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Dag Hammarskjöld: l’énigme de «la mort accidentelle» d’un secrétaire général de l’ONU

histoire

Lien publiée le 30 octobre 2017

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://alencontre.org/societe/histoire/histoire-dag-hammarskjold-lenigme-de-la-mort-accidentelle-dun-secretaire-general-de-lonu.html

Par Maurin Picard

Dag Hammarskjöld, alors secrétaire général de l’ONU, est mort le 18 septembre 1961 dans le crash du DC-6 qui le transportait pour aller négocier un cessez-le-feu pour la province du Katanga, au Congo. Trois enquêtes antérieures avaient retenu la thèse de l’accident. Mais un nouveau rapport, remis cette semaine à l’ONU, estime cette fois qu’«une attaque délibérée est plausible».

C’est une histoire vieille de 56 ans, rayée des mémoires. Effacée de la conscience collective par les pires soubresauts de la Guerre froide, la crise de Cuba, l’assassinat à Dallas du président John Fitzgerald Kennedy (novembre 1963), la guerre du Vietnam. Une histoire survenue au Congo, dans le chaos de l’indépendance et de la sécession katangaise: le 18 septembre 1961, un Douglas DC-6 suédois transportant le secrétaire général des Nations Unies, Dag Hammarskjöld, s’écrasait de nuit dans la jungle près de Ndola, Rhodésie du Nord, à quelques lieues du Katanga rebelle. Pourquoi, du reste, cette tragédie aurait-elle durablement marqué les esprits, puisqu’il s’agissait d’un accident, parmi tant d’autres, dans les cieux d’Afrique centrale? Ainsi en avaient conclu deux commissions d’enquête locales, et une troisième, onusienne celle-là, en 1962.

Plus d’un demi-siècle a passé, et l’ONU vient de revoir sa copie: mercredi, un des successeurs de Hammarskjöld, Antonio Guterres, a rendu public un surprenant rapport d’enquête de 63 pages dans lequel il apparaît «plausible» qu’«une attaque ou une menace extérieure» a causé la chute du quadrimoteur baptisé «Albertina», avec 16 personnes à bord.

Quelle menace, au juste? Hammarskjöld se rendait en Rhodésie du Nord pour négocier directement avec le président katangais Moïse Tshombé la fin des hostilités entre les Casques bleus de l’ONUC (Organisation des Nations Unies au Congo) et les «affreux», ces mercenaires belges, français et sud-africains pour la plupart. Personne au Katanga ne souhaitait qu’aboutisse cette médiation, qui aurait entraîné le retour de la riche province minière dans le giron du pouvoir déliquescent de Léopoldville (actuelle Kinshasa), soupçonné de vouloir laisser l’URSS mettre la main sur le cobalt et l’uranium congolais.

Un lourd faisceau de présomptions

Pour l’auteur du rapport, le juge tanzanien Mohamed Chande Othman, nommé «personnalité éminente» par l’ONU, un lourd faisceau de présomptions semble désigner un acte malveillant, à défaut de pouvoir encore exhiber de preuve accablante en ce sens. Officiellement, l’«Albertina», matricule SE-BDY, s’est écrasé peu après minuit dans un bois d’acacias, train d’atterrissage verrouillé, lorsque l’extrémité de son aile gauche a touché la cime des arbres, faute à une altitude trop basse conjuguée à l’inexpérience et la fatigue supposées de l’équipage suédois. Cette thèse omet trop de témoignages contradictoires, négligés lors des trois enquêtes de 1962, pour conserver sa pertinence.

Régime ouvertement ségrégationniste, la Rhodésie du Nord du Premier ministre Roy Welensky avait fait peu de cas d’une bonne douzaine de témoins directs du crash, qui disaient avoir vu «des lumières dans le ciel» et, pour plusieurs d’entre eux, «un autre avion», voire «deux», filant le DC-6. Ces témoins étaient des charbonniers noirs, qui savaient combien leur parole valait roupie de sansonnet pour l’impitoyable justice blanche. Les experts locaux n’avaient en outre trouvé aucun impact de balle dans le fuselage calciné à 80%, avant d’en incinérer curieusement les débris quatre mois plus tard. Une résolution votée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1962 enjoignait le secrétaire général de rouvrir le dossier pour le cas où surgiraient de «nouveaux éléments».

Ce mécanisme aura mis 54 ans à porter ses fruits: en 2016, l’ex-secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon relançait officiellement l’enquête, se fondant sur de multiples révélations esquissées dans le livre d’une universitaire anglaise, Susan Williams, paru en 2011.

Intense espionnage

Est avérée la volonté de dissimulation de la part des Nord-Rhodésiens, et de l’ex-pouvoir colonial britannique, très impliqué au Katanga au travers du consortium anglo-belge de l’Union minière du Haut Katanga (UMHK). Est confirmé également l’intense espionnage exercé à l’encontre de l’ONU et de Hammarskjöld, dont les communications cryptées via une machine Enigma d’origine allemande avaient été décodées par les Américains (NSA) et les Britanniques (GCHQ). Sur le tarmac de Ndola, cette nuit-là, se trouvaient au moins deux bimoteurs C47 américains, moteurs tournants, occupés à recueillir les échanges radio des différents protagonistes. Jusqu’à cette année, les Etats-Unis refusaient de reconnaître la présence de ces avions-espions, s’abritant derrière le caractère éminemment confidentiel de telles archives, à l’instar de la Grande-Bretagne et de la Belgique.

Deux anciens de la NSA, Charles Southall et Paul Henry Abram, le premier interrogé par Susan Williams et le second par Le Soir, se trouvaient naguère en poste à Chypre et en Crète. Toux deux avaient entendu en direct des voix non identifiées commentant la destruction en vol du DC-6, enregistrements que Washington a toujours nié détenir.

A ces révélations troublantes vient s’ajouter le témoignage posthume d’un diplomate français, ex-collaborateur de Hammarskjöld à l’ONU, Claude de Kémoularia, qui fit en 1967 une rencontre fortuite avec trois anciens mercenaires, dont deux Belges: de Troyer, Beukels et Grant. Le dénommé Beukels se présentait comme un pilote de chasse mercenaire, qui décolla le soir du 17 septembre 1961 du Katanga à bord d’un jet de type Fouga Magister, armé et équipé de réservoirs supplémentaires, avec ordre d’intercepter le DC-6 et de le détourner vers Kolwezi, où des dirigeants miniers auraient tâché de convaincre Hammarskjöld de se ranger à leurs arguments pro-sécessionnistes. Un «tir de semonce» en théorie anodin aurait sectionné les câbles de gouverne du DC-6 au moment où le pilote tentait une manœuvre d’évasion. Beukels souhaitait conter «sa» vérité à quelqu’un tel que Kémoularia, qui semble en avoir rendu compte aux autorités françaises et suédoises, sans que suite y fût donnée. Beukels disparut des écrans-radars et n’a plus été revu depuis. Son témoignage est jugé «concordant» avec les fameux témoins oubliés de 1962.

«Faites demi-tour!»

Le juge Othman bute cependant sur la thèse Beukels, qui évoque la présence dans les airs de deux Fouga Magister, alors que l’Avikat (aviation katangaise) n’en disposait plus que d’un seul opérationnel sur les trois livrés discrètement par la France, et avec le concours logistique de la CIA, en février 1961. Bruxelles dit n’avoir pas retrouvé trace d’un quelconque «Beukels» dans ses registres. Etait-ce un pseudonyme? Et qu’est devenu l’étrange interlocuteur de Kémoularia, dont la fille Elisabeth cherche à retracer le parcours? Dans ses conclusions, Othman croit bon de préciser qu’une simple «distraction momentanée aura pu détourner l’attention des pilotes durant quelques secondes à un moment critique de leur descente» finale vers Ndola. Ce qui tendrait à expliquer l’absence d’impacts de balle dans le fuselage. Ejecté de l’épave, un garde de l’ONU, Harold Julien, avait agonisé cinq jours durant à l’hôpital, confiant dans un rare moment de lucidité les dernières paroles de Hammarskjöld hurlées à l’attention du pilote :«faites demi-tour! Faites demi-tour!», comme s’il avait voulu se poser à tout prix à Ndola, malgré des instructions contradictoires.

Dans l’esprit des enquêteurs, cela ne fait plus guère de doute: une indicible tragédie s’est déroulée au-dessus de Ndola le 18 septembre 1961, et l’«Albertina» ne s’y trouvait probablement pas seul. Estimant ne pouvoir progresser sans divulgation des archives occidentales, le juge onusien renvoie le «fardeau de la preuve» aux Etats membres, pressant Washington, Londres, Pretoria, Bruxelles et Paris de nommer un rapporteur spécial et d’ouvrir en grand leurs archives, afin d’écarter tout soupçon de dissimulation, et de faire enfin la lumière sur une des plus grandes énigmes du XXe siècle. (Le Soir en date du 28 octobre 2017)

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Dossier Hammarskjöld: «La Belgique ne coopère qu’au compte-gouttes avec l’ONU»

Entretien avec Benoît Hellings
conduit par Maurin Picard

Un crash qui n’a pas le caractère d’un «accident»

Benoît Hellings est député fédéral Ecolo. Il suit plus particulièrement les dossiers «Affaires étrangères et Défense». A ce titre, il s’est penché avec attention sur l’«affaire Hammarskjöld».

En quoi la Belgique est-elle concernée par cette enquête de l’ONU?

La Belgique est la première concernée, car l’événement sur lequel porte l’enquête est lié à la sécession du Katanga. A bien lire le rapport rédigé par le juge Chande Othman, on voit l’intérêt suscité par les mercenaires gravitant à l’époque autour du régime sécessionniste et de son dirigeant Moïse Tshombé. Or, ces mercenaires constituent, aujourd’hui encore pour les survivants, un petit monde qui se connaît très bien. Ce serait absolument incroyable que le pouvoir colonial belge de l’époque, certes déliquescent, n’ait pas de renseignement précis sur ce qui se passait à Elisabethville (devenue Lumumbashi) et autour de l’Union minière du Haut Katanga (UMHK). Parmi tous les Etats disposant d’archives classifiées sur cette question, la Belgique est probablement celle qui dispose du plus grand nombre d’informations susceptibles d’intéresser l’enquête.

Ce qui ne veut pas dire que l’ONU accuse la Belgique d’avoir commandité un possible assassinat de Hammarskjöld?

Aucunement! Personne ne le dit, ni le juge Othman, ni moi, ni personne d’autre. L’enjeu n’est pas sur le fond: le juge Othman avance une série d’hypothèses. Il mesure leur plausibilité, écarte celles par trop loufoques. Mais il demande à tous les Etats membres de l’ONU de faire un effort de transparence, de faciliter l’ouverture de leurs archives classifiées. Et s’ils ne le font pas, qu’ils déclarent à tout le moins ne pas disposer d’archives à ce sujet.

Les requêtes initiales de l’ONU auprès du gouvernement belge en 2015 sont restées lettre morte. Pourquoi de telles réticences?

Je note que le juge Othman a relancé la démarche auprès du gouvernement après avoir eu vent d’un échange parlementaire que j’avais initié en 2016 avec la Défense et les Affaires étrangères. Il s’agissait de s’assurer que les archives de la Sûreté de l’Etat étaient bien mobilisées, puisqu’elles ne l’avaient pas été dans un premier temps. C’est d’ailleurs assez incroyable: quand les enquêteurs de l’ONU sont venus à Bruxelles, ils ont pu consulter les archives des Affaires étrangères, qui réunissaient il y a peu encore les «africaines» (Sûreté coloniale) et les archives générales du Royaume. Le gouvernement belge ne les a alors pas guidés vers les archives de la Sûreté de l’Etat! A l’époque, le délai de versement obligatoire de ces fiches aux archives de l’Etat était de 30 ans, entraînant leur déclassification automatique. Une loi votée en mars 2017 étend ce délai à 50 ans. Important, ce délai ne débute pas à partir du moment où le document est produit, mais à partie de la «fin de son délai d’utilité administrative», fixé par la Sûreté. Pourquoi? Je ne le sais absolument pas, mais une chose est sûre: l’ONU demande aux Etats membres de prendre des dispositions pour déclassifier les documents utiles à l’enquête. Et la Belgique, qui doit répondre aux demandes précises de l’ONU, fait exactement l’inverse.

Coïncidence, ou collaboration de façade?

Soyons clairs: je ne crois pas à la théorie du complot. Par contre, depuis deux ans et demi, j’observe qu’il y a une demande très forte de l’ONU. Et je constate que la Belgique ne communique ces documents qu’au compte-gouttes, uniquement lorsqu’elle est confrontée à un faisceau d’informations laissant penser que, justement, elle dispose d’informations «utiles» à la poursuite de l’enquête. Au moment où notre pays brigue un siège de membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies, il grandirait considérablement sa stature en exprimant son attachement à la quête de vérité. (Le Soir, 28 octobre 2017)

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Le malaise en Belgique. Un sujet qui reste largement tabou

Par Maurin Picard

Durablement marquée par son passé colonial, la Belgique aimerait oublier l’épisode chaotique de l’indépendance du Congo et de la sécession katangaise où, en pleine Guerre froide, se concentrèrent d’importants intérêts industriels. L’enquête sur la mort d’un secrétaire général de l’ONU vient réveiller ces encombrants fantômes. «Toutes les familles ont été affectées, de près ou de loin, par notre présence au Congo, jusqu’à l’épisode katangais», confesse une Belge de New York, relatant les conversations houleuses autour de la table familiale. Colons, soldats, pilotes, mercenaires: vieillissants et de moins en moins nombreux, ceux qui en furent n’ont pas conservé de bons souvenirs de l’ONU ni de Hammarskjöld, accusé d’avoir laissé s’installer «un foutoir innommable» (sic) dans l’ex-colonie belge. Si le sort funeste de l’ex-Premier ministre congolais Patrice Lumumba a entraîné des excuses de la Belgique en 2001, il n’en est rien au sujet de Dag Hammarskjöld, dont le nom, longtemps vilipendé, demeure tabou.

A partir de 2015, Bruxelles est sollicité directement par les experts de l’ONU, sur des questions précises: existe-t-il des archives, même confidentielles, se rapportant précisément au crash du DC-6? Le pilote de chasse nommé Beukels saurait-il être identifié formellement? Un autre pilote, identifié celui-là comme un membre de l’aviation katangaise, Jan van Risseghem (mort en 2007), pouvait-il se trouver à Kolwezi le 17 septembre 1961? Les réponses tombent, au coup par coup, toutes négatives: aucune information à communiquer, sécurité nationale oblige. Certes, la seconde démarche, en 2017, a permis la communication d’une dizaine de documents à l’ONU, mais la pêche semble maigre. La trajectoire des mercenaires incriminés reste hors d’accès, et l’Etat semble vouloir resserrer les boulons en toute hâte. En mars 2017 a été voté à la Chambre une loi élargissant de 30 à 50 ans le délai obligatoire de versement des archives de la Sûreté de l’Etat aux Archives générales du Royaume. En outre, les archives de la Sûreté coloniale et de la Force publique ont été discrètement transférées vers la Sûreté de l’Etat et le Service de renseignement militaire. Hors d’accès pour les historiens et les juges onusiens, faute de commission d’enquête parlementaire en bonne et due forme. (Le Soir, 28 octobre 2017)