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Comprendre les faiblesses de l’indépendantisme catalan pour rebondir

Catalogne

Lien publiée le 6 novembre 2017

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://blogs.mediapart.fr/antoine-montpellier/blog/061117/comprendre-les-faiblesses-de-lindependantisme-catalan-pour-essayer-de-rebondir-1

A partir du 3 octobre, le gouvernement catalan et l'ANC […] ont laissé passer le momentum [l'élan] initial pour s'engager dans une politique du secret et de la mauvaise communication qui a déconcerté et désorienté nombre de leurs partisans.

Réflexions stratégiques sur une marche poussive vers l'indépendance et la République catalane ...

(extraits, traduits de l'espagnol, de Projet de République ou République imaginaire ?de Josep María Antentas) Capture%2Bd%25E2%2580%2599e%25CC%2581cran%2B2017-11-06%2Ba%25CC%2580%2B16.32.57.png

[…] Le succès logistique du 1er octobre [jour du référendum d'autodétermination] (éviter la chasse policière aux urnes et aux bulletins de vote en particulier) a été réel. Mais le référendum n'a pas été mené à bien par la planification minutieuse du gouvernement et de la direction de l'Assemblée Nationale Catalane (ANC) mais par la dynamique d'auto-organisation engagée d'en bas qui a démarré après le coup répressif du 20 septembre [arrestation de14 hauts responsables de la Généralité catalane] et qui s'est accéléré les jours précédant le rendez-vous référendaire par l'occupation et la défense des bureaux de vote.

Tant le gouvernement que l'ANC se contentaient d'ouvrir les bureaux de vote et de distribuer les urnes et les bulletins. Ils avaient assumé en fait que la police espagnole empêcherait les gens de voter et leur objectif était d'avoir la photo des longues queues de citoyens devant des bureaux de vote fermés par la force. Les choses, on le sait, ne se sont pas déroulées ainsi. Le référendum a eu lieu et l'indignation provoquée par la répression a donné de l'impulsion à la journée de mobilisation du 3 octobre [grève générale et "grève du pays"]. Il y a, eu à partir de là, une politique d'hésitations de la part du gouvernement catalan, qui n'avait pas prévu ce scénario et qui ne savait pas comment affronter l'escalade de la confrontation qui se dessinait inévitable s'il proclamait, d'une manière ou d'une autre, la République catalane, d'autant plus qu'il n'a jamais eu, non plus, une stratégie d'alliance avec les secteurs non indépendantistes mais partisans de la rupture avec le régime qui se sont mobilisés le 1er et le 3 octobre. A la suite de la "suspension", mal mise en scène, de la déclaration [d'indépendance] du 10 octobre et une tentative ratée, le 26 octobre, de convoquer des élections si le gouvernement espagnol retirait l'application de l'article 155, l'exécutif de Puigdemont s'est vu obligé de proclamer la République catalane sans aucun plan en tête sur ce qu'il faudrait faire après pour essayer de transformer sa déclaration en quelque chose qui aille au-delà du symbole.

[…] A partir du 3 octobre, le gouvernement catalan et l'ANC […] ont laissé passer le momentum [l'élan] initial pour s'engager dans une politique du secret et de la mauvaise communication qui a déconcerté et désorienté nombre de leurs partisans. Et ils ont fini par procéder à une proclamation assez à froid de la République. A la suite de quoi, ils ont renoncé à tout geste institutionnel susceptible d'envoyer le signal qu'ils voulaient vraiment aller vers son instauration et surtout vers la mobilisation de rue et l'occupation ds espaces symboliques et stratégiques. Depuis le 27 octobre [déclaration de la République indépendante de Catalogne par le Parlament] il y a eu un vide absolu de leadership et une absence de direction. L'exécutif de Puigdemont a donné l'image du renoncement et du manque d'envie d'aller jusqu'au bout. Il y a indéniablement dans tout ceci une leçon stratégique en négatif à tirer. L'histoire des mouvements populaires est pleine de situations similaires dans lesquelles les directions politiques et sociales modérées sont incapables de conduire de façon cohérente le mouvement dont elles ont pris la tête et, se dégonflant aux moments décisifs, sèment le désarroi parmi leur propre base et, en fin de compte, au nom de la prudence, renforcent la réaction. Nous pouvons désigner cette politique comme responsabilité irresponsable.

[…] L'explication des limites montrées par le gouvernement catalan à l'heure de vérité doivent être cherchées dans sa nature, sa composition de classe et sa culture politique. Le PDeCAT [Parti Démocrate européen CATALAN, le parti de l'ex President Carles Puigdemont] est un parti néolibéral qui s'est vu poussé dans la voie de l'indépendantisme parce qu'il n'avait pas d'alternative. Beaucoup de ses cadres sont devenus indépendantistes et d'autres, comme Puigdemont, l'ont toujours été. Mais c'est un parti de l'ordre et dont la base sociale est conservatrice, goûtant peu les ruptures et les changements brusques, par nature pragmatique et gradualiste, lié au monde économique (bien que ses liens avec le grand capital se soient ressentis de sa dérive indépendantiste) et vulnérable aux pressions, méfiant vis-à-vis de la mobilisation populaire.

ERC [Gauche Républicaine Catalane, seconde force politique catalane, elle participait, avant sa destitution, au gouvernement de la Généralité], de son côté, incarne à la perfection la synthèse entre d'authentiques convictions indépendantistes et une culture politique peu portée à la lutte, gradualiste, dont la base sociale est la classe moyenne progressiste qui, à l'exception de certains secteurs liés à l'enseignement, a été, dans une grande mesure, étrangère aux grandes mobilisations sociales récentes sur des questions autres que l'indépendance et est dépourvue de punch.

C'est dans ces semaines décisives que se sont condensées toutes les limites stratégiques, de projet et de base sociale des forces qui ont en charge le gouvernement catalan et qui portent le processus indépendantiste en général (l'exception étant la CUP [les anticapitalistes indépendantistes de la Candidature d'Unité Populaire] qui incarne une sensibilité minoritaire en leur sein). Ces limites étaient au demeurant bien visibles depuis le début mais n'avaient pas été soumises encore à un stress test stratégique déterminant.

[…] Les événements de septembre et d’octobre ont mis en évidence l’ambiguïté du gouvernement catalan dans son rapport à la mobilisation populaire. Sa piètre réponse aux attentes de la base sociale du mouvement entre le 3 et le 27 octobre n’est que le reflet d’une conception de la politique abonnée aux manœuvres institutionnelles et dépourvue de toute culture de gestion d’un mouvement de masse. Au-delà du gouvernement, dans les jours qui ont suivi les événements du 20 septembre, ce sont les impasses stratégiques de l’ANC qui sont apparues avec force (de l’Òmnium aussi bien qu’il joue un rôle plus secondaire et ait eu, sur bien des plans, une politique plus audacieuse). Depuis son émergence en 2012, le procés [processus constituant devant mener à l'indépendance de la Catalogne] a signifié la naissance d’un mouvement de masse inouï sous la direction sociale de l’ANC. Mais celle-ci a reposé sur une conception verticale et contrôlée du mouvement, plus favorable à une culture de la représentation et de la délégation qu’à l’auto-organisation. La dynamique de débordement partiel (il convient de souligner cet aspect partiel pour ne pas exagérer) lors du 20 septembre et des 1 et 3 octobre a été indispensable pour le gouvernement et l’ANC (et l’Òmnium), mais, en même temps, elle a provoqué en eux la crainte de perdre le contrôle de la situation. C’est devant le vide de leadership que laissait le gouvernement catalan après le 27 septembre qu’est apparue une seconde limite de l’ANC : sa subalternisation vis-à-vis des partis indépendantistes majoritaires et son incapacité à assumer un rôle de direction en toute indépendance de ceux-ci. Sa politique, à partir de 2012, a consisté à faire pression sur le gouvernement catalan pour qu’il avance mais sans jamais le défier et le gêner. Il s’est plié docilement au refus, par celui qui était alors président, Artur Mas, de tenter de réaliser le référendum du 9 novembre 2014 qu’avait interdit le Tribunal Constitutionnel et il avait accepté de transformer les élections [législatives catalanes] du 27 septembre 2015 en un plébiscite et entériné l’irréaliste feuille de route de la « déconnexion » [illusoire croyance que l'indépendance puisse consister à se déconnecter, sans plus de complications, de l'Etat espagnol] qui en sortit. Une feuille de route où, en plus, l’initiative est passée toujours plus aux mains du gouvernement [catalan] et où l’ANC a progressivement joué un rôle d’accompagnateur.

[…] La fulgurante convocation d'élections en Catalogne [pour le 21 décembre] par Rajoy, qui a fait suite à sa décision de dissoudre le gouvernement catalan, met noir sur blanc ce qu’est le rapport de force réel. Plus qu’une dualité de pouvoirs, ce qui a existé en Catalogne ces deux derniers mois est une dualité de légitimités, pas même une dualité asymétrique de pouvoirs, même si elle en incluait une en germe [...]. Avec la convocation de ces élections, Rajoy a repris l’initiative, il a montré que la légalité de l’Etat espagnol est toujours en vigueur et il poussé l’indépendantisme dans une voie défensive. Cette démonstration de force du gouvernement espagnol signe aussi sa relative faiblesse : l’impossibilité pour lui d’appliquer, durant une longue période, la méthode forte consistant à suspendre l’autonomie catalane pour en démonter les piliers fondamentaux (médias publics, système éducatif…). Impossibilité car ladite méthode forte est difficile à gérer et que probablement elle a suscité des pressions des autorités européennes pour que soit recherchée une sortie de crise indolore plus en accord avec leur hypocrisie officielle. Rajoy a, avec les élections, gagné du temps, donné le rythme et évité toute situation d’ambiguïté sur celui qui contrôle la Catalogne, mais cela ne veut pas dire nécessairement qu’il soit parvenu, dans un sens plus profond, à vaincre l’indépendantisme car le rendez-vous électoral peut redonner une majorité parlementaire indépendantiste.

La suite et fin de cet article dans un prochain billet de ce blog.

Traduction : Antoine Rabadan

L’article en version originale est à lire ici

Josep Maria Antentas, est professeur de Sociologie à l’université Autonome de Barcelone (UAB) et fait partie du Conseil éditorial du site électronique et de la revue papier vientosur.

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Dans son article du 30 octobre paru sur Mediapart A Barcelone, les opposants au «155» imaginent la résistance, consacré aux CDR (Comités de Défense du référendum aujourd'hui Comités de Défense de la République), Ludovic Lamant  évoque les propos de Josep María Antentas à propos desdits CDR : "Tout à la fois indépendantiste et anticapitaliste, le professeur de sociologie Josep Maria Antentas, qui suit de près ces mutations (et écrit régulièrement dans les revues Viento Sur et Contretemps sur ces sujets), reste sceptique. D’après lui, les CDR sont en grande partie responsables de la tenue – et du succès relatif – du référendum du 1er octobre : « Les CDR ont débordé le gouvernement catalan, en permettant au référendum d’avoir lieu, ce que le gouvernement de Puigdemont n'avait pas du tout anticipé », assure Antentas à Mediapart. Mais ils semblent aujourd'hui plongés dans le brouillard, poursuit l'universitaire. Alors que l'exécutif catalan, destitué, est aux abonnés absents, les CDR errent en quête d’une feuille de route. Ils pourraient bien, quoi qu'il en soit, jouer un rôle de premier plan dans les tout prochains jours, si Madrid décide, à partir de lundi, d'utiliser la force pour appliquer ce fameux article 155."