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Sur le livre "Le Précariat. Les dangers d’une nouvelle classe" de Standing
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Cet ouvrage se propose de construire théoriquement le précariat en classe sociale. Le sous-titre Les dangers d’une nouvelle classe fait évidemment référence, mais sans le dire, au livre de Louis Chevalier Classes laborieuses et classes dangereuses à Paris dans la première moitié du xixe siècle (1958). Selon l’auteur, la société (britannique, et au-delà toutes les sociétés industrielles de l’hémisphère nord) comprend cinq groupes (qu’il n’appelle pas classes) : au sommet se trouve « l’élite », rassemblant peu de citoyens absurdement riches. Au-dessous vient le « salariat », c’est-à-dire toutes les personnes bénéficiant d’un emploi stable et à plein temps espérant rejoindre l’élite : elles se contentent de jouir des privilèges de leur situation, avec leurs retraites, leurs congés payés et les avantages de la grande entreprise ou de l’administration. Parallèlement au salariat, il existe un plus petit groupe que l’auteur dénomme les « proficiens » (professionnels et techniciens) dotés de nombreuses compétences monnayables à des niveaux élevés. Au-delà, se situe un noyau, en constante diminution, de travailleurs manuels, incarnation de la vieille « classe ouvrière » bénéficiant de l’État-providence et du droit du travail. Au-dessous de ces quatre groupes se trouve le « précariat » qui ne cesse de croître, flanqué d’une armée de demandeurs d’emploi et de personnes socialement malades vivant des rebuts de la société (p. 37-39).
En même temps, l’auteur a bien conscience que la précarité est un phénomène diffus traversant toute la société, ce qui fragilise la thèse : pour Guy Standing, le précariat « a les caractéristiques d’une classe. Il est constitué de gens dont les relations de confiance avec le capital ou l’État sont réduites au minimum, ce qui le rend totalement différent du prolétariat. Et il ne bénéficie aucunement du contrat social qui conférait au prolétariat un certain niveau de sécurité en contrepartie de sa subordination et de sa loyauté (l’accord tacite sur lequel reposent les États-providence). Faute d’entente sur la sécurité en contrepartie de la subordination, le précariat est forcément une classe distincte. Sa situation est également curieuse en terme de statut car il n’est pas clairement positionné entre les professions de statut élevé et de statut moyen. On pourrait plutôt dire que son statut est “tronqué” » (p. 40). Cette citation entretient nombre de confusions : par exemple, comment passe-t-on de l’absence d’entente — sans définir d’ailleurs la causalité de celle-ci qui est bien du côté des employeurs et du capital — à la construction d’une classe distincte ? Qu’est-ce qui conduit à placer les précaires entre statut élevé et statut moyen alors que la grande majorité vit dans la pauvreté ? Ne s’agit-il pas d’une concession implicite à l’idéologie de la « créativité » et de la maîtrise du temps qui imprègne tous les défenseurs libéraux de la précarité ?
Revenons à ce que l’auteur dénomme aussi les « résidents précaires » (pour y inclure la catégorie particulière des migrants) qui ne possèdent aucune des sécurités réservées aux autres groupes sociaux (autour de l’emploi, des revenus, des conditions de travail, etc.), ce qui leur empêche de se construire une identité professionnelle. Le précariat rassemble les intérimaires, les travailleurs à temps partiel, les auto-entrepreneurs, les personnels des centres d’appels téléphoniques ( ?) et les stagiaires ; on peut supposer qu’il faille y inclure les chômeurs qui « tournent » sur ces emplois précaires1. Quoiqu’aucun paragraphe ou sous-chapitre n’en traite explicitement, on peut imaginer les origines ou les raisons qui conduisent au précariat : la sous-qualification de jeunes à la recherche d’un revenu, l’arrivée de migrants sans réseau familial ou social, la perte d’emploi pour les salariés (en général les plus âgés), l’insuffisance des revenus de certains retraités, etc.
L’ouvrage fourmille d’informations et d’observations pertinentes — souvent déjà connues — mais qui doivent être rappelées. Par exemple sur les concurrences entre précaires et salariés stabilisés reposant souvent sur des dispositifs d’aides catégorielles qui exacerbent les tensions entre groupes sociaux (p. 149 et ss.). La plupart des aides ont un effet pervers qui tend à réduire le coût du travail pour les employeurs et à pérenniser le précariat (trappes au précariat). G. Standing qui n’a de cesse de dénoncer le « travaillisme », c’est-à-dire la pérennité des emplois avec les garanties de revenus et de couverture sociale conquises au cours du xxe siècle, s’en prend au syndicalisme qui ne se préoccupe pas des outsiders que sont les précaires. Au-delà du constat, l’auteur ne s’interroge pas du tout sur les fondements des priorités qui traversent l’agenda des syndicats : comment ne pas tenir compte des urgences des mandants (la défense de l’emploi ; on n’y parle presque plus des salaires !) avant de s’intéresser aux autres populations démunies dont la caractéristique essentielle est la dispersion et l’hétérogénéité décourageant toute action collective ? Cette dénonciation tend à discréditer l’action des syndicats qui, justement, combattent le précariat, mais en amont afin que les salariés ne perdent pas leur emploi ou pour que la pérennité des emplois soit généralisée à tous les salariés ; l’auteur ne reconnaît qu’au détour d’une phrase que les syndicats tentent d’aider les précaires à sortir de leur condition...
Bien souvent G. Standing avance des thèses un peu éculées pour valoriser le précariat et tenter d’en faire une classe. Il réutilise le constat, maintes fois effectué par les chercheurs, qu’une minorité de précaires se satisfont de leur situation, en particulier parce qu’ils affirment maîtriser leur temps, tout en se satisfaisant de revenus médiocres. L’analyse est tronquée puisqu’elle ne prend pas en compte la période ou le segment auquel correspond cette relative satisfaction : en général avant les trente ou trente-cinq ans, c’est-à-dire avant de fonder un foyer et surtout de devoir élever des enfants... Plus encore, G. Standing finit par inverser cette insécurité pour la positiver, y compris pour en faire une revendication libertaire qui mobiliserait cette nouvelle classe avide de raccourcir son temps de travail : comme si, dans des emplois peu qualifiés, des employeurs allaient accepter d’entretenir une force de travail sans l’exploiter.
Mais la question essentielle que pose ce livre reste celle de la constitution du précariat en classe. Historiquement, les classes se définissent dans leurs rapports (y compris si l’on veut les traiter de façon substantive à partir de leurs composantes, ce qui exige la comparaison et donc la mise en rapport). Comment alors définir le précariat en terme de rapports de classes ? Quelle est la classe à laquelle le précariat s’oppose ou qui le domine ? Ici deux remarques s’imposent :
-
le précariat n’est pas différent des autres classes ouvrières et d’employés, salariés subalternes (en subordination directe ou non comme pour les autoentrepreneurs) ; il ne s’agit donc pas d’une classe à part entière, mais d’une fraction des classes populaires, la plus démunie ; laquelle peut d’ailleurs entrer en conflit avec les autres composantes des classes populaires (autour de l’emploi ou des aides sociales diverses), situation savamment exploitée par l’extrême droite ;
-
où rencontrent-ils leurs ennemis de classe dans des rapports de classe : s’ils travaillent, en particulier avec des contrats précaires, ce sont des ouvriers ou des employés et ils appartiennent bien à ces classes sans constituer une « nouvelle classe ». S’ils ne travaillent pas et sont durablement exclus de l’emploi, ils sont isolés et ressemblent étrangement à la paysannerie parcellaire du 18 Brumaire de Marx : « [Les familles paysannes] ne constituent pas une classe dans la mesure où il n’existe entre les paysans parcellaires qu’un lien local et où la similitude de leurs intérêts ne crée entre eux aucune communauté, aucune liaison nationale ni aucune organisation politique ».
L’auteur rencontre alors quelques faiblesses pour imaginer la constitution d’une « classe pour soi2 », au regard de la disparité de ses composantes mais surtout de l’impossibilité de définir la classe qui l’aliène ou qui la construit contradictoirement. Dans l’ouvrage, le précariat est présenté comme s’opposant aux salariés et aux travailleurs occupés à plein temps dans des emplois pérennes, ces derniers possédant le confort matériel et moral (la consommation de masse) largement convoité par les précaires.
L’effet politique de cette analyse en terme de nouvelle classe aux intérêts contraires à ceux des salariés en général (voir ci-dessus la structuration sociale en cinq groupes) dilue la responsabilité structurelle du capital et de sa forme présente qu’est sa financiarisation. On reconnaît ici une lecture en termes de stratification sociale chère à certains auteurs anglo-saxons qui finissent par inclure les ouvriers et les employés de bureau dans les classes moyennes. Ce n’est certainement pas la voie la plus vraisemblable pour faire du précariat la classe susceptible de fonder la « politique paradisiaque » appelée de ses vœux par G. Standing dans le dernier chapitre de son ouvrage : ce catalogue de bonnes intentions allant du revenu universel à la redistribution du capital financier tranche avec la violence quotidienne faite aux précaires dont les chances d’organisation restent si minces.
Notes
1 Les critiques anglo-saxonnes ont beaucoup porté sur cette absence de précision et sur l’absence de données chiffrées. Voir le symposium autour de ce livre dans Work, Employment and Society, vol. 26/4.
2 La traduction a confondu et inversé classe « en soi » et classe « pour soi », ce qui peut troubler le lecteur... On remarquera aussi que les références bibliographiques (notées entre parenthèses avec l’auteur et la date de publication) dans le texte sont particulièrement nombreuses, mais que l’ouvrage ne comporte aucune bibliographie à la fin...