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La bataille du Premier ministre pour maintenir sa centrale à charbon

écologie

Lien publiée le 5 novembre 2017

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://reporterre.net/Climat-La-bataille-du-Premier-ministre-Edouard-Philippe-pour-maintenir-sa

Emmanuel Macron avait promis la fermeture des centrales à charbon, confirmée pour 2022 par le plan Climat de juillet. Problème : depuis des années, Édouard Philippe bataille ferme pour maintenir la centrale du Havre jusqu’au moins 2035. Récit d’une obsession énergétique.

« Édouard Philippe tient à la centrale au charbon du Havre comme à ses premiers boutons de manchettes. » Cette formule, le conseiller municipal EELV Alexis Deck l’use à l’envi. Difficile de lui donner tort : depuis plusieurs années, l’actuel Premier ministre lutte coûte que coûte pour maintenir la centrale de son fief normand, dont il a été maire jusqu’en juin dernier. Quitte à la mettre à la pointe d’une technologie qui n’a de propre que le nom, à tirer le fer contre l’ancienne ministre de l’Environnement, et à être soupçonné par certains élus de rendre volontairement la ville dépendante du chauffage produit. Et ce, alors même que la mairie et les entreprises concernées voient leurs accords retoqués par le tribunal administratif de Rouen, et tentent sous un nouveau nom de récupérer le contrat.

Bizarre, alors que le candidat Emmanuel Macron avait affirmé que « nous devons fermer toutes les centrales à charbon », et que la conférence des Nations unies contre le changement climatique (COP 23) s’ouvre lundi 6 novembre à Bonn.

Reprenons le fil de cette histoire noire… comme la houille. Depuis 1968, la centrale domine de ses cheminées le port de la métropole normande. Pendant près d’un demi-siècle, elle a alimenté en électricité la ville de ses quatre tranches : trois exploitant le charbon, la quatrième le fioul. Cette dernière a été abandonnée au début des années 2000, minée par ses coûts d’exploitation et par la présence d’amiante. Les tranches 1 et 2, en fin de vie, ont coupé chaudières et turbines en 2013 et 2014. Ne reste à la centrale que sa quatrième unité, qu’Édouard Philippe souhaite obstinément conserver. Face à l’arrêt des unités, celui qui était alors maire du grand port normand en a appelé dans ses vœux au gouvernement à « intervenir auprès d’EDF pour que la centrale du Havre soit dotée rapidement de tranches thermiques faisant appel à des procédés dits de “charbon propre” ». Une technique supposée capter le CO2 produit par la combustion du charbon, mais qui n’a été expérimentée qu’à petite échelle.

Le poisson-pilote du « charbon propre » 

Ce projet de captation du CO2 tenait à cœur à Édouard Philippe, qui souhaitait faire du Havre le poisson-pilote du « charbon propre ». L’opération, qui consiste en d’importants travaux de rénovation et de modernisation, a coûté la bagatelle d’environ 160 millions d’euros à la charge d’EDF. Lequel a mis en place en 2013 un test, qui s’est révélé positif (mais n’a pas été étendu sur la tranche concernée). Peu importe : cette expérimentation sert de justification à Édouard Philippe pour défendre les 200 emplois que génère la centrale jusqu’en 2035.

Pourtant, des dispositions avaient déjà été prises pour sauvegarder le travail des employés concernés : lors du conseil municipal du 11 mars 2013, Pascal Cramoisan, à l’époque chargé d’affaires et de la gestion du territoire, a mis en avant les accords « signés entre tous les syndicats, sauf FO, et la direction depuis maintenant trois ans, concernant un accord d’adaptation des compétences du thermique, ce qui veut dire clairement que les salariés des centrales seront normalement “recasés” sur d’autres sites nucléaires ou autres ». À l’annonce de son plan climat en juillet dernier, Nicolas Hulot a lui aussi promis la création de « contrats de transition écologique » pour les salariés dont l’emploi est directement menacé par la fermeture des centrales à charbon.

Édouard Philippe dans les locaux de la mairie du Havre quand il en était le maire.

Autre argument défendu par le député-maire, une telle centrale permettrait d’éviter « de devoir importer de l’électricité, à prix élevés, pour faire face aux pointes de consommation ». Mais cette argumentation ne s’accorde pas avec les promesses faites par le passé, rappelle Alexis Deck : « Édouard Philippe avait promis il y a cinq ans, pour se faire élire, qu’il allait utiliser son carnet d’adresses chez Areva pour obtenir la construction des futures éoliennes offshore au large d’Étretat. » Si un projet de parc éolien a bien été lancé par EDF, il s’est embourbé dans les méandres juridiques, et ne devrait pas voir le jour avant plusieurs années.

La défense farouche d’Édouard Philippe 

Qu’importe, la centrale refaite à neuve se veut désormais verte, du moins c’est ce qu’en dit le maire qui n’hésite pas à faire un éloge dithyrambique lors de ses prises de parole en conseil municipal : « La captation de CO2 est un vrai enjeu écologique. On peut dire que le charbon c’est mal, mais si on arrive à capter mieux le CO2 lorsqu’on fait brûler du charbon, et qu’on produit de l’électricité, on rend service à l’humanité. » Seul ennui : le système n’a pas été installé sur la centrale. Mais elle a été rénovée et de nouveaux filtres installés, permettant une réduction de la pollution. Mais, en dépit d’une baisse significative, les émissions de polluants ont tout de même représenté en 2015 — selon le site Géorisque du ministère de la Transition écologique — plus de 6 tonnes de fluor, 37 tonnes de chlore, 1.570 tonnes d’oxyde de soufre, 769 tonnes d’oxyde de soufre, et 832.000 tonnes de dioxyde de carbone, rejetés au cœur du Havre. Et EDF ne répond pas à Reporterre quand nous demandons si cela est dû aussi à une baisse de production de la centrale à charbon.

La centrale à charbon du Havre (marqueur rouge).

En juillet 2016, la ministre de l’Écologie Ségolène Royal avait inscrit dans la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) la fermeture à l’horizon 2023 des centrales thermiques. La décision ébouriffa le maire du Havre, qui fit voter par son conseil municipal le 11 juillet un vœu incendiaire où il martelait que « la fermeture ou la reconversion de la centrale du Havre est prévue depuis de nombreuses années pour 2035 au plus tôt », écrivant que « la programmation énergétique ne devrait pas être l’enjeu de posture ». Ce vœu, et un autre déposé par l’élu PS Matthieu Brasse et également adopté, sommaient le gouvernement de retirer de l’ordre du jour du Conseil national de la transition énergétique l’examen du PPE et le maintien de la date de fermeture en 2035.

Devant la défense farouche d’Édouard Philippe, les conseillers ministériels qui le reçurent lui assurèrent qu’il n’y aurait pas de fermeture brutale et anticipée en 2023, mais la mise en place d’un plan pour la transition énergétique au Havre. Un comité de suivi sous la houlette de la députée Catherine Troallic était même établi le 6 octobre 2016. Insuffisant pour l’édile havrais, qui soutenait le 17 octobre qu’en dépit d’un « certain nombre d’interventions politiques auprès de la ministre en charge de l’Écologie (...) l’échéance de 2023 est toujours d’actualité », et dénonçait « l’extravagance » du gouvernement, le « gâchis d’argent » et « [l’]absence totale de réflexion engagée par les pouvoirs publics sur les conséquences locales de cette décision ». Son souhait de conserver la centrale jusqu’en 2035 fut finalement satisfait : en novembre, le gouvernement de M. Valls reportait la fermeture de 13 années.

Des « manquements » dans le déroulé de l’appel public 

Mais la manœuvre pour maintenir en activité cette centrale émettrice de gaz contribuant au changement climatique n’est pas achevée. La stratégie municipale veut pour l’ancrer encore plus durablement dans le paysage au moyen de contrats douteux. En juillet 2016, la mairie du Havre a lancé un appel public à la concurrence pour exploiter le réseau de chauffage du quartier de Caucriauville, jusqu’alors géré par la société Idex. Le groupe Engie et le consortium Dalkia-Cram, filiales d’EDF, se sont portés candidats face à l’ancien prestataire, en présentant un projet possédant une particularité : le raccordement de la centrale à charbon au réseau de chauffage, qui n’était jusqu’à présent alimenté que par une centrale à gaz, moins polluante.

La centrale à charbon du Havre.

Le contrat a été remporté par le consortium le 26 juillet 2017. Mais la société Idex a recouru à la justice et a obtenu gain de cause : le tribunal administratif de Rouen a remarqué des « manquements » dans le déroulé de l’appel public et cassé la décision du Havre. La ville a alors porté l’affaire devant le Conseil d’État. Nouveau coup dur, Le Canard enchaîné dévoilait dans son édition du 30 août qu’Édouard Philippe aurait favorisé la candidature de Dalkia-Cram, séduit par l’intérêt porté à la centrale par le duo. Bien que la mairie ait contredit ces allégations, le journal notait que certains aspects du contrat sont favorables à Dalkia-Cram. Notamment que la mairie a imposé une nouvelle règle aux candidats dix jours avant la fin de l’appel d’offres, demandant une « solution de repli » si l’objectif de 60 % d’énergies renouvelables pour le chauffage devait ne pas être atteint. Un détail qui a son importance : par effet du hasard, seule la candidature de Dalkia-Cram propose cette alternative.

Son contrat rompu, et dans l’obligation de trouver un prestataire pour chauffer les 5.000 habitants de Caucriauville, le Havre s’est tourné vers la société Résocéane pour reprendre le contrat vacant pour une durée de 13 mois. Fait intrigant, Résocéane n’était pas encore enregistrée au Havre quand le contrat a été validé et signé lors du conseil municipal du 18 septembre 2017. Il a fallu attendre le 20 septembre pour que le greffe du tribunal de commerce de la cité portuaire enregistre la société en ses murs. Auparavant, le nouveau venu était domicilié dans le Nord–Pas-de-Calais. Pas de quoi fouetter un chat, répond la mairie à Reporterre : « Les démarches administratives pour la création d’une société et l’instruction au tribunal de commerce prennent du temps. Celles-ci ont été menées en parallèle de celles de la ville du Havre. Le contrat provisoire a bien été signé avec la société Résocéane, société enregistrée au tribunal du commerce à la date de la signature dudit contrat. » Un détail reste cependant troublant : après son déménagement éclair, Résocéane s’est installée dans les mêmes locaux que… Dalkia-Cram.

« L’incertitude des besoins à satisfaire » 

Il s’agit en fait d’un tour de passe-passe, car le nouveau venu n’est autre qu’une énième filiale d’EDF. « Résocéane est en fait une création de Dalkia-Cram », juge le conseiller municipal PS Matthieu Brasse. « Ce sont les mêmes, c’est juste un nouveau coup de peinture », confirme pour sa part Alexis Deck. Selon les deux hommes, la manœuvre ressemble à un passage en force pour signer coûte que coûte avec le même exploitant : « Ils se sont mis eux-mêmes en situation d’urgence pour pouvoir gérer l’appel d’offres, ou du moins pour contourner la procédure réglementaire, tout en restant dans les clous de la légalité. Ils ont pris une nouvelle filiale d’EDF pour assurer de manière temporaire pendant treize mois », analyse Alexis Deck. Pour la mairie, rien de très dérangeant derrière cette manœuvre : « Ce choix s’est fait logiquement. Il fallait retenir un délégataire capable d’exploiter techniquement les installations complexes de Caucriauville, et proposer un prix bas de la chaleur. » Soit les mêmes termes que Dalkia-Cram, exception faite de l’extension de chauffage de la centrale, mise de côté dans l’attente du jugement du Conseil d’État.

Plus que ces contrats troubles, ce sont les intentions qui les ont vus naître qui suscitent la suspicion des deux élus contestataires. « La démarche de chauffer les habitations en se servant d’entreprises existantes qui, de par leur production, vont chauffer en majorité de la vapeur d’eau, c’est une bonne mesure, concède Matthieu Brasse. Sauf que là, on se pose la question : ne va-t-on pas se rendre dépendant de cette centrale thermique, et puisqu’on est dépendant, empêcher de la fermer ? »

Car, le plan d’extension de la mairie ne s’arrête pas au quartier de Caucriauville. « Effectivement, l’offre du candidat Dalkia-Cram prévoit le développement du réseau de chaleur au-delà du périmètre actuel de la concession », indique la mairie à Reporterre. Ce sont ainsi les quartiers de Graville, Soquence, la vallée Béreult Sud, Aplemont, et le centre-ville du Havre qui seront alimentés par le futur réseau. À condition que le Conseil d’État confirme le premier choix de la ville.

Une validation en suspens, et dont la décision finale ne semble pas en faveur du Havre : le rapporteur public de la haute juridiction administrative, Olivier Henrard, n’a pas été convaincu par l’argumentation de la ville, et a demandé le 23 octobre au Conseil d’État la confirmation de l’annulation de la délégation de service public attribuée par le Havre à Dalkia-Cram. Le magistrat a justifié sa prise de position par « l’incertitude des besoins à satisfaire » et noté que « ce dossier se caractérise par son incertitude géographique, temporelle et technique ». Une prise de position qui confirme la décision du juge des référés de Rouen, et met en danger l’ambition d’Édouard Philippe de maintenir cette centrale émettrice de dioxyde de carbone.