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    A Paris-VIII, un bâtiment réquisitionné pour loger des migrants

    éducation immigration

    Lien publiée le 3 février 2018

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    http://www.liberation.fr/france/2018/02/02/a-l-universite-paris-viii-un-batiment-requisitionne-pour-loger-des-migrants_1626965

    Depuis mardi, le bâtiment A de l'université Paris-Vincennes-Saint-Denis, historiquement de gauche, est occupé par des étudiants et des migrants. Le but : revendiquer la liberté de circulation et permettre aux exilés, qui habituellement dorment dans des campements, de s'organiser politiquement.

    «Je fais cours dans une salle où il y a des gens qui dorment !» Ce jeudi vers midi, un enseignant de Paris-VIII déboule dans le bâtiment A, l’air furibard. Depuis que le lieu a été réquisitionné par des étudiants pour y loger des migrants, mardi 30 janvier, à la place de sa salle de classe, située à l’étage du dessus, se trouve un dortoir. D’autres ont été transformées en réfectoire ou en pôle de coordination des actions. Là, à côté du tableau blanc recouvert de listes de besoins (collecter des oreillers, du linge de lit ou dégoter un réfrigérateur), du programme de la journée, et au milieu des piles de produits d’entretien et d’hygiène, un membre du «comité de soutien aux exilé·es» tente d’expliquer à l’enseignant le sens de leur action. C’est peine perdue : l’enseignant tourne les talons au bout de quelques minutes, pestant contre une «occupation illégale», alors qu’une odeur de riz, en préparation dans un grand autocuiseur, envahit la salle, dédiée habituellement aux arts plastiques. Des planches pleines de peinture sont entassées contre les murs, un mégaphone traîne sur une table, une plaque de cuisson sur une autre.

    Dans le couloir, ses élèves sont plus réceptifs, juste un peu dépités de ne pas avoir été prévenus. Dans l’ensemble, jurent plusieurs étudiants de cette université historiquement marquée à gauche, l’accueil a été favorable. «Il n’y a quasiment aucune résistance, 90 % des profs sont d’accord [avec nous]. Des étudiants et des profs ont donné de la nourriture. Il y a plein de gens qui n’attendaient que ça, qu’une action se monte pour pouvoir y participer», explique un étudiant, qui comme tous ses camarades ne préfère pas donner son nom pour «ne pas être individualisé».

    Saint-Denis, le 1er février 2018. Dans une salle de classe de l'université Paris 8 à St-Denis.  Le batîment A a été réquisitionné par un comité d'étudiants pour l'hébergement d'une quizaine de réfugiés.

COMMANDE N° 2018-0093Photo Adrien Selbert. VU pour Libération

    «Je veux juste vivre en liberté»

    Depuis trois jours, des personnes originaires du Soudan, de Guinée, d’Ethiopie, de Somalie et d’Erythrée ont donc pris leurs quartiers à l’université Paris-Vincennes-Saint-Denis. Le comité de soutien ne veut pas dire combien. On en a croisé au moins quinze, les Inrocks en évoquent une trentaine. Parmi eux se trouve un Ethiopien de 24 ans. Il tient à se faire appeler Netsanet, ce qui signifie «liberté». Comme de nombreux migrants, il décrit son pays comme un endroit à l’avenir bouché, où il faut les bonnes connexions politiques pour réussir. Après être entré dans l’opposition, il dit avoir été dénoncé comme organisateur politique et avoir fui son pays, où il a laissé une épouse et deux enfants.

    Son périple, qui a duré plus d’un an, l’a mené au Soudan puis en Libye, où il raconte avoir travaillé sans être payé, pour des Libyens, avant de s’échapper et d’embarquer dans un bateau pneumatique via un passeur. En novembre dernier, l'Aquariusle bateau de SOS Méditerranée et Médecins Sans Frontières qui patrouille au large de la Libye pour sécuriser le passage des milliers de migrants qui empruntent cette dangereuse route maritime, l’a récupéré et conduit dans un port sûr, en Italie. Au cours du voyage, dit-il, deux personnes ont perdu la vie. Netsanet met ensuite quelques semaines à gagner le sud de la France, via Milan, Vintimille puis Menton, et se rend à Calais pour gagner l’Angleterre. Il se cache dans un bus, échoue de peu à passer outre-Manche à la suite d’un contrôle de billets.

    A Calais, il décrit des rapports tendus avec la police, des gazages de lacrymogènes, des effets personnels et des médicaments confisqués. Il dit même avoir été menacé de mort. «Quand je suis arrivé en France, je n’ai pas trouvé le pays comme je l’imaginais, explique-t-il, C’est honteux [ce qui se passe à Calais]. Je n’ai pas eu peur à ce point-là pour ma vie en Libye. J’en suis arrivé jusqu’à penser qu’on pourrait me tuer ici en Europe.» Désormais à Paris, Netsanet, qui faisait des petits boulots en Ethiopie, dit vouloir «un avenir calme. Mais je ne sais pas ce que je vais faire. Dans ma vie, je n’ai jamais connu le succès. Je veux juste un endroit où je pourrai vivre en liberté. Mais il me faut des papiers pour vivre ici en liberté.»

    L’occupation du bâtiment A a un double but : loger des gens souvent condamnés à errer du centre d’accueil de la Chapelle aux trottoirs de Paris, d’abord. «Un toit, ce n’est pas juste être au chaud, explique une étudiante, c’est avoir une vie un peu normale, ce qu’ils n’ont pas eu depuis longtemps. Quand tu es dans un duvet, que tu passes ton temps à chercher à manger, tu ne peux pas t’organiser, avoir une parole politique. Et les évacuations empêchent la construction de groupes et la solidarité.» Porter des revendications politiques, ensuite. «On veut que le plus de monde possible soit au courant des conditions dramatiques dans lesquelles [les migrants] sont non-accueillis», martèle un étudiant.

    Photo Adrien Selbert. VU pour Libération

    Alors que le gouvernement doit présenter son projet de loi asile et immigration en conseil des ministres le 21 février, exilés et étudiants réclament notamment «des papiers pour tous», «la liberté de circulation et d’installation pour tous», «la fin de la distinction entre "migrants économiques" et "réfugiés politiques" pour en finir avec une politique qui trie les "bons" et les "mauvais" migrants». Pour la libre circulation, c’est râpé : à l’entrée de l’université, les cartes d’étudiants sont contrôlées par intermittence, empêchant toute personne non inscrite à la fac d’aller et venir à sa guise. Contactée, la présidence de l’université ne nous a pas répondu.

    Dans le viseur des étudiants et des exilés se trouvent aussi la circulaire Collomb sur l’hébergement d’urgence, condamnée par le monde associatif et le Défenseur des droits, et le règlement de Dublin. Lequel prévoit qu’une personne doit demander l’asile dans le premier pays européen où elle a laissé une trace, qu’elle ait ou non la volonté d’y vivre et qu’elle en parle ou non la langue. Or, les migrants arrivés par la mer en Italie y sont contraints d’y laisser leurs empreintes et ne peuvent donc plus demander asile en France.

    «Si on me renvoie en Italie, je reviendrai en France»

    C’est le cas d’Abdoul Ahmed, 22 ans, originaire de Centrafrique, pays qu’il a quitté à cause de la guerre. Lui aussi a connu tout un périple de Bangui à Paris, a travaillé sans être payé avant de quitter la Libye par la mer et d’être récupéré par le bateau d’une ONG allemande et conduit en Italie. «C’était obligatoire d’y donner ses empreintes», témoigne-t-il, alors qu’il aurait préféré demander un permis de résidence en France, dont il parle la langue. «Ça fait six mois que j’ai fait la demande d’asile, mais je suis dubliné. Si on me renvoie en Italie, je reviendrai en France, je n’ai pas d’autre endroit où aller», promet Abdoul Ahmed, dont le rêve est de «continuer [ses] études en informatique. Si la guerre s’arrête, je retournerai rendre visite à mes parents, mais en Afrique, il n’y a pas assez de sécurité pour rester.»

    Il a fallu deux mois au collectif, un regroupement de plusieurs organisations étudiantes ou de soutien aux migrants, et de migrants des campements de la Villette et la Chapelle, pour peaufiner son action. Le choix d’installer des personnes exilées dans une fac n’a pas été fait au hasard : «Dans n’importe quelle université, c’est la présidence qui décide de l’entrée ou non des forces de l’ordre. On savait qu’on aurait quelques jours de plus que si c’était la préfecture seule [qui décidait d’une éventuelle évacuation]», détaille un étudiant à lunettes.

    Occuper une université, c’est aussi «une réponse en acte à la réforme de la sélection : nous on veut ouvrir toujours plus l’université, l’ouvrir à tous. L’idée c’est aussi de permettre aux occupants l’accès aux cours», explique un autre étudiant. Mardi, l’action avait failli être abandonnée, après que le camp de la Villette a été évacué. «Les groupes [de migrants] avec lesquels on était en contact n’étaient plus là. On était à deux doigts d’annuler mais on a fini par les retrouver. On est venus [à l’université] par petits groupes de deux ou trois», explique un membre du comité.

    «On voulait vraiment privilégier la sécurité, abonde l’un de ses camarades, et en faire un lieu pérenne plutôt qu’avoir juste une action coup de poing». À côté de lui, des jeunes gens fabriquent une banderole, qui rejoindra sans doute la poignée flottant déjà devant le bâtiment, pendant que deux autres s’attellent à confectionner un gaspacho pour le déjeuner. Si les étudiants s’organisent pour être une trentaine chaque soir à dormir sur place, afin par leur présence de sécuriser les lieux, ils assurent vouloir progressivement se retirer de l’organisation, et laisser les occupants du bâtiment s’autogérer : «Ce sera aux occupants de peaufiner leurs revendications. Nous on peut les aider sur la logistique, mais notre action politique s’arrête là.» Une étudiante ajoute : «Les gens doivent pouvoir décider ce qu’on fait des lieux, notamment quand des grands espaces sont libres.» Dans le couloir, une feuille scotchée au mur blanc invite d’ailleurs les volontaires à s’inscrire pour se rendre prochainement à Notre-Dame-des-Landes.

    «On appelle les autres universités à faire la même chose, à ouvrir des lieux», expliquent les membres du comité de soutien aux exilés. Fin novembre, une action similaire avait été menée à Nantes, où des étudiants avaient réquisitionné deux bâtiments universitaires pour y loger plusieurs dizaines de mineurs isolés, auxquels ils avaient donné en outre l’accès aux cours. L’action avait duré une dizaine de jours, avant que l’université ne soit autorisée à faire évacuer les lieux par les forces de l’ordre.