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Comprendre la situation en Catalogne

Catalogne

Lien publiée le 2 octobre 2017

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://lundi.am/Comprendre-la-situation-en-Catalogne

Face à la situation exceptionnelle dans laquelle se trouve la Catalogne, il nous a semblé nécessaire, avec quelques camarades de récapituler et raconter les faits. Notre but est de faire la lumière sur certaines interrogations dont nous ont fait part nos amies ces derniers jours, d’expliquer la situation dans laquelle nous nous trouvons ainsi que les incertitudes auxquelles nous faisons face.

Commençons par une brève chronologie du procés (nous utiliserons ce terme pour parler du processus d’indépendance de la Catalogne) de ces dernières années.

2010.

Après une deuxième attaque au statut d’autonomie de la Catalogne de la part du Tribunal Constitutionnel Espagnol, le procés débute, impulsé par le gouvernement de Convergència i Unió, parti historique de la droite catalaniste. Il est bon de rappeler qu’il s’agit d’un moment de grandes coupes budgétaires, ceci provoquant des mobilisations massives de la part de la population.

2012.

La CUP (Candidature d’Unité Populaire), intègre le parlement catalan, il se défini comme un parti assambleiste, anti-capitaliste, socialiste et féministe.

2014.

Une demande de referendum est faite au gouvernement espagnol. Celui-ci refuse, une consultation est effectuée, à la suite de laquelle seront condamnées plus tard des membres du gouvernement catalan.

2015.

Le Gouvernement catalan convoque des élections anticipées en annonçant que les résultats seront considérés comme plébiscitaires pour l’indépendance de la Catalogne. Les partis indépendantistes se regroupent au sein de la coalition Junts pel Sí. Seule la CUP décide de se présenter séparément mais accepte l’idée d’élections plébiscitaires. Le total du nombre des voies exprimées en faveur des deux candidatures rend la force indépendantiste majoritaire au parlement. L’absence de majorité absolue ne permettant pas de déclarer l’indépendance unilatéralement, le pari est fait d’amplifier la base sociale favorable à un état propre, et ensuite d’impulser un référendum. Les 10 députés obtenus par la CUP la placent dans un rôle déterminant pour le procés, notamment en lui permettant d’empêcher le maintien d’Artur Mas, connu pour ses coupes budgétaires et sa politique d’austérité à la présidence de la Catalogne. C’est le début du processus vers l’indépendance.

Junts pel Si a cherché à tenir la promesse du referendum sur l’indépendance jusqu’au dernier moment. Les alliés de circonstance léniniste de la esquerra independentista, dont fait partie la CUP ont de leur côté tout fait afin que le référendum ne ressemble pas au pétard mouillé du vote de 2014, dans lequel le gouvernement de Convergencia i Unio se bornait à un simple calcul arithmétique d’un citoyennisme engagé.

Une fois passées les élections de 2015, l’Union Patriotique se place en fer de lance de l’indépendance alors que les socialistes inspirés de Fanon jouent le rôle de caution radicale du mouvement, empêchant les premiers de trahir les attentes crées par ce projet. Le projet indépendantiste peut alors se lancer dans son véritable projet : la construction des structures pour un nouvel État-nation.

Après deux années de litanies et de répétitions dignes d’une mauvaise série tv, le gouvernement Indépendantiste Catalan en vient à tenter le tout pour le tout avec la mise en place concrète de l’autonomie. Ce qu’il se passe en Catalogne apparaît comme un arrêt de la reconnaissance du fondement constitutionnel de l’État post-Franquiste. Cependant, ce qui ressemble à une sécession de masse n’est plutôt en réalité qu’un émiettement, une fragmentation d’une entité d’apparence solide, cet état Espagnol, mais qui honteusement se sait instable.

La “culture catalane” comme incarnation de la nostalgie d’une communauté dans un monde d’inconnus, est une marchandise très attractive dans un pays qui s’est principalement enrichi grâce au commerce. Ce talent a créé de la richesse et constitue l’axiome principal de la supériorité morale du catalanisme néolibéral : abolition des frontières du marché, progressisme multiculturel, hipsterisme global. Talent également incarné dans la figure pétrifiée du travailleur-proletaire pour le gauchisme de la CUP : militant hautain, sacrifié pour la production et homme de fer obéissant. Une grande partie de la stratégie du front indépendantiste se base sur la construction de légitimité jusqu’à sa reconnaissance institutionnelle par au moins une partie des entités de l’hégémonie politique internationale.

Septembre 2017.

Un mois avant le 1er octobre, le parlement de Catalogne approuve la loi du referendum, dans lequel il est précisé que celui-ci donnera lieu, en cas de victoire du oui, à la mise en place effective d’une indépendance, ainsi que la Ley de Transitoriedad, qui précise les conditions de cette indépendance et les changements juridiques qu’il entraînera. Ces lois sont immédiatement suspendues par le Tribunal Constitutionnel Espagnol (héritier du tribunal d’Ordre Public Franquiste, qui a l’autorité d’annuler toute décision avec l’argument de l’exception).

Le gouvernement Catalan de son côté ne reconnaît pas la suspension, et déclare que l’organisation du référendum se poursuivra. Suite à cela, la machine répressive de l’État Espagnol se réveille et va attaquer durement tous les organes opérationnels du procés :

- Fouille des imprimeries suspectées d’imprimer le matériel pour le référendum et des locaux des partis indépendantistes.

- Interdiction de tout soutien public au référendum. Arrestation des personnes qui créent des copies de la page web officielle, qui est censurée.

- Prise de contrôle des comptes bancaires du gouvernement Catalan.

- Tentative de prise de contrôle des Mossos d’Esquadra, la Police autonome catalane.

- Réquisition de tout le matériel destiné au référendum.

- Convocation de tout les maires qui ont signé le manifeste de soutien au référendum (ce qui représente 75% des maires catalans).

- Arrestation et inculpation des hauts fonctionnaires du ministère de l’Economie Catalan et de personnalités de collectifs citoyens promoteurs du référendum.

Par rapport au Partido Popular (Parti de droite d’héritage fasciste au pouvoir), on ne pouvait pas s’attendre à moins. Proche des acteurs de l’immobilier et d’investisseurs déterminants dans le marché européen, la stabilité législative est garante de leur croissance. En tant que droite conservatrice ils ont toujours été prêts a la confrontation.

Faute d’une réelle loyauté de la part du Mossos, le gouvernement central a déployé en Catalogne la plupart des effectifs anti-émeutes de la Guardia Civil, très étrangère aux catalans et figure hostile associée culturellement au franquisme. Un climat d’exceptionnalité est palpable, la Catalogne s’attend à la répression dans une ambiance calme sous haute tension. Depuis deux semaines, les gens ont répondu face aux manœuvres contre-insurrectionnelles en se rendant immédiatement sur place interpeller la police en proclamant des mots d’ordre indépendantistes et des chants joyeux ou encore en empêchant l’avancée de la Guardia Civil en y mettant en jeu leur corps quand cela a été nécessaire. Dans certains cas ces actions ont permis un recul de la force publique.

Si les opérateurs de téléphonie ont empêché l’accès a certains sites internet suite a l’ordre de la magistrature la copie et la multiplication de contenus ont été les moyens utilisés pour rétablir les communications sabotées. Pendant qu’un camp tente d’émietter la structure organisatrice du référendum en bloquant ses exécuteurs techniques et en s’attaquant à leurs nœuds logistiques, les autres parient sur le blocage pacifique de ladite stratégie en dupliquant autant de fois que cela sera nécessaire le matériel de vote. Reste à voir ce qu’il va se passer quand la résistance passive ne suffira plus, si l’on mettra de côté les discussions sclérosantes sur les moyens légitimes d’auto-défense.

Une telle escalade de la répression provoque largement, chez ceux qui ne s’étaient jusque là pas prononcés ou sentis interpellés, un positionnement en faveur de la consultation. Des cacerolades et affichages massifs dans toute la Catalogne s’en sont suivis, des collectifs autonomes et anarchistes y ont pris part activement. Le 20 septembre, Barcelone s’est réveillée avec la police espagnole perquisitionnant les huit sièges du gouvernement Catalan. Tout au long de la journée ils ont aussi tenté de fouiller le siège de la CUP. Des milliers de personnes se sont spontanément retrouvées dans la rue pour insulter la police. Ça a été une séquence ou pendant de longues heures des situations insolites ont été vécues, ou l’on a pu voir des anarchistes défendre le ministère de l’économie de la région catalane ou des libéraux défendre le siège de la candidature anticapitaliste. La consigne a en tout moment été le pacifisme absolu, marque de fabrique de tout le procés.

Dans l’action, des vitres et des roues des fourgons de la Guardia Civil ont été détruites, faits pour lesquels certaines personnes ont été accusées de sédition. Il y a eu ceux qui se sont assis par terre face aux charges de la police catalane (mossos de esquadra) et des chaînes humaines citoyennes effectuées par certaines des organisations qui donnent leur appui à l’indépendantisme. Nous avons pu sentir ce jour-là une situation proche du débordement, quand les organisations citoyennes ont annulé un rassemblement auquel elles n’avaient même pas appelé, les gens leur conseillant de rentrer se coucher tout en proposant avec enthousiasme de commencer une occupation de la place. Dans les jours qui s’en sont suivi, les « gouverneurs » du procés comme la ANC (assemblée nationale catalane, organisation mobilisante avec un fort enracinement territorial et porte parole citoyen du procés) se sont acharnés a répéter encore et encore qu’il s’agit d’une lutte indiscutablement pacifique.

Nous assistons à l’arrivée d’une limite au sein du Spectacle, car les promesses qui s’éternisent deviennent irréversibles. Nous sommes témoins du choc entre deux pouvoirs constituants. Désormais, il nous faut voir si les gens qui en ont marre, les formes-de-vie destituantes, celles qui traversèrent autant le 15M ( mouvement des places) ainsi que la grève de leur secteur d’activité, en passant par l’une des chaînes humaines de l’ANC, sont prêtes à tout donner. Nous verrons si ça passe du geste-mort du canapé de son chez-soi à mettre son corps en jeu pour les autres. Nous verrons si le désir d’intensité de ce qui est vécu est plus fort que le mauvais vent de tristesse pour ce qui est à perdre. On dit des catalans que nous sommes modérés, prudents, aseptisés, mais aussi qu’on est vindicatifs et qu’on perd la tête si la situation le mérite. C’est que qu’on appelle « el seny i la rauxa »

Entre les anciens qui vécurent les vestiges du franquisme et les orphelins de classe qui l’avons appris à l’école, le ciseau de la brèche générationnelle se ferme, tout comme en 2011 sous le mouvement du 15M (Mouvement des places). C’est un sous-produit de sentimentalisme nationaliste qui est en train d’accomplir ce que le mouvement ouvrier de 77 n’a pas su faire. Nous verrons maintenant si nous sommes capables de nous organiser en une force collective, dans sa multiplicité d’acteurs et son hétérogénéité de pratiques, qu’elles soient plus ou moins intenses, plus ou moins offensives, et ainsi atteindre un geste de rupture définitive. Les prochains jours de cette semaine seront déterminants.

Aux vues de la singularité de la situation il est difficile de prédire ce qu’il va se passer. Il y a d’un côté un gouvernement de droite qui défie et est prêt à désobéir à un état fasciste. De l’autre côté il y a la gauche indépendantiste, avec qui on a beaucoup coïncidé dans la rue, qui poursuit depuis des années ce moment et est prête à le défende avec des méthodes proches de nôtres.

En dernier lieu, il y a énormément de monde dans la rue, la situation peut déborder à n’importe quel moment. Tout le monde ne s’accordait pas sur la méthode de la chaîne humaine le 20-S. Les syndicats portuaires ont annoncé qu’il ne permettraient aucun service aux paquebots qui logent les 6000 policiers que l’état espagnol a déplacé à Barcelone. Les syndicats les plus radicaux ont appelé à la grève générale à partir du 3 octobre. Le reste de l’État Espagnol se vide de ses effectifs de police anti-émeutes. Samedi après-midi, une manif a été appelée aux congrès des députés de Madrid, tout comme pendant le mouvement 15M. Il y aura sûrement un effet de multiplication exponentielle des appels en solidarité suivis d’actions dans toutes les villes, tout comme pendant les émeutes de Gamonal ou celles de Can Vies. De façon générale, la sensibilité commune à se servir de cette situation pour que tout tombe est largement partagée, ainsi que la rapidité efficace de la réaction générale spontanée. Le climat de la métropole catalane est électrique.

Les étudiants se sont mobilisés massivement eux aussi, en occupant une cible symbolique : le rectorat de Barcelone. Celui-ci pourrait s’avérer être un lieu clé durant les journées à venir, un lieu depuis lequel propager le sentiment que nous sommes plus vivants que jamais.

Des Centaines de Comités de Défense du Référendum surgissent au sein des quartiers et des villages. Des assemblées où confluent des singularités hétéroclites autour d’un objectif commun. Des affichages massifs se déroulent chaque nuit en un geste de résistance. Il semblerait que la bataille pourrait se mener entre le seny du gouvernement catalan avec ses entités citoyennistes et leurs chaînes humaines, et la rauxa de celles et ceux qui se rencontrent dans les rues, prêts à tout. Entre celles et ceux qui sont à la recherche d’un état propre et qui organisent la logistique en conséquence et celles et ceux qui n’ont jamais étés indépendantistes mais qui sont là, puissants, pour combattre le fascisme et pour lancer la gréve générale. On parle de maintenir les Comités de Défense après le référendum, de les transformer en Comités de Grève, pourquoi pas les faire devenir des Comités pour la Vie après la Grève ?

Le gouvernement catalan persiste, le premier octobre il y aura vote, et les gens sont déterminés, même s’il faut refuser de se soumettre à la légalité pour y arriver.

De l’autre côté l’espagnolisme vieux jeu se dévoile sous sa forme la plus classique et morbide : des manifs haineuses des fascistes qui frappent des familles sur leur passage aux adieux de la Guardia Civil qui part en voyage en Catalogne aux cris de « a por ellos » et « exécution des séparatistes. Il faudra sans doute être préparés pour nous défendre des attaques fascistes qui auront sûrement lieu. Ce sera peut être le moment ou ceux qui seront là ne voudront plus se jeter par terre et lever les mains en signe de paix.

Dernièrement, nosotros, entre camarades, nous nous sommes interrogés sur le fait de ne pas avoir pensé une stratégie par rapport a cette situation auparavant. Par idéologie, par incapacité ou par simple mépris, nous nous voyons poussés à prendre des décisions rapidement, des décisions qui ne seront sûrement pas les meilleures. Nous avons toujours vu ce contexte comme traversable, jamais comme un scénario dans lequel pouvoir dessiner un geste possible. Pour certaines, ce qui nous habite est le fait de ne pas savoir comment se servir de cette situation pour y agrandir la blessure de l’époque, dans la brèche qui s’ouvre, comment marteler la colonne vertébrale du Tout. Nous nous projetons dans une action imaginable de l’incroyable, et même, qui sait, peut être attirer un tas de monde(s) vers une sécession sans retour de et depuis la vie même.

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https://lundi.am/Comprendre-la-situation-en-Catalogne-2

Cette lettre naît d’un désarroi, celui de voir le peu d’intérêt des médias “alternatifs” français, au moins la longue liste de ceux que je suis couramment, pour ce qui est en train de se passer en Catalogne. Elle cherche aussi à renseigner mes amis et à partager avec eux mon point de vue sur ce sujet. Parce qu’évidemment, je peux seulement vous faire partie de mon interprétation des faits que je connais. Je vous invite fortement à aller en trouver d’autres.

Nous avons appris l’importance d’être informés sur ce qui se passe ailleurs, autant par vrai souci pour la vie d’autrui que pour mieux comprendre ce qui nous arrive, ici et maintenant. Nous savons aussi que les grands médias nous offrent une vision du monde qui correspond, presque exclusivement, aux points de vue culturels et aux intérêts matériels et symboliques de la classe que les possède. C’est pourquoi les gens qui ne partageons pas ces points de vue, ces intérêts, cherchons à prendre des nouvelles du monde aussi, quoique souvent avec difficulté, par d’autres moyens. On réussit ainsi à trouver des informations sur les vies et les parcours des migrants qui arrivent ou tentent d’arriver aux portes de notre forteresse, sur les résistances kurdes, palestiniennes, sahraouis et autres, sur les luttes des peuples africains et amérindiens contre les fléaux combinés des inégalités, de l’oppression, de l’extractivisme, sur celles en Grèce contre l’asphyxie économique et culturelle programmée par les technocrates de l’UE.

On peut se dire que nous avons en France assez de problèmes, et cela sans tenir compte des problèmes personnels qui peuvent être déjà assez lourds. Nous avons l’état d’urgence permanent, la casse du droit du travail au profit du capital, le démantèlement progressif des services publics, du système de santé… C’est trop pour, en plus, tout vouloir savoir d’ailleurs. Alors, s’informer un peu, ça va, ça enrichit nos conversations au passage, mais après il faut se focaliser sur ce qu’on peut envisager de résoudre localement. Soit, sauf qu’à y regarder de près, ces problèmes « d’ici » ne sont pas tout à fait nouveaux dans le monde, y compris pas très loin de nous. Allez enquêter en Grèce, au Portugal ou en Espagne à propos de ces questions, vous aurez un bon aperçu des effets des mesures connues déjà là-bas, celles qui viennent au galop en France, dans les ordonnances d’un autre docteur Folamour.

On se dit également que ce sont trop d’informations, qu’on ne peut pas toutes les intégrer : trop d’information tue l’information, vous savez. Mais le monde est grand et complexe et s’il est vrai que nul ne peut tout savoir, il ne l’est pas moins que nous avons besoin de ces récits et de leur mémoire, accessibles, si l’on veut que l’intelligence collective puisse en faire quelque chose d’utile le moment venu.

Eh bien, je vais vous parler de ce qui se passe en Catalogne, ce sujet passé à la trappe, même pour des gens qui s’efforcent à être informés. En fait, je pourrais m’étendre sur la superficialité avec laquelle on passe trop souvent sur ce qui concerne un pays pourtant voisin comme l’Espagne. Je ne le ferai pas, mais je vais vous donner un exemple : j’entends souvent le terme « extrême-gauche » collé à Podemos ou à la maire de Barcelone, Ada Colau. Mais Podemos se définit lui-même comme « ni de gauche, ni de droite », cela vous dit quelque chose ? Et Ada Colau gouverne la ville de Barcelone en coalition avec le PSC, le parti “socialiste” catalan. Si elle a pris quelques bonnes décisions, vis-à-vis du tourisme de masses par exemple, elle a aussi continué la répression contre les migrants qui essaient de gagner leur vie par la vente à la sauvette. Bref, si ces partis politiques présentent un certain renouveau et ont des prises de position défendables, on risquerait moins de se tromper à propos de leur vrai nature en les qualifiant de sociaux-démocrates. Car c’est cet espace politique-là qu’ils ont occupé après la fuite vers la droite des partis qui traditionnellement s’en réclamaient. Corollaire : mon mensuel préféré, CQFD, avait consacré en 2015 un dossier au « pari municipaliste » en Espagne. Il y était question des différents parfums de Podemos et, surtout, des partis dits des “communs”, comme celui d’Ada Colau. Par contre, pas un mot sur les CUP (« candidatures d’unité populaire ») présentes surtout en Catalogne depuis le début des années 2000, bien avant le 15M (sigle par lequel on connaît en Espagne le mouvement des “indignados”) Contrairement à Podemos ou aux “communs”, les CUP sont un mouvement ouvertement anti-capitaliste, qui est contre la monnaie unique, contre les programmes dits « d’austérité » de la troïka, qui fonctionne et prend les décisions en assemblée(s) et dont les élus répondent en tout moment devant la base et ne se présentent qu’à un seul mandat. Un parti qui malgré tout cela a 7 % des sièges du parlement catalan. Dans mon innocence, j’avais pensé qu’il y en avait assez pour attirer l’attention de la « gauche-de-gauche » en France. J’ai même fait un courrier à CQFD pour montrer ma déception et les inviter à s’y intéresser. Ma lettre est restée sans réponse, ce que je peux toutefois comprendre et qui me permet de la reprendre en partie ici. Je pense que les CUP ont, hélas, un stigmate difficilement acceptable en France : elles sont aussi ouvertement pour la constitution d’une république catalane indépendante. Et là, c’est le blocage : parce que vu d’ici, on se dit, à raison, que les kurdes ont le droit de réclamer un ou des états propres et ainsi sous-diviser trois états existants, à savoir l’Iran, l’Irak, la Turquie. Mais l’Espagne, ah non, c’est différent, sa sacrée constitution dit qu’elle est « une et indivisible », tout comme la République Française.

J’ai l’impression, quand j’en parle avec les amis, que le sentiment ici est que la Catalogne essaie de faire un peu comme ce qu’on nous dit du nord de l’Italie, c’est-à-dire, d’échapper un État qui “oblige” ces régions relativement plus riches, à une certaine forme de solidarité avec des régions moins prospères. Je ne vais pas nier que pour une partie des indépendantistes catalans il s’agit bien de cela. Mais en Catalogne vous ne trouverez pas l’équivalent de la Ligue du Nord italienne : la majorité des fascistes catalans sont pour l’union avec l’Espagne. D’autre part, Barcelone a été la première grande ville européenne où des dizaines de milliers de gens sont sorties à la rue pour réclamer que l’état accepte et organise la venue et l’accueil de son quota de réfugiés, voire davantage. Mais la vision économiste du « problème catalan » est, on ne saurait espérer autrement, véhiculée et mise en avant par les grands médias, en Espagne et ailleurs. Il est plus inattendu qu’elle reste presque le seul point de vue des gens qui sont pourtant capables d’aller au-delà des idées reçues concernant d’autres sujets. Je n’accuse personne, j’ai exposé plus haut des raisons qui peuvent expliquer cette méconnaissance. Des raisons que j’accepte en un premier temps, mais que je pense qu’il faut dépasser.

Que se passe-t-il donc en Catalogne ? Je commence un peu à côté, pour vous dire que je ne suis pas nationaliste. Ni catalan, ni espagnol, ni européen. Lorsqu’on me demande d’où je viens, je réponds invariablement par le fait géographique de base : Barcelone. Si j’étais sûr d’être compris, je donnerais la latitude et la longitude, à la place du nom de ma ville. Pourtant, je n’ai pas honte d’être né là-bas, c’est que pour moi, cela n’est qu’une partie, la plus contingente qui soit, de mon histoire. Ne me sentant donc pas partie de la nation catalane, les arguments “historiques” pour son indépendance me sont étrangers, insuffisants, très discutables. Je suis par contre pour l’autodétermination de toute société qui voudrait se gouverner par elle-même. Qu’elle s’appelle “nation” ou non m’est secondaire, je ne me suis jamais posé la question de savoir si les communautés zapatistes s’en considèrent une. Ceci dit, je ne pourrais pas accepter n’importe quelle forme de gouvernement, en particulier ceux basés sur la haine, la violence, l’exclusion. Mais ce seraient alors la haine, la violence et l’exclusion que je combattrais, non leur volonté de se gouverner par eux-mêmes.

Voici donc ce que je pense à propos du « problème catalan ». Ce “problème” vient de loin, les nationalistes vous diront 300 ans, ceux qui se sont passés depuis la fin de la guerre de succession espagnole. Il a connu différents formes en différents moments, il a été nourri par l’attachement des catalans à leur langue et à leurs traditions, ainsi que par les narratives héroïques de son histoire, plus ou moins fausses, comme souvent le sont ce type de récits. Jusqu’ici, le cas typique d’une « nation sans état », une parmi d’autres que dans la formation des états modernes en Europe n’a pas réussi à construire le sien. On ne peut donc nier que c’est bien un sentiment nationaliste qui a cherché avec plus ou moins de force l’autonomie, voire l’indépendance. On ne peut pas non plus nier, comme les gouvernements espagnols l’ont toujours fait, qu’il y a une nation en Catalogne, vu que le sentiment d’en constituer une a été constant et souvent majoritaire chez les catalans. J’ai quitté Barcelone il y a 18 ans. À ce moment-là, une majorité des catalans se disaient nationalistes, mais je dirais que moins de 20 % étaient pour l’indépendance. Je n’étais pas parmi eux. Aujourd’hui, près de la moitié, dont moi, sommes pour l’indépendance. Une si rapide évolution montre que le « problème catalan » a dû quelque part changer de nature. H. L. Macken, par ailleurs assez peu fréquentable, écrivit « il y a toujours une solution bien connue pour chaque problème humain : claire, plausible et fausse ». Il serait facile d’expliquer la montée de l’indépendantisme par la crise. Ce serait oublier la partie symbolique du problème, celle du mépris du peuple “démocratiquement représenté”. En 2005, avant que la crise éclate, le gouvernement catalan est dirigé par une coalition « de gauche », avec les “socialistes” en tête, et dont seulement un parti, ERC (gauche républicaine catalane) se déclare indépendantiste. La droite nationaliste, alors non ralliée à l’indépendantisme, est en minorité au parlement catalan. Ce parlement approuve, en septembre 2005, un nouveau « statut d’autonomie » avec 90 % des voix de ses députés. Deux ans avant, en décembre 2003, alors candidat “socialiste” au poste de premier ministre, Rodríguez Zapatero, avait promis, lors d’un meeting à Barcelone, qu’il soutiendrait toute proposition de statut approuvé par le parlement catalan. En 2006, avec une majorité suffisante au Congrès espagnol, en bonne partie grâce aux députés “socialistes” catalans, Zapatero non seulement ne tient pas sa promesse, mais il oblige à raboter le statut de ses demandes les plus fédéralistes et nationalistes. Abandonnant ces alliés de gauche et même les propres socialistes catalans, il s’allie à la droite nationaliste catalane et arrive à un compromis au Congrès espagnol. Le statut ainsi dénaturalisé est pourtant approuvé en Catalogne par un referendum (74 % pour, 21 % contre, participation 49 %) que le gouvernement d’Espagne a accepté à contrecœur, craignant que la population refuse le statut : la commission électorale et la cour suprême avaient interdit de promouvoir la participation. Quelques jours plus tard la droite espagnole (PP) dépose un « recours d’inconstitutionnalité » auprès de la cour constitutionnelle, contre 187 des 223 articles du nouveau statut. Le PP arrive au pouvoir en 2008, la cour constitutionnelle ne s’est toujours pas prononcée, le renouvellement de ses juges est un enjeu majeur de la législature et ce sont des juges très à droite qui, en juin 2010, donnent raison à la plupart des demandes du PP. Moins de deux semaines plus tard, le 10 juillet, entre un million et un million et demi de personnes manifestent à Barcelone derrière le slogan « Nous sommes une nation. Nous décidons », la première d’une longue série de manifestations massives. La crise, certes, était arrivée entre temps, mais ce n’est pas elle qui a sorti ces gens à la rue. Le premier point de bascule dans cette histoire est, à mon avis, ce 10 juillet 2010. En ce moment ce sont surtout des nationalistes de droite, jusqu’ici pour la plupart commodes avec le système dit « autonomique », qui commencent à pencher pour le camp de l’indépendance.

En 2011, le mouvement du 15M remue l’Espagne. Quelques tabous se brisent, la monarchie par exemple ne va plus de soi, le républicanisme et le fédéralisme reviennent aux discussions politiques pour une partie de la population. Pendant un certain temps un élan de démocratie directe souffle et fait naître des espoirs. Mais manquant de force et d’organisation, le mouvement s’essouffle, en partie parasité par des nouveaux partis politiques créés ad hoc, dont Podemos, qui tire finalement l’épingle du jeu. Ces partis promettent d’entrer dans le jeu représentatif pour porter aux institutions « la voix du peuple », ce peuple qui disait aux députés « vous ne nous représentez pas ». En Catalogne ce « mouvement des places » est, en plus, traversé par les mouvements nationalistes de gauche. Il aura une évolution différente de celle qu’il vivra en Espagne. Entre les discussions qui se tiennent dans les assemblées des places et des quartiers, le sentiment que l’indépendance pourrait être un moyen de donner plus de pouvoir au peuple prend ampleur. Certains diront que les nationalistes de gauche ont manipulé les autres pour rallier au camp indépendantiste des gens qui ne venaient pas du nationalisme. Que des manipulations il y en a de toutes sortes, et surtout en politique, j’en suis convaincu. Je me trompe peut-être, mais je ne pense pas que ce soit ici le facteur le plus important. Quoi qu’il en soit, je pense qu’à ce moment, ce sont en effet des gens de gauche, nationalistes ou non, qui ont basculé vers le camp de l’indépendance, la voyant comme une condition de possibilité d’un « procès constituant », vers une république, catalane, plus sociale, moins dominée par les oligarchies.

Après la fameuse sentence de la cour constitutionnelle, à chaque fois que le gouvernement catalan a passé des lois qui étaient près de la limite du statut deux fois raboté, le gouvernement espagnol l’a saisie pour paralyser ces lois. La cour lui a donné gain de cause presque à chaque coup. Certaines de ces lois touchaient, par exemple, aux écoles, aux impôts (comme celui gravant les banques propriétaires de logements vides) à certaines garanties sociales (comme une loi empêchant les compagnies de gaz et d’électricité de couper le jus aux gens sans ressources) à l’écologie. Le sentiment de mépris, alimenté en plus par une arrogance sans pareil de la part du gouvernement espagnol, ne pouvait que nourrir en un premier temps la rage, puis l’envie de trouver une sortie. On a commencé à parler de plus en plus d’un référendum d’autodétermination, que la plupart des catalans voulaient négocier. On s’est trouvés avec la négative systématique. On nous a dit que la constitution espagnole ne permettait pas une telle rêverie et que puisque cette constitution était le fruit laborieux d’un grand consensus à l’issue de la dictature, il ne fallait pas la toucher. La stratégie bien rodée de la peur : si on touche la constitution, c’est à nouveaux la division, le chaos et qui sait, même la guerre. Or la constitution avait été déjà reformée en 1992, suite au traité de Maastricht. Pire, l’été de cette année 2011, l’année des “indignados”, en plein mois d’août et par une procédure d’urgence et en lecture unique, les Cortes (réunion des deux chambres législatives) avec les “socialistes” de Zapatero au gouvernement et avec le support du PP et de ses affidés de l’UPN (droite de Navarre) réforment son article 135. Cette réforme inscrit dans la constitution espagnole la « règle d’or », désormais indépassable, dans les dépenses publiques. Pire encore, elle impose que le service de la dette passe devant toute autre priorité de l’état. Y compris la santé, l’éducation, les retraites. Comme les trois partis ont plus de 90 % des sièges, aucun référendum n’est convoqué, alors qu’une très grande partie de la population crie au scandale. La constitution est donc réformable, mais seulement si les grands partis, représentant des oligarchies vielles et nouvelles, le veulent. Le sentiment de la plupart de nous, en Catalogne et au-delà, est qu’ils ne le voudront jamais en ce qui concerne la forme de l’état (république ou monarchie) ni en ce qui concerne le droit d’autodétermination des peuples faisant partie de l’Espagne. Podemos n’a pas réussi le sursaut politique qui avait donné un certain espoir de vrai renouveau et n’importe qui avec un peu d’honnêteté intellectuelle se doit d’avouer que la situation est dans une impasse.

Je ne suis pas le seul à penser que si les politiciens espagnols avaient montré un peu plus d’intelligence et avaient vraiment souhaité négocier, tout ce “procès” aurait été désamorcé. Mais ils ne veulent négocier autre chose que le financement, ils ne veulent pas admettre qu’il ne s’agit (plus ?) d’une question d’argent. Si un référendum d’autodétermination avait été proposé et conduit, comme au Québec, comme en Écosse, les indépendantistes l’auraient fort probablement perdu. Parce qu’il y a au minimum une moitié de la population qui ne veut pas, même aujourd’hui, l’indépendance. Parmi eux, beaucoup de nationalistes espagnols, dont une minorité reste dans les pires schémas de la dictature franquiste, tandis qu’une majorité d’entre eux a tout simplement le même attachement à leur langue, leurs coutumes, leurs histoires plus ou moins inventées, que les nationalistes catalans aux leurs. Mais il y a aussi de gens qui sont contre l’indépendance sans être des nationalistes espagnols, qui pensent seulement qu’une Catalogne indépendante n’a pas de sens, ni politiquement, ni économiquement, qu’on va plus loin unis que séparés, ou qui sont tout simplement dégoûtés par la propagande nationaliste catalane, qui a sévi avec force décuplée ces derniers cinq ans. Avec tous, sauf avec les plus rances, on devrait pouvoir discuter, il aurait été sain de le faire. Je comprends en particulier les compas « d’en bas à gauche » qui me disent que c’est beaucoup d’énergie investie en un “procès” qui ne devrait aboutir, au “mieux”, qu’à un autre état. J’ai été du même avis longtemps, mais je pense maintenant que face à l’immobilisme, voire le recul, un pas en avant, d’ailleurs pas si petit que ça, même s’il est insuffisant, vaut le coup. Bref, dans le scénario d’un référendum négocié, je pense qu’une partie des indépendantistes d’aujourd’hui auraient rejoint les rangs de ces unionistes qui voudraient aussi un changement.

Hélas, on n’en est pas là. Certes, les indépendantistes du parlement catalan ont fait des entorses à leurs propres lois et règlements pour pouvoir passer en force et en urgence les textes qui convoquent le référendum unilatéral et qui créent le cadre pour une transition en cas de victoire du “oui”. Ils ont agi ainsi par stratégie, pour que l’attendue réponse du gouvernement espagnol n’aie pas le temps de se déployer et de l’arrêter. Mais le gouvernement espagnol a réagi rapidement et sans ménagement, se moquant au passage, lui aussi, de ses propres lois : perquisitions sans ordre judiciaire, mandats d’arrêts avant qu’un délit soit commis, essai d’intervention des comptes et de la police catalane… et, plus grave encore, attaque d’un droit fondamental, le droit à la liberté de presse. S’entêtant à résoudre par la voie judiciaire, qui sait si par la force, un problème politique, le gouvernement espagnol a montré que la séparation de pouvoirs en Espagne est une chimère. En plus, on nous dit que ce référendum est illégal et que ce qui est illégal est anti-démocratique ; ce sont les mots du premier ministre espagnol. Oubliant au passage que toutes les luttes démocratiques ont dû à un moment ou à un autre faire fi de lois injustes, y compris par voie révolutionnaire, pour précisément aboutir à plus de démocratie. En envoyant des policiers pour explicitement empêcher ce référendum, ce gouvernement a aussi montré qu’il est capable d’aller très loin, on espère que ce ne soit pas trop loin. Que tout cela arrive dans un pays européen sans que personne bronche au-delà des Pyrénées, me semble très préoccupant. Ça dit très long du niveau d’acceptation de ce type de « mesures d’urgence » en Europe.

Ces derniers jours nous ont montré qu’une solution négociée n’est pas possible aujourd’hui. Certains politiciens espagnols gesticulent maintenant et demandent de pourparlers. Or Podemos, malgré leur nom, ne peuvent pas : pour changer la constitution espagnole il faut compter avec le PP, majoritaire au Sénat, et avec les “socialistes”. Et les “socialistes”, même s’ils prétendaient vouloir négocier, ont perdu toute crédibilité à force de rompre leurs promesses. Seules des instances internationales pourraient forcer une médiation. Mais on connaît bien l’efficacité de la « communauté internationale » et de l’européenne en particulier, alors, contrairement à beaucoup de catalans, je n’y attends rien.

Je ne peux pas vous dire qu’est-ce qui va se passer le premier octobre, ni le jour après. Je peux vous dire par contre, que nous sommes beaucoup à vouloir montrer ce jour-là notre détermination à nous gouverner comme peuple souverain. Aussi, je pense qu’une étape a été franchie et que difficilement la vie politique sera la même en Catalogne et en Espagne.

Quoi qu’il advienne ces prochains jours, il faudra toujours lutter contre toute autorité, espagnole, catalane ou autre, nous imposant une vie que nous ne voulons pas.

Salut i alegria !

Miguel Ortiz Lombardía