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Catalogne: "Les classes populaires doivent intervenir avec leurs propres outils de mobilisation"
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
La journée de grève générale du 3 octobre en Catalogne a été la mobilisation la plus massive des quarante dernières années sur ce territoire. Impulsée par l’Intersyndicale alternative de Catalogne (IAC, union interprofessionnelle de syndicats catalans combatifs), la Confédération générale du travail (CGT, de tradition libertaire), les Commissions de base (scission des Commissions ouvrières) et Intersyndicale – Confédération syndicale de Catalogne ont rejoint l’initiative, déposant des préavis de grève jusqu’au 13 octobre. L’idée d’une grève politique contre la répression policière et pour les libertés publiques a eu un impact décisif dans le processus indépendantiste. Entretien avec Lito, membre de l’IAC et militant d’Anticapitalistes, pour comprendre les enjeux de cette journée de grève et de mobilisation historique.
Comment s’est préparée la journée de grève du 3 octobre ?
L’espace de coordination de la gauche syndicale catalane, en lien avec des coordinations et syndicats étudiants, des organisations de migrantEs, des associations féministes et des organisations politiques de gauche1, a permis de donner une réponse aux actions répressives du gouvernement espagnol. Cet espace incluait aussi Omnium et l’Assemblée nationale catalane (ANC), deux associations de la société civile catalane qui sont des relais de l’indépendantisme majoritaire de la Généralité (gouvernement autonome catalan). La convocation d’une grève a aussi exercé une pression sur les Commissions ouvrières et l’Union générale des travailleurs (les deux grandes centrales syndicales de l’État espagnol), qui constituent le Comité pour la démocratie (Taula per la democracia), avec, entre autres, des associations d’entrepreneurs des petites et moyennes entreprises, l’Association catalane des universités publiques, Omnium et l’ANC. Initialement, cet espace ne voulait pas appeler à des mobilisations pour les 2 ou 3 octobre, mais un arrêt de l’activité (« aturada ») pour le 5 octobre. Au final, l’ensemble de ces organisations a appelé à se mobiliser le 3 octobre. Mais avec des nuances. Tandis que les syndicats alternatifs prévoyaient la grève, avec les droits y afférant, le Comité pour la démocratie a parlé d’un « arrêt de l’activité du pays », une sorte de lock-out ou de grève négociée avec les institutions et les entreprises catalanes. Car, pour les Commissions ouvrières et l’Union générale des travailleurs, le mot grève est chargé politiquement. Pour les secteurs plus modérés voire de droite du processus indépendantiste, l’arrêt du pays, sous forme de lock-out, était plus convenable.
Comment les comités de défense du référendum et l’initiative « Écoles ouvertes », qui ont permis la tenue du référendum par l’auto-organisation populaire, se sont impliqués dans la préparation de la grève ?
De manière un peu confuse et partielle. « Écoles ouvertes » a été plus liée au Comité pour la démocratie dans la promotion d’un arrêt de l’activité du pays. Les comités de défense se sont plus centrés sur la grève et l’empowerment de la classe travailleuse. Ces comités construits territorialement, en soi, ne pouvaient pas générer une grève dans les lieux de travail, mais l’ont opposée au lock-out. Dans plusieurs endroits, notamment à Barcelone, ils ont mené des actions allant dans le sens de la grève qui consistent à manifester pour fermer des entreprises, en faisant des barrages sur les grandes routes, en expliquant les raisons de la grève. Et, maintenant que la grève est finie, les comités de défense veulent continuer à s’organiser. Comme à Poble Sec, un quartier de Barcelone, où les réunions continuent après avoir organisé la défense des bureaux de vote le dimanche et la grève le mardi. Cet espace de coordination territoriale est nécessaire, car il permet l’intervention des classes populaires dans le processus indépendantiste pour aller vers une montée en puissance de la désobéissance vis-à-vis de l’État et pour déborder la direction indépendantiste.
Quel a été, dans les lieux de travail, le suivi de la grève ?
Il s’agit d’une grève « anormale », qu’on ne peut comprendre selon les critères classiques. Des revendications sociales et du monde du travail se sont bien sûr manifestées. Mais, en général, les revendications étaient démocratiques : contre la répression policière, contre le gouvernement espagnol, pour que les résultats du référendum soient acceptés. Car, la mobilisation du 3 octobre a combiné des éléments de lock-out dans les petites et moyennes entreprises, de grève et de fermeture d’administrations par les institutions catalanes. Par exemple, les professeurs étaient majoritairement pour faire grève, mais les établissement ont été fermés par le secrétariat à l’Éducation de la Généralité. De même, les universités étaient fermées, mais les étudiantEs ont tenu des assemblées. Alors que les dockers étaient massivement en grève, dans le secteur du métal par exemple, influencé par les Commissions ouvrières et l’Union générale des travailleurs, l’arrêt de la production a été relativement faible. Pourtant, des millions de personnes sont descendus dans les rues toute la journée. Pour prendre l’exemple de Manresa, ville de 70.000 habitants, 40.000 ont manifesté. Pour la Généralité, fermer les administrations a été un moyen de contrôler cette mobilisation et de se mettre en avant. Mais, tout cela traduit tout de même un débordement de la direction du processus indépendantiste.
Quel impact a cette initiative de grève générale venant de la gauche syndicale et des mouvements sociaux dans le déroulement du processus indépendantiste ?
Son intérêt est de pouvoir lier de manière claire revendications démocratiques et sociales. Jusqu’à maintenant, c’est toujours la droite indépendantiste qui dirige le processus. Mais, le 3 octobre, des mots d’ordre populaires et démocratiques, faisant appel à des réminiscences de la lutte des classes, ont permis de faire le lien entre défense de la démocratie et changement de société.
Ce qui est intéressant est de voir comment la grève a permis à des secteurs de la population, qui ne s’organisent pas par le syndicalisme, de se mobiliser. L’espace de coordination de la grève générale, avec le mouvement féministe, les questions du monde du travail, les droits des migrantEs, a permis une transversalité et des débats. Les gens ont eu une expérience de masse permettant de découvrir ce que signifie une grève des soins menée par les femmes, de comprendre pourquoi les migrantEs participaient à la grève, ou que des personnes avec des drapeaux espagnols se soient aussi mobilisées. D’autre part, les gens ont fait l’expérience de la désobéissance vis-à-vis de l’État, en occupant les places, en barrant les routes ou en faisant fermer des commerces.
Comment faire pour que la classe travailleuse, les mouvements sociaux puissent imprégner le processus indépendantiste, voire en devenir des protagonistes ?
Les classes populaires et la classe ouvrière doivent intervenir avec leurs propres outils de mobilisation classiques ou plus modernes : la grève, les comités de défense par quartier. Jusqu’à maintenant, la direction majoritaire du processus avait une vision « citoyenniste ». Mais, les comités de défense du référendum induisent un élément embryonnaire de conseils territoriaux et sociaux.
Ces derniers jours, les personnes mobilisées parlent plus qu’avant de politique en termes de classe. La coordination du syndicalisme combatif, des mouvements sociaux et de la gauche politique permet d’unir les classes populaires au-delà de la direction complaisante du processus indépendantiste.
Ainsi, un espace où se retrouve la plupart des secteurs appelant à la grève générale est la Marche de la dignité. Cette coordination a proposé une Charte des droits sociaux de Catalogne2. Dans le cas d’une hypothétique proclamation de la République catalane, il faudra débattre du type de République que nous voulons construire : systèmes de santé et d’éducation, relations au travail, politique pour les droits des femmes. Cette charte est un outil pour débattre d’éléments-clés de la possible construction d’une nouvelle société, en combinant des questions locales et des connexions au niveau de l’État espagnol. Concrètement, cela permet d’avoir d’ores et déjà un débat avec des secteurs concrets de la classe travailleuse et d’aller dans les villages, dont le tissu social et associatif est plus faible, où la droite indépendantiste est hégémonique et où il réside une certaine passivité, pour expliquer et présenter ce programme et nos revendications, en termes de classe.
Propos recueillis par Alex G.
- 1.En plus des quatre syndicats mentionnés et de deux organisations étudiantes, l’association féministe Ca la dona, l’Assemblée paysanne, Pompiers en lutte, Dockers de Barcelone, la Marée des retraitéEs, Marche de la dignité, les CUP (Candidatures d’unité populaire, gauche anticapitaliste indépendantiste), Podem, Procés constituent, Revolta global (Anticapitalistas de Catalogne) ont appelé à la grève générale et sociale. Le document d’appel à manifester soutient la Charte pour les droits sociaux qui « valorise toutes les expériences et pratiques accumulées par les différents mouvements sociaux durant ces dernières années : de l’économie sociale et solidaire à la souveraineté alimentaire, de la défense des territoires aux luttes féministes et contre les violences machistes. Des mouvements pour la paix à la reconnaissance des droits des personnes migrantes ». Il condamne aussi « les politiques d’austérité qui ont précarisé nos vies ces dernières années et qui ont démantelé le secteur public au profit du sauvetage bancaire ».
- 2.À la première réunion pour définir cette Charte des droits sociaux, ont participé les Kellys, mouvement de serveuses et femmes de ménage en lutte pour une convention collective, le mouvement de migrantEs « Papiers pour toutEs », l’Asamblea groga (assemblée de la communauté éducative en défense d’une éducation publique, laïque, en catalan et démocratique), entre autres organisations déjà mentionnées (voir : Poder popular, La Carta de Derechos Sociales catalana arranca con una asamblea en Barcelona).