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Travailleurs détachés: «Le principe à travail égal salaire égal est toujours violé»
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Par Gérard Filoche
Emmanuel Macron tenait absolument à faire semblant de faire quelque chose contre l’infâme directive de l’Union européenne dite des «travailleurs détachés». Même Manuel Valls, en septembre 2016, avait menacé de la dénoncer unilatéralement, c’est dire.
C’est une directive totalement discriminatoire en ce qu’elle permet à des patrons français, du bâtiment notamment, d’utiliser entre 350’000 à 450’000 travailleurs venus de différents pays d’Europe en les payant 15, 20, 25 ou 30% moins cher, ici, que leurs confrères français qui sont sur les mêmes postes de travail. C’est une énorme mine d’or pour le patronat français qui les utilise ainsi de façon discriminatoire: sur 400’000, 25% d’économie sur les cotisations sociales, c’est l’équivalent de 100’000 salariés gratuits.
On pouvait donc deviner d’avance que Macron n’allait s’agiter que sur les aspects superficiels de la discrimination, c’est ce qu’il a fait:
1°.- Il aurait obtenu que les salaires nets soient payés conformément aux conventions collectives en vigueur, primes incluses. En voila une porte ouverte enfoncée! Mais légalement, cela aurait déjà dû être le cas. On sait que le patronat en profitait pour ne pas respecter les différents niveaux de salaire qualifiés de ces conventions, mais c’était une fraude. Bien, il va lui être demandé de ne plus frauder. C’est présenté comme une avancée.
2°.- Le détachement va être limité à 12 mois, et c’est présenté comme une victoire, malgré le fait qu’il puisse y avoir une «dérogation possible pour 6 mois de plus». Là c’est carrément ridicule: qui va contrôler et accorder la dérogation, sur quels critères et à quoi sert-elle sachant qu’on nous explique, par ailleurs, que la moyenne réelle des détachements serait de 40 jours, et presque toujours inférieure à 4 mois. Que veut Macron? Des CDD successifs plus longs et plus fréquents allant jusqu’à 18 mois? Il est certain que si le patronat français du bâtiment y parvient il se fera un plaisir de faire durer des contrats aussi avantageux pendant 18 mois.
3°.- Il y aura une période de 4 ans, à partir de l’an prochain, pour faire entrer en vigueur ce nouveau texte… soit 2022! C’est dire que rien ne change. Le principe «à travail égal salaire égal» est toujours violé. La discrimination continue sur le non-paiement – au taux du pays où l’on travaille – des cotisations sociales: d’ailleurs comme Macron a l’intention de supprimer ces cotisations sociales en France (chômage et maladie) à partir du 1er janvier prochain, c’est tout sauf une surprise.
La Hongrie, la Lituanie, la Lettonie et la Pologne ont même refusé de soutenir ce médiocre accord, tandis que l’Irlande et la Croatie se sont abstenues faisant état des conséquences négatives – pour le patronat – de cette éventuelle révision sur les entreprises de transport. Lesquelles sont donc exclues même d’un si mauvais accord. Des dizaines de milliers de camionneurs vont continuer d’aller de Varsovie à Lisbonne et de Milan à Amsterdam, de Sofia à Bordeaux, de Riga au Havre, sans aucun contrôle, aucun horaire, à raison de 200 euros de «salaire» par mois. Cela viole toutes les règles du travail, de la concurrence, et fait courir des risques énormes (accidents et pollution) sur les routes en accentuant délibérément un chômage de masse dans la profession.
Les transports sont certes cités dans le compromis final, mais continuent à relever de la directive de 1996 jusqu’à l’adoption d’une loi spécifique, en cours de négociation… c’est-à-dire «à la Saint-Glinglin». En France, la loi sur les transports de 2016, dite loi Macron, a réaffirmé la garantie évidente aux routiers détachés du bénéfice du droit social français et notamment du salaire minimum: mais qui s’en occupe? Qui contrôle? Qui sanctionne? Personne.
Si l’on se donnait les moyens de contrôle et de sanction en faisant respecter un maximum de 56 heures tout compris (astreintes incluses) par semaine, et des salaires nets décents avec cotisations décentes, il a été calculé que cela ferait 40’000 emplois du jour au lendemain dans le transport pour le même volume de fret. Mais les sociétés concernées feraient moins de marges.
Macron se moque de nous en saluant «un accord ambitieux»: «L’Europe avance, je salue l’accord ambitieux sur le travail détaché: plus de protections, moins de fraudes».
Menteur: il n’y aura pas plus de protections et toujours autant de fraudes!
Muriel Pénicaud parle de «la première victoire de la refondation de l’Europe (sic) voulue par le président de la République, dans une conception où l’Europe, pour être acceptable pour ses citoyens, pour être forte, doit protéger, doit avoir une dimension sociale à côté de sa dimension économique». «La première avancée de ce texte, qui est fondamentale, c’est à travail égal, salaire égal sur un même lieu de travail», a-t-elle le culot de souligner.
C’est faux. C’est mensonge. Il n’y aura pas salaire égal à travail égal. Les salaires bruts restent payés, en théorie quand ils le sont (et qui peut savoir s’ils le sont? aucun contrôle réel n’existe), au taux du pays d’origine. A part confirmer qu’il faut condamner les évidentes fausses domiciliations, rien n’a été décidé pour interdire les doubles ou triples niveaux de sous-traitance, pas plus en Europe qu’en France.
On nous dit qu’il y aurait 2,05 millions de travailleurs détachés dans l’Union européenne en 2015, soit une augmentation de 41,3% par rapport à 2010.
La Pologne se classerait comme le premier pays d’origine avec 463’000 salariés détachés dans d’autres pays de l’UE. L’Allemagne et la France seraient, de leur côté, les deux premiers pays destinataires avec respectivement 419’000 et 178’000 travailleurs reçus.
Mais ces chiffres officiels sont contestables; en 2013, Michel Sapin concédait un chiffre de 250’000 à 350’000 travailleurs détachés en France et admettait que c’était une estimation basse.
Depuis cela n’a pu qu’augmenter, tellement c’est juteux pour les patrons français, et on commence à trouver ce type de sous-salarié·e·s dans tous les secteurs (agriculture, restauration, transports, services, maisons de retraite…) et pas seulement dans le bâtiment. En plus des routiers, on a maintenant des camionnettes qui font le cabotage final. Ce ne sont évidemment pas les 1600 agents de contrôle de l’inspection du travail qui ont les moyens de contrôler si les cotisations sociales sont payées à Budapest ou Bucarest!
Mettre en concurrence sur notre sol, sur les mêmes postes de travail, des salarié·e·s français à cotisations sociales françaises, avec des salarié·e·s à cotisations bulgares, estoniennes ou polonaises, reste un pur scandale discriminatoire avec une portée politique et sociale fortement négative contre l’Union européenne qui le permet.
On nous dit que la France en «bénéficierait» en ce qu’elle exporte elle-même 200’000 travailleurs détachés et qu’elle serait le 3e pays à le faire. Redisons-le: c’est tout autant discriminatoire envers les salariés concernés. Mais cela ne rapporte que peu de bénéfices à ces patrons sauf à ceux qui arrivent à imposer ces baisses de salaires bruts à leurs salariés. Dans tous les cas, seuls les patrons profitent de ce dumping social. Et ce n’est pas si facile d’expédier, avec leur accord participatif, des travailleurs français à l’étranger, avec des taux plus bas qu’ici: la preuve en est que quand une entreprise française externalise des salariés dans d’autres pays, le plus souvent il y a une négociation interne pour garantir par accord à ces «expats» temporaires, le maintien… de leurs cotisations sociales françaises. (Blog de G. Filoche, mardi 24 octobre 2017)