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Nihilisme sociologique ou enquête ouvrière ?
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://vosstanie.blogspot.fr/2018/01/nihilisme-sociologique-ou-enquete.html
Autour de l’ouvrage de Jean-Pierre Durand
La fabrique de l’homme nouveau.
“Nous reconnaissons bien la nécessité, le caractère inévitable de tous les événements qui se passent, mais nous ne nous inclinons pas indifféremment devant eux”
Mikhaïl Bakounine
Œuvres - Tome IV. FRAGMENT, formant une suite de
L'Empire Knouto-Germanique. p 451-458
Vous êtes en route pour visiter un psychiatre (pourquoi pas ?) quand votre médecin référent vous appelle de toute urgence pour vous annoncer que vous avez une maladie incurable, 5 ans tout au plus.
Quand soudain il vous invite à vous arrêter net au prochain magasin de bricolage pour vous acheter prestement une pelle. Il vous incite alors à creuser immédiatement votre propre tombe.
En arrivant plus tard chez le psychiatre alors que vous êtes sous le sous le coup de la sidération, ce dernier vous conseil alors d’aller vous cacher en attendant de décéder lentement.
C’est à peu près l’effet que peut faire la lecture des ouvrages de sociologie de notre époque ou d’analyses de l’économie dite “libérale”. Le dernier en date que nous avons longuement feuilleté et plusieurs fois le soir très tard après une journée éreintante portait le titre : La fabrique de l’homme nouveau sous-titré travailler consommer et se taire, d’un certain Jean-Pierre Durand.
Outre le fait que l’on ne connaissait pas cet individu dont nous n’avions jamais entendu parlé, pas même sur notre sur notre lieu de travail (quel scandale !) on peut se demander alors pourquoi il est important de le lire son ouvrage (un de plus) dont la critique ne nous semble pas forcément obligatoire mais parce qu'elle nous indique encore les impasses d’un genre, certaines limites théoriques ou l'absence de perspectives, que l’auteur ne dégage pas pour des raisons que nous tenterons d’analyser. Mais surtout parce que tout ceci nous permet particulièrement d’avancer sur nos propres limites et insuffisances.
Mais avant….
Vivre les choses, ressentir ce qu’il se passe, être touché impacté par tout un tas d'événements plus ou moins conflictuels au travail ou au quotidien suscite un nombre de réponses assez différentes. Il n’en va de même pour les questions posées qui ne s’invitent plus forcément dans le débat.
Fuite, dépression, replis sur la sphère “privée” (ou se trouve est-elle actuellement ?) ou des loisirs, les alternatives ou stratégies d’évitements sont nombreuses et compréhensibles.
Ce qui ne fait plus vraiment “sens” c’est notre rôle, notre place dans ce commerce de relations et d'interactions dont on perçoit a minima si l’on est pas complètement dans une bulle qu’elles permettent à certains de s’enrichir et à d’autres de gagner laborieusement leur pitance et à d’autres encore de vivre tranquillement du moins le pensent-ils.
Mais que peut-il bien se dégager de cette répétition sisyphéenne ?
Que dit-elle sur nous-mêmes ou sur nos aspirations ? De l’ordre social dominant par exemple ? Ces questions dites “existentielles” semblent se noyer dans la nécessité de la survie et la quotidienneté. Payer son loyer ou occuper son temps dit mort d’ersatz de vie cellophané ne semble même plus être questionné.
A cela la sociologie n’a jamais proposé que l’implacabilité de faits moyens et une péremptoire scientificité dont nous verrons la fortune un peu plus tard. Comme une forme de phénoménologie au sens étymologique [1] du terme dont l'objet se trouve être destiné aux différences instances de contrôle de l'ingénierie sociale étatique, la gouvernance (par le marché) ou pour alimenter le big data.
L’analyse de la répétition et des interdépendances, l’exposition de faits ne contiennent pas d'interprétations intrinsèques, n’indiquent rien de ce que nous alimentons. Ils ressemblent à des grands constats qui n’invitent plus à aucune mobilisation ou à la stimulation de notre imaginaire. Sauf peut-être de participer à l’ouverture de portes déjà grandes ouvertes d’une morne réalité que l’on nous demande d’accepter tantôt comme magique ou comme rationnellement morbide ceci en fonction des intérêts du moment.
Constater serait déjà un premier pas ?
Mais l’analyse des inégalités par exemple, ne dit plus rien du projet d’émancipation, puisqu’il ne s’agit que de discuter d’égalité “des chances” dans la concurrence ou du droit à être “différent” pour pouvoir se vendre comme un objet flexible et original.
Les inégalités économiques et sociales semblent maintenant aussi “injustes” que le salaire du footballeur, c’est à dire aussi incroyables qu’ indispensables pour que ce monde puisse tourner.
S’il est de moins en moins question d’avoir accès à la science de sa misère dans une optique de critique radicale du monde et donc d’abolition ou de destruction de l’ordre existant, et par la même de sa condition, c’est qu’il s’agit de plus en plus trouver des solutions pour une harmonie douteuse dans un monde inquiétant, absurde pour certains plus certainement destructeur pour la majorité la population.
En ce qui concerne les “propositions” philosophiques (sans parler du politique) du moment, elles ne suscitent que des solutions de pacotilles spiritualistes aussi virtuelles qu’aux prétentions vertueuses et participent finalement de la résignation par l'intériorisation de problématiques qui ne sont plus que personnelles, ou des communautés aliénés au marché. Il n’y a qu’à constater la manière dont s'agglutinent et s’articulent les mots valises, creux et expiatoires comme des formes de prières.
“Si les hommes pouvaient régler toutes leurs affaires suivant un dessein arrêté ou encore si la fortune leur était toujours favorable, ils ne seraient jamais prisonniers de la superstition ”
Spinoza - Préface au Traité théologico-politique.
La pauvreté, la précarité, la fragilité a aussi fait de nous des êtres potentiellement dominés par des puissances qui nous dépassent. L’étude et la rationalisation de cette fragilité ou du malheur possible suscite aussi notre souhait de maîtrise des événements pour ne plus être le produit de la contingence, de l'arbitraire ou des discours sur la nécessité.
Il s’avère même possible dans cette recherche de “sens” que nous nous trouvions finalement dominés par nos propres constructions intellectuelles, nos propres fétiches.
Ce qui interroge au-delà du souhait légitime de “comprendre” c’est que du folklore réactionnaire au pantomime “progressiste” l’unique but soit finalement d’administrer la conflictualité et le marché de manière plus ou moins régulée. Finalement le consensus est total.
Il ne s’agit donc plus de “changer de base” et le sens de ce couplet [2] imposait ses objectifs et ses moyens d’y parvenir.
Comme on n’a jamais vu un marteau s’emparer d’un homme ou d’une femme. On ne verra donc jamais la sociologie se préoccuper de révolution sociale, d’abolition de l’argent ou de tout ce qui permet la disparition du capitalisme.
Mais reprenons le fil après ces digressions d’ordre générale pour nous concentrer sur notre objet…
Le fameux livre, celui de Jean-Pierre Durand (J-P.D) prend le parti de se réclamer d’Antonio Gramsci. Il nous annonce sous son patronage que nous vivons le temps de la fabrique d’un “homme nouveau”, c’est à dire que nous vivons rien de moins qu’un changement anthropologique. (Alors que nous mangeons déjà du poisson radioactif !) On pense de suite à l’homme/femme des idéologies dites “totalitaires”. Sourcé par un tas de références de ses pairs J-P.D est sociologue au centre Pierre Naville.
Avant une analyse factuelle et de terrain, notre auteur déploie sa trame de départ celle de la “fabrique” de cette homme/femme qu’il tempère finalement par “modelage”.
Il nous semble tout à fait possible de suivre la démonstration de J-P.D à savoir que l’industrie automobile et la production de masse a été un laboratoire du modèle productif capitaliste. La démonstration qu’il développe sur l’extension de ce modèle et de sa transposition sur la totalité des aspects de la vie, refuse l’explication fonctionnaliste au profit d’une “auto-poesis” du capital.
Le problème à notre avis c’est qu’il ne nous indique rien de la manière dont la classe ouvrière l’a combattu, c’est à dire que son propos ne dit rien de la praxis prolétarienne.
Il en va de même de la tendance historique du passage de la soumission formelle à la soumission réelle du travail sous le capital [3] , dont il élude totalement l’analyse et l’importance et ce n’est pas sans conséquences sur le reste de son propos.
Son explication sur le passage du modèle fordiste à la Lean production (Toyotisme) puis au Lean management ne tient pas plus compte des révoltes, que ce soit celles de l’ouvrier masse ou de celles qui se revendiquaient de l’anti-bureaucratisme structurellement lié au modèle fordiste. (Voir plus bas)
S’il traite plus que succinctement de la crise de la valorisation du capital à la fin des années soixante sans expliciter la configuration géopolitique particulière, (les deux blocs) n’est-ce pas finalement pour mieux éluder la dimension politique de cette contestation ?
On soulignera ici que:
Si les luttes (dont ne parle pas l'auteur) ont fourni l’élan de ce cadre “participatif” et “travaillé” à ce souhait “d’autonomie” du “salarié” par sa “collaboration” c’est bien après l’échec de fond du projet radical d’émancipation et d’aspirations réprimées et subverties.
Nous pourrions par exemple discuter du Conseil d’usine si cher à Gramsci, qui n’a jamais remis en cause le modèle hiérarchique ou l’organisation technique/scientifique du travail. Ironiquement on pourrait même avancer qu’il est la forme récupérée par le capitalisme du Lean production/management ?
Sa démonstration est pourtant intéressante sur ce qu'implique le Lean management c’est à dire l’objectivation de l’obligation de se mobiliser qui est imposée par le flux tendu à main d’œuvre réduite et qui par la subjectivation à conduit à adopter les objectifs managériaux et donc à intérioriser ce qui était hétéronome à savoir la domination par un déploiement de dispositifs de contrôle (techniques et managériaux).
La limite du Lean se trouve dans la fragilité du flux et dans ce qu’implique socialement, nerveusement, physiquement sur les “salariés” mais jusqu’à quel point ? Dans un monde où les hommes et les femmes sont des marchandises obsolètes ?
Mais aussi parce que le modèle productif trouve sa butée dans un monde de services fait d’humains et donc d'imprévisibilité. Voilà donc les limites du Lean.
C’est pourquoi J-P.D peut affirmer sans surprise que nous sommes à l’heure du post-fordisme. Sans pour autant avoir fait disparaître l’encadrement / production par Lean.
Toute la démarche de J-P.D pourrait d’une certaine manière faire écho a minima à celle de Raniero Panzieri en son temps quand ce dernier énonce:
“Il nous faut absolument repenser la façon dont le socialisme peut se servir de la sociologie ; les méthodes sociologiques doivent être étudiées à la lumière d’hypothèses fondamentales qui découlent d’un fait initial : les conflits peuvent se transformer en antagonisme et n’être plus dès lors fonction du système (les conflits étant fonction du système parce que le système progresse par eux). “
Publié en 1965 dans Quaderni Rossi, n° 5. Conception socialiste de l’enquête ouvrière.
Surtout quand J-P.D affirme p.59 de son ouvrage qu’il s’agit de “mettre en œuvre une démarche dialectique, c’est à la fois reconnaître les interstices d’autonomies favorables aux ajustements et surtout rechercher les sources ou les leviers de résistances et d’opposition aux tendances dominantes afin qu’émergent des possibles ”
Mais la proposition de J-P.D se trouve être finalement inverse de la proposition de R. Panzieri, c’est à dire que :
La sociologie dans son “entreprise” peut se servir du “socialisme” et même partir de la théorie marxiste ! Mais d’un marxisme qui permet d’alimenter la production d’un savoir séparé, une théorie à usage institutionnelle toujours à renouveler dans un monde de capital/savoir qui a sa propre logique productive. Grâce à une “méthode” désubstantialisée c’est à dire dont on élude les fins, mais aussi ses moyens, c’est à dire la radicalité historique dans l’analyse. Autrement dit la compréhension jusqu’à la racine des choses et dont le but précis se trouve dans la perspective révolutionnaire mise en œuvre par les intéressés eux-mêmes.
La sociologie (ici la microsociologie) tant à lisser les antagonismes historiques pour les transformer en un moment de l’accompagnement, (Le conflit contre l'antagonisme), à cause d’un type de focale d’analyse mais aussi grâce à une naturalisation du marché ou de son l’apologie dans la régulation.
Mais comment pour le cas présent ?
- Par exemple en traitant de la “disjonction” comme d’un “symptôme” et en utilisant le vocabulaire hérité de la psychologie et en affirmant qu’il s’agit d’une forme de pathologie liée à un décalage, une désillusion ou d’une attente contrariée du corps social par rapport à une supposée “autonomie” dans le travail qui ne peut se réaliser réellement (?) . Celle-ci génère donc une forme de “clivage” dont les “ajustements“ se trouvent être dans des “leviers”. Il ne reste alors que la thérapie, la psychologie du travail, un management plus humain ou les électrochocs. Notons de plus que l’utilisation ces derniers temps de ce type de registre a toujours la manie à déplacer la “conflictualité” dans l’individu. Autrement dit elle ne sera traitée que de manière interne et non plus externe. Voila donc une autre manière de ne point discuter des rapports sociaux de classes.
- En ne traitant pas des conditions par lesquelles le “producteur” s’est historiquement structuré depuis les premiers affranchissements de l’époque médiévale jusqu’au statut de l’auto-entrepreneur, c’est à dire en tant que “travailleur libre”, autrement dit en tant que travailleur considéré comme propriétaire de sa force de travail - et donc contraint d’être un individu formellement “libre” à savoir une marchandise et comme toutes les marchandises avec une valeur d’usage et un d’échange. Cette “subjectivation” du prolétaire comme individu n’est donc pas nouvelle et elle ne doit rien particulièrement à une théorie originale du management sortie de la tête de Ford ou d’un prof du M.I.T, mais à la structuration du capital à son approfondissement et ses accélérations.
Si J-P.D nous parle de dépossession (des savoir-faire), il n’indique rien sur cette aliénation historique au fondement de la grande expropriation opérée par le capital ou/et de la séparation d’avec les moyens de production.
Ce grand scandale dont il n’est jamais question et dont on ne veut rien savoir et qui est au cœur même de la critique révolutionnaire de l’exploitation.
Contrairement à ce que peut laisser supposer l’auteur du livre, le prolétaire de par sa condition même a déjà tout à fait intégré le décalage entre ses aspirations et le réel. Celles qui sont soit disant proposées par la société marchande et sa position de dominé. Sa situation même lui dicte l’impossible comme le possible.
Il n’y a que le méritocrate qui prend des coups de plafond de verre sur le crâne.
Mais cela lui imposerait alors une critique sévère de la classe de l’encadrement et des illusions qu’elle entretient par le biais de sa fonction de sa reproduction et des idées qu’elle produit.
Bien avant de rentrer dans le cœur de l’activité économique le prolétaire est déjà séparé, pour le meilleur et pour le pire de ce qui a permis de voir “l'individu” émergé dans nos sociétés.
Cette catégorie “d’individu” est constitutive de l’économie marchande et du monde contemporain mais elle est aussi ne l’oublions pas la source de la subjectivité moderne c’est à dire d’une forme d’auto-conscience, d’une conscience réflexive mais aussi de formes contemplatives autrement dit du retrait.
La “subjectivitation” des prolétaires questionne toutes les philosophies politiques de la “réconciliation”.
Se “réconcilier” ? Mais avec quoi au juste ? Si nous sommes “séparés” ne le sommes nous pas essentiellement d’avec les moyens de production ? Par la hiérarchisation (brutale, cachée , feutrée ou intériorisée ) pour l’exploitation ?
Soulignons un paradoxe peut-être éclairant pour comprendre ici les enjeux.
L’ouvrage de J-P.D s’inspire de Gramsci et d’une accroche historiciste à savoir celle de cet “’homme nouveau” qui s’annonce toujours plus nouveau que le précédent. Comme cette impression de vivre L'Époque la plus importante chaque fois plus charnière que les précédentes.
Mais rappelons ici que Gramsci était fasciné par le modèle fordiste. Ce que J-P.D ne souligne pas ou dissimule. Gramsci défendait donc un modèle qui n’était pas sans lien avec le hiérarchisisme, l’autoritarisme et le centralisme du parti bolchevik. Comme Trotski dans Terrorisme et communisme, (1920) il reste un défenseur de la militarisation du travail.
“ Le principe de la contrainte, directe ou indirecte, dans l'organisation de la production et du travail, est juste, mais! la forme qu'elle avait prise était erronée; le modèle militaire était devenu un préjugé funeste [...] se refuser la possibilité de comprendre l'importance, le sens et la portée objective du phénomène américain, qui est aussi le plus grand effort collectif qui se soit manifesté jusqu'ici pour créer, avec une rapidité prodigieuse et une conscience du but à atteindre sans précédent dans l'histoire, un type nouveau de travailleur et d'homme.”
Gramsci dans Américanisme et Fordisme [Notes extraites du Cahier V écrit en 1934.]
Or l’auteur est pensons nous un représentant de ce marxisme des rapports de production [4] ou orthodoxe, dont le modèle a été un échec aussi bien pratique que théorique.
Ce qui explique la perspective politique de son analyse comme de ses propositions ou de ses analyses. Elles se situent finalement au niveau de l'échec de ce courant et donc du “pessimisme” politique.
Cauchemar climatisé ou Barbarie ?
Il n’est alors point étonnant que les hypothèses et conclusions de l’auteur ne soient que d’ordre du binaire, de la partition ou du scénario, c’est à dire quelque chose écrit d’avance. Le noir, le pessimiste donc (et entendu) et le rose très pâlichon que l’on ne sait vraiment comment qualifier mais dont les propositions relèvent du :
- Partage du “travail” toujours aliéné. C’est à dire que la merde est toujours ramassée par les mêmes, la hiérarchie se trouve conservée.
- De la redistribution des “richesses” ? faites sur du travail manifestement exploité ? ou celles faites sur le pillage ou la fabrication d’armes ?
- D’une finance clairvoyante puisqu’il la trouve “aveugle” et absurde (pas pour tous)
- D’un “capitalisme de reconstruction” de la planète (sic)
- “Des entreprises aux finalités revisités” c’est à dire l’art et la manière d’aménager sa propre geôle.
?
- etc...
N’en jetez plus…
Enfin de compte J-P.D ne compte que sur l’auto-poesis du capital et sur les réactions possibles qu’elle suscitera (on comprends mieux pourquoi) chez les prolétaires tout en étant plus que sceptique sur sa capacité d'organisation. En affirmant par exemple que “les hommes participent à l'histoire mais ne la font qu’a de rares occasion” p 259.
On peut bien l’entendre, comme le fait que le "capital humain” ne soit qu'une “chose” et même obsolète mais les lignes ne bougent pas toutes seules sauf à considérer qu’il n’y a que des "objets" et pas de “sujet” et donc pas de capitalisme.
On peut même défendre l’idée que les hommes / femmes font l’histoire malgré eux et des fois contre eux -mêmes, mais ne doit-on pas aller dans le sens de cette nécessité de faire l’histoire consciemment ?
Si notre micro-sociologue déborde son objet pour rentrer alors dans l’historique c’est pour affirmer avec un certain mépris mécaniste (selon nous) qu’il ne s’agit que de “cris collectifs”, donc pour mieux éviter de parler de ce qui “pourrait être” ou de la nécessité de s’organiser par exemple ? De résister collectivement pour et par un combat de classe pour l’abolition de la société capitaliste et de ses catégories....
Il nous semble tout à fait incroyable que l’auteur puisse disserter sur ses propres propositions qualifiées “d’optimistes” et qui tournent autour d’un pathétique et dérisoire régulationnisme de ravalement de la misère (Étrange pour un marxiste !) auquel il ne croit d’ailleurs pas alors que pendant une centaine de pages il est question de rien de moins que d’une transformation anthropologique !
Si le communiste, n’a pas à être “optimiste” ou “pessimiste” c’est qu’il ne se demande pas si son action est “indispensable” ou “inutile”. Il sait surtout qu’il ne peut plus vivre dans la société actuelle, il comprend également qu'une solution individuelle n’est qu’une illusion. Mais surtout ne compte sur aucun scénario écrit à l’avance. Ce n’est bien sûr pas le propos de notre auteur.
“ L’agnosticisme sociologique — l'un des moyens de défendre des positions idéologiques devenues indéfendables devient par la-même un principe fondamental de méthode (agissant inconsciemment bien entendu). La sociologie se comporte ainsi tout comme la bureaucratie des pays capitalistes, ou des monarchies semi-féodales passant au capitalisme : elle « résout » les questions embarrassantes en renvoyant éternellement les dossiers un service à l’autre, aucun d’eux ne se déclarant compétent pour prendre une décision au fond ”
György Lukács, La Destruction de la raison. II, L'Irrationalisme moderne, de Dilthey à Toynbee Éditions de L’Arche 1959, p. 160.
Cette “décision de fond” dont parle Lukács pourrait s’appuyer dans un premier temps sur la dénonciation de ce que l’on peut qualifier ici même de nihilisme en sociologie, qui sous couvert d’une forme de “rationalité” mécaniste nous affirme que rien n’est plus possible et que tout court inévitablement vers le pire ou le rose de celui dont on use pour le capitonnage de cercueil.
La fatalité historique étant décryptée et analysée par le seul sociologue dans son petit bureau du centre Pierre Naville face à la puissance de l'imprévisibilité de l’Histoire !
Comme un vieux sketch de la deuxième internationale en inversé et en version anxiogène mais avec un fatalisme d’une autre nature, non de l'avènement du socialisme mais du parce que “tout est foutu”.
Quant au quiétisme il est toujours entretenu par ce capital automate qui liquide tout sur son passage.
Alors point besoin de s’agiter on ne bouge plus, ça ne bouge pas.
L’histoire n’est plus à faire, le pudding plus à manger parce qu’il est avarié. Mais avons-nous seulement le choix de ne pas le bouffer ?
On constatera donc l'abandon de la perspective révolutionnaire est le trait le plus saillant du livre. Il est alimenté par les limites de la subjectivité en politique. Parce que le volontarisme est impuissant à contrebalancer l’arrivée de la figure de “l’individu”, d’un individu qui plus est séparé (de son produit et des autres) et chaque fois plus des différents aspects de sa propre vie.
C’est aussi parce que celui-ci est toujours sommé de choisir entre la politique et la vie, la théorie ou la pratique, l’individu ou le collectif, ceci dans un monde ou le “calcul” du lendemain se trouve être la seule “action” possible.
S’il est difficile de proposer des solutions clés en main, il est en revanche impossible d’éluder la perspective révolutionnaire afin d’éviter l’agnosticisme sociologique qui peut virer au nihilisme.
Il s’impose également à notre but de renouer avec l’enquête ouvrière (par exemple) comme outil de combat/compréhension. Celui-ci nous permettra de briser l’atomisation et de renouer avec les logiques collectives du combat de classe. Pour ne plus laisser aux spécialistes (l’intellectuel organique et séparé) le soin d’éluder l’optique révolutionnaire ou de nous égarer dans les voies du compassionnelle ou du défaitisme.
Apprendre à nager
Pour ne pas être happé par le tourbillon de l’absurde
Construire un radeau
Plonger pour ne pas vaciller au niveau de l’écume
Rejoindre l’autre rive et repartir
Se saisir de l’horizon pour enfin quitter
Le bord de L’eau...[5]
NOTES
[1] Du grec : phainómenon, « ce qui apparaît » et logos, « étude ».
[2] Couplet 1 de L'INTERNATIONALE, Eugène Pottier en 1871.
[3] Voir à ce sujet : Un chapitre inédit du CAPITAL - Karl MARX : Résultats du procès de production immédiathttps://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-inedit/kmcapI-6-2G.htm
[4] Voir notre prochaine émission de Radio Vosstanie avec João Bernardo autour de son ouvrage : Economia dos Conflitos Sociais - (Économie des conflits sociaux).
[5] Nom de la maison d’édition de l’ouvrage dont il est question.