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    Aglietta : "La survalorisation boursière saute aux yeux"

    économie

    Lien publiée le 28 décembre 2017

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    https://investir.lesechos.fr/actionnaires/interview/la-survalorisation-boursiere-saute-aux-yeux-1723128.php

    Michel Aglietta estime que les marchés d’actions sont trop valorisés, quelle que soit la méthode retenue. La situation est risquée car la croissance continue de la dette crée une situation explosive.


    Les actions américaines sont au plus haut mais l’indice de Shiller est bien plus faible qu’en 2000. Faut-il craindre une prochaine chute des cours?
    La valorisation de la Bourse est très élevée, même en prenant en compte la croissance américaine. L’indice de Shiller la corrige des fluctuations conjoncturelles. Son niveau actuel n’a été dépassé que deux fois, en 1929 et dans la bulle spéculative qui a conduit à la crise financière des TIC (technologies de l’information et de la communication) en 2000. La survalorisation boursière saute aux yeux. A chaque fois que ces indices ont été dépassés, une crise financière a surgi : très importante en 1929, étouffée par l’ancien président de la Fed, Alan Greenspan, en 2000, en relançant la bulle immobilière.

    Aujourd’hui, la situation est celle d’une multi-bulles : obligataire, immobilière et boursière. A l’inverse, les rendements sont faibles partout, ce qui condamne les investisseurs à des leviers d’endettement toujours plus élevés pour dégager du rendement. Le danger est dans une économie qui s’endette de plus en plus en investissant productivement de moins en moins. Mais la très faible volatilité des marchés est caractéristique de ce qui a été appelé myopie au désastre. Dans les années précédant la crise systémique de 2008, les marchés financiers n’ont rien vu venir de l’accumulation des vulnérabilités financières. Car elles résultent de la doctrine même qui a renforcé le pouvoir de la finance. Depuis que le capitalisme financier a pris le contrôle des économies dans le sillage de l’ultra-libéralisme promis par Reagan et Thatcher dès les années 1980, la logique de la valeur actionnariale s’est imposée avec l’idée de soutenir les cours boursiers par l’endettement.

    La caractéristique des crises financières est toujours le retournement d’une phase prolongée d’endettement et de hausse des prix d’actifs qui accumule les déséquilibres dans les bilans des acteurs privés. Mais, depuis 2008, les banques centrales ont injecté 9 trillons de dollars de liquidité dans l’économie mondiale, dont plus de 3,5 trillons ont été prêtés à nouveau avec un effet de levier dans les secteurs privés des pays émergents. Elles l’ont fait d’abord pour éviter l’effondrement financier, puis pour soutenir une croissance affaiblie par les nécessités de restructurer les bilans des acteurs les plus affectés par les pertes de bilan dues à la crise. Aujourd’hui, les investisseurs font face à un dilemme. Les marchés sont encore ascendants, mais la volatilité est très faible. Il existe un déni des investisseurs face aux risques sinon la volatilité aurait augmenté. La raison peut être la montée des risques politiques qui ne peuvent être évalués par des méthodes objectives. En science, ce type de situations est qualifié d’état métastable. On vit dans une apparence de stabilité car les fluctuations sont très faibles autour de cet état, mais un événement créant une inquiétude collective peut entraîner une baisse cumulative des prix d’actifs. Je pense que l’économie mondiale est dans cette situation.

    La régulation mise en place depuis la crise financière est-elle suffisante?
    Les progrès sont insuffisants. Les lobbies financiers cherchent à contourner ou à affronter la régulation financière pour l’entraver. Leur puissance se fait sentir aujourd’hui aux Etats-Unis. Le développement d’innovations financières permet aussi de limiter la réglementation selon le même principe que l’optimisation fiscale. L’extrême mobilité du capital en absence de régulation mondiale permet de trouver des supports d’investissement purement financier grâce à la liquidité des marchés soutenue par les banques centrales. Le shadow banking est l’ensemble des intermédiaires financiers qui opèrent ces transferts d’actifs rémunérateurs grâce à leur accès à la liquidité par leurs liens organiques avec les banques. D’où l’importance des travaux, dits de Bâle, menés depuis 2009 dans le cadre du Conseil de stabilité financière. Des avancées ont eu lieu pour les banques concernant le ratio de liquidité ou l’augmentation de leur capital. Aujourd’hui, la discussion porte sur la mesure faite du risque par les banques elles-mêmes à partir de leurs modèles internes, mesure dont les tests ont montré qu’elle pouvait être fortement sous-évaluée. Très peu de choses ont été faites dans le cadre du shadow banking (tout ce qui est non bancaire, hors assurance et fonds de pension, est considéré comme du shadow banking). Les hedge funds, les fonds communs de placement (FCP) et les asset managers s’appuient sur les banques pour se financer, ce qui les fragilise. Hors réglementation, l’évaluation financière est aussi délicate. Le système comptable international, directement géré par un collège de professionnels et de financiers privés, est fondé sur la fameuse fair value. C’est une idéologie dangereuse qui revient à supposer par dogmatisme que le marché financier reflète toujours la « vraie » valeur ou valeur « fondamentale » du capital. La crise financière en a démontré la fausseté. Un investisseur de long terme avec un passif long (assureurs, fonds de pension) doit adosser ses actifs à la maturité de son passif, non pas évaluer ses placements à la valeur de marché du moment. Il lui faut des évaluations fiables sur toute la durée de son investissement. Si la valeur de ses investissements dans ses actifs industriels fluctue en permanence, il peut être amené à en liquider une partie. La comptabilité n’est pas adaptée à un investissement de long terme aujourd’hui.

    Le développement de produits titrisés comme les CLOs (collateralized loan obligations) pose-t-il toujours problème?
    Ces produits existaient avant la crise et ils ont joué un grand rôle dans l’opacité des opérations financières sur produits dérivés qui ont masqué l’ampleur des leviers d’endettement parce que les banques se sont défaussées des risques de leurs crédits sur des structures financières non régulées et dépourvues de fonds propres adéquats. Ces produits complexes, transférés de gré à gré, étaient impossibles à valoriser en période d’incertitude. La titrisation doit porter sur des produits suffisamment homogènes afin d’être capable d’évaluer le risque en toutes circonstances. Certains CDOs (collateralized debt obligations) devraient ainsi ne plus exister. Autre point important : les chambres de compensation-règlement des titres. La compensation bilatérale, entre deux acteurs privés (over the counter – otc), a été source d’instabilité financière. Il faut absolument avoir des chambres de compensation multilatérales surveillées par la banque centrale.

    Appréciez-vous la nomination de M. Jérôme Powell  à la tête de la Fed?

    Le choix qui a été fait est sans doute le meilleur dès lors que le président voulait se débarrasser de Janet Yellen dans son obsession d’effacer les vestiges de l’ère Obama. Il s’agit incontestablement d’un signal de politisation de la Fed. En outre, le Board de la Fed n’est pas seulement incarné par Jérôme Powell. Trois autres personnes doivent être nommées, ce qui peut considérablement changer la philosophie de la politique monétaire. C’est un risque considérable. La gestion de la crise de 2008 a été très rapide. La Fed a joué son rôle de prêteur en dernier ressort pour l’ensemble du système financier qui s’effondrait. L’Europe, elle, a été très en retard sur cette politique, à cause des statuts de la Banque centrale européenne (BCE). Les conséquences ont été lourdes. Aujourd’hui, la Fed est très prudente pour préserver une croissance modérée. Si la politique budgétaire de Trump est 

    intégralement mise en place, la dette publique, déjà très élevée (105 % du PIB), augmenterait de 25 % en dix ans. Elle atteindrait alors 130 % du PIB. La conséquence sur la hausse des taux d’intérêt pourrait être dangereuse.

    Il est plutôt favorable à une certaine dérégulation…
    Les rapports de force se renversent. Si la dégradation des finances publiques est accompagnée d’une mauvaise régulation financière, l’action de la Fed devrait alors être très forte. Elle devrait racheter des titres de façon beaucoup plus soutenue qu’auparavant pour éviter que les rendements obligataires s’enflamment.

    Que se passerait-il alors?
    Si les investisseurs étaient surpris par des tensions de taux non ou insuffisamment anticipées, une contagion pourrait se propager à l’ensemble des taux obligataires du monde, comme lors du krach obligataire de 1994. La panique se déclencherait. Il faudrait une nouvelle action de prêteur en dernier ressort de la banque centrale. Il faudrait aussi généraliser un monde à taux négatifs pour soutenir les actifs financiers. Nous serions dans l’inconnu.

    Même la BCE devrait alors jouer le rôle de prêteur en dernier ressort?
    Oui, absolument. Mais c’est une question idéologique. Il s’est développé une double doctrine, de la neutralité monétaire à la suite de l’inflation des années 1970, de l’efficience financière et de valeur actionnariale, depuis les années 1990. Les entreprises seraient uniquement au service de l’actionnaire et la monnaie serait neutre. La banque centrale n’aurait donc qu’à ajuster ses taux directeurs en fonction de l’inflation. Cette doctrine est absurde. Si la monnaie était neutre, sa demande serait stable, et il y aurait aujourd’hui de l’hyperinflation à cause des trillions de dollars créés par les banques centrales !

    N’est-elle pas dans les actifs financiers?
    L’interrogation porte bien sur les prix des actifs. L’objectif est celui de la maximisation du rendement des actionnaires, qui nécessite des effets de levier importants. Il n’y a plus de force stabilisante autre que la perception de liquidité dans ce processus de valorisation boursière. L’inflation a été transférée des biens vers les actifs. Cela a conduit à une croissance sans fin de l’endettement et des menaces crises qui peuvent être de plus en plus fortes.

    Que peuvent faire les banques centrales?
    Il faudrait qu’elles adoptent une régulation macro-prudentielle. Cela permettrait de mettre en place des politiques contracycliques contraignant l’expansion des leviers d’endettement avant la formation des bulles financières. Les banques et tous les acteurs du shadow banking seraient sous contrôle, soit par des contraintes sur les réserves obligatoires, soit par l’interdiction de financer avec des effets de levier trop importants. Il existe des blocages des lobbies bancaires. Les banques centrales, elles, ont déjà adopté le discours macro-prudentiel. Il leur reste à l’appliquer.

    Certaines banques centrales émergentes ne financeraient plus depuis deux ans le déficit courant américain. Est-ce un risque de dépréciation du billet vert?
    La politique du président américain, Donald Trump, peut conduire à une hausse artificielle du dollar. Les tensions obligataires et la hausse du dollar pourraient conduire à un retournement conjoncturel qui s’accompagnera alors d’un retournement brutal du billet vert. La date reste inconnue. Cela pose la question du déclin américain. Le nouveau président privilégie les accords bilatéraux pour imposer les choix de la Maison-Blanche. Le dollar pourrait alors ne plus être considéré comme la devise refuge exclusive. C’est pourquoi les banques centrales se diversifient. Cependant, c’est dangereux pour les Etats-Unis, qui ont en ce moment un besoin de financement important à cause de son double déficit (courant et public). Il leur faudrait attirer des capitaux privés pour financer leur déficit extérieur en période de défiance vis-à-vis de la politique américaine. L’idée selon laquelle ces déficits pourraient s’autofinancer grâce à une croissance suffisamment élevée est une utopie.

    Pourquoi les marchés sont-ils dans le déni face au risque politique lié à Trump?
    Le risque politique n’est pas un risque probabilisable, c’est ce que l’on appelle l’incertitude radicale. On ne peut pas probabiliser le risque que Donald Trump mène une politique budgétaire acceptée par le Congrès qui aboutira au creusement des déficits. On ne sait pas quand elle va être validée. Ensuite et surtout, il est illusoire de croire qu’une politique de baisse massive des impôts pour les plus riches va élever la croissance dans une économie en plein emploi et déjà inégalitaire à l’extrême.

    C’est la même chose pour les risques géopolitiques, comme on l’a vu avec la Corée du Nord?
    Oui, bien sûr, parce que les investisseurs sont dans la recherche de rendements à court terme. Les fonds de pension privés à horizon long ont délégué leur gestion à des gérants d’actifs dont l’horizon est de trois mois, parce qu’ils sont passés à des cotisations définies, c’est-à-dire qu’ils rejettent les risques des fluctuations de la valeur de leurs actifs sur les ménages qui leur apportent leur épargne. A l’encontre des agissements de cette industrie, le fonds norvégien, qui est public, contrôlé par le Parlement selon un consensus bipartisan pour sortir progressivement des énergies fossiles, qui est géré par la banque centrale, a un horizon de cinquante ans. Ce qu’il faudrait, c’est suffisamment d’investisseurs responsables qui aient une vision de long terme pour redonner un sens au temps et rendre les valorisations plus stables. Le long terme a disparu ! On a structuré la finance de telle manière qu’on est totalement piégé par la recherche du rendement instantané.

    Pensez-vous que l’investissement responsable puisse résoudre ce problème?
    Oui, il faudrait que les critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) soient incorporés dans les travaux des analystes financiers et qu’ils rentrent comme des éléments essentiels d’élaboration et de diversification des portefeuilles. Mais on en est loin. On a vu quelques progrès, notamment depuis la COP 21. Certains groupes d’investisseurs, comme le fonds Marguerite en Europe, qui, du moins pour une partie de leurs actifs, crée les pools en commun pour investir sur le long terme et en particulier sur la transition énergétique. Il faudrait que cela devienne prépondérant, si l’on veut s’en sortir.

    Comment expliquez-vous cette faiblesse des gains de productivité partout dans le monde?
    La première chose à dire, c’est que justement, on n’en sait rien ! Il y a eu beaucoup de travaux sur le sujet. On voit ce déclin en parallèle avec une baisse de l’investissement en termes de poids dans le PIB, que ce soit privé ou public. En Europe, par exemple, on observe un déclin de l’investissement productif qui est considérable, qui a commencé dès le début des années 1990, avant la crise de 2007, et s’est aggravé avec elle. Or la productivité est liée en grande partie au renouvellement du capital, et son incorporation au phénomène d’obsolescence. Les entreprises font aujourd’hui leurs profits par d’autres voies que l’investissement productif. Elles agissent pour le compte des actionnaires par de la croissance externe, qui n’a pas nécessairement une logique industrielle de productivité, mais fait monter le cours des actions. Elles rachètent aussi leurs propres actions, distribuent des options d’actions à leurs managers et des superdividendes ; ce qui correspond à une logique purement actionnariale qui s’est beaucoup développée depuis les années 2000, surtout aux Etats-Unis.

    Quelles sont les autres raisons de la faible productivité?
    Les très fortes inégalités sociales expliquent aussi ce déclin. Il y a là un phénomène considérable, et aux Etats-Unis beaucoup plus qu’ailleurs. La part du salaire a baissé dans le PIB, et particulièrement pour les gens les moins fortunés, créant une structure des revenus très inégalitaire. Ceux qui ont la plus forte propension à consommer sont donc ceux qui ont le moins de revenus. Un phénomène qui n’arrivait pas dans le capitalisme d’après-guerre, lorsqu’il y avait des mécanismes de régulation des salaires par rapport aux progrès de productivité. Cette régulation salaires/profits était un élément important de la régularité de la croissance. Il y avait une boussole de croissance liée à la stabilité de la répartition des revenus. L’irrégularité de la croissance liée aux inégalités signifie pour les entreprises l’incertitude sur le niveau de demande de demain et donc de faibles investissements que seul le recours à un endettement à bas coût, parce que soutenue par les banques centrales, peut contrecarrer.

    Les progrès technologiques ne permettent-ils pas d’espérer une amélioration de la productivité?
    L’innovation technique fonctionne bien dans les start-up à la frontière technologique, mais la diffusion dans le tissu productif ne se fait pas. Il faudrait que les innovations radicales se transforment en innovations incrémentales dans tous les secteurs pour qu’une hausse régulière de la productivité soit enregistrée au niveau macroéconomique. Le progrès numérique, c’est bien, mais on sait aujourd’hui que l’enjeu majeur pour notre avenir est la transformation énergétique et climatique. Or rien n’est fait, rien n’avance, tout au moins à l’échelle de la mobilisation qui serait requise pour respecter les intentions annoncées. Et il y a des gisements de croissance considérables sur ce sujet ! Le numérique est une transformation de process, mais il faut une transformation de produits. Si ces produits sont des gadgets électroniques, cela ne nous avancera à rien ! Les grandes transformations du capitalisme se font dans l’histoire à des époques où les institutions sont cohérentes avec les besoins, notamment sociaux. Aujourd’hui, le capitalisme a des contradictions dans cette répartition. La croissance de la productivité globale des facteurs est faible et il faut la relancer.

    La mondialisation a-t-elle joué un rôle dans cet affaiblissement de la productivité?
    Les changements de la division du travail mondial intervenus dans les années 1990 ont aussi beaucoup joué sur la productivité. La Chine et l’Inde ont injecté, en quelques années, un milliard de forces de travail supplémentaires à des salaires très bas, créant un appel énorme de la consommation, en particulier des Américains, de produits en provenance de la Chine, qui était l’atelier du monde. Mais c’était un atelier à bas coût, à basse productivité, qui a affaibli l’industrie manufacturière et les progrès de productivité chez nous. Seuls les Allemands ont réussi à tirer leur épingle du jeu. Maintenant, la Chine monte en gamme à son tour.

    Vous dites que la Chine a une vision de long terme que l’Occident n’a pas, pensez-vous qu’elle devienne un exemple en matière d’environnement?
    Oui, je pense. Je travaille beaucoup sur la Chine. La situation environnementale s’est déjà améliorée. Le pays ferme de nombreuses firmes de production de charbon et il est en pointe sur les énergies renouvelables. Toute la région Tianjin-Pékin-Hebei, sujettes aux tempêtes de sable de la Mongolie intérieure, a mis des arbres pour freiner ces tempêtes, mais aussi fermé des usines. Le 19e Congrès du Parti est très intéressant. Les objectifs fondamentaux de l’économie, qui ont pour horizon 2025, 2035 et 2050, sont bouleversés : il n’y aura plus d’objectif quantitatif sur le PIB, mais sur la réduction de la pollution, la préservation et la reconstitution des écosystèmes, le développement intégré rural urbain, etc.

    L’économie planifiée aurait donc du bon?
    Il ne faut pas oublier que c’est une économie de marché, où le secteur privé a 70 % du PIB, avec une population capable de développer l’innovation de manière formidable. Cela dépend évidemment du plan, et, en cela, la Chine a été très différente de l’URSS. Le pays est en pointe sur les innovations technologiques. Il faut faire très attention à ne pas considérer la Chine comme elle pouvait l’être à l’époque de Mao. Ils ont réussi cette imbrication du secteur public et privé, du marché et de l’Etat, sans freiner l’innovation privée. Il s’agit d’une planification stratégique conduite par la Commission du développement et de la réforme, selon une logique analogue à celle que nous avons su instaurer en France après la Seconde Guerre mondiale et que nous avons abandonnée sous les coups de boutoir de la globalisation.

    Comment expliquez-vous la lenteur des innovations, par exemple pour les voitures propres dans les pays occidentaux?
    Dès 1998, les entreprises automobiles auraient dû se lancer. Le protocole de Kyoto est de 1996. Deux historiens américains des sciences, Naomi Oreskes et Erik Conway, ont écrit Les Marchands de doute, dans lequel ils ont étudié l’énorme difficulté qu’il y a eue, aux Etats-Unis, pour réduire la consommation de tabac. Un autre livre futuriste, L’Effondrement de la civilisation occidentale, a repris l’étude des mêmes mécanismes dans le cas de l’action du lobby des énergies fossiles, qui comprend notamment l’industrie automobile. Ils aboutissent à la possibilité d’un scénario noir sur ce qui peut se passer si on laisse déraper le processus climatique. Un scénario dans lequel les lobbys finissent par l’emporter, finançant un certain nombre de scientifiques pour dire que tout va bien, et devant lesquels les Etats finissent par capituler. Après 2050, on arrive à des hausses de températures qui dérapent au-dessus de 4 °C en moyenne, niveau où, d’après le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), les processus divergents se mettent en route et transforment irréversiblement le climat. Le cri d’alarme des plus de 15.000 scientifiques qui vient d’être lancé n’est rien d’autre que l’urgence qu’il y a de contrecarrer la réalisation de ce scénario. Que la hausse des températures ait augmenté dans ces dernières années, car les émissions des gaz à effet de serre progressaient au lieu de baisser, est alarmant. Tant qu’on n’a pas pris cette menace suffisamment au sérieux, tant que les politiques ne seront pas convertis à cela, les économies privées ne pourront pas à elles toutes seules lutter pour la survie de la civilisation humaine.

    Que faudrait-il pour réveiller véritablement les consciences politiques, un cataclysme naturel ? Oui, par exemple. Je pense beaucoup aussi à la possibilité de participation citoyenne, à des débats et à la modification de la mentalité des gens pour pousser les politiques. Il est très difficile de changer les mentalités politiques. Le fait que les compagnies d’assurances s’aperçoivent que leurs coûts augmentent énormément avec la multiplication des catastrophes naturelles est un signal très intéressant de prise de conscience dans le secteur financier.