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La rédemption de Moix
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://blogs.mediapart.fr/blaz/blog/230118/la-redemption-de-jan-moix
Jan Moix est indigné. La France l’a trahi, aujourd’hui il s’en rend compte, dire que tout ce temps il a vécu dans le mensonge. La carte n’est pas le territoire, les postures grandiloquentes ne font pas les beaux principes. Déjà, sa génération née le cul dans le beurre mourrait d’ennui. Voilà qu’elle ment. Et pas en Allemand.
Décidément Jan Moix épate la galerie. Matador et Torquemada des talk-shows, écrivaillon à ses heures, adepte d’une littérature « Tupperware », le voilà métamorphosé en Zorro de la cause migratoire ou plutôt celle des réfugiés : « La migration est un chiffre, l’exil est un destin ». La formule est lapidaire. Elle affecte l’épargne hussarde à peine boursouflée par une pointe d’agonie rhapsodienne. L’exil est un destin en effet, destin de « merde » pour rester dans l’actualité, mais destin quand même. Tenter la traversée Damas-Paris n’est-ce pas avoir un peu la folie des grandeurs ?
Sur le pupitre de Ruquier, tout le monde connait le scénario :
« Vlà le deal coco : nous on fait la promo de ton livre, Jan Moix te déglingue, D’ac »
« Mouais, tant qu'il y a du frolic à croquer...».
« Niveau diversité de l’opinion, la règle de l’émission c’est simple coco: une seule opinion dressée toutes les semaines en fait divers. Si possible de concert et en répétant les mêmes inepties au profit de qui tu sais bien…»
Bref, difficile de donner du crédit à ce trublion télégénique. L’homme qui défend les exilés contre la matraque policière est le même qui sert la soupe à Manuel Valls en prime-time. Ce cher Manolo dont chacun sait l’empathie pour les rom et autre mélanine sombre. Et comme Moix n’a ni peur des énormités, ni du bonnet d’âne, ni du grand spectacle, aux heures pleines, il se demande si à l’égal de Clémenceau, Valls profite d’une retraite pour s’élever intellectuellement au-dessus de la postérité. Quelle tartufferie et quel mépris pour les téléspectateurs. Valls est un rond de serviette, chez lui l’intellect se résume à deux ou trois cantiques de management.
Et pourtant. Peut-être me trompe-je mais il y a comme une étincelle de vie dans la lettre ouverte qu'a adressé Jan Moix à Monsieur le président. Comme si le personnage débordait des traits de son masque pour affecter l’irrémissible indignation. Certes, son maître à penser BHL, fils prodigue d’une lignée gaspillant la fortune du père faite sur le bois africain (pauvre papier) nous a habitué aux sorties botullesques où le héros d’un polar renversé se fait à la fois climax, victime et bourreau du récit fictionnel. Si l’impressionnisme allemand tire toute sa splendeur de l’ornement qui s'éparpille dans les décors, Botul s’est intronisé lui-même "despote et ornement". Il incarne le médium sans le message, le signifié-signifiant, les droits de l’homme pittoresques en un mot.
Jan Moix semble lui transsubstantié par son expérience. C’est la magie des vécus et de l’enquête ethnographique. Moix parti un jour en safari à Calais s’est fait happé par son objet de recherche. Il a vu ce que jusqu’alors il n’avait jamais pu voir, trompé jusqu'ici par son style romanesque. Il est indigné et il a raison de l’être. Il faut parfois que la République traverse la carte postale pour voir ce qui se trame derrière la facétie. L’agonie de l’écrivaillon n’est-elle pas celle d’une quête de l’absolu ? Cet absolu insaisissable, impalpable, si possible avec une raie sur le côté, le voilà restituer entièrement dans une expérience humaine.
Jan Moix se croyait semeur de troubles, grand pourfendeur des Turcs et des barbares, voilà qu’une valse calaisienne le renvoie à sa propre tragédie. L’autre, cet exilé comme lui respire, pleure, aime, s’offense et aspire à une vie tranquille. Quelle leçon de vie ! Dire qu’il a fallu trépigner la boue et le destin des Under-class pour s’en rendre compte. Adieu l’apostrophe, Adieu Levinas, Adieu l’illusion, ici les verbes et les formules sentencieuses cèdent à l’urgence des tubes digestifs.
Jan Moix est indigné. La France l’a trahi, aujourd’hui il s’en rend compte, dire que tout ce temps il a vécu dans le mensonge. La carte n’est pas le territoire, les postures grandiloquentes ne font pas les beaux principes. Déjà, sa génération née le cul dans le beurre mourrait d’ennui. Voilà qu’elle ment. Et pas en allemand.
La flicaille cogne, nous qui « sentions pas bon » le savions, lui ne le savait pas. La volaille gaze, humilie, fouille femmes et enfants, traite les inférieurs en inférieurs, elle est même acquise aujourd’hui aux idées du Front national. À plus de 60%. Tout cela le prix "Jeunesse-Goncourt" ne le savait pas. Il s’indigne et culpabilise: "Punaise, toutes ces heures perdues sur les sofas moelleux".
Rendons grâce à cet instant de vérité, de lucidité, d’une expérience à hauteur d’homme. La lettre de Jan Moix vibre dans le ciel, marche sur l'eau, elle est la preuve de la perfectibilité de notre espèce. Non Nietzsche, nous ne sommes ni voués à la vengeance, ni à l’immoralisme mais aux lumières kantiennes.
Si seulement Jan Moix pouvait se répandre quelques jours sur Gaza…