[RSS] Twitter Youtube Page Facebook de la TC Articles traduits en castillan Articles traduits en anglais Articles traduits en allemand Articles traduits en portugais

Agenda militant

Newsletter

Ailleurs sur le Web [RSS]

Lire plus...

Twitter

"Classes laborieuses, classes dangereuses" dans la tête des magistrats

Répression

Lien publiée le 7 février 2018

Tweeter Facebook

Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.lesinrocks.com/2018/02/06/actualite/le-leitmotiv-classes-laborieuses-classes-dangereuses-nest-pas-sorti-de-lesprit-des-magistrats-111043491/

Depuis le début de l'année, les procès de militants syndicaux s'enchaînent. Alors que Loïc Canitrot (CGT-Spectacle) et Philippe Poutou (CGT-Ford) ont été relaxés, Gaël Quirante (SUD PPT 92) est menacé de licenciement par la direction de La Poste. L'avocate spécialiste du droit du travail Marie-Laure Dufresne-Castets, auteure d'“Un Monde à gagner” (éd. Don Quichotte), décrypte cette situation.

De Philippe Poutou à Gaël Quirante, en passant par Loïc Canitrot, plus en plus de militants passent en procès pour des faits qui leurs sont reprochés lors d’actions syndicales. Cela témoigne-t-il d’une plus grande sévérité patronale selon vous ?

Marie-Laure Dufresne-Castets – Il y a effectivement un lien à faire entre, d'un côté, l’accroissement de la libéralisation et l’effacement des règles en droit du travail, qui donnent les coudées franches aux patrons pour faire ce qu’ils veulent, et de l'autre un appesantissement du contrôle d’Etat sur les personnes. Les moyens policiers se sont en effet multipliés sous le prétexte des attentats que la France a subis, si bien que la police est extrêmement présente, et la justice n’est plus conçue que comme un moyen répressif.

On observe donc que dès qu’il y a des problèmes dans une entreprise, on envoie des salariés au correctionnel. Cela a été le cas de Loïc Canitrot, de la Compagnie Jolie Môme. Je me suis également occupée de neuf salariés de PSA qui ont simplement accompli leur mission de délégués syndicaux. Pour défendre des salariés en retour d’arrêts maladies, ils sont montés au bureau du chef – une tradition ouvrière assez classique –, où ils sont restés 17 minutes. Pour cet acte, ils ont été poursuivis pour “séquestration” [et condamnés chacun à cinq mois de prison avec sursis, ndlr]. Notons que cela ne tombe jamais tout à fait par hasard : Peugeot avait déjà en tête le prochain coup, qu’il est en train de jouer actuellement avec sa rupture conventionnelle collective, qui entraîne des suppressions de postes à Poissy.

Pour préparer cela, on commence par faire peur aux gens, en en poursuivant quelques-uns. C’est une tactique qui n’est pas nouvelle. Or on se rend compte qu'elle est devenue quasi-systématique. Désormais, les employeurs dégainent tout de suite.

“On assiste à une double évolution : du droit du travail dans le sens d’un libéralisme effréné, et un accroissement du contrôle policier sur la population”

Il y a donc un lien direct entre ces persécutions et la réforme du code du travail et les ordonnances Macron, qui semblent donner plus de pouvoir aux entreprises ?

Dans mon analyse, il existe bien un lien. Plus la société devient libérale sur le plan économique, plus elle se durcit sur le plan du contrôle policier. C’est un grand classique. Dès lors que l'on voit les disparités économiques s’accentuer et que les employeurs se mettent à avoir tous les droits, comme c’est le cas en ce moment, le pouvoir se dote d'un appareil de répression pour mater la réaction de la population. C'est déjà ce qui s'était produit sous Napoléon III, qu'on surnommait “Le Petit” en raison de ce qu'il était moralement. On assiste actuellement à une double évolution : l’évolution du droit du travail dans le sens d’un libéralisme effréné, et un accroissement du contrôle policier sur la population.

>> Lire aussi : Portraits de Yann Le Merrer et Gaël Quirante, grévistes de choc <<

Dans ce contexte, que se passe-t-il dans les tribunaux ? Pendant le procès de Loïc Canitrot, son avocate a dénoncé une “prise de parti outrancière du parquet pour le puissant”, en l'occurrence le Medef. Est-il vraiment difficile d’avoir des procès équitables quand ils opposent des militants à des grandes puissances économiques ?

Dans ce procès en particulier, ils ont été absolument obligés de relaxer Loïc, car ils étaient au bord du grotesque. Le chef de la sécurité du Medef a même retiré sa plainte au dernier moment, alors que la procédure durait depuis plus d'un an. On était quasiment dans un cas de dénonciation calomnieuse.

“Les parquets n’ont pas le même traitement des affaires, selon que le poursuivant est employeur ou salarié”

On observe que les parquets poursuivent avec une grande célérité les travailleurs. En revanche, ils peinent à poursuivre les employeurs. Un exemple à Versailles - c’est frappant car c’est le même tribunal : je m’occupe d’un cas d'accident mortel du travail qui a mis quatre ans pour venir devant le tribunal correctionnel – Renault était le donneur d’ordre, dans un système de sous-traitant –, alors que les neufs salariés de PSA qui sont restés 17 minutes dans le bureau de leur chef, ça a mis six mois ! Les parquets n’ont pas le même traitement des affaires, selon que le poursuivant est employeur ou salarié.

La neutralité sous laquelle les parquets se drapent n’est-elle pas effective ?

Je crois que personne n’est véritablement neutre. Les parquets sont en relation hiérarchique directe avec l’exécutif. Mais même les juges sont en règle générale d’une extrême sévérité à l’égard des petits, et d’une mansuétude souvent impressionnante à l’égard des puissants. Ce n’est pas une nouveauté : les juges sont du côté de l’ordre établi. Toute personne qui redresse la tête et semble contester cet ordre est en puissance quelqu’un de dangereux à leurs yeux.

>> Lire aussi : Comment la lutte des classes se poursuit au tribunal <<

Lors des procès de militants syndicaux, leurs actes tendent souvent à être définis comme relevant du domaine du fait divers. Est-ce que vous observez cette tension ? 

En effet. Je ne suis pas pour une immunité syndicale : si des syndicalistes commettent des infractions, ils doivent être punis, l’Etat doit intervenir pour les réprimer. Mais dans l’appréciation de la peine, tous les éléments doivent intervenir. Le problème c’est que même quand aucune infraction n’a été commise, la plupart du temps les travailleurs se retrouvent condamnés.

“Le leitmotiv 'classes laborieuses, classes dangereuses' n’est pas sorti de l'esprit des magistrats”

Le poids de l’institution et les codes des tribunaux ne participent-ils pas, dans ces cas-là, à discréditer la parole des syndicalistes ?

On pourrait faire de la sociologie judiciaire, effectivement, et se rendre compte que les magistrats sont du côté du manche. Ils sont en outre d’un conformisme très impressionnant. C’est sans doute le caractère qui domine chez eux. Le leitmotiv “classes laborieuses, classes dangereuses” n’est pas sorti de leur esprit.

Est-ce que cela vise à faire plier les travailleurs, à ne plus contester ?

Oui. Les riches veulent être protégés, le pouvoir en place protège les riches, et il le fait grâce à cette répression policière.

Récemment Philippe Poutou et Loïc Canitrot ont été relaxés. Cela prouve que la justice peut être un outil de défense efficace contre un patronat qui cherche à réduire les salariés au silence ?

La justice peut être un outil en droit du travail. On peut toujours tenter d’obtenir justice, et il arrive qu’on l’obtienne. Sur le plan pénal je distinguerais cependant les choses. Il y a eu des mobilisations très importantes autour de Loïc, son procès a été très bien relayé par les médias. Dans ces cas-là, la justice se fait sous le regard du public. Les juges sont donc plus attentifs à ce qu’ils rendent.

Pour les salariés de PSA, le procès n'a été que très relativement relayé, parce que ce ne sont pas des artistes, que ce sont des délégués peu connus, à la différence de Philippe Poutou. A ce moment, la justice passe d’une manière plus dure. Mettre les événements sous les yeux du public constitue une aide non négligeable. C’est la raison pour laquelle la justice est publique en France : les juges doivent rendre compte de leurs décisions, elles doivent apparaître justes à la population. La justice est faite pour ça, en principe.

Propos recueillis par Mathieu Dejean