique qu’il ne s’agit pas simplement de ralentir le processus et de renforcer l’acquis, mais plus précisément de redescendre vers le point de départ : il faut «commencer au commencement» et pas de là où l’on a réussi à s’élever lors d’un effort antérieur. En des termes plus proches de Kierkegaard, le processus révolutionnaire n’est pas graduel ; c’est un mouvement répétitif, un mouvement qui, encore et encore, répète le commencement.

Georg Lukács conclut son chef-d’œuvre pré-marxiste de jeunesse, Théorie du roman, par cette célèbre phrase : « le chemin est commencé, le voyage est terminé ». C’est ce qui survient au moment de la défaite : le voyage qui correspond à une expérience révolutionnaire particulière est terminé, mais le vrai voyage, lui, le travail du recommencement, ne fait que commencer. Pourtant, cette disposition à recommencer n’implique aucune «ouverture non-dogmatique» vers autrui, une concession aux rivaux politiques que «nous avions tort, vos avertissements étaient justes, alors regroupons nos forces»… Bien au contraire, Lénine insiste sur le fait que de tels moments de repli sont ceux qui exigent la discipline la plus rigoureuse.

Le dernier combat de Lénine

Le passage de Lénine à Staline fut-il donc nécessaire? Seule la réponse hégélienne est recevable qui fait appel à une nécessité rétroactive: une fois cette transition faite, une fois assurée la victoire de Staline, la chose était nécessaire. La tâche de l’historien dialectique est de concevoir ce passage «en devenir» en faisant apparaître toutes les contingences d’une lutte qui aurait pu aboutir différemment. C’est ce que propose Moshe Lewin dans Le Dernier Combat de Lénine3. Ce dernier combat de Lénine comporte quatre aspects cruciaux.

Deux d’entre eux sont familiers, les deux autres le sont moins :

1/ L’insistance sur la pleine souveraineté des entités nationales qui constituaient l’Etat soviétique. On n’est alors guère surpris que, dans une lettre datée du 27 septembre 1922 adressée aux membres du politburo, Staline accusa ouvertement Lénine de «libéralisme national»4.

2/ Modestie des objectifs : PAS le socialisme, mais la culture (bourgeoise), la NEP + les coopératives, progrès des mœurs, technocratie… – en totale opposition avec «le socialisme dans un seul pays». Cette modestie est parfois déclarée de manière surprenante : Lénine tourne en dérision toute tentative de «construire le socialisme», brode sur le thème de «nous ne savons que faire» et insiste sur le caractère improvisé de la politique soviétique, jusqu’à citer Napoléon «d’abord engager la bataille… et puis on verra».

3/ Le combat de Lénine contre la domination de la bureaucratie d’Etat est bien connu ; ce que l’on sait moins, c’est que, comme l’indique très justement Lewin, en proposant une nouvelle instance, la Commission centrale de contrôle, Lénine visait la quadrature du cercle de la démocratie et de la dictature du parti-Etat ; tout en reconnaissant la nature dictatoriale du régime soviétique,

il tente d’établir au sommet de la dictature un équilibre entre différents éléments, un système de contrôle réciproque qui pourrait jouer le rôle –notre comparaison est approximative– de la séparation des pouvoirs dans un régime démocratique. Un important Comité central, élevé au rang de Conférence du Parti, trace les lignes d’ensemble de la politique et supervise l’ensemble de l’appareil du Parti, tout en participant lui-même à l’exécution des tâches les plus importantes […]. Une partie de ce Comité central, organisée en Commission centrale de contrôle, outre sa participation aux fonctions communes du Comité central, doit encore contrôler ce même Comité central et les organes restreints qui en émanent: Bureau politique, Secrétariat, Orgbjuro. La Commission centrale de contrôle […] devait occuper une position spéciale par rapport à l’ensemble des institutions; son indépendance devait être assurée par son rattachement direct au congrès du Parti, sans passer par le Bureau politique et ses instruments administratifs, ni par le Comité central5.

Un système d’équilibre et de séparations des pouvoirs, de contrôles réciproques… telle fut la réponse désespérée de Lénine à la question: qui contrôle les contrôleurs? Il y a quelque chose d’irréel, de proprement fantasmatique, dans cette idée de CCC: une entité indépendante, éducative et de contrôle, dotée de compétences «apolitiques», rassemblant les meilleurs administrateurs et les meilleurs savants qui devaient superviser un CC, lui, «politisé» et ses organes; bref, toute une expertise technique neutre chargée de la supervision des cadres du Parti… Cependant, tout repose ici sur une authentique indépendance du congrès du Parti, de fait remise en cause par l’interdiction des factions qui permettaient au sommet de l’appareil du Parti de contrôler le congrès en écartant ses critiques alors taxées de «factionalisme». La naïveté avec laquelle Lénine s’en est remis aux experts technocratiques est d’autant plus frappante qu’elle était le fait d’un dirigeant politique par ailleurs parfaitement conscient de la multiplicité des registres d’une lutte politique qui ne laissait pas de place aux positions neutres.

4/ L’intérêt inattendu pour les questions de politesse et de civilité – chose étrange de la part d’un bolchevik endurci. Deux épisodes avaient profondément perturbé Lénine: au cours d’un débat politique, le représentant de Moscou à Ordjonikidze s’en prit physiquement à un membre du CC géorgien ; de son côté, Staline lui-même accabla de menaces et d’injures obscènes l’épouse de Lénine (dans un moment de panique, après avoir appris qu’elle avait noté sous la dictée de Lénine et transmis à Trotsky la lettre dans laquelle Lénine proposait à Trotsky un pacte contre Staline). Lénine déclara naïvement :

Si les choses en sont arrivées là, on peut imaginer dans quel bourbier nous nous sommes enfoncés6.

C’est l’incident qui décida Lénine à rédiger le célèbre appel pour que Staline soit écarté :

Staline est trop brutal, et ce défaut, pleinement supportable dans les rapports entre nous, communistes, devient intolérable dans les fonctions de secrétaire général. C’est pourquoi je propose aux camarades de réfléchir au moyen de déplacer Staline de ce poste, et de nommer à sa place un homme qui, sous tous les rapports se distingue de lui par sa supériorité –c’est-à-dire qui soit plus patient, plus loyal, plus poli et plus attentionné envers les camarades, moins capricieux, etc7.

Il faut ajouter deux autres aspects.

5/ Ces propositions n’indiquent nullement un revirement libéral de la part de Lénine. Dans une lettre à Kamenev datant de la même période, il déclare :

C’est une très grande erreur de penser que la NEP avait mis fin à la terreur ; nous allons encore recourir à la terreur et à la terreur économique8.

Mais cette terreur, qui allait survivre à la réduction prévue de l’appareil d’Etat et de la Tchéka, aurait dû être menace de terreur plutôt que terreur effective :

Il faudrait trouver moyen de le faire comprendre «délicatement et poliment» à tous ceux qui voudraient à présent transgresser les limites assignées par le pouvoir aux hommes d’affaires9.

(et chacun notera la réapparition ici de ce motif de la politesse). Lénine avait raison sur ce point : la « dictature» fait référence à l’excès constitutif du pouvoir (d’Etat) et à ce niveau là, il n’y a pas de neutralité. La question cruciale est de savoir à qui revient cet «excès»? Si ce n’est pas «le nôtre», c’est donc «le leur»…

6/ En «rêvant» (l’expression est la sienne) de la méthode de travail de la CCC, il explique comment cette instance devrait avoir recours à

une farce mi-plaisante, une ruse, un bon tour ou quelque chose dans ce genre. Je sais que dans un Etat grave et compassé de l’Europe occidentale, cette idée aurait vraiment provoqué l’horreur; aucun fonctionnaire qui se respecte n’aurait consenti même à la discuter. Mais j’espère que nous ne sommes pas encore bureaucratisés à ce point, et que la discussion de cette idée ne provoque chez nous que de la bonne humeur.

En effet, pourquoi ne pas joindre l’agréable à l’utile ? Pourquoi ne pas profiter d’une farce plaisante ou mi-plaisante pour suspendre quelque chose de ridicule, quelque chose de nuisible, ou de semi-ridicule, de semi-nuisible, etc. ?10

N’est-ce pas là quelque chose comme le double obscène de ce pouvoir exécutif, lui, «sérieux», concentré dans le CC et le Politburo –farces, ruses de la raison… un rêve merveilleux, une utopie néanmoins, mais pourquoi ? La faiblesse de Lénine tenait au fait qu’il voyait le problème de la «bureaucratie», ou comme un problème de «bureaucratie», mais en en sous-estimant le poids et la dimension réelle:

Son analyse sociale a été menée en raisonnant sur trois classes seulement : les ouvriers, les paysans, la bourgeoisie, sans tenir compte de l’appareil étatique en tant que couche sociale distincte dans un pays qui nationalisait les branches essentielles de l’économie11.

Ce qui veut dire que les bolcheviks n’avaient pas tardé à prendre conscience du fait que leur pouvoir politique manquait d’un fondement social distinct : ils exerçaient leur pouvoir au nom d’une classe ouvrière dont la majeure partie avait disparu dans la guerre civile, aussi gouvernaient-ils dans un «vide» de représentation sociale. Cependant, en se percevant comme pouvoir politique «pur» imposant leur volonté sur une société, ils ne virent pas que, dès lors que la bureaucratie d’Etat en «possédant» (en agissant comme un gardien en l’absence du propriétaire) les forces de production,

elle est devenue la base sociale véritable du pouvoir. Un pouvoir politique «pur», privé de tout fondement social, cela n’existe pas. Le pouvoir doit trouver une base sociale autre que les seuls appareils de contrainte. Le «vide» où le régime soviétique semblait suspendu a bien vite été comblé, même si les bolcheviks ne l’ont pas vu ou pas voulu le voir12.

Cette base aurait fait obstacle à la CCC tel que Lénine la projetait. Pourquoi? En termes de présence et de représentation tels que Badiou les envisage, en effet, de manière antiéconomiste et déterministe, Lénine insiste sur l’autonomie du politique. Mais au-delà du fait que toute force politique «représente» une force sociale (une classe), il ne vit pas que cette force politique (de re-présentation) est directement inscrite dans le niveau «représenté» lui-même en tant que force sociale à part entière. Le dernier combat de Lénine contre Staline revêt donc tous les traits d’une tragédie : non pas un mélodrame dans lequel le bon combat le méchant, mais bien une tragédie où le héros s’aperçoit qu’il est en train de combattre ce que sa propre politique a enfanté, et qu’il est déjà trop tard pour mettre un terme au cours fatal issu des erreurs passées.

« Nous sommes celles et ceux que nous attendons »

Alors où en sommes nous à présent, après «l’obscur désastre» de 1989 ? Comme en 1922, des voix venues des profondeurs nous infligent leur jubilation malveillante : « Que cela vous serve de leçon, à vous les illuminés qui croyaient imposer votre vision totalitaire à la société ! ». D’autres tentent de dissimuler leur entrain revanchard, gémissent et, le regard implorant les cieux, semblent dire : «Quel malheur de voir nos craintes ainsi confirmées! Quelle noblesse dans votre vision d’une société juste ! Nos cœurs battaient à l’unisson des vôtres, mais notre raison nous disait bien que vos louables projets ne pouvaient que conduire à la misère et à un déni de liberté».

Loin de toute compromission avec ces chants des sirènes, il nous faut impérativement «reprendre les choses au commencement», autrement dit, non pas «poursuivre l’édification sur les fondations» de l’époque révolutionnaire du xxe siècle (qui dura de 1917 à 1989, ou plus exactement, à 1968), mais plutôt «redescendre» vers le point de départ et choisir une voie tout autre. Il faut alors rester sur nos gardes face à la propagande de l’ennemi. Alain Badiou propose une formule précise pour ce paradoxe fondamental de la propagande ennemie: elle combat quelque chose dont elle n’a pas elle-même conscience, chose devant laquelle elle s’avère structurellement aveugle; non pas les forces adverses réelles (les adversaires politiques), mais la possibilité (le potentiel utopique révolutionnaire-émancipateur) immanente à la situation elle-même :

L’objectif de tout propagande ennemie n’est pas d’anéantir une force existante (fonction généralement laissée aux forces de police), mais d’anéantir une possibilité méconnue de la situation. Une telle possibilité est aussi méconnue des responsables de cette propagande eux-mêmes dès lors que ses caractéristiques s’avèrent immanentes à une situation sans s’y laisser percevoir13.

Voilà pourquoi la propagande ennemie contre les luttes politiques émancipatrices est, par définition, cynique. Non pas simplement au sens où elle ne croit même pas ce qu’elle dit elle-même, mais de manière bien plus profonde; elle est cynique précisément –et bien plus encore – parce qu’elle croit effectivement ce qu’elle dit, son message consistant en la conviction résignée que le monde dans lequel nous vivons, quand bien même il ne serait pas le meilleur des mondes possibles, est le moins mauvais et tout changement radical est par conséquent condamné à le rendre pire encore.

Le grand problème (constitutif) du marxisme occidental fut celui de l’absence de sujet révolutionnaire: comment se fait-il que la classe ouvrière n’accomplisse pas le passage de l’en-soi au pour-soi et ne se constitue pas en sujet révolutionnaire ? Ce problème fut la principale raison d’être de sa référence à la psychanalyse alors invoquée précisément pour rendre compte des mécanismes libidinaux inconscients faisant obstacle à l’avènement d’une conscience de classe par ailleurs inscrite dans l’être même (la situation sociale) de la classe ouvrière. On a pu ainsi préserver la vérité de l’analyse socio-économique marxiste sans concéder de terrain aux théories «révisionnistes» sur la formation des classes moyennes, etc. Pour cette même raison, le marxisme occidental fut aussi constamment en quête d’autres agents sociaux à même de jouer ce rôle de sujet révolutionnaire, agents dont l’étude pouvait se substituer à celle d’une classe ouvrière défaillante: les paysans du tiers monde, les étudiants et les intellectuels, les exclus…

Voilà qui nous ramène à cette vérité portée par la thèse de Peter Sloterdijk, thèse selon laquelle l’idée du Jugement Dernier, une fois les dettes accumulées intégralement réglées et ce monde hors de ses gonds enfin remis en ordre, est reprise sous une forme sécularisée par le projet de gauche radical dont l’agent n’est plus Dieu, mais le peuple. Les mouvements politiques de gauche sont pour ainsi dire des «banques de la rage»: ils recueillent des investissements de rage en leur promettant une vengeance de grande ampleur et le rétablissement général de la justice. Cependant, comme l’explosion révolutionnaire de la rage ne donne jamais satisfaction pleine et entière et l’inégalité et la hiérarchie réapparaissent, survient toujours alors la seconde tentative de révolution, celle-là intégrale et authentique, destinée à satisfaire les déçus et à mener enfin à bien l’œuvre émancipatrice: c’est 1792 faisant suite à 1789, Octobre faisant suite à Février… Le problème tient simplement au fait qu’il n’y a jamais assez de capital-rage. Il devient alors nécessaire, de ce point de vue, d’emprunter ou de s’associer à d’autres rages, nationales ou culturelles. Dans le fascisme, c’est la rage nationale qui domine; le communisme de Mao mobilise la rage des paysans pauvres exploités, pas celle des prolétaires. A l’époque qui est la nôtre, une fois que cette rage globale a épuisé son potentiel, deux formes principales de rage demeurent: l’islam (la rage des victimes de la mondialisation capitaliste) et des surgissements «irrationnels» de la jeunesse, à quoi il faut sans doute ajouter le populisme latino-américain, les écologistes, les mouvements anticonsuméristes et quelques autres formes de ressentiments antimondialistes: le mouvement de Porto Alegre n’a pas réussi à devenir une banque globale de cette rage dans la mesure où il lui a manqué une vision alternative positive.

Il faut aujourd’hui totalement déplacer cette perspective et rompre le cercle de cette attente patiente de l’occasion imprévisible d’une désintégration sociale qui laissera entrevoir la possibilité éphémère de s’emparer du pouvoir. Peut-être, et peut-être seulement, cette attente et cette quête désespérée de l’agent révolutionnaire est la forme même sous laquelle apparaît son exact opposé, à savoir, la crainte de le trouver effectivement, de le voir là où il remue déjà. La seule réponse appropriée à faire aux intellectuels de gauche, dans leur attente désespérée de la venue du nouveau sujet révolutionnaire qui se chargera enfin de la transformation sociale, tient dans ce proverbe hopi aux merveilleux accents de dialectique hégélienne dans son glissement entre substance et sujet : « Nous sommes ceux que nous attendions ». Attendre que quelqu’un d’autre vienne faire le travail à notre place revient à rationaliser notre propre inaction. C’est alors dans ce contexte qu’il faut réaffirmer cette idée communiste dont on emprunte la formulation à Badiou :

L’hypothèse communiste reste la bonne hypothèse, je l’ai dit, je n’en vois aucune autre. Si cette hypothèse doit être abandonnée, ce n’est pas la peine de faire quoi que ce soit, dans l’ordre de l’action collective. Sans l’horizon du communisme, sans cette Idée, rien dans le devenir historique et politique n’est de nature à intéresser le philosophe. Que chacun s’occupe de ses affaires, et n’en parlons plus. Donnons raison à l’homme aux rats, comme le font du reste quelques anciens communistes, soit avides de prébendes, soit désormais dépourvus de tout courage. Mais tenir sur l’Idée, sur l’existence de l’hypothèse, cela ne veut pas dire que sa première forme de présentation, centrée sur la propriété et sur l’Etat, doit être maintenue telle quelle. En fait, ce qui nous est imparti comme tâche, disons même comme devoir philosophique, c’est d’aider à ce que se dégage un nouveau mode d’existence de l’hypothèse14.

Il faut prendre garde de ne pas lire ces lignes de manière kantienne et voir dans le communisme une «idée régulatrice», réveillant ainsi le spectre du «socialisme éthique» et l’égalité qui en est l’axiome-norme a priori… Il faut maintenir la référence précise à un ensemble d’antagonismes sociaux eux-mêmes porteurs d’un besoin de communisme (cette bonne vieille notion du communisme chez Marx, non pas comme idéal, mais comme mouvement qui réagit aux antagonismes sociaux réels, est pleinement d’actualité). Voir dans le communisme une «idée éternelle», c’est sous-entendre que la situation qui l’engendre l’est aussi, que l’antagonisme –auquel le communisme est une réponse– est lui-même immuable, et dès lors, on en arrive presque à une lecture «déconstructrice» du communisme comme rêve d’une présence, d’une abolition de toutes les représentations aliénantes, rêve qui monte de sa propre impossibilité.

Quels fondements pour l’hypothèse communiste aujourd’hui ?

Quels antagonismes continuent alors d’engendrer l’Idée communiste ? De quel côté nous faut-il chercher le nouveau mode de cette idée ? On peut rire de la thèse de Fukuyama sur la fin de l’histoire, il demeure que c’est pourtant bien cette thèse qui domine aujourd’hui; le capitalisme démocrate-libéral est l’ultime formule de la meilleure société possible et tout ce que l’on peut faire est de la rendre plus juste, tolérante, etc. On pense à ce qui est récemment arrivé au journaliste italien, Marco Cicala qui s’est vu demander par son directeur de rédaction si le mot «capitalisme» qu’il avait utilisé une fois dans un article était bien nécessaire et si l’on ne pouvait pas le remplacer par un synonyme comme «économie». Quelle meilleure preuve du triomphe total du capitalisme que la quasi-disparition du mot lui-même au cours des deux ou trois dernières décennies ?

Se pose alors la question simple mais fondamentale suivante: mais si le capitalisme dans sa version démocratique et libérale marche mieux que toutes les autres possibilités connues, si le capitalisme démocratique et libéral est, sinon la meilleure, du moins la moins mauvaise forme de société, pourquoi ne pas simplement s’y résigner de manière responsable ? A vrai dire, pourquoi ne pas l’accueillir à bras ouverts ? Pourquoi s’agripper désespérément à l’Idée communiste ? N’y a-t-il pas là-dedans un cas exemplaire de narcissisme de la Cause perdue ? N’est-ce pas là le narcissisme qui sous-tend la posture de la gauche universitaire qui attend qu’un théoricien lui dise quoi faire: nous voulons de tout cœur intervenir mais sans savoir comment nous y prendre, alors il nous faut La réponse d’un Théoricien… ? Une telle attitude repose sur un mensonge, bien entendu: il n’y a ni Théoricien, ni formule magique pour sortir de l’impasse. La seule réponse juste est: si vous ne savez pas quoi faire, personne ne pourra vous le dire et la Cause est donc perdue pour de bon.

Il ne suffit pas, encore une fois, de rester fidèle à l’Idée communiste. Chacun doit retrouver dans la réalité historique les antagonismes qui confèrent à cette Idée toute son urgence pratique. La seule vraie question est la suivante: reprenons-nous à notre compte la naturalisation dominante du capitalisme, ou, le capitalisme mondialisé contient-il des antagonismes suffisamment puissants pour faire obstacle à sa reproduction sans fin ?

Ces antagonismes sont au nombre de quatre: la menace de catastrophe écologique, l’incompatibilité entre propriété privée et ce que l’on appelle «propriété intellectuelle», les implications socio-éthiques des nouveaux développements techno-scientifiques (et, en particulier, la biogénétique) et pour finir, les nouvelles formes d’apartheid, les nouveaux Murs et les nouveaux bidonvilles. Il y a une différence qualitative entre ce dernier aspect, la démarcation entre exclus et inclus, et les trois autres qui renvoient aux domaines de ce que Hardt et Negri appellent les «communs», la substance partagée de notre être social dont la privatisation est un acte de violence auquel il faut résister par des moyens violents, si nécessaire: les communs de la culture, les formes immédiatement socialisées de capital «cognitif», à commencer par le langage, nos moyens de communication et d’éducation, mais également les infrastructures partagées comme les transports publics, l’électricité, les services postaux, etc. (Si Bill Gates avait pu accéder à une position de monopole, nous nous serions alors trouvés dans la situation absurde où un individu privé aurait été littéralement propriétaire du tissu informatique même de nos principaux réseaux de communication) ; les communs de la nature externe menacés par la pollution et l’exploitation (pétrolière, forestière, jusqu’aux habitats naturels mêmes) ; les communs de la nature interne (l’héritage biogénétique de l’humanité). Toutes ces luttes ont en commun la conscience des capacités de destruction, allant jusqu’à l’auto-anéantissement du genre humain lui-même, inscrites dans une logique capitaliste d’enclosure de ces communs que l’on laisserait livrée à elle-même. Nicholas Stern avait raison de caractériser la crise climatique comme «le plus gigantesque échec du marché dans l’histoire humaine». Par conséquent, lorsque Kishan Khoday, directeur d’équipe aux Nations Unies, écrivait récemment qu’«un esprit de citoyenneté environnementale globale tend à s’affirmer, une volonté de faire du changement climatique un enjeu commun à l’ensemble de l’humanité», il faut donner tout leur poids aux termes de «citoyenneté globale» et d’«enjeu commun», autrement dit, à ce besoin de constituer une organisation et une intervention politique globale qui, en neutralisant et en canalisant les mécanismes de marché, représente une perspective communiste à proprement parler.

C’est cette référence aux «communs» qui justifie la réactivation de la notion de communisme. Elle nous permet d’identifier l’avancée des «enclosures» des communs en tant que processus de prolétarisation de celles et ceux se retrouvant alors exclus de leur propre substance, une prolétarisation qui ouvre aussi la voie de l’exploitation. Nous avons aujourd’hui la tâche de renouveler l’économie politique de l’exploitation, par exemple, des «travailleurs cognitifs» par leur entreprise.

Seul le quatrième antagonisme, la référence aux exclus, justifie cependant le terme de communisme. Il n’y a rien de plus «privé» qu’une communauté étatique qui voit dans les exclus une menace et dont le seul souci est de les maintenir à distance. Autrement dit, dans la série des quatre antagonismes, le plus crucial est celui qui oppose inclus et exclus: sans lui, tous les autres perdent leur caractère subversif. L’écologie devient affaire de développement durable, la propriété intellectuelle se limite à un casse-tête juridique et la biogénétique à une question éthique. Il est tout à fait possible de mener un combat sincère pour l’écologie, pour la défense d’une version élargie de la propriété intellectuelle ou contre la privatisation de gènes, sans pour autant s’attaquer à l’antagonisme entre inclus et exclus. Mieux encore: il est même possible de formuler certaines de ces luttes du point de vue des inclus, menacés par les exclus rendus responsables de la pollution. Ainsi, on renonce à toute universalité véritable et il ne reste plus que des questions «privées» au sens kantien du terme. Des multinationales comme Whole Foods et Starbucks restent populaires parmi les progressistes en dépit de leurs pratiques antisyndicales. C’est le résultat de tout un travail de «com» qui habille la démarche commerciale de valeurs de gauche; tel café provient de grains achetés au-dessus des prix du marché, on conduit un véhicule hybride, on fréquente des enseignes qui font bénéficier leur salariés de certains avantages (selon des critères définis par les entreprises elles-mêmes), etc. Bref, débarrassés de l’antagonisme entre inclus et exclus, nous ne sommes plus bien loin de nous sentir dans un monde dans lequel Bill Gates est le parangon de la bienfaisance en lutte contre la pauvreté et la maladie, et Rupert Murdoch le plus grand des écologistes prêt à faire usage de son empire médiatique pour mobiliser des centaines de millions de gens.

En outre, et au-delà de Kant, certains groupes sociaux, parce qu’ils n’ont pas de place déterminée dans l’ordre «privé» de la hiérarchie sociale, représentent directement l’universalité. C’est ce que Rancière appelle la «part des sans-part» du corps social. Toute politique réellement émancipatrice est engendrée par ce court-circuitage entre l’universalité de l’«usage public de la raison» et l’universalité de la «part des sans-part», ce par quoi l’on retrouve le rêve communiste du jeune Marx: la rencontre de l’universalité de la philosophie et de l’universalité du prolétariat. La Grèce antique nous a laissé un nom pour cette intrusion des exclus dans l’espace sociopolitique: la démocratie.

Dans son sens progressiste dominant, la démocratie concerne aussi ces exclus mais sur un mode tout autre. Elle concerne leur inclusion, l’inclusion de toutes les voix minoritaires. Toutes les positions doivent être entendues, tous les intérêts pris en compte, et les droits humains de tous doivent être garantis, tous les styles de vie, les cultures et les pratiques doivent être respectés, etc. Cette démocratie là est obsédée par la protection de toutes sortes de minorités culturelles, religieuses, sexuelles, etc., et dans ce cas, la formule en est : patiente négociation et compromis. On perd alors de vue la position prolétarienne, la position d’universalité incarnée par les exclus.

Les nouvelles luttes politiques pour l’émancipation ne seront plus le fait d’un agent social particulier mais la combinaison explosive d’agents différents. Ce qui nous unit tient au fait que, en contraste avec l’image classique des prolétaires qui «n’ont à perdre que leurs chaînes», nous risquons de perdre tout : nous sommes sous la menace d’être réduits au statut de sujets cartésiens vides et abstraits, dépourvus de tout contenu effectif, dépossédés de notre substance symbolique, génétiquement manipulés et à l’état végétatif dans un environnement invivable. Cette triple menace contre notre être tout entier fait de nous tous, d’une certaine manière, des prolétaires réduits à une «subjectivité sans substance» pour reprendre une formule de Marx dans les Grundrisse. La figure de la « part des sans-part » nous met face à la vérité de notre position et l’enjeu éthico-politique est alors de nous y reconnaître : d’une certaine manière, nous sommes tous exclus, de la nature comme de notre propre substance symbolique. Nous sommes tous potentiellement aujourd’hui des homo sacer et la seule façon de nous préserver de le devenir effectivement est d’agir préventivement.

Traduit par Thierry Labica.

Lire hors-ligne : 

Download PDF

Download ePub

Download mobi

Print

références

1. «Note d’un publiciste. A propos de l’ascension des hautes montagnes, des méfaits de l’abattement, de l’avantage du commerce, de l’attitude envers les mencheviks, etc.», in Lénine, Œuvres complètes, Paris, Editions sociales/Moscou, Editions du Progrès, 1969, t. 33, p. 205-207.
2. Samuel Beckett, Cap au pire [Worstward Ho, 1983], traduit de l’anglais par Edith Fournier, Paris, Editions de Minuit, 1991.
3. Moshe Lewin, Le Dernier Combat de Lénine, Paris, Editions de Minuit, 1978.
4. Moshe Lewin, op. cit. p. 63.
5.  Ibid. p. 133
6. Ibid. p. 78
7. Ibid. p. 91
8. Ibid. p. 134
9. Ibid. p. 135
10. «Mieux vaut moins, mais mieux», in Lénine, op. cit., t. 33, p. 509-510. Cf. également, Moshe Lewin, op. cit., «annexes», p. 161.
11. Moshe Lewin, op. cit. p. 128
12. Ibid. p. 127
13. Alain Badiou, «Séminaire sur la République de Platon», 13 février 2008 (non publié).
14. Alain Badiou, De quoi Sarkozy est-il le nom?, Paris, Lignes, 2007, p. 153.