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Venezuela. Pourquoi le chavisme a-t-il gagné à nouveau?
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Par Manuel Sutherland
Le dimanche passé 15 octobre a été un jour très spécial au Venezuela. Contre presque tous les pronostics, l’«officialiste» Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV) a obtenu un triomphe confortable lors des élections de gouverneur des 23 Etats vénézuéliens, envoyant ainsi l’opposition au tapis. Sur fond de crise économique la plus forte de l’histoire moderne du pays, le gouvernement a pu porter un coup dur au moral de l’opposition qui assurait représenter le 85% de l’électorat [selon les sondages], mais n’a obtenu que 18 des 23 postes en jeu. Complètement assommés, les gouvernements des Etats-Unis, d’Espagne, d’Argentine et d’autre pays hostiles au chavisme, ont déclaré l’élection inaccomplie et ont victimisé les vaincus. Il conviendrait de se demander comment, pourquoi et quand s’est développée une défaite si inattendue de la «communauté internationale» anti-chaviste et quelles sont les perspectives pour un futur immédiat qui s’annonce difficile pour tous ceux qui s’affrontent au gouvernement.
L’olympique négation par l’Etat de la pire crise économique de l’histoire
Toute opposition dans le monde rêverait d’être en compétition électorale contre un gouvernement dont les résultats économiques sont si catastrophiques. Ce gouvernement a cela de particulier qu’il nie la crise et insiste pour voir tout ce qui lui arrive comme une série de conspirations visant à saboter le gouvernement qui lutte contre une «guerre économique» mondiale. Ses porte-parole idéologiques disent (textuellement): «Nous le répétons: nous ne nous trouvons pas face à une crise économique.»
Malheureusement pour nous qui vivons au Venezuela, il est nécessaire de dire que sur quatre années consécutives le pays présentera l’inflation la plus élevée du monde. Les chiffres ne sont pas encore publiés, mais elle est estimée à environ 400% à la fin du premier semestre de l’année 2017. En 2015, elle a été officiellement de 181% et en 2016 on l’a estimée à 274%. Le déficit budgétaire est de deux chiffres pour la sixième année consécutive, le risque pays élaboré par JP Morgan est le plus élevé du globe avec 3.193 points, la quantité de réserves internationales est au point le plus bas depuis 20 ans et nous assistons à une pénurie énorme de biens et de services essentiels tels que les aliments et les médicaments. La chute du PIB qui s’est produite entre l’année 2012 et l’année 2016 est de 20,2%. Les estimations les plus conservatrices nous conduisent à penser que le PIB per capita pour 2017 sera aussi bas que celui de 1961. Les chiffres sont si négatifs et écrasants que le gouvernement a refusé de les publier depuis le troisième trimestre de 2015. De toute son histoire, l’économie du Venezuela n’avait jamais reculé durant plus de deux années consécutives, mais à l’heure qu’il est, on peut dire avec certitude que nous avons derrière nous 4 années de décroissance.
Des élections surprise dans une économie ruinée
Les élections qui se sont déroulées il y a quelques jours devaient avoir lieu, selon la Constitution, en décembre 2016. Leur report a généré de fortes critiques de la part de l’opposition. Il y a quelques mois, le Conseil national électoral (CNE) a finalement annoncé que les élections se dérouleraient en décembre 2017 et qu’on «célébrerait» les élections pour une Assemblée nationale constituante (ANC) le 30 juillet. Celles-ci se sont déroulées contre vents et marées et, face au refus de l’opposition d’y participer, le gouvernement a obtenu une victoire molle dans ce qui ressemblait plus à une élection interne du Grand pôle patriotique (GPP), au pouvoir qu’à une élection générale.
L’ANC, ou «peacemaker» comme l’appellent les chavistes qui aiment les westerns, est parvenue à mettre complètement en échec le mouvement insurrectionnel d’opposition, lui qui a occupé pendant presque quatre mois les rues pour tenter de renverser le président Nicolás Maduro par toutes sortes de stratégies, par moments similaires à celles du Printemps arabe et des «révolutions de couleur» [Géorgie, Ukraine, etc.]. Les mobilisations massives et pacifiques n’ont finalement été qu’une sorte d’«aventure golpiste» pour un secteur de l’opposition qui a pu compter sur un financement flagrant de la part des Etats-Unis et de la Colombie, avant que tout se solde par une défaite transcendantale qui a vidé les rues de Caracas.
C’est ainsi que dans les instants merveilleux du triomphe partagé avec l’ANC, et cela malgré les questionnements sur son élection, le gouvernement a décidé d’anticiper les élections régionales qui avaient été reportées dans l’idée de maintenir vive la flamme du chavisme de base qui appuie inconditionnellement un gouvernement qu’il considère comme sien.
Ni stupide ni paresseux, le Conseil national électoral (CNE) a donc procédé à une anticipation des élections avec une rapidité contrastant avec le temps qu’il avait pris pour vérifier les signatures remises par l’opposition en 2016. C’est ainsi que le CNE a organisé à toute vitesse des élections en profitant de ce moment politique si favorable au gouvernement. Dans de telles circonstances, la campagne électorale en elle-même a duré environ deux semaines et il n’est resté d’autre solution à l’opposition dans son ensemble que de participer à tout cela et d’organiser des élections primaires précipitées pour élire ses candidats.
Si l’on en croit les propagandes qu’eux-mêmes construisent et les enquêteurs qu’eux-mêmes paient, la Table de l’unité démocratique (MUD – Mesa de la unidad democrática]) pensait pouvoir obtenir le 90% des postes de gouverneur, malgré le favoritisme et l’usage obscène (on pourrait même dire pornographique) des ressources de l’Etat de la part du PSUV. Avec une superbe à toute épreuve, l’opposition a traité avec mépris les outils fondamentaux du gouvernement, à savoir une triade composée de:
- La machine électorale bien graissée du PSUV par une distribution sans vergogne de prébendes clientélistes,
- La petite machine à imprimer de l’argent «inoganique» [dans le sens qui ne dispose d’aucun collatéral effectif, par exemple dans la production du pays] tout à fait acceptée (l’augmentation de la base monétaire émise par la Banque centrale du Venezuela (BCV) pour la période allant de 1999 à juin 2017 a été de 331’131,39%, soit une augmentation de 3311 fois.)
- Le report de l’ajustement macroéconomique et le maintien du subside de 99,99% sur le prix de l’essence, du transport, de l’eau etc. qui aujourd’hui sont quasi gratuits (un œuf équivaut à trois ou quatre pleins d’essence de la voiture d’un particulier).
Cette triade a été perfectionnée par le gouvernement au point de devenir une forme surdimensionnée de bio-contrôle. Cette forme de contrôle du métabolisme social se révèle particulièrement puissante dans les régions où l’Etat est l’unique source d’emploi et de revenu et où il y a peu d’entreprises privées. Dans des circonstances où des milliers de personnes souffrent carrément de famine, les politiques décrites dans la triade ci-dessus sont spécialement efficaces, et sans qu’il ne soit même nécessaire d’extorquer quoi que ce soit à la population la plus appauvrie en lui faisant du chantage, l’expansion de la dépense publique clientéliste agit comme un égaliseur social très efficace et indique un chemin d’ascension sociale vertigineuse.
Peu attentive à ce qui était pourtant évident, l’opposition se sentait excessivement confiante et elle s’est limitée à faire une propagande électorale médiocre et ennuyeuse. Les résultats lui ont infligé une gifle avec d’une singulière virulence.
Surprises
La nuit du 15 octobre est arrivée comme une surprise. La carte du pays s’est teinte de rouge [donc du PSUV], le gouvernement ayant gagné 18 postes de gouverneur sur 23 (avec le 54% du vote national et une participation record de 61% du corps électoral) et la MUD (Table d’unité démocratique] s’est retrouvée hébétée, sans direction et complètement accablée par une réalité qu’elle refuse de reconnaître [1].
Une fois que l’opposition s’est lassée de dénoncer le favoritisme dans l’utilisation des ressources de l’Etat pour faire campagne, elle s’est mise à se plaindre des inhabilités politiques décrétées à l’encontre de plusieurs de ses partisans, elle a protesté parce que le CNE avait raccourci les délais permettant de procéder à des changements de candidats et réclamé la relocalisation de centres électoraux (715’501 citoyens ont été affectés par le processus de relocalisation). En clair, elle avait la certitude du triomphe, au-delà de toute évidence empirique.
Henry Ramos Allup, président de la MUD
Ce même 15 octobre, la MUD a dénoncé le fait que certains collectifs chavistes aient agressé des votants ayant un «aspect d’opposant» dans des zones de moyen et haut pouvoir d’achat et qu’on ait pu assister à des scènes d’intimidation dans certains locaux de vote. Malgré tout, il n’est venu à l’esprit d’aucun opposant qu’il pourrait ainsi perdre. La défaite a placé l’opposition dans un labyrinthe et la supposée disparition du vote chaviste n’a pas eu lieu. De plus, la croyance selon laquelle la triade soutenant le gouvernement était ineffective s’est révélée être fausse.
Le premier réflexe a été de crier à la fraude, de dire qu’ils avaient gagné au moins 15 postes et que le gouvernement les leur avait volés, cela malgré les 14 audits (le système électoral vénézuélien est le plus audité au monde) auxquels ils ont participé activement, malgré le fait que leurs «témoins de table» aient été présents dans tout le processus et malgré le fait que ce processus soit l’un des rares où l’on ouvre les urnes à la fin de la journée et qu’il se fasse ainsi un contrôle «à chaud». Dans tout le pays, il n’y a pas eu une seule dénonciation de différence entre le comptage manuel et celui effectué par les machines de vote électronique (avec support papier). L’élection a également été suivie par 1300 observateurs internationaux de diverses tendances. Personne n’a rien dénoncé.
Les candidats du chavisme ont obtenu des 6, 10 et même 30 points d’avance, et même là où l’opposition a gagné, les résultats ont été serrés. L’unique ombre qui a suivi le vote est le retard dans la proclamation du candidat «officialiste» dans l’Etat de Bolívar, là où se trouve l’arc minier. Là-bas, le candidat de la MUD a dit qu’il avait été victime de fraude et que le total ne coïncidait pas avec les chiffres qu’il avait. C’est donc l’unique résultat qui va être soumis à un examen plus approfondi.
La triade «officialiste»
Comme nous l’avons affirmé, l’opposition semble avoir agi en tournant le dos à la situation concrète du pays. Ne voulant pas voir l’énorme pouvoir politique que peut déployer la triade «officialiste», elle a pensé mettre facilement le gouvernement en échec. Mais elle s’est trouvée face à un mur.
De manière dramatique, elle a recueilli les fruits des aventures «golpistes» désastreuses nommées «guarimbas+trancazos» [sabotages + coups de trique], une sorte d’attaques sur routes qui ont impliqué des armes, des lynchages et des agressions de tout type contre des personnes étant (ou semblant phénotypiquement être) chavistes. Cette vague destructrice qui a séquestré pour des mois des milliers de personnes dans des logements immondes, au milieu des gravats et des ordures, a constitué un facteur important dans la diminution du vote en faveur de l’opposition.
Les pillages et le vandalisme ont été considérés avec horreur même par des opposants (qui les ont parfois subis eux-mêmes). Les attaques contre des individus et contre la petite propriété privée perpétrées même par des gens du commun payés pour semer la terreur dans les rues se sont révélées être des politiques néfastes pour les deux principaux partis qui les avaient mises en place, à savoir Voluntad Popular et Primero Justicia. Ces faits, additionnés à la dure répression étatique, ont causé 140 morts et des centaines de blessés.
Acción Democrática, le parti qui représentait la social-démocratie et qui a adopté une attitude généralement distante face à l’anarchie virulente des «guarimbas», a été le grand gagnant au milieu de la débâcle, en gagnant 4 des 5 postes de gouverneur qui sont tombés aux mains de l’opposition, dans une élection où l’abstention d’une partie de l’opposition a amélioré les possibilités des candidats du PSUV.
Profitant de ce train électoral de triomphes, le chavisme envisage maintenant d’anticiper l’élection pour les mairies [municipalités] à décembre de cette année. Il a également commencé à concocter le projet d’anticiper les élections présidentielles pour le mois de mars, alors qu’elles devaient avoir lieu à fin 2018. A force d’insister sur les erreurs du passé et de continuer à sous-estimer la pratique du populisme clientélaire en direction de la base la plus appauvrie, l’opposition peut perdre à nouveau les élections, et ses possibilités de chasser le chavisme du pouvoir seront alors encore plus faibles. (Article publié dans la revue Nueva Sociedad, octobre 2017; traduction A l’Encontre)
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Manuel Sutherland est économiste et chercheur au Centre de Recherche et de Formation Ouvrière (CIFO-ALEM) de Caracas, Venezuela.
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Les quatre gouverneurs de l’opposition soumettent leur mandat à l’Assemblée nationale constituante (ANC)
[1] Quatre des gouverneurs de l’opposition ont prêté serment devant l’ANC, ce qui était une condition pour la validation de leur mandat. Cela a ouvert une nouvelle crise dans les rangs de l’opposition, donc au sein de la MUD, peu unifiée! Henry Lisandro Ramos Allup, le président de la MUD, a affirmé que les quatre gouverneurs, membres de l’Action démocratique, s’étaient mis d’eux-mêmes hors du parti.
Leopoldo Lopez de Volonté populaire a affirmé la nécessité de créer une nouvelle opposition. Henrique Capriles, qui fut gouverneur de l’Etat de Miranda de novembre 2008 jusqu’au 18 octobre 2017, a déclaré sa volonté de sortir de la MUD tant que cette «coalition» – en train de se défaire – sera présidée par Henry Lisandro Ramos Allup. Capriles, selon divers rapports, a été mêlé à des opérations de corruption en lien avec la gestion de l’entreprise brésilienne Odebrecht. Ce ne serait qu’un exemple de corruption parmi ceux si répandus au Venezuela, pour ne pas nommer d’autres pays. En un mot: après le 15 octobre, la crise socio-économique continue, celle de l’opposition éclate. (Rédaction A l’Encontre)