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Face à Mélenchon dans "L’Emission politique", des Français pas "lambda"... mais présentés comme tels
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Après le passage de son chef de file à "L'Emission politique" du 30 novembre, la France insoumise a accusé France 2 d'être biaisé dans son choix d'invités issus de la société civile. Le problème est récurrent : les citoyens présentés comme "lambda" par la chaîne publique sont souvent loin de porter une parole neutre.
A un téléspectateur non averti, Pauligne Laigneau ferait presque de la peine. Présentée comme une "cheffe d'entreprise", "patronne de PME", la jeune entrepreneuse interroge Jean-Luc Mélenchon dans L'Emission politique ce jeudi 30 novembre. La séquence est censée confronter l'invité politique à des Français "lambda", issus de la société civile et pas engagés de manière partisane.
Mélenchon est opposé au plafonnement des indemnités prud'hommales. Pauline Laigneau le défend farouchement avec un exemple tiré de son entreprise : "Je sors d'un procès aux prud'hommes (qu'elle a gagné, ndlr). Sincèrement, je n'auais jamais pensé que j'irai un jour un prud'hommes. Pourtant ça m'est tombé dessus. (...) On arrête de dormir, on ne sait pas à quelle sauce on va être mangés, sincèrement, pour une petite entreprise comme la mienne, c'est un vrai problème", décrit celle qui dit "avoir peur" d'embaucher à cause des indemnités pouvant être versées par l'entreprise en cas de licenciement abusif. "Moi, je suis un pauvre petit patron qui va devoir payer des mois et des mois d'avocat pour essayer de gagner quelque chose", plaide la jeune femme, qui reproche à Jean-Luc Mélenchon de "faire des exemples des grands groupes du CAC40 alors que 95% des gens [des patrons] sont, comme moi, des personnes qui n'ont rien et qui se battent au quotidien". La patronne de petite structure craignant la faillite, face à un Jean-Luc Mélenchon qui apparaît comme le défenseur borné de règles bureaucratiques envahissantes : l'opposition est schématique, facile, caricaturale.
Une patronne de PME soi-disant "pas politisée"
Car elle ne résiste pas vraiment à l'épreuve des faits : Pauline Laigneau a fait Normale Sup et HEC, et a fondé en 2011 une entreprise de bijouterie en ligne qui s'est largement imposée sur le marché français : Gemmyo. Elle dirige près de 25 salariés, et a réuni plus de 3 millions d'euros à l'issue d'une levée de fonds en 2013. Pas vraiment le profil d'une patronne de petite boîte qui serait contrainte de mettre la clé sous la porte à l'issue d'un procès aux prud'hommes... C'est pourtant une image de cheffe d'entreprise modeste que se donne Pauline Laigneau en débattant avec Jean-Luc Mélenchon. "On vous a pas pris un grand patron du CAC40, on vous a pris une patronne de PME !" insiste la journaliste Léa Salamé auprès du meneur des Insoumis. L'entrepreneuse s'est en outre présentée comme "pas politisée", pour défendre la loi Travail d'Emmanuel Macron, "bonne pour des petites structures comme moi. Je sais que maintenant, si j'ai un problème, je n'aurai plus à avoir peur !" Là encore, l'affirmation est douteuse : "pas politisée", Pauline Laigneau a écrit une tribune au ton résolument libéral dans Le Point en janvier 2016, pour critiquer la politique de François Hollande : "Il faut faire table rase et reconstruire. Jeter aux orties code du travail, 35 heures, un bon nombre d'impôts et toute cette sédimentation administrative que personne ne comprend et qui empêche notre pays d'aller de l'avant", plaidait la "patronne de PME", pour qui "le XXIe siècle nous crie d'avoir moins d'Etat". En 2015, Pauline Jaigneau assistait aux université d'été du Medef. Autant de détails qui n'ont jamais été mentionnés par les journalistes de France 2 pour la présenter.
Deuxième invitée de la "société civile", et deuxième passage polémique de l'émission : Jean-Luc Mélenchon est confronté à Laurence Debray... L'invitée est présentée comme "historienne et écrivain". Nulle mention ne sera faite des autres éléments de son profil. La fille de Régis Debray a été trader et banquière à Wall Street, possède la nationalité américaine, et a exprimé dans un portrait de Libération son mépris envers "le dédain de la gauche bien-pensante pour l'argent". Elle y révèle également "avoir voté Macron aux deux tours avec enthousiasme". Seul ouvrage historique à son actif : une biographie de Juan Carlos, ancien roi d'Espagne, aux allures de panégyrique. Son lien avec le Venezuela ? La famille de sa mère y vit encore… La confrontation entre les deux donne lieu à une colère monumentale de Jean-Luc Mélenchon, qui accuse Laurence Debray d'être "venue réciter les éléments de langage de l'opposition" anti-chaviste. Dialogue de sourds : alors que l'Insoumis tempête contre "le grand voisin nord-américain qui organise des coups d'Etat dans tous les pays autour", son interlocutrice lui répond que "les Etats-Unis n'ont rien au Venezuela" et que l'ingérence américaine est "une idéologie un peu périmée"... Pour France 2, elle n'était qu'une "historienne et écrivain".
Confrontations de Jean-Luc Mélenchon face à Pauline Laigneau et Laurence Debray.
Les Insoumis ont utilisé les informations pour le moins limitées fournies par France 2 au soir de l'émission, pour dénoncer un "traquenard" et un service public transformé en "outil de propagande". Le politologue soutien de la France insoumise Thomas Guénolé a même annoncé avoir déposé une plainte auprès du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), accusant France 2 d'avoir "présenté comme des Françaises lambda" les deux invitées alors que les deux femmes étaient "fortement engagées en politique". "Cette présentation malhonnête constitue un procédé susceptible de nuire à la moindre compréhension du téléspectateur", dénonce l'universitaire engagé. Qui ne mentionne pas une troisième séquence discutable de l'émission, lorsque Jean-Luc Mélenchon a rencontré cinq agriculteurs pro-glyphosate... et tous membres de Jeunes agriculteurs, un syndicat très proche de la FNSEA et favorable à une agriculture intensive. Cette fois-ci, le député FI s'en est ému sur le plateau : "Je me suis fait avoir ! On m'avait dit 'vous allez voir un paysan qui utilise le glyphosate.' Bon, d'accord. J'y vais, il y en a cinq, cinq du même camp, les cinq pour le glyphosate, les cinq du même syndicat ! Alors évidemment, les gars ils ont raison, parce qu'ils sont tous d'accord, et que moi je suis un olibrius qui vient de Paris." A l'antenne, les exploitants ont été très furtivement évoqué comme "membres des Jeunes agriculteurs", sans précision supplémentaire, par le journaliste de France 2 ayant organisé la rencontre.
Thomas Guénolé✔@thomas_guenole
#LEmissionPolitique Trop, c'est trop. Par la voix de mon avocat Me Jérémy Afane-Jacquart, j'ai déposé ce jour une plainte au @csaudiovisuel contre @France2tv pour ses fausses "Françaises lambda", en réalité politisées, face à @JLMelenchon.
Des "Français" au profil trouble
L'Emission politique est coutumière de ces litiges : les fameux Français présentés comme "lambda" par l'équipe de l'émission font systématiquement l'objet de vérifications immédiates sur les réseaux sociaux… et, souvent, leur biographie révèle un profil moins "neutre" que prévu. Jean-Luc Mélenchon a déjà eu affaire à deux Français pas vraiment ordinaires en mai 2016, lorsque le programme de France 2 s'appelait encore Des paroles et des actes : l'artisan Djibril Bodian n'était pas un commerçant classique, mais le boulanger de François Hollande et Nicolas Sarkozy à l'Elysée. Et Céline Imart, "agricultrice exploitante", était en fait la vice-présidente du syndicat Jeunes agriculteurs et ses positions productivistes. L'agricultrice était également diplômée de Sciences Po et de l'Essec, et avait travaillé dans la finance. Pas exactement le profil attendu pour une représentante du monde agricole.
Le président Emmanuel Macron a également eu affaire sur France 2, le 6 avril dernier, à Barbara Lefebvre, une "professeure d'histoire-géographie en collège"... qui était en fait une membre du comité national "France solidaire avec Fillon", et très engagée sur le sujet de la colonisation. François Fillon, inversement, a fait face le 23 mars 2017 à Laurence de Cock : cette historienne médiatique (elle est contributrice à Mediapart), proche des thèses défendues par le Parti des Indigènes de la République et de l'extrême gauche militante, faisait partie de la séquence "face aux Français"...
L'Emission politique se retrouve régulièrement sous le feu des critiques, car en présentant les intervenants de cette séquence comme des "Français lambda", la rédaction promet implicitement un regard neutre, apolitique, censé être représentatif de la population, en rupture avec la parole partisane portée par l'invité politique. Une illusion : les citoyens choisis par France 2 débattent avec leurs partis pris, leurs accointances idéologiques et leurs propres biais. Lorsqu'il était chargé de cette séquence "face aux Français", le journaliste Karim Rissouli avait confié à Libération qu'il rejetait les termes "lambda" et "vrai Français" : "Personne ne représente 65 millions de Français. Quand on a une historienne ou un syndicaliste, on ne prétend pas avoir une personne 'lambda'". Mais le problème tient moins des engagements personnels des intervenants, que de l'image d'eux qui est renvoyée par l'émission. D'autant qu'avec la mobilisation des militants sur les réseaux sociaux, la biographie "cachée" des invités est bien vite retracée.