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Suicide à LIDL. Le récit du frère de Yannick Sansonetti sur son combat pour la justice et la vérité

Lien publiée le 17 octobre 2017

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.revolutionpermanente.fr/Suicide-a-LIDL-Le-recit-du-frere-de-Yannick-Sansonetti-sur-son-combat-pour-la-justice-et-la-verite

Yannick Sansonetti, 33 ans, s’est pendu le 29 mai 2015 dans une chambre froide de l’entrepôt LIDL de Rousset dans les Bouches-du-Rhône, dont il était responsable technique. Au terme d’un combat acharné de sa famille pour faire reconnaître la responsabilité de LIDL, le 1er septembre dernier, l’inspection du travail rendait des conclusions « accablantes pour l’entreprise », dénonçant « des agissements répétés de harcèlement moral à l’encontre de M. Yannick Sansonetti », une « surcharge de travail », des « propos dénigrants » et des « ordres inatteignables ».

Son frère Nicolas a décidé de sortir du silence et s’est exprimé publiquement une première fois dans le reportage Cash Investigation « Travail, ton univers impitoyable » diffusé sur France 2 le 26 septembre. Le décalage est saisissant entre le récit du frère et des collègues de Yannick, et les propos de Denis Maroldt, vice-président des relations sociales et humaines au sein de LIDL, tenant tête à Elise Lucet : « A ma connaissance, nous n’avons aucun signe avant-coureur qui nous permettait de penser qu’un drame de cette nature allait se produire ». Ces propos sont démentis à la fois par le rapport de l’inspection du travail et l’enquête d’Elise Lucet, avec une clarté révoltante. Nous avons interviewé Nicolas Sansonetti sur les deux ans de combat, encore en cours, de la famille de Yannick pour obtenir justice et vérité.

Propos recueillis par Flora Carpentier

Depuis mai 2015, toi et ta famille vous êtes battus pour faire reconnaître la responsabilité de Lidl dans le suicide de ton frère Yannick. Peux-tu nous dire où vous en êtes aujourd’hui ?

« Je vous remercie tout d’abord pour votre interview, peu de médias semblent s’intéresser au dossier, pourtant de nombreuses familles souffrent en silence comme la nôtre. Le 1er septembre dernier, l’inspection du travail des Bouches-du-Rhône a déposé ses conclusions. Elles sont très difficiles pour nous à entendre et à accepter. Selon l’enquête menée par la DIRECCTE 13, mon frère a subi depuis l’arrivée d’une nouvelle direction sur ce site, un harcèlement moral sans précédent.

Notre but depuis le décès de Yannick, n’est pas d’obtenir à n’importe quel prix une condamnation, mais de connaître la vérité, d’avoir accès à toutes les pièces du dossier et de rendre à mon frère son honneur qu’il semblait avoir perdu. Cet honneur, nous lui devons à lui pour qu’il puisse partir apaisé, mais surtout à son fils pour qu’il sache quel homme merveilleux était son Père. Ce combat que nous menons, ne nous a jamais été facilité, et nous avons dû dernièrement le rendre public pour essayer de faire avancer les choses. »

On apprend dans le reportage que c’est toi qui as retrouvé Yannick sur son lieu de travail. Peux-tu nous raconter comment ça s’est passé ?

« Tout d’abord je ne souhaite à personne de vivre ce que ma famille a vécu et vit encore et surtout d’apprendre le décès d’un proche de la même manière que moi.

Le soir du drame, la compagne de mon frère m’a contacté par téléphone, en m’informant du fait qu’elle n’avait pas de nouvelles de Yannick, qu’il restait injoignable et qu’il n’était pas allé chercher son fils chez sa nounou. Moi-même j’ai essayé de le joindre à plusieurs reprises sans succès.

Lorsque je me suis rendu chez lui, j’ai pu avoir accès à son IPad, sur lequel étaient encore ouvertes des pages sur les différentes méthodes de strangulation. J’ai malheureusement commencé à comprendre qu’une course à la montre s’engageait et qu’il ne fallait plus perdre de temps pour le retrouver. Après avoir contacté tous les hôpitaux, les forces de l’ordre et enfin son employeur la société LIDL, je me suis rendu au dépôt de LIDL à Rousset car on m’avait confirmé que sa voiture y était.

Une fois arrivé sur place, un ami m’a rejoint car j’étais en panique et affolé. Les employés de la société LIDL, ne nous ont pas pris au sérieux de suite et n’ont pas mesuré la gravité de la situation. On nous a laissés le chercher seuls, et on nous a fait comprendre que seule la productivité était importante (« On a du travail, désolé Monsieur »).

Ce n’est qu’à l’arrivée de la brigade de gendarmerie de Rousset que LIDL a pris, je pense, la mesure de la gravité de la situation ; après que nous ayons cherché en vain mon frère toute la soirée, sans l’avoir trouvé. J’ai alors vu une personne qui m’avait réconforté toute la soirée, un vigile, venir vers moi en pleurs et me dire : « je ne peux pas te le dire ». J’ai alors compris.

J’ai donc appris le suicide de Yannick, en direct et je ne souhaite à personne de vivre ce que j’ai pu vivre ce soir-là, avec l’espoir d’arriver à temps. »

Quand tu as appris le suicide de ton frère, qu’est-ce ce qui t’a fait avoir cette certitude que ses conditions de travail étaient en cause ?

« Les conditions de travail de mon frère étaient souvent un sujet de discussion lorsque l’on se voyait ou lorsque l’on échangeait par téléphone. Il se plaignait régulièrement d’un changement de cap depuis l’arrivée d’une nouvelle direction, je crois début 2014. Il avait été heureux d’être pris par LIDL en 2008, du temps de l’ancienne direction alors qu’il travaillait pour l’un de ses sous-traitants Il en parlait de manière positive. En 2014, lors d’un changement profond opéré au sein de la société LIDL, de nouvelles têtes sont arrivées avec de nouvelles méthodes. Il a vu les choses changer, les conditions de travail se dégrader.

Il nous disait régulièrement n’avoir que deux bras et deux jambes, mais faire le travail de trois personnes. Sur d’autres entrepôts, sur le même poste que lui, ils étaient trois.

Les audits étaient très réguliers et leur redondance était insupportable à ses yeux car à chaque fois, les reproches arrivaient derrière. Son travail était rendu très difficile par la vétusté des lieux : les infiltrations, inondations et incidents étaient récurrents. Un nouvel entrepôt devait voir le jour.

Bien que nous ayons été convaincus depuis son décès que ses conditions de travail étaient la cause de son suicide, nous voulons savoir, qu’on nous explique. C’est la raison pour laquelle, depuis deux ans, nous faisons toutes les démarches possibles pour obtenir l’accès à certains éléments que la société LIDL ne souhaite pas nous communiquer. Cette volonté de justice et non de condamnation, s’est confirmée avec nos dépôts de plainte avec constitution de partie civile. Sans faire un déni de justice, car nous ne connaissons pas à ce jour le jugement qui sera rendu, nous pouvons toutefois avancer le fait que beaucoup d’éléments en notre possession renforcent notre conviction. »

Quelle a été la réaction de ses collègues après le drame ?

« Nous souhaitons avant de nous exprimer sur ce point, remercier tous les employés de la société LIDL. Bien que ses obsèques aient été très difficiles à vivre, il a été important pour nous, de voir combien il était apprécié par ses collègues, de pas leur nombre, ce jour-là.

Bien que très marqué par ce que j’avais vécu le vendredi soir du drame sur l’entrepôt, je me suis rendu de nouveau à l’entrepôt, le lundi, alors que tous les salariés étaient sous le choc et que l’entrepôt ne tournait pas. Yannick devait être enterré le mercredi. Je suis allé à la rencontre de tous les salariés présents pour les remercier de leur soutien et leur montrer que malgré le drame que ma famille venait de traverser, nous étions encore debout et que nous serions derrière eux pour que les choses changent désormais. Ils ont tous été d’un soutien sans faille et nous les en remercions.

C’est à ce moment que ma famille et moi-même avons pu nous rendre compte de la souffrance de chacun, par les pleurs, les discussions que j’ai eu ce jour-là avec pas mal d’entre eux. Ils étaient perdus, ébahis, sans âme, sous le choc et ils ne comprenaient pas. Ce jour-là, nous avons pris conscience de la gravité de la situation dans la société LIDL et plus particulièrement sur l’entrepôt de Rousset. Les salariés n’ont pas souhaité travailler jusqu’à l’enterrement, et je pense que tous simplement, ils ne le pouvaient pas. L’abattage médiatique qu’ils ont vécu et que nous avons vécu, n’était pas non plus facile à gérer et à accepter. »

Quels sont les obstacles que vous rencontrez dans votre combat pour obtenir justice et vérité ?

« Les obstacles pour obtenir justice et la vérité sur ce drame ont été nombreux et à tous les niveaux. Nous avons d’une part engagé une procédure auprès du tribunal de sécurité sociale de Marseille, en vue d’obtenir une reconnaissance de la faute inexcusable de la société LIDL. Nous nous sommes également portés partie civile dans le volet pénal qui est suivi par le parquet d’Aix en Provence.

Les obstacles ont été nombreux, les courriers que nous faisons souvent au parquet, ne trouvent pas souvent de réponse. L’accès au dossier ne nous est pas facilité et c’est un véritable parcours du combattant.

Après le décès de Yannick, la société LIDL a répondu dans un premier temps à nos sollicitations pour que l’on obtienne le dossier salarial, nécessaire au règlement de sa succession. Dans un second temps, dès que nous avons commencé à demander certains éléments, ils ont refusé de communiquer avec nous, et nous ont fait part de leur refus par courrier. Cette volonté de leur part, de mettre fin à leur collaboration, a été confirmée lorsque le bureau d’étude Cateis a rendu son rapport demandé par les membres du CHSCT en réunion. Malgré nos demandes officielles et le fait que LIDL ait répondu à ce rapport dans un courrier adressé aux membres du CHSCT, LIDL a toujours refusé de nous le communiquer, arguant qu’il s’agissait d’un rapport interne. Toutes nos demandes pour les autres éléments du dossier ont elles aussi été refusées. Nous avons également demandé à avoir accès une dernière fois au local, lieu du drame. LIDL n’a jamais répondu.

Dernièrement, malgré les conclusions de l’inspection du travail, qui mettent en cause clairement LIDL, on nous répond qu’une enquête est en cours, et qu’ils ne peuvent pas nous répondre. Rien ne nous est épargné à ce niveau-là, et LIDL ne fait rien pour nous faciliter les choses. Ce combat est un combat de tous les jours pour lequel énormément d’énergie est nécessaire, mais nous nous devons de le mener jusqu’à son terme pour la mémoire de Yannick.

Quelles conclusions tirez-vous du rapport de l’inspection du travail et quelles sont les conséquences pour Lidl ?

Le rapport est très difficile à lire, à accepter sans que l’on ait une pensée pour ce qu’a pu vivre Yannick. Ses conclusions sont très symptomatiques de l’état dans lequel se trouvent de nombreux salariés et pas seulement chez LIDL. Il est rare de voir dans la jurisprudence salariale de telles conclusions. Je pense que ce sont les premières en France qui vont aussi loin. Cela confirme la position prise par la sécurité sociale en reconnaissant l’accident de travail immédiatement après le décès de Yannick, ainsi que les conclusions du rapport sur les risques psycho-sociaux chez LIDL Rousset établi par Cateis.

Les conséquences pour LIDL sont immédiates. Déjà d’un point de vue médiatique, car les conclusions ont été rendues publiques, mais aussi d’un point de vue juridique. Le parquet vient de nommer un juge d’instruction sur ce dossier pénal, et ce dès le dépôt des conclusions de l’inspection du travail. Il y a donc aujourd’hui beaucoup de chances qu’il y ait un procès au pénal pour Yannick.

Par ailleurs, notre famille ne se bat pas pour obtenir des réparations pécuniaires, même si ce sera sûrement le cas, mais pour qu’une réponse judiciaire soit donnée à nos demandes. Nous voulons qu’une jurisprudence naisse, suite au procès de Yannick, pour toutes ces familles qui souffrent comme les nôtres. »

Le reportage met en lumière la souffrance au travail vécue par ton frère mais aussi dans d’autres magasins Lidl, à Free… pour toi ce sont des cas isolés ou le problème est plus large ?

« Nous souhaitons tout d’abord remercier très sincèrement Sophie Le Gall, qui a pris le temps de nous écouter, nous aider et nous comprendre. Pour ma part, je ne souhaitais pas m’exprimer dans ce reportage, mais elle a su me convaincre et je ne trouve pas assez de mots pour la remercier. Dans la vie on fait de belles rencontres, et je pense qu’elle en fait partie.

Ce reportage est encore une fois très symptomatique de la souffrance au travail. Il a pris l’exemple de deux sociétés qui connaissent un succès retentissant en France, pour montrer l’envers du décor et le prix de la réussite industrielle. Et ce n’est pas le cas que dans ces deux sociétés : pour avoir discuté énormément avec des salariés de la grande distribution, on retrouve cette souffrance dans toutes les enseignes, avec différents degrés, mais de partout. Connaissant un autre milieu professionnel que celui de la grande distribution, et très intéressé par ce sujet, je peux même dire que ce ressenti se retrouve dans toutes les sociétés et parfois même là où l’on ne s’en doute pas, comme les services publics.

La productivité est mise en avant, au détriment de l’être humain, en cassant des familles entières. Les cas de burn-out sont de plus en plus nombreux. Les suicides, insupportables pour ma famille, sont trop présents au travail. »

Quel message souhaites-tu porter aux travailleurs qui souffrent de mauvaises conditions de travail ?

« Le message que je souhaite faire passer, est un message clair et qui touche tous les salariés de France. Nous devons travailler pour vivre et non vivre pour travailler. Le travail n’est pas une fin en soi, et ne doit pas être la cause de drames tels qu’on peut les voir. Une prise de conscience collective doit voir le jour, et chacun doit prendre conscience de ce mal qui nous détruit tous les jours. Nous devons prendre notre destin en main et faire changer les choses. Rome ne s’est pas fait en un jour, seul nous ne sommes pas grand-chose mais ensemble et avec une prise en compte de tout ce que l’on voit, ce que l’on vit, on ne peut plus laisser la situation perdurer.

La reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle doit passer par une loi. Cela doit devenir une priorité nationale, pour toutes ces familles qui souffrent, pour toutes les personnes qui sont touchées par cette maladie. Ce n’est que grâce à la mobilisation de chacun, que cela sera possible. J’ai d’ailleurs lancé une pétition en ligne sur ce sujet, qui recueille à ce jour plus de 1400 signatures. J’invite tout le monde à en prendre connaissance et à la signer. »

Où en êtes-vous aujourd’hui dans votre lutte ? Pensez-vous qu’elle doit aller plus loin ?

« A ce jour, la sécurité sociale a reconnu l’accident de travail, l’inspection du travail a déposé ses conclusions. Au niveau de la procédure pénale, un juge d’instruction vient d’être nommé par le Procureur de la République suite au dépôt des conclusions de l’inspection du travail. Au niveau de la procédure civile, une prochaine audience statuera sur le dossier au tribunal de sécurité sociale sur la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.

Nous n’abandonnerons jamais notre combat mais ce dernier va désormais au-delà des simples procédures judiciaires en cours. Nous souhaitons nous battre pour obtenir une loi sur la reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle. Nous le devons à mon frère, car c’était un homme merveilleux, un papa merveilleux, un fils merveilleux, un petit fils merveilleux, un compagnon merveilleux, et un frère exceptionnel. Nous devons lui rendre son honneur et sa mort doit servir et ne pas rester vaine. Son geste doit être un déclencheur pour qu’une prise de conscience ait lieu. Nous le devons à toutes ces familles en souffrance, déchirées par cette maladie, par les suicides, par les séparations causées par le travail. »

Quel est ton souhait le plus cher aujourd’hui ?

« Mon souhait le plus cher serait de revenir en arrière et de pouvoir dire à mon frère combien je l’aime et combien je pense à lui, mais cela n’est pas possible. Je souhaite donc que la justice passe, le plus rapidement possible pour qu’il puisse enfin partir en paix. Je souhaite également qu’une loi sur le burn-out voie le jour pour que les choses changent. »

A quelques jours du suicide de Yannick en 2015, nous écrivions que sa mort « n’est pas un simple acte de souffrance subjective mais démontre plutôt toute une logique propre au capitalisme ». Nous publions cette interview avec cette certitude renouvelée que c’est au nom du combat pour nos vies que nous devons lutter contre ce système d’oppression et d’exploitation.