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Tariq Ali: "En URSS, Lénine était sacralisé mais rarement lu"
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Dans sa biographie, l’essayiste britannique Tariq Ali réhabilite l’intellectuel derrière le dictateur.
A l’occasion du centenaire de la révolution russe, Tariq Ali a voulu déglacer Lénine. L’essayiste et ex-trotskyste britannique, né le 21 octobre 1943, a choisi de dépoussiérer le mythe, de revivifier ses écrits enterrés sous la statue du dictateur et de montrer comment l’homme s’est retrouvé dans sa vie face à des dilemmes permanents, qu’ils soient politiques ou personnels. Lénine semble en réalité avoir peu hésité et tranché souvent dans le vif. Mais le livre de Tariq Ali aborde aussi d’une plume précise et alerte des aspects moins traités habituellement, sa stratégie militaire ou le rôle des femmes, qui redonnent chair et psychologie au leader des bolcheviques. Entretien avec un léniniste convaincu.
Pourquoi Lénine ?
Depuis l’effondrement de l’Union soviétique, et plus tôt, dans les années 70 par la voix des intellectuels français, on a soudainement découvert les crimes de Staline et considéré que la révolution russe était un désastre complet. J’ai écrit ce livre comme un acte de résistance pour dire que nous ne pouvons pas ignorer le mouvement utopique. Ce n’est pas tant une réhabilitation de Lénine qu’une tentative de faire revivre sa mémoire. Entre 1917 et 1922, de nombreuses réformes intéressantes ont été réalisées. Les gens qui haïssent la révolution russe vont dans le même temps à une exposition sur le constructivisme à la Tate Modern de Londres, voir un film d’Eisenstein ou lire les poèmes de Maïakovski, et s’extasient de leur créativité. Ces œuvres ne sont pas accidentelles, elles émanent de la culture de la révolution russe.
Quand avez-vous lu Lénine pour la première fois ?
J’ai lu Que faire ? dans les années 60, puis de nombreux autres textes au fil des ans. Mais souvent, dans les années 60 et 70, quand une majorité d’entre nous faisions partie de formations gauchistes, Lénine et même la lecture de Lénine étaient instrumentalisés à 90 %. Nous y cherchions des citations qui pouvaient nous aider à nous battre. Nous n’avions donc jamais une image complète de Lénine comme penseur et intellectuel. Il était l’homme qui avait fait la révolution, il était admiré pour ça, mais ses écrits n’étaient pas étudiés. J’ai parlé avec beaucoup d’intellectuels et d’artistes au cours de mes nombreux voyages en Union soviétique. Une majorité d’entre eux me demandaient : «Vous avez lu Lénine ?» Constatant eux-mêmes : «Pas moi.» Ils le sacralisaient mais l’avaient rarement lu.
Pourquoi ?
C’est devenu une icône, ce qui est bien sûr une manœuvre de Staline d’utiliser son prestige sans laisser aux gens le moyen de comprendre l’esprit dans lequel il a vécu. Le Politburo a décidé de momifier sa dépouille comme un saint byzantin, de présenter son corps au public, s’inscrivant dans la tradition de l’Eglise orthodoxe. Ils ont en même temps momifié ses textes, empêchant d’avoir accès à ce qui avait été sa formation politique. Cette biographie vise à corriger beaucoup de choses, en particulier les raisons pour lesquelles ils l’ont traité comme un saint. Il était temps d’enterrer son corps et de ressusciter certaines de ses idées.
Et aussi ce qu’a été sa vie privée…
Elle n’a jamais été vraiment commentée, excepté de manière insipide. Or le discours dominant sur son couple avec Nadejda Kroupskaïa, qu’il était amoureux d’elle, c’est de la foutaise. Son histoire avec Inessa Armand a commencé ici, à Paris, et elle était très profonde. Ce n’est pas totalement un secret, mais les officiels russes ont quand même maintenu le couvercle. Les éléments sur sa relation avec Inessa se trouvaient dans des archives secrètes, certaines ont été publiées mais pas toutes, notamment une ou deux lettres très passionnées de Lénine. Aux funérailles d’Inessa en septembre 1920, selon le récit de nombreuses féministes qui y assistaient, Lénine avait l’air d’un homme brisé. Une des rares lignes directes à Moscou reliait son bureau et le salon d’Inessa. Tout le monde le savait, sa femme aussi. Quand il a été blessé après la tentative d’assassinat, il a dit à son épouse : «Elle doit être près de moi, c’est important pour moi pour me remettre sur pied.» Et ils se voyaient tous les jours.
Vous parlez des dilemmes de Lénine, mais il semble qu’il tranchait vite. C’est le cas sur la question du terrorisme…
Il savait que ce n’était pas la bonne voie. Le terrorisme en tant que tactique politique ne fonctionnait pas et était un substitut inefficace à l’action de masse. Il avait l’exemple de son frère aîné, Alexandre, aussi appelé Sacha, qui s’était impliqué à tort avec un petit groupe anarchiste alors que l’action terroriste n’était plus au goût du jour dans les années 80. Leur complot d’assassinat du tsar le 1er mars 1887 tourne court en raison de leur impréparation et de la trahison de deux de leurs membres. Sacha, qui avait seulement écrit les tracts, s’est résolu à endosser toute la responsabilité en disant au procureur de la cour : «J’ai été l’un des premiers à concevoir l’idée de former un groupe terroriste et c’est moi qui ai joué le rôle le plus actif dans l’organisation.» Sans ce geste noble, il aurait pu n’être condamné qu’à une peine de prison et pas exécuté.
C’est l’exécution de Sacha qui a radicalisé Vladimir Ilitch ?
Avant, Lénine ne s’intéressait pas autant à la politique. A l’école, il était très brillant en latin, en philosophie, et aurait pu devenir un grand latiniste. Il ne connaissait pas l’ampleur de l’engagement de son frère. Après, il est devenu obsédé par les théories qui avaient causé sa mort et leur échec. Kroupskaïa a écrit dans ses Souvenirs sur Lénine que, dans toutes les villes où ils séjournaient pendant leur exil, il allait trouver les vieux militants toujours en vie. La fin du XIXe siècle avait été une époque d’efflorescence de l’anarchisme radical. Il rencontrera plus tard Kropotkine, remonté contre «la bureaucratie bolchevique», qu’il admirait pour son ouvrage sur la Révolution française qui a formé des générations de radicaux russes.
Pourquoi ne parlait-il jamais de son frère ?
Un de ses biographes explique sa réticence à en parler en raison d’une émotion profonde et trop douloureuse. Il a ainsi recensé deux allusions seulement à Sacha dans les 55 volumes de ses œuvres. L’échec de son engagement et son exécution l’ont radicalisé sans aucun doute à bien des niveaux. C’est après qu’il a commencé à lire toute la littérature de la bibliothèque laissée par son frère.
Il affectionne entre autres Que faire ? (1863) de Nikolaï Tchernychevski. Pourquoi ce roman était-il si populaire ?
Que faire ? n’était pas lu comme un roman mais comme un testament politique, une version utopique de la vie après la révolution. Ses personnages revendiquaient des droits égaux - sociaux et sexuels - pour les femmes. C’est le livre qui a radicalisé Lénine et beaucoup d’autres. Marx est arrivé plus tard. Tourgueniev, Tolstoï et, ensuite, Nabokov l’ont catalogué avec acidité comme un roman, mais ils ont évacué son objectif premier. C’était un manifeste déguisé en roman.
Un des dilemmes de Lénine l’internationaliste sera le maintien ou non de sa relation avec le SPD allemand…
Il se sentait si proche de la social-démocratie allemande et de Rosa Luxembourg qu’il mettra du temps à décider. Il attend jusqu’à ce que le SPD soutienne la guerre pour rompre avec eux. Et encore, Lénine ne veut d’abord pas croire à la capitulation de Karl Kautsky qui va voter les crédits de la guerre en 1914. Mais à partir du moment où il comprend qu’il n’y a plus de retour en arrière possible, il rompt.
Il y a le dilemme qui suit la révolution de février et la destitution du gouvernement provisoire «bourgeois»…
Ce ne devait pas être fait par la force, à moins d’avoir un mandat. Et le mandat dépendait de qui avait la majorité dans les soviets. Avant la révolution, le vote des soviets était décisif. Et à la minute où les bolcheviques ont eu la majorité dans les soviets de Petrograd et de Moscou, là ils ont décidé que c’était le moment de prendre le pouvoir. Mais avant cela, c’était un dilemme. C’était un tacticien brillant de la révolution. Lénine a su quand faire et quand ne pas le faire.
Pourquoi consacrez-vous un chapitre à la stratégie militaire et à l’Armée rouge ?
Parce que c’est rarement débattu. Il n’y avait pas une seule étude sérieuse sur la guerre civile russe qui rétablisse la naissance utopique et innocente de la révolution d’octobre sans la tordre dans la dystopie stalinienne. Mais plus tard, l’Armée rouge a défait le IIIe Reich à Koursk et à Stalingrad, succès sans lesquels l’Europe serait tombée devant Hitler. Ce fait est de plus en plus ignoré par les historiens révisionnistes. Le soldat Ryan n’a pas gagné la guerre, c’était le soldat Ivan. Je me souviens également du début de la Chartreuse de Parme de Stendhal, une merveilleuse description de la libération de Milan par Napoléon après son triomphe au pont de Lodi. Lénine et ses généraux rouges réfléchissaient sérieusement à la libération de Berlin en 1920.
Les textes de Lénine peuvent-ils servir les contemporains ?
L’Etat et la Révolution, travail de longue haleine inachevé, est la première réelle tentative pour décrire ce que la révolution doit atteindre. Ses derniers textes courts sont une puissante dénonciation de la bureaucratisation du parti, des excuses émouvantes à la classe ouvrière pour les erreurs commises et une défense vigoureuse du droit des peuples à l’autodétermination. Les Catalans et les Ecossais pourraient en tirer profit. Son texte l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme est en partie obsolète mais toujours pertinent, car l’impérialisme continue d’exister sous le seul contrôle américain. Sept guerres ont été menées au Moyen-Orient, dans la corne de l’Afrique et en Asie du Sud. Il y a beaucoup à apprendre de Lénine.
S’il avait vécu plus longtemps, le destin de l’Union soviétique aurait pu être différent ?
Je ne suis pas seul à le penser, les historiens conservateurs Robert Service et Richard Pipes également. Peu d’historiens sérieux ne peuvent douter que, dans ce cas, la direction bolchevique n’aurait pas perdu Trotsky, Boukharine et 90 % du comité central ; que Staline aurait été destitué en tant que secrétaire général, que les plans d’industrialisation auraient été menés plus prudemment, que l’Armée rouge n’aurait pas été purgée de ses leaders les plus brillants…
Tariq Ali Les Dilemmes de Lénine. Terrorisme, guerre, empire, amour, révolution
Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Diane Meur, Sabine Wespieser Editeur, 496 pp., 25 €.