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Des nanoparticules auraient causé la mort de vaches dans le Haut-Rhin
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://reporterre.net/Des-nanoparticules-auraient-cause-la-mort-de-dizaines-de-vaches-dans-le-Haut
Quasiment tout un troupeau, situé à proximité d’une usine produisant des nanoparticules, a mystérieusement succombé entre 2014 et 2016. L’enquête indique que les particules de dioxyde de titane - qui sont utilisées dans l’alimentation - pourraient être impliquées. Reporterre révèle l’affaire.
C’est l’aboutissement de deux ans d’une enquête minutieuse... Les victimes ? Plus de 70 vaches d’un cheptel situé à Roderen, dans le Haut-Rhin, sur l’exploitation d’un agriculteur reconnu par ses pairs. Quasiment toutes sont mortes les unes après les autres, entre 2014 et 2016. Les dernières ont été vendues pour abattage avant leur décès. Le tueur ? Jusqu’ici, personne n’en avait la preuve. Mais ce jeudi matin 9 novembre, Michael Loeckx, journaliste scientifique travaillant pour les journaux allemands (Der Spiegel et ARD), et consultant en environnement, apporte des éléments de réponse, accompagné d’associations environnementales et de la Confédération paysanne locale. Selon ses recherches approfondies, les coupables seraient des nanoparticules de dioxyde de titane rejetées par l’usine Cristal, située sur la ville de Thann, voisine de moins de quatre kilomètres de la ferme. Le dioxyde de titane sert notamment d’additif alimentaire (E171), qui est utilisé de façon courante, en confiserie particulièrement.
Il a fallu beaucoup de ténacité pour percer ce mystère digne d’une « très mauvaise série télévisée », comme le raconte l’agriculteur malheureux sur son site internet. En 2014, il déplore une vingtaine de décès, « sans explication plausible, causant des pertes de revenus et d’importants frais vétérinaires ». Alerté par un habitant du village, un autre agriculteur, membre de la Confédération paysanne, Franz Baumann, se rend sur place. « Je suis aussi éleveur », explique-t-il à Reporterre, « et dans, ce cas-là, les réflexes que l’on peut avoir, c’est de faire venir des vétérinaires, de faire des analyses. Puis, si on ne trouve rien, on commence à faire appel à des experts dans d’autres domaines, pour trouver quelqu’un avec un regard différent pour déceler l’origine du problème. Vétérinaires et analyses n’ont rien trouvé. »
La ferme d’évlevage de la Gaec des Collines, à Roderen (Haut-Rhin).
Franz Baumann décide alors de faire appel à Michael Loeckx, qu’il connaît depuis longtemps. « On a mis en place un programme d’analyse de recherches, de l’air, de fourrage… » Ils trouvent du titane en grande quantité. Serait-ce un résidu de l’usine Cristal, voisine de quelques kilomètres ? Ce n’est pas une véritable explication, mais c’est une piste. Pendant ce temps, les vaches continuent de périr. « Elles avaient toujours les mêmes symptômes », nous dit Michael Loeckx, le journaliste qui a mené les investigations scientifiques. « Un coulement de nez très fort, puis un abcès près de la tête et du cou, des défaillances neurologiques, avant de dépérir et de mourir. »
Le nez qui coule est l’un des symptômes des vaches malades.
Michael Loeckx veut s’assurer que les pratiques de l’agriculteur ne sont pas en cause dans cette contamination. Avec l’université de Berne, il abat deux bêtes en laboratoire pour prélever leurs organes et ne constate aucun problème d’ordre biologique (virus, bactérie ou autre parasite). « En revanche, on a pu démontrer que les problèmes rencontrés par les animaux provenaient de l’inhalation d’un produit toxique présent dans l’atmosphère de manière chronique », dévoile le scientifique.
« L’étape d’après, c’était donc d’analyser l’atmosphère beaucoup plus finement. On a fait des analyses d’air avec des filtres spécialisés pour le captage des nanoparticules. C’est là que l’on s’est rendu compte que les nanoparticules de dioxyde de titane étaient présentes en grande quantité », conclut M. Loeckx. Impossible de détecter ces nanoparticules de titane dans les organes des vaches… Une question de moyens techniques, pas encore au point, selon le journaliste scientifique. « En revanche, on a trouvé du tungstène, et ce produit ne peut provenir que des nanoparticules incriminées. » Conclusion : « La probabilité la plus grande est que cela vienne de l’usine. »
L’usine de Thann, située à quelques kilomètres de la ferme, emploie environ 240 salariés et est l’un des sept sites de production de dioxyde de titane de l’entreprise Cristal, le deuxième plus grand producteur mondial de cette substance. C’est un pigment blanc produit depuis 1922 dans l’usine, une substance chimique inoffensive sous sa forme normale. Il est utilisé pour ses propriétés d’opacité, de blancheur, notamment dans la nourriture, dans la peinture, les revêtements ou les plastiques. Seulement voilà, depuis une dizaine d’années, l’industrie du dioxyde de titane s’est mise à produire le produit sous forme de nanoparticules — on parle de l’échelle d’une cellule.
Contactée par Reporterre, l’usine Cristal de Thann n’a pas donné suite à nos appels.
Les responsables de l’usine Cristal (un de ses bâtiments, à droite) ne répondent pas aux questions.
Le problème est que l’on ne connaît pas vraiment les effets de ces nanoparticules, présentes elles aussi partout : dans l’alimentation, les peintures, les textiles, les cosmétiques… Une multiplicité d’usages « inquiétante », comme le disait André Cicolella, toxicologue et président de l’association Réseau environnement santé, au journal l’Usine nouvelle. « Sous forme nanométrique, le dioxyde de titane passe à travers la peau et la molécule peut ainsi aller se loger un peu partout, y compris dans le cerveau. »
En janvier 2017, une étude de l’Inra (Institut national de la recherche agronomique) parvenait à démontrer la nocivité de ces nanoparticules sur le rat — sans toutefois que ces résultats puissent être extrapolés à l’homme. Les chercheurs montraient que des nanoparticules de l’E171 pénètrent la paroi de l’intestin et se retrouvent dans l’organisme des rats, provoquant des troubles du système immunitaire et générant des effets cancérogènes.
L’industrie du dioxyde de titane entretient d’ailleurs savamment la confusion entre l’usage « classique » du dioxyde de titane et son usage sous la forme nanométrique. Si l’on va sur le site de la Titanium Dioxide Manufacturers Association, on constate que la question des nanoparticules est rarement abordée — si ce n’est dans la section « nourriture », pour expliquer qu’elles y sont très rares. Une évaluation objective devait pourtant être réalisée par l’Anses (Agence nationale de sécurité environnementale et sanitaire). Mais les industriels ont refusé d’apporter les données demandées, et ont obtenu gain de cause au niveau européen, ce qui n’a fait que retarder l’évaluation de l’industrie du dioxyde de titane : elle devrait avoir lieu en 2018. Les nanoparticules de ce produit sont donc utilisées largement avant même leur évaluation par les États.
Un soutien des services de l’État, c’est justement ce qu’aimeraient les associations et les agriculteurs qui se sont saisi du problème du Gaec des Collines. « Des réunions se font avec la sous-préfecture depuis longtemps. Les services de l’État sont au courant », explique Franz Baumann, l’agriculteur membre de la Confédération paysanne locale. L’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris), alerté du problème, a d’ailleurs mené des investigations fin 2016 sur le site du Gaec des Collines. Sa conclusion : « À ce jour, aucune source n’a été identifiée et aucune matrice environnementale investiguée ne présente des concentrations anormales susceptibles de dégrader la santé du cheptel ». L’Ineris renvoie à la possibilité d’une pollution du fait de l’existence antérieure d’une décharge sur le site de la ferme… et propose comme futures pistes de se pencher sur les activités industrielles de la vallée de Thann.
C’est justement autour de l’usine Cristal que devraient se porter les interrogations. « Les responsables ne se sont pas manifestés malgré deux ans qu’on tourne autour », regrette Franz Baumann. « On nous a raconté des salades », ajoute-t-il, tout en refusant d’aller plus loin dans ses explications. « On ne peut pas établir de manière exacte une relation de cause à effet, mais on joue notre rôle de lanceur d’alertes. Cela doit amener l’État à prendre le sujet au sérieux et à faire un vrai travail d’investigation complémentaire à celui que nous avons fait. Si ces nanoparticules se sont baladées dans la nature, quel est l’impact sur la population civile ? Si elles sont capables de mettre une vache au tapis, que pourraient-elles faire sur les humains ? » s’interroge l’agriculteur. « Tout ce que l’on sait, c’est ce que ces particules n’ont rien à faire là. »