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Catalogne - Débat dans la CGT catalane
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Débat dans la CGT (syndicat anarcho-syndicaliste) catalane
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Naufrage libertaire ? Contradictions et luttes
Article d’Ermengol Gassiot, secrétaire général de la CGT Catalunya
11 novembre 2017
J’ai entendu plusieurs voix qui parlent des contradictions du mouvement libertaire, surtout pour ces latitudes. Personnellement, je ne vais pas les nier. La vie, en soi, nous conduit à des contradictions. Fondamentalement parce que la réalité est trop souvent ce qu’elle est et non ce que nous voudrions qu’elle soit. Par conséquent, adopter une attitude active vis-à-vis de la réalité, faire face à la réalité en tant que telle, conduit à des contradictions. Et je ne pense pas que ce soit une chose dramatique mais la simple conséquence d’être bien vivants et de ne pas être de simples spectateurs de cette réalité. Je cherche à l’illustrer à partir de situations que j’ai vécues. Et je suis sûr que beaucoup d’autres personnes pourraient en mentionner quelques autres.
À la fin des années 1980 et au début des années 1990, des milliers de jeunes ont adopté une attitude active de désobéissance envers l’État, envers ses lois pour manifester un rejet radical du militarisme et de la captation d’une période de leur vie que représentait le service militaire obligatoire. Le « mili », comme nous disions. Des milliers ont été inculpés de peines de prison (et des centaines les ont effectivement effectuées) et aussi des milliers ont été déchus de leurs droits civiques. Les inculpations et détentions préventives ont également été fréquentes à certains moments et dans certains endroits de l’État, notamment à Barcelone. Eh bien, notre pari n’était pas sans contradictions et, dans une large mesure, nous en étions conscients. Nous savions que si nous gagnions (et nous voulions gagner notre combat), nous risquions que la victoire soit partielle et servirait à justifier une armée professionnelle, comme cela s’est produit. Un modèle militaire qui prévalait déjà dans d’autres États capitalistes et qui est maintenant dominant dans les États européens. En avons-nous fait le jeu ? En désobéissant, en pratiquant l’insoumission, nous avons aussi tenté de mettre en question le régime, la valeur et la signification des lois, l’Etat lui-même. Maintenant, nous savons que le résultat de tout cela a été à mi-chemin et que, dans une certaine mesure, ceux qui voulaient un certain profil pour l’armée espagnole ont pu assurément profité de notre lutte. Cependant, je pense toujours que la lutte pour la désobéissance était l’un des mouvements sociaux les plus importants d’un Etat espagnol où, sous la majorité absolue du PSOE et la destruction des luttes des quartiers et des travailleurs à la fin du régime franquiste, bien peu de choses bougeait.
Le relais de l’insoumission a été pris par le mouvement okupa [réquisition] de la seconde moitié des années 1990. Suivant le fil de l’action directe collective, c’était une attaque à la fois sur la propriété privée et sur la culture du « consensus démocratique » (qui signifie fondamentalement la non remise en question du pouvoir). Nous avons affirmé que le droit d’utiliser les choses, leur « valeur d’usage », primait sur leur propriété lorsqu’elles n’étaient pas utilisées. Et nous avons aussi revendiqué d’être la population, organisée collectivement dans les mouvements sociaux, avec la capacité d’évaluer ses besoins et de prendre les mesures appropriées pour les satisfaire. En dehors des institutions. Parce que nous vivions (et vivons) dans une société inégale d’exploitation et d’oppression, cela impliquait l’activation des conflits. Nous avons violé l’accumulation privée de l’immobilier et la spéculation urbaine. Et nous avons clairement affirmé qu’à la répression répondraient plus de conflits (les « expulsés sont des émeutiers »). Nous savions qu’être cohérents avec cet engagement politique impliquait la répression, à la fois sous forme d’expulsions et d’agressions policières et judiciaires. Pour y faire face, nous avons dû nous mettre sur la défensive et entrer dans la dynamique de la résistance et de la réponse antirépressive. Procès et encore des procès, expulsions et encore des expulsions. Contrôles d’identité. Arrestations. Et ainsi, semaine après semaine. La contradiction était claire, étant donné que nous étions empêchés de faire ce que nous voulions faire : créer des espaces pour les contrepouvoirs collectifs, contre l’État et le capital. Certains ont choisi de résoudre cette contradiction en adoucissant le discours, les formes et les objectifs. L’une des figures les plus connues dans ce secteur est maintenant la mairesse de Barcelone [Ada Colau]. Peut-être même, notre radicalité a-t-elle fait leur jeu, leur laissant un espace de mouvement et leur permettant d’être des visages aimables édulcorant les objectifs. En tout cas, de nouveau nous avons dû encore gérer et prendre position au milieu des contradictions.
Ces dernières semaines, le monde libertaire se meut dans un autre scénario contradictoire. Se sont exprimées et nous avons vu plusieurs positions sur la question, à la fois collectives et référentielles. Par conséquent, je ne vais pas entrer dans le détail des différents arguments. Tout le monde sait qu’il s’agit de penser la façon dont nous existons en tant que libertaires dans un scénario où jusqu’à présent nous avons été très marginaux et que nous n’avons pas trop orienté. Mais pour beaucoup, nous ne pouvons pas nous esquiver dans un contexte où ont émergé des pratiques désobéissantes que nous n’avons pas vues depuis longtemps. Et se positionner est compliqué : entre le désir de ne pas entrer dans une dynamique transversale et jouer le jeu de la (petite) part de la bourgeoisie catalane « souverainiste » et en même temps ne pas supporter passivement un Etat (pour le moment le seul réel, c’est l’espagnol) contraint aux marches forcées par des moyens de plus en plus autoritaires. Ou rester autistes devant les revendications qui sont pleinement défendables pour nous, telles que l’autodétermination des peuples (en y ajoutant cependant une totale autogestion). Mais nous ne voulons pas tomber dans l’acceptation de choses que nous n’avons jamais acceptées, telles que les gouvernements et les parlements légitimes, etc. Le débat est nécessaire. Ne perdons pas de vue qui nous sommes, ce que nous voulons et où nous sommes indispensables. Cependant, je ne partage pas certains points de vue quasi apocalyptiques sur la façon dont le mouvement libertaire s’est développé dans cette réalité. Nous ne sommes pas des naufragés, nous vivons simplement dans une réalité convulsive et, en même temps, une opération dynamique très stimulante. Personnellement, j’ai tendance à compter sur l’intelligence collective et, par conséquent, sur les positions convergentes de la plupart des familles anarchistes et libertaires catalanes. Bien que nous devions faire attention à ses conséquences et savoir comment corriger, le cas échéant, les directions prises.
Comme je l’ai dit, les contradictions sont inhérentes au fait de vivre et, surtout, d’être actives et actifs individuellement et collectivement. Ce n’est pas une tragédie d’avoir, dans le même espace idéologique, des positions différentes sur la façon de résoudre une situation ou un scénario concrets. De fait, l’unanimité « à la bulgare » rappelle plutôt le stalinisme. L’anarcho-syndicalisme en lui-même vit et traîne des contradictions importantes que, jusqu’à aujourd’hui, nous n’avons pas résolues. Par exemple, nous disons que nous voulons transformer d’en bas, c’est-à-dire radicalement la société. Mais une bonne partie de notre activité quotidienne consiste à résoudre, dans le cadre offert par la légalité actuelle, des situations de travail concrètes. Nous jouons ce jeu parce que nous croyons que, jour après jour, c’est important, que les petites conquêtes constituent une base pour la marche en avant et, je suppose, parce que nous craignons qu’une attitude trop « idéologique » nous éloignerait du monde du travail réel. Autre exemple : tout en défendant l’action directe et en critiquant le syndicalisme de délégation, la quotidienneté du syndicat auquel j’appartiens, et dans laquelle je suis directement impliqué, s’articule autour des instances de délégation dans les lieux de travail. Des organismes, les comités d’entreprise, construits par l’Etat et le syndicalisme de concertation pour réduire l’autonomie de la classe ouvrière et éroder ses espaces de démocratie, les assemblées. La contradiction est brutale. Ne pas en être, nous éloignerait de nouveau des lieux de travail. En être nous fait courir le risque d’assimilation au système contre lequel nous luttons. Je pense que, d’un point de vue révolutionnaire, aucune des deux réponses que l’anarcho-syndicalisme a données à ce problème n’a été complètement satisfaisante. Par conséquent, une contradiction que nous ne devrions pas ignorer et qui détermine aussi comment nous sommes des anarcho-syndicalistes.
A choisir, peut-être ce dernier défi reste le plus important pour l’anarcho-syndicalisme et le syndicalisme libertaire. Je pense que la situation actuelle en Catalogne, avec ses allées et venues, ne doit pas nous le faire perdre de vue.
Source (en catalan) : http://www.cgtcatalunya.cat/spip.php?article12668
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En pleine dérive libertaire
Article de Tomás Ibáñez
7 novembre 2017
Je ne suis pas un bon connaisseur de l’histoire du mouvement libertaire en Catalogne mais j’imagine qu’il devait y avoir une bonne raison pour qu’en 1934, la CNT, alors dans la plénitude de ses forces, a refusé de collaborer à la tentative de proclamation « l’État catalan sous la forme de la République catalane ». Je l’imagine seulement. Cependant, ce que je ne suis pas limité à imaginer, car j’en suis pleinement convaincu, c’est qu’il n’y a pas de bonne raison pour qu’une partie du mouvement libertaire actuel de Catalogne collabore d’une manière ou d’une autre avec le processus « national indépendantiste » mené par le gouvernement catalan, par les partis politiques qui le soutiennent et par les grandes organisations populaires nationalistes qui l’accompagnent.
Le moins que l’on puisse dire est que cette partie du mouvement libertaire est « en pleine dérive » puisque, après avoir contribué à « protéger les urnes » lors du Référendum que le Gouvernement avait convoqué dans le but exprès de légitimer la création d’un nouvel Etat sous la forme d’une République catalane, elle a, en plus, lancé la convocation d’une grève générale dans le sillage immédiat du référendum, avec l’effet prévisible d’en renforcer les effets.
Cette dérive est maintenant réaffirmée par le ralliement à une autre grève générale, le 8 novembre, pour exiger la libération des « prisonniers politiques » issus de la répression que l’Etat espagnol et son bras judiciaire a exercée contre certaines activités visant à promouvoir l’indépendance de la nation catalane et la création du nouvel État.
Certainement, cette fois-ci, ce n’est pas l’ensemble des syndicats anarcho-syndicalistes qui appelle à la grève, mais une partie des syndicats de la CGT et des militants libertaires qui sont partie prenante des CDR, « Comitès de Défense de la Republique ». Sij’avais déjà manifesté ma « perplexité » face à la convocation de la grève générale du 3 octobre, cette perplexité s’accroît encore plus en découvrant que ces syndicats de la CGT et ces militants libertaires des CDR ont relayé l’initiative d’un minuscule syndicat radicalement indépendantiste, l’Intersindial- Confederació Sindical catalana, qui a lancé la convocation et n’a reçu que le seul soutien des deux grandes organisations indépendantistes catalanes qui regroupent de manière transversale des secteurs populaires et des secteurs bourgeois de la population catalane (Òmnium Cultural et l’ANC).
Personne ne doute que la répression doive être refusée, mais peut-être devrait-on s’étonner que ce refus n’aboutisse à une grève générale que lorsque les réprimés sont les membres d’un gouvernement et les deux principaux leaders du mouvement indépendantiste, alors que les manifestations de refus et de solidarité restent limitées quand il s’agit d’autres personnes.
Heureusement, dans l’arène libertaire, il a toujours été possible d’apprécier les luttes selon leur sens politique et, dans le cas où ces luttes ont été réprimées, il a été possible d’activer la solidarité à partir de cette appréciation politique. Ou est-ce que, au nom de la condamnation de tout type de répression, nous devrions également mobiliser nos énergies quand sont réprimés les « lutteurs » d’extrême droite ? D’un point de vue libertaire, toute répression motive, sans aucun doute, notre réprobation, mais cela n’implique pas automatiquement notre solidarité. En outre, ce qui est inacceptable, c’est que les récentes victimes anarchistes de la répression soient sommées de déclarer que « cette liste » s’est élargie de nouveaux réprimés qui ne sont autres que des gouvernants détenus. J’imagine que certains de ces camarades emprisonnés s’indignent de se voir mélangés avec ces nouveaux « prisonniers politiques » pour justifier de cette manière qu’ils ont aussi besoin de notre solidarité.
La dérive d’une partie du mouvement libertaire devient encore plus évidente quand on observe que beaucoup de ses éléments sont maintenant impliqués dans les Comités de Défense de la République, initialement promus par le CUP. Jusqu’à présent, j’ai été sensible à l’argument selon lequel cette participation était un moyen de faire entendre notre voix, et de promouvoir nos propositions au sein des mobilisations populaires, dans l’espoir de « déborder » le sens étroit des revendications de l’indépendantisme, même si je dois ajouter que cette « perspective de débordement » m’a toujours semblé totalement illusoire.
Cependant, quand, comme cela m’est arrivé cet après-midi, il est possible de lire dans les rues de Barcelone des affiches signées par l’organisation officielle des CDR qu’ils appellent à « arrêter le pays » le 8 novembre en réponse « à l’emprisonnement du gouvernement légitime de notre pays », ma perplexité devant l’incorporation d’une partie du mouvement libertaire dans ces comités ne cesse d’augmenter et ouvre la question de la « dérive » de cette partie du mouvement libertaire.
La seule consolation qui puisse nous être laissée est qu’à travers ces comités la politisation et l’expérience de la lutte acquises par des secteurs de la population, notamment la jeunesse, favoriseront les mobilisations futures dans d’autres contextes moins éloignés de l’autonomie et de l’autodétermination des luttes que nous promouvons dans nos pratiques de lutte libertaires.
Source (en catalan) : http://www.cgtcatalunya.cat/spip.php?article12667