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À Aulnay, le Grand Paris sert à "chasser les pauvres"

urbanisme

Lien publiée le 1 octobre 2017

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

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À Aulnay, le Grand Paris sert à «<small class="fine"> </small>chasser les pauvres<small class="fine"> </small>»

Le Galion, immeuble de la Cité des 3.000 d’Aulnay-sous-Bois, est destiné à la destruction. Et leurs occupants, pauvres, iront voir... ailleurs. Cette décision est contestée par des habitants, qui dénoncent la « gentrification » et l’absence de concertation de cette opération représentative du Grand Paris.

  • Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), reportage

Rendez-vous à la gare d’Aulnay-sous-Bois, coquette station de la banlieue parisienne, avec ses parterres de fleurs bien entretenus, et son pourtour de maisonnettes de brique et de meulière. Autour du centre-ville, un quartier de pavillons et d’immeubles bas : voici les « quartiers sud ». « Mais nous, on va dans les quartiers nord », annonce notre guide du jour. Hadama Traoré y est né, c’est un « enfant de la cité », un « grand frère », respecté dans son quartier.

« Aulnay, c’est la 50e ville de France la plus peuplée, la 3e de Seine-Saint-Denis, débite-t-il tout en conduisant. Mais elle est divisée : au Sud, y’a les riches, et au Nord, les pauvres. Ça commence là. » Là, c’est de l’autre côté de la nationale, qui coupe la ville en deux. Les immeubles s’élèvent de plusieurs étages. Dans cette partie nord, les HLM dominent le paysage.

Hadama Traoré.

Un, en particulier, se détache : le Galion. La barre, construite dans les années 1960, marque l’entrée du quartier de la Rose-des-vents. Ou plutôt de la « Cité des 3.000 ». Construite pour héberger les ouvriers de l’usine PSA d’Aulnay, elle est désormais réputée « difficile », « sensible », et a fait la une des médias au début de l’année, car c’est là qu’a eu lieu le viol supposé de Théo par des policiers.

« Le Galion, c’est un symbole, un patrimoine, un lieu de vie », défend Hadama. « C’est 150 logements, plusieurs dizaines de commerces, et un centre de danse de 500 adhérents ! » Mais désormais, les vitrines ont presque toutes baissé le rideau, quasiment tous les appartements sont vides. La destruction du Galion est programmée pour 2018. Pour construire quoi à la place ? « Je vous mets au défi de trouver un seul habitant qui le sache », lance Hadama Traoré. Effectivement, même des élus de l’opposition municipale nous expliquent ne pas avoir plus d’information. Quant à la mairie, elle n’a pas répondu à Reporterre malgré plusieurs relances.

« C’était les meilleurs appartements de la cité ! »

La destruction du Galion, c’est la dernière étape d’un vaste programme de rénovation des quartiers nord d’Aulnay-sous-Bois, lancé en 2004. Piloté par l’Anru – Agence nationale de rénovation urbaine - en coopération avec la mairie, il concerne plus de 6.000 logements, et bénéficie d’un financement de 314 millions d’euros, dont 79 millions apportés par l’État. Une rénovation de façade, selon Hadama Traoré. « Si on rentre dans les détails, vous allez avoir peur. Canalisations bouchées, blattes, araignées, moustiques, travaux mal faits… Ils utilisent des matériaux de mauvaise qualité, ça s’abîme déjà. »

« Alors, que dans le Galion, il y avait des duplex, c’était les meilleurs appartements de la cité ! » regrette-t-il. « On n’est plus que trois familles à y habiter, nous explique Alanna George, sur le trottoir devant la barre, tenant sa petite fille par la main. Ils nous demandent de partir depuis 2015, mais on n’a eu des propositions de relogement que pour des immeubles sans ascenseur, alors que mon mari est malade. On a refusé et on a reçu un avis d’expulsion en janvier. » Finalement, quelques coups de fil et contacts d’Hadama ont arrangé les choses. « On part bientôt », poursuit la dame.

Un immeuble de la Cité des 3.000.

Dans la galerie, on ne compte plus que sept commerces ouverts. L’épicerie d’Abdallah Aitoumghari fait partie des derniers rebelles. « Depuis qu’ils ont déplacé le marché, j’ai perdu mes clients », explique-t-il. L’immeuble a subi des inondations, endommageant une partie de son plafond. « Le bailleur ne répare pas, et ne veut pas que je le fasse moi-même… C’est la misère, les charges sont aussi lourdes que le loyer, car on n’est plus que quelques-uns à payer pour l’électricité, les poubelles, le ménage. » Comme les autres commerçants encore ouverts, il considère que la somme proposée pour qu’il parte est trop faible : « Seulement un quart de ce que j’ai acheté ! Avec les charges d’acte, c’est comme s’il ne me restait plus rien à la fin, ils me mettent à la porte. »

Abdallah Aitoumghari devant son épicerie.

L’ambiance est tout aussi morose au centre de danse. Situé au milieu de la galerie, le club s’est créé il y a 21 ans. Sur les murs s’alignent les affiches de son festival dédié au hip-hop et danses urbaines, H2O. Une référence dans le milieu. Le centre de danse du Galion a formé plusieurs champions du monde et en affiche deux parmi ses profs. Le dépliant d’information publié pour la rentrée scolaire annonce des prix défiant toute concurrence : 28 euros pour l’année. Mais il explique aussi pourquoi les deux salles de danse du Galion sont vides. Les cours ont été éclatés entre quatre lieux différents. L’équipe craint de voir fondre l’effectif de 500 adhérents, et reste dans l’incertitude : le budget pour le fonctionnement et la réalisation d’un nouveau centre de danse, au sein du quartier, n’est pour l’instant pas confirmé par la mairie.

À l’intérieur du centre de danse.

« Les locataires sont appauvris, endettés parce qu’ils ne peuvent pas payer les loyers. Ils ne vont pas ouvrir leur gueule ! » 

Un peu plus loin au Café turc, on sert encore des kebabs d’un côté, des cafés et thés de l’autre. « Avant, on était dix, maintenant on n’est plus que trois salariés », raconte Erol, le serveur. La terrasse paraît encore bien peuplée, mais le garçon l’assure : « Beaucoup de gens ne viennent plus dans la galerie. Maintenant, parfois, il y a des clochards qui vendent n’importe quoi. »

Café à la main et clope au bec, Mourad vient participer à la conversation. « Cela fait 38 ans que j’habite ici, et c’est mon âge », assure-t-il. Il fait l’historique : « En 2008, ils voulaient réduire la taille du Galion, et ils ont commencé à virer des gens, ceux qui vivaient dans les F5. Puis le PS est arrivé et a dit : “On détruit tout.” Les locataires sont appauvris, endettés parce qu’ils ne peuvent pas payer les loyers. Ils ne vont pas ouvrir leur gueule ! »

Le Café turc.

Au bout du couloir, une nuée de robes multicolores est suspendue au-dessus des passants. Elles annoncent le magasin de Rachid Bouaou, qui vend foulards, tuniques orientales et accessoires. « Je suis le plus ancien, là depuis 25 ans », commence-t-il. Comme l’épicier ou le cafetier, il va en justice pour contester les conditions de fin de bail qui lui sont proposées. Il a également demandé à faire partie du nouveau pôle commercial, construit une centaine de mètres plus loin. Cela lui a été refusé. Il sort le courrier envoyé par Immo Mousquetaires, qui gère les nouveaux commerces, expliquant que l’activité de sa boutique « ne correspond pas au plan de merchandisage [sic] que nous avons prévu ». Même déconvenue pour l’autre magasin de foulards. Le Café turc s’est également vu refuser un emplacement, le Café de Paris lui a été préféré. Quant à l’épicier, il n’avait pas sa place à côté de l’Intermarché – l’enseigne de supermarché du groupe Les Mousquetaires. « Ils ne veulent pas de magasin oriental, comprend le vendeur de foulards. Mais est-ce que ça veut dire qu’ils veulent changer la population ? »

La galerie marchande du Galion.

La réponse, assumée, est : Oui, en partie. Juste devant le Galion, à la sortie du quartier des 3.000, la voirie a été refaite, et mène à un ensemble d’immeubles bas au crépi impeccable. Une laverie, un opticien, une boucherie, une boulangerie s’alignent à côté de l’Intermarché. « Il n’y a plus que 17 magasins contre des dizaines avant dans le Galion. Et, au-dessus, ce ne sont que des appartements en propriété, désigne Hadama. Y’a pas de HLM. Ils font de la gentrification », c’est-à-dire le remplacement de populations aux revenus modestes par des populations plus aisées.

Les nouveaux espaces commerciaux.

« Les gens étaient dans une totale insécurité là-dedans »

En face s’étend la nouvelle place du marché. « Les jours où il a lieu, on ne peut plus se garer, les gens ne peuvent plus inviter la famille le dimanche, décrit-il encore. C’est mal nettoyé, ça commence à faire du bruit à trois heures du matin et finit parfois à 20 heures. Ils l’ont déplacé sans concertation. On cherche à en avoir une avec la mairie, mais ils ne veulent pas. C’est incroyable. »

La place du marché.

Dans le prolongement, des constructions sont programmées le long de la nationale. Des terrains y avaient été gardés en réserve, et ont finalement été ouverts à l’urbanisation. Il suffit de deux minutes de voiture pour atteindre les palissades du chantier de la future gare. La Société du Grand Paris vient de lancer un appel aux architectes et « opérateurs » pour l’aménagement, autour de la station, de 20.000 m² de logements, commerces et services.

L’extension du métro ralliera Aulnay-sous-Bois.

Autant de projets qui, selon l’ancienne majorité municipale qui les a lancés, répondent au contraire au besoin de « recoudre » nord et sud de la ville, d’y introduire de la « mixité sociale », de rénover des quartiers dégradés. « Le Galion, c’est un obstacle physique et visuel, il oblige à passer sous un porche pour entrer dans le quartier, c’est un symbole fort de coupure urbaine », fait remarquer Miguel Hernandez, adjoint au maire jusqu’en 2014 et aujourd’hui membre du groupe communiste d’opposition au conseil municipal. « Les commerces, eux, n’étaient pas très en forme et la galerie peu accueillante. » Un de ses collègues du PS, Guy Challier, qui était en charge de l’urbanisme et aujourd’hui également dans l’opposition, confirme : « Il y a cinq niveaux de parking sous ce Galion. Il y a des véhicules calcinés, des meurtres, les gens étaient dans une totale insécurité là-dedans. Et puis, il faut introduire d’autres types de logements dans cet habitat monofonction. » Pour lui, la gare du Grand Paris est donc une sacrée chance. « On s’est battus pour l’avoir, un nouveau centre-ville va naître. »

Le porche vers la galerie marchande du Galion.

Reste la question de savoir comment se font la destruction-reconstruction et le relogement des personnes. « Malheureusement, quand on détruit on ne peut pas faire autrement que de reloger les gens, c’est douloureux pour les personnes de voir leurs souvenirs détruits d’un coup de dynamite », reconnaît Miguel Hernandez. « Mais il y a un accompagnement social des familles. Nous avons aussi mis en place des outils pour consulter les habitants, avec des conseils de quartier, et j’ai fait des ateliers, des balades urbaines », reprend Guy Challier. Des outils qui n’ont pas été repris par la nouvelle municipalité, assure son collègue : « Elle n’a pas de pratique de la démocratie participative, elle est dans l’autoritarisme et le non-dialogue. »

« On ne dit pas “gentrification”, on dit “épuration sociale” »

Les conseils de quartier font en tout cas partie des conditions à respecter pour les mairies bénéficiant des programmes de l’Agence nationale de rénovation urbaine. Autre garantie, « tout logement détruit doit être reconstruit », explique Jean-Charles Le Guen, chargé de mission pour la Seine-Saint-Denis. « Mais on préfère reconstruire en dehors des quartiers, pour rééquilibrer l’offre d’habitat social », continue-t-il, tout en niant toute gentrification. « On maintient l’offre sociale », assure-t-il. L’Anru vient de lancer une nouvelle génération de projets de rénovation urbaine. Aulnay-sous-Bois fait aussi partie de cette nouvelle vague, liée au développement du Grand Paris en Seine-Saint-Denis. Selon l’agence, 17 quartiers sont directement concernés par l’arrivée d’une gare du Grand Paris, et 16 sont dans un rayon de 500 à 1.000 mètres d’une des futures stations. « Elles vont apporter une nouvelle attractivité pour ces quartiers, qui pourront devenir des quartiers "classiques" avec également du locatif libre et de l’accession à la propriété », se félicite Jean-Charles Le Guen.

Ce n’est pas l’interprétation faite par le DAL HLM, branche de l’association Droit au logement réunissant les locataires de HLM. « Les logements sont reconstruits, mais ils ont cinq ans pour le faire, et pas forcément dans le même quartier », détaille Marie Huiban, animatrice du réseau. « Avant chaque opération, leur technique est toujours la même : ils arrêtent d’entretenir le quartier, le bailleur ne s’occupe plus des parties communes, les ascenseurs ne marchent plus. Tout est fait pour donner envie aux habitants de partir. À la fin, ce sont les logements sociaux les plus anciens et donc les moins chers qui sont détruits, et ils font financer des constructions de logements non sociaux sur les programmes Anru alors qu’ils auraient été réalisés de toutes façons, poursuit-elle. Nous, on dit même pas gentrification, on appelle ça épuration sociale : on chasse les pauvres. » Gennevilliers, Romainville, Châtenay-Malabry… L’association collectionne les exemples et les territoires de lutte. L’ambition bâtisseuse du Grand Paris, accompagnée du nouveau programme de l’Anru, vient renouveler cette longue liste.

Des immeubles en accession à la propriété construits sur l’emplacement d’anciennes tours de la Cité des 3.000.

Au Café turc de la galerie, l’intérêt d’une telle lutte fait débat. « C’est foutu, qu’ils le rasent le Galion », lance Mourad. « Vous arrivez trop tard », ajoute Rachid, le marchand de foulards. Mais dans la cité, Hadama est surnommé le « bulldozer ». Il fonce. « Comment voulez-vous que la population se prenne la tête pour le Galion alors que tout le monde court pour survivre. Le système est tellement violent qu’il nous a appris à dire oui à tout. C’est pas les quartiers, c’est les cerveaux qu’il faut désenclaver ! » lance l’apprenti révolutionnaire. Il veut monter un projet participatif avec les habitants pour élaborer une rénovation alternative du Galion. Dans la galerie, il ne cesse d’alpaguer les passants, leur donnant rendez-vous le « premier weekend des vacances », 28 et 29 octobre, pour « réenchanter le Galion ». Débats, brocante, danse, concert de rap, tentes plantées dans l’immeuble pour occuper la galerie, il promet une « mobilisation nationale ». « Si on arrive à sauver le Galion, ça va réveiller les gens », espère-t-il.


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