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Congo: transition sans Kabila?

Congo

Lien publiée le 23 janvier 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://alencontre.org/afrique/congo/republique-democratique-du-congo-rdc-une-transition-sans-kabila.html

Par Colette Braeckman

La société civile, combien de divisions aligne-t-elle? La classe politique, depuis le décès d’Etienne Tshisekedi [en février 2017 à Bruxelles], quel leader incontestable, capable de faire descendre les foules dans la rue, peut-elle présenter? Les pressions internationales, que signifient-elles? Avec le soutien de la Chine, de la Russie, des voisins africains et peut-être de la France, il y a moyen de contrer les opposants, d’autant plus que les Etats, quels qu’ils soient, ont plus d’intérêts que de principes…

Sur le «terrain de jeu» congolais, voici quelques semaines encore, Joseph Kabila, longtemps sous-estimé et enfin révélé dans sa vraie dimension, était incontestablement le plus fort.

Arrivé au pouvoir en janvier 2001, il s’était révélé un bon élève de Mobutu, lui-même disciple de Machiavel: capable de diviser une classe politique vulnérable, comptant sur l’efficacité de ses services de renseignement et la capacité de répression de ses forces de sécurité.

Tablant sur la bonne volonté des évêques congolais qui s’étaient proposés comme médiateurs, il avait même cru, avec eux aussi, pouvoir jouer au plus malin, retarder autant que possible les échéances électorales et ne pas tenir ses promesses de libération des détenus politiques.

Rôle social

Ayant grandi en Tanzanie, Joseph Kabila, malgré une épouse très croyante, aurait-il sous-estimé la capacité de mobilisation de l’Eglise catholique, la puissance de ses réseaux associatifs, de ses relais internationaux? N’aurait-il pas mesuré le fait que dans ce pays où l’Etat incarne plus l’extorsion et la contrainte que le bien commun, c’est l’Eglise catholique, aux côtés des autres confessions religieuses, qui assure une grande part des services sociaux, de l’enseignement, de la santé?

Avoir donné à la conférence épiscopale le sentiment d’avoir été flouée après l’accord de la Saint-Sylvestre a représenté une erreur politique qui n’a pas pu être corrigée par la publication de la loi électorale. Mais il y eut pire: avoir porté la violence à l’intérieur des églises – gaz lacrymogènes, tirs à balles réelles et à bout portant sur des chrétiens en prière, arrestations – ressemble fort à une erreur fatale.

Car face au rusé président, poussé à la faute par la manifestation des laïcs chrétiens, le 31 décembre dernier, l’Eglise a sorti son joker, et il est de taille: monseigneur Monsengwo est monté en ligne.

Le cardinal de Kinshasa, indigné par les violences, n’a pas mâché ses mots: «barbarie» , «mensonges systémiques», «brutalités policières». Avec une conclusion accablante, qui vise peut-être toute la classe dirigeante congolaise: «que les médiocres dégagent».

Le pouvoir a beau démontrer que le prélat avait rencontré à Bruxelles des chefs de l’opposition (dont Moïse Katumbi) et suggérer qu’il y aurait eu manœuvre concertée, rien n’y fera: au Congo comme à Rome, le jugement de Laurent Monsengwo Pasinyia sera considéré comme parole d’Evangile et il fera date.

La place et le rôle de Monseigneur Mousengwo

En effet, l’archevêque de Kinshasa est à la fois un très haut dignitaire de l’Eglise catholique et une figure marquante de la vie politique congolaise.

Mgr Monsengwo

Originaire du Bandundu, Laurent Monsengwo, 78 ans, part pour Rome après ses études au grand séminaire de Kabwe et obtient un doctorat en Ecriture sainte à l’Institut biblique pontifical. Intellectuel de haut niveau, il maîtrise le latin, le grec mais aussi l’hébreu, l’araméen et d’autres langues anciennes.

Nommé évêque auxiliaire à Inongo puis archevêque à Kisangani, cet aristocrate de l’Eglise ne sillonnera pas beaucoup les brousses abandonnées et les paroisses rurales car en 1984 déjà, il est élu président de la conférence épiscopale du Zaïre. Après qu’en 1991 le président Mobutu a décrété la fin du parti unique, la Conférence nationale souveraine sera l’occasion d’un immense «examen de conscience» national au cours duquel s’exprimeront toutes les forces vives de la nation.

Voix nasillarde et timbre assuré, «Monseigneur» est élu président de la CNS – Conférence nationale souveraine – dont il dirige les travaux avec autorité. Alors que le président Mobutu, assailli par les critiques, perd peu à peu le contrôle de la situation, qu’Etienne Tshisekedi, élu Premier ministre, refuse d’assumer ses responsabilités et multiplie les manœuvres dilatoires, l’évêque de Kisangani semble être la seule personne sensée de cette fin de règne. Prudent, il refuse même de publier les conclusions des commissions consacrées aux «biens mal acquis» et aux assassinats. Son sens de l’Etat lui vaudra, de 1992 à 1996, d’être président du Haut-Conseil de la République, érigé en Parlement de transition.

La fin du président Mobutu semble alors inéluctable: le «Guide» est miné par le cancer, il est incapable de faire face à l’avancée des troupes rebelles qui progressent inexorablement vers Kinshasa. Dans une ultime tentative, la France proposera même que l’évêque de Kisangani se voie confier, provisoirement, les rênes de l’Etat, mais il est trop tard: le 17 mai 1997 les rebelles entrent dans Kinshasa, Mobutu s’enfuit, Laurent Désiré Kabila devient président, une page est tournée.

Serein, monseigneur Monsengwo retourne à ses charges ecclésiastiques, à son diocèse, puis il est élu président du symposium des conférences épiscopales d’Afrique et de Madagascar et vice-président de Pax Christi. Il déclarera plus tard : «Je n’envie pas le pouvoir politique… Si je le voulais, je l’aurais pris en 1997, avec la chute de Mobutu, mais je ne l’ai pas fait car mon pouvoir ecclésiastique est mille fois supérieur au pouvoir politique.»

De fait, l’Eglise catholique a besoin de cet intellectuel brillant, de cet homme d’expérience qui n’a cependant jamais rejoint la théologie de la libération et Benoît XVI, lors du consistoire du 20 novembre 2010, l’élève au rang de cardinal.

A cette occasion, on mesure combien le pouvoir de Kinshasa mesure mal le fonctionnement de l’Eglise: dans un premier temps, par des manœuvres de coulisses, la présidence tente d’influencer la diplomatie vaticane afin d’empêcher la promotion de cet homme jugé trop proche des anciens de l’UDI (Union des démocrates indépendants), des conservateurs. Cette tentative s’étant soldée par un échec prévisible, elle est remplacée par les grandes orgues: à grands frais, une importante délégation est envoyée à Rome pour célébrer l’événement et par la suite, le nouveau prince de l’Eglise sera accueilli en grande pompe à Kinshasa.

Discret sur le plan politique, le cardinal Monsengwo poursuit son ascension au sein de l’Eglise catholique: il participe au conclave qui élit le pape François en 2013 puis, en signe de confiance, ce dernier le choisit pour représenter l’Afrique au sein d’un groupe de huit prélats chargés de l’épauler dans la réforme de la Curie romaine.

Au courant de tout

Malgré ses responsabilités au sein de l’Eglise, le cardinal de Kinshasa demeure l’un des hommes les mieux informés du pays: il rencontre régulièrement les évêques des autres diocèses et des 160 paroisses de Kinshasa remontent toutes les informations de la base. Il n’ignore rien des carences de l’Etat, des coupures d’eau et d’électricité, des hôpitaux défaillants, des écoles dont les élèves sont chassés s’ils ne peuvent payer le minerval.

Il sait que la violence a déplacé quatre millions de citoyens et que, plus que jamais, le Congo ressemble au Zaïre de Mobutu, «un pays où tout se vend et tout s’achète».

Mais le cardinal sait aussi qu’à l’abri des églises se rassemble la nouvelle génération. Des jeunes qui refusent la corruption du système, qui luttent pour le changement et qui réagissent au quart de tour lorsque la conférence épiscopale déclare, après l’échec des négociations, que les citoyens devront «se prendre en charge» et qu’un «plan B» sera mis en œuvre.

Nous y voilà. Longtemps préparé dans l’ombre, le mouvement «Telema Ekoki»» (Mettez-vous debout) est désormais lancé et l’appel des laïcs n’est que la face visible d’une vague de fond qui secoue le pays et qui pourrait déboucher sur une «transition sans Kabila», c’est-à-dire un pouvoir intérimaire. Pour diriger cette «TSK» qui se traduirait par de nouvelles tractations politiques, le temps d’organiser de futurs scrutins, plusieurs noms sont cités, dont celui du docteur Mukwege (voir l’article ci-dessous) ou de l’archevêque de Kinshasa. Reste à savoir si ces hommes d’expérience sont réellement tentés par cette aventure à hauts risques et ne préféreront pas préserver une posture morale qui les place au-dessus de la bataille…

*****

L’initiative de la Coordination des laïcs catholiques.
Et la réaction policière

Par Colette Braeckman

Cadenassées, surveillées, mais finalement sous contrôle: Kinshasa et les grandes villes du Congo ont connu une nouvelle tension à la suite de l’appel du comité de coordination des laïcs catholiques (CLC) demandant aux fidèles de manifester après la messe du dimanche.

1.- Quelle fut l’ampleur de la manifestation? Le samedi déjà, les forces de sécurité étaient en état d’alerte, établissant des barrages routiers, fouillant les véhicules et dans certains cas se saisissant de chapelets et de missels, les «armes» dont pensaient se munir les fidèles… La présence de Casques bleus dans les rues, en tant qu’observateurs, a peut-être empêché certains débordements.

A Kinshasa, la Monusco avance le chiffre de cinq morts, mais de source officielle on assure que trois morts ont été des victimes accidentelles. Dans l’ensemble du pays, 33 personnes ont été blessées lorsque les manifestants ont été confrontés aux gaz lacrymogènes mais aussi à des tirs à balles réelles.

A Kinshasa cependant, des sources proches des forces de l’ordre nous ont assuré que les policiers n’avaient pas de balles dans leurs fusils et avaient reçu la consigne de ne pas ouvrir le feu, même si le docteur Jean-Baptiste Sondji, un opposant de longue date, a déclaré avoir vu un tir partir d’une auto mitrailleuse et, face à l’église Saint-François-de-Sales, provoquer la mort d’une jeune fille de 16 ans.

Dans la capitale, selon un observateur, un accord tacite aurait prévalu: les forces de sécurité avaient demandé aux manifestants de ne pas défiler sur les grands axes tout en tolérant qu’ils se déploient dans les quartiers et autour des églises. C’est ainsi qu’au sortir de la paroisse Christ Roi les manifestants ont parcouru deux kilomètres avant d’être stoppés au rond-point Victoire.

2.- Les provinces ont-elles bougé? A Kisangani, où la population est descendue massivement dans la rue, onze personnes ont été blessées, à Beni, 24 membres du collectif citoyen Lucha (Lutte pour le changement) ont été arrêtés, des arrestations ont eu lieu à Goma, Mbuji Mayi au Kasaï s’est retrouvée totalement quadrillée. Ces faits amènent à conclure que la mobilisation citoyenne demeure intacte mais que les forces de sécurité ont également démontré leur capacité à se déployer efficacement sur l’ensemble du territoire.

3.- L’appel des laïcs chrétiens a-t-il fait tache d’huile? D’autres confessions religieuses ont, à leur manière, rejoint le mouvement: le pasteur protestant David Ekofo, au cours d’une messe d’hommage à Laurent Désiré Kabila a tenu des propos aussi critiques que ceux de son collègue catholique, les musulmans ont lancé un appel aux forces de l’ordre leur demandant de ne pas tirer sur les chrétiens et les kimbanguistes se seraient également montrés solidaires du mouvement. Seules les églises de réveil ne semblent pas avoir bougé.

Dr Mukwege

4.- Des personnalités connues ont-elles rejoint le mouvement? A la tête du Comité des laïcs se trouvent des personnalités de renom comme le théologien Thierry Nlandu ou l’historien Isidore Ndaywel et depuis Bukavu, le docteur Mukwege a lancé un vibrant message aux manifestants déclarant entre autres: «tenons bon dans la résistance, l’issue est imminente et notre peuple vaincra», ajoutant «nous n’avons qu’une mission, nous battre pour le retour de l’ordre constitutionnel et la restauration de la dignité de notre peuple.»

5.- Quelles sont les relations entre les manifestants chrétiens et les partis politiques? La plupart des leaders de l’opposition (Vital Kamerhe, Martin Fayulu, Félix Tshisekedi…) ont participé aux marches, mais ils n’étaient pas à la manœuvre. Relativement déconsidérée, la classe politique a cédé la main à l’Eglise catholique et aux mouvements citoyens plus proches de la base.

6.- L’objectif des chrétiens a-t-il évolué? Officiellement il s’agit toujours d’obtenir la décrispation du climat politique, la libération des prisonniers politiques, mais dans les faits, beaucoup rêvent à un changement de régime, sans attendre les élections prévues pour décembre prochain. Quant à la «communauté internationale» c’est-à-dire les Occidentaux, elle se tâte: les Américains acceptent l’échéance de décembre, les Européens, avant de participer au financement des élections, souhaitent qu’un comité d’experts puisse accompagner, c’est-à-dire contrôler, la Commission nationale indépendante, ce que refuse le Congo, au nom de sa souveraineté. (Articles publiés dans Le Soir, datés du 18 janvier et du 22 janvier 2018)