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Maison de retraite en lutte

santé

Lien publiée le 24 octobre 2017

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://blogs.mediapart.fr/yves-faucoup/blog/201017/maison-de-retraite-en-lutte

Les maisons de retraite sont sur la sellette, avec plusieurs grèves, dont celle de Foucherans dans le Jura qui a fait du bruit. Près de Toulouse, à Rouffiac, le personnel de La Chênaie a engagé un bras de fer avec la société Omega qui gère plusieurs établissements privés. Le personnel a obtenu quelques avancées.

Les Ehpad (établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, 7 700 en France) ne ressemblent plus aux maisons de retraite d'antan dans lesquelles entraient vers 70 ans des personnes âgées valides mais ne pouvant rester isolées. Aujourd'hui, ce sont des établissements médicalisés, du fait du vieillissement de la population et de l'entrée bien plus tardive en établissement (à plus de 80 ans, si ce n'est pas Alzheimer ce sont des handicaps qui ne permettent plus de rester chez soi). C'est devenu un marché considérable avec des tarifs qui vont de 2000 à 5000 euros, pour 600 000 personnes accueillies, soit entre 25 et 30 milliards d'euros. Ce ne sont plus seulement des établissements publics ou non lucratifs mais aussi des sociétés privées (très) lucratives (Korian, Opalines, Orpéa, Domus-Vi, Omega) qui investissent ce secteur, mesurant combien il y a de bénéfices à encaisser.

Si cette privatisation peut s'expliquer par le fait que la partie hébergement des séjours est assumé financièrement par le pensionnaire lui-même, les dépenses de santé et celles de dépendance sont assurées respectivement par la Sécurité sociale et le Département. J'ajoute que lorsqu'une personne âgée ne peut payer totalement la mensualité, si elle n'a pas d'obligés alimentaires pour prendre en charge la facture, l'Aide Sociale (Département) relaie, mesure d'assistance qui n'est pas à perte pour les pouvoirs publics puisque les sommes ainsi avancées sont récupérées sur la succession.

Le fait même d'avoir atteint un grand âge, d'avoir une santé déficiente et de ne plus vivre à son domicile, nécessite de la part des soignants (personnel médical, infirmier, aides soignants, auxiliaires de vie, agents des services hospitaliers dits ASH) une extrême attention, du temps pour effectuer des actes simples, de la considération envers des êtres humains souvent plongés dans leur passé, préoccupés pour leurs proches, éventuellement malades et redoutant parfois la mort. C'est ce qui manque le plus souvent aujourd'hui tellement les principes de rigueur budgétaire sont omniprésents. Les directions embauchent des personnels peu formés, non seulement pour faire des économies, mais aussi parce qu'elles espèrent que l'aubaine d'avoir un emploi contraindra ces agents à être dociles, à tolérer non seulement des conditions de travail écrasantes mais aussi des conditions d'accueil des pensionnaires non-conformes aux grands principes affichés.

Sauf que les personnels se rebiffent. On a beaucoup parlé avant l'été des Opalines, à Foucherans dans le Jura qui ont mené une grève de 117 jours, d'avril à juillet 2017. Leur cas, que Florence Aubenas a contribué à faire connaître par un grand article dans Le Monde, est venu jusqu'à l'Assemblée nationale grâce à une députée de la France Insoumise, Caroline Fiat, elle-même de formation aide-soignante.

Le vent se lève...

Aujourd'hui partout en France, ça bouge dans les Ehpad : Chatenay-Malabry, Lyon, Angers, Saint-Brieuc, Noyon, Paimboeuf, Echillais (Charente-Maritime), Saint-Just-Saint-Rambert (Loire). Et près de Toulouse, La Chênaie à Rouffiac-Tolosan. Le propriétaire et directeur-général est Jacques Dellard, qui possède, avec son groupe Omega, 17 autres établissements (en Occitanie, en Nouvelle Aquitaine et en Espagne). La Chênaie, qui est le premier établissement qu'il a acquis, compte 66 résidents et 46 salariés (dont 5 infirmières, 20 aides-soignantes ou auxiliaires de vie, 16 ASH). L'effectif est bien maintenu en dessous de 50 ce qui évite un comité d'entreprise. Au demeurant, selon l'Agence régionale de santé (ARS), le ratio d'encadrement (personnel/pensionnaires) est conforme aux normes (0,69). Il correspond à un établissement ayant un taux de dépendance élevé : GMP à 700 (1). Sauf que La Chênaie a un fort taux de dépendance (814). Les (14) résidents relevant d'Alzheimer ou maladies assimilées sont dans un secteur fermé (appelé ailleurs Cantou) avec un encadrement correct (3 agents).

Pour le reste de l'établissement, dans l'Unité générale, l'organisation du travail fait que, seuls six agents le jour ont en charge 54 personnes, chaque professionnelle doit assurer les toilettes de 13 résidents en 3h30, alors même que certains  sont très dépendants. Un tel rythme ne permet pas d'être attentif à la personne, elle se sent alors forcément bousculée. La situation s'est aggravée lorsqu'en avril dernier deux postes d'agents d'accompagnement venant aider à la toilette ont été supprimés. Une employée m'a confié : "on a perdu tout relationnel avec les résidents". Les familles supportent mal les conditions de vie de leurs proches résidents, obligées bien souvent de mettre la main à la pâte, agacées de ne pas voir venir un soignant quand elles l'appellent, mais elles en font grief à la direction. Elles sont plutôt conciliantes avec les salariées, conscientes qu'on leur impose des cadences infernales et qu'elles sont à bout de souffle.

Grévistes de La Chênaie à Rouffiac-Tolosan [Photo DR pour ce blog]Grévistes de La Chênaie à Rouffiac-Tolosan [Photo DR pour ce blog]

Ne supportant plus de travailler dans de telles conditions, plusieurs de ces salariés se sont mis en grève le 11 octobre, avec le soutien de la CGT. Comme il est classique, c'est alors l'occasion de faire remonter tout ce qui couve depuis longtemps et qui ne pouvait être exprimé. La question de la sécurité dans les bâtiments est posée (risque d'intrusion de jour comme de nuit, réfectoire trop petit : pour 14 résidents dont 13 dans des fauteuils roulants coquille, imposants, dans un espace d'environ 20 m²). Les grévistes demandent également le recrutement d'un infirmier de nuit, le retour des deux agents d'accompagnement, la revalorisation des salaires des aides-soignants (par une augmentation de 15 %), la mise en place d'un groupe de parole, des formations (2), la subrogation du salaire en cas de maladie (actuellement le salarié malade doit attendre les IJ de la Sécurité sociale, l'employeur ne fait pas l'avance alors que c'est le cas le plus souvent pour les salariés mensualisés), l'indemnisation des journées de grève (compte tenu de la pertinence des revendications), un 13ème mois et une prime de pénibilité de 300 €.

[Photo DR pour "Social en question"][Photo DR pour "Social en question"]

A tout cela, la direction générale a quasiment opposé une fin de non recevoir. Certes, elle a concédé deux primes qui n'étaient pas expressément demandées (prime de Noël et prime exceptionnelle de 150 € pour dédommagement des complications provoquées par des travaux d'extension), l'aménagement du réfectoire, la sécurisation des bâtiments (digicode), les groupes de parole sur les risques professionnels, la réorganisation des toilettes du matin, l'éventuelle aménagement de l'amplitude horaire qui est de 13 heures pour 10 travaillées et payées et enfin la subrogation (essai sur un an). Mais, malgré les propositions à la baisse faites par les salariés avec une prime pénibilité ramenée à 50 €, la direction n'accepte que 25 € ! Le 13ème mois, refusé, l'augmentation de 15% refusée. Si le personnel accepte les primes ponctuelles, il refuse un dernier recul sur la prime de pénibilité. Il importe ici de dire que la plupart des salaires sont au niveau du Smic stricto sensu : les primes à l'ancienneté sont dérisoires. Et évidemment, l'expérience antérieure, y compris dans le même secteur, n'est pas prise en compte.

[Photo DR pour "Social en question"][Photo DR pour "Social en question"]

Le personnel constitue une équipe soudée, solidaire, même si tout le monde n'est pas en grève (seulement 10 à 15, mais le 17 octobre l'entièreté du personnel a fait grève pendant deux heures). Il s'agit surtout de femmes, certaines vivant seules avec enfants. La peur de perdre du salaire ou son emploi tenaille. Mais toutes soutiennent moralement les grévistes. Pour faire face, la direction a fait venir quelques salariés de ses autres établissements, dont plusieurs d'Espagne (Valence), arrivés dans la nuit de mardi à mercredi avec leur voiture personnelle et leur méconnaissance de la langue française ! Une manifestation a eu lieu à Toulouse le 19 octobre. La Préfecture a reçu les grévistes et le secrétaire général a pris note des doléances.

Le danger pour l'employeur ce serait une convergence des luttes. Déjà, un Ehpad du groupe, en Dordogne, pourrait bouger, les salariés constatant qu'ils ont à peu près les mêmes revendications. La direction redoute la tache d'huile. C'est pourquoi le fils du DG, Sylvain Dellard (car c'est une entreprise familiale, le père, sa compagne et le fils), face à la demande des salariés de recourir à un négociateur externe, est venu en catastrophe ce vendredi alors que tout était bloqué autour de ce refus d'accepter une prime pénibilité à 50 €. Finalement, il a accepté, outre ce qui avait été déjà accordé, une prime de pénibilité de 30 € bruts, faisant un effort, incommensurable pour lui, d'augmenter sa proposition initiale de... 5 € ! Et le paiement de deux jours de grève.

Les secrets d'un gros business

France 3 diffusait hier soir dans l'émission Pièces à conviction un documentaire : Maisons de retraite : les secrets d'un gros business. Il portait principalement sur les économies drastiques réalisées dans les structures privées lucratives sur la nourriture : 4,35 € par jour et par pensionnaire chez Korian ! Un cuisinier d'un établissement public témoigne qu'il dispose de 6 € par jour et qu'il serait incapable de confectionner un menu à 4,35 € (pourtant le prix de journée est de 150 € chez Korian, de 61 € dans le public). Certaines n'y consacrent que 3,90 €, et même 3,65 à Foucherans ! On imagine les bénéfices réalisés au détriment de la santé des pensionnaires, car cette insuffisance de la qualité alimentaire a un impact sanitaire évident (Que choisir ? a, dans une étude publiée en 2015, montré que 38 % des résidents souffraient de dénutrition, avec insuffisance de produits laitiers et de fruits, sans parler d'horaires de repas décalés).

Document Pièces à convictionDocument Pièces à conviction

Le documentaire était suivi d'un débat où il a été rappelé la victoire des "Foucherans" : une prime exceptionnelle de 450 € et la création de deux postes d'aides-soignantes. Anne-Sophie Pelletier, ayant participé à la lutte et présente sur le plateau, considérait que ce n'était pas suffisant : "on ne peut consacrer du temps aux personnes âgées, on est réduit à la technicité. Il importe d'accompagner de façon individualisée et dans la dignité". Agnès Buzyn, ministre, a tenté d'expliquer qu'elle prévoyait de réformer la tarification, et, étrangement, peut-être emportée par son élan, semblait vouloir restreindre le secteur privé (à voir à l'usage). Elle semblait quelque peu gênée aux entournures, invoquant le fait qu'elle n'est pas en poste depuis longtemps. Elle a désapprouvé que des femmes de ménage puissent être sollicitées pour effectuer des soins, mais paraissait plus axée sur les questions de santé, que sur les conditions de vie (3).

Anne-Sophie Pelletier, les larmes aux yeux, insistait sur le fait que "les soignants font preuve d'un dévouement sans limites", implorant la ministre de créer des postes supplémentaires. Dans le documentaire, très émouvante, elle disait : "qu'est-ce qu'on leur offre comme fin de vie à ces résidents ? C'est juste plus possible, c'est juste plus moral". Agnès Buzyn a laissé entendre qu'en tant que "fille et petite-fille", elle sait ce qu'il en est : "nous sommes tous concernés", déroulant pour l'animatrice, Virna Sacchi, son programme : bienveillance et bientraitance, qualité des soins, transparence sur les tarifs, formations et ouverture des carrières (actuellement trop bouchées).

Il est vrai que nous sommes tous concernés. Pour avoir entendu ce que disent les grévistes de Rouffiac, pour avoir vu précisément des aides-soignantes et auxiliaires de vie à l'œuvre dans leurs fonctions, leur humanité, leur dévouement, pour avoir eu de nombreux échos d'une réalité que notre société cherche plutôt à dissimuler (aucune allusion pendant la campagne présidentielle), je pense qu'il importe que les politiques se penchent sérieusement sur cette réalité terrible qui, soyons réalistes, est notre devenir à tous. Afin que ces petites mains des maisons de retraite, mal payées, confrontées à des conditions de travail éprouvantes, soient enfin prises en considération. Dans l'intérêt même des personnes âgées résidentes.

[Photo France 3 Occitanie][Photo France 3 Occitanie]

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(1) La dépendance est évaluée selon 6 GIR, de 1 (très dépendant) à 6. Le GMP est le GIR moyen pondéré permettant d'évaluer l'importance de la dépendance au sein d'un établissement. En général, c'est dans les établissements publics qu'il est le plus élevé.

(2) La direction parle d'aides-soignantes, alors qu'il s'agit le plus souvent d'auxiliaires de vie, ou carrément de personnes n'ayant aucun diplôme, et faisant fonction. Sans que l'on sache si l'ARS cautionne, y compris financièrement, ces anomalies.

(3) Elle a relevé que 10 % des personnes âgées sont en Ehpad, les autres sont à domicile (avec des dispositifs d'accompagnement censés éviter ou retarder justement l'entrée en Ehpad). Ce maintien à domicile est un autre problème tout aussi important méritant une attention particulière des pouvoirs publics et certainement insuffisamment pris en compte malgré l'ampleur du problème : selon La lettre de l'Odas (Observatoire nationale de l'Action Sociale), 716 750 bénéficient de l'Allocation personnalisée d'autonome (APA) à domicile en 2015, avec cette année-là une très légère baisse due à des limitations des plans d'aide par les Départements devant restreindre leurs dépenses sociales, alors même que les besoins ne cessent augmenter.

 . Hôpital public (Ehpad) de Gimont (Gers) :

Vendredi 20 octobre, un accord a été conclu entre la direction, assistée du représentant de l'ARS, et les représentants (CGT, FO et Sud) du personnel qui avait mené une action soutenue sur deux jours (provoquant l'arrêt de travail de la directrice qui avait invoqué son droit au retrait, ne supportant pas les pancartes qui la mettaient en cause). Les agents avaient de nombreuses revendications, dont les mauvaises conditions de travail qui font que plusieurs d'entre eux sont en arrêt maladie : deux soignants pour 24 patients, et une infirmière pour 98 résidents. 

Billet n° 349

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