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«La rétention est un dispositif qui ne fonctionne pas», estime la Cimade

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Lien publiée le 19 février 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.liberation.fr/france/2018/02/19/la-retention-est-un-dispositif-qui-ne-fonctionne-pas-estime-la-cimade_1630459

Le projet de loi «asile et immigration», qui sera présenté mercredi en Conseil des ministres, prévoit de doubler la durée maximale de la rétention pour les étrangers en attente de renvoi hors du territoire. La Cimade est vent debout contre le texte. Jean-Claude Mas, son secrétaire général, en explique la raison.

Rétentions et expulsions forcées en 2016 en Europe.

Doubler la durée maximale de la rétention administrative pour les étrangers en situation irrégulière devant quitter le territoire : de toutes les dispositions du projet de loi «asile et immigration», qui sera présenté mercredi en Conseil des ministres, celle-ci est l’une des plus critiquées par les associations de défense des droits des étrangers. La Cimade, qui accompagne les personnes étrangères dans leurs démarches, fait partie des opposants au texte. Ce lundi, elle rend publique une compilation de données à l’échelle de l’Union européenne (UE), comparant durée de rétention maximale dans chaque législation et nombre d’éloignements forcés (voir infographie).

Selon l’association, la France est le pays qui expulse le plus en Europe (en additionnant les éloignements forcés réalisés depuis l’Hexagone et l’outre-mer) tout en ayant l’une de plus courtes durées de rétention. L’Italie a par exemple une durée maximale de rétention deux fois supérieure à la France et elle expulse beaucoup moins (deux fois moins si on ne prend que l’Hexagone). La Finlande se classe aussi huit rangs derrière la France en nombre d’expulsions, avec une durée maximum de rétention huit fois plus longue. Reporter à quatre-vingt-dix jours au lieu de quarante-cinq la durée maximale de rétention ne serait donc pas réellement nécessaire, selon la Cimade. Explications de Jean-Claude Mas, son secrétaire général.

Que dit la mise en perspective entre la durée de rétention maximale et le nombre d’expulsions forcées ?

Elle démontre qu’il n’y a pas de corrélation entre la durée de rétention et le nombre d’expulsions. Or, ce que le gouvernement prétend aujourd’hui, c’est qu’en allongeant la durée de rétention, on pourra plus expulser. L’analyse qu’on a pu faire, démontre que ce n’est pas corrélé.

Mais est-ce suffisant pour affirmer, comme vous le faites, que la durée de rétention en France ne doit pas être allongée ? Peut-on vraiment comparer des pays européens où le flux migratoire ou encore la législation ne sont pas identiques ?

Nous ne sommes pas spécialistes de l’ensemble des politiques publiques européennes. Il n’empêche que le gouvernement justifie uniquement cette disposition par le fait qu’il pourra plus expulser. C’est simpliste. L’enjeu c’est de pouvoir obtenir des laissez-passer consulaires, ce n’est pas le temps le problème, c’est le respect de la souveraineté des Etats à délivrer ces laissez-passer. Cette mesure est inefficace et contribue à la violence institutionnelle, à la maltraitance de ces personnes.

Quels risques y a-t-il à placer en rétention des personnes plus longtemps qu’aujourd’hui ?

Les personnes qui font quarante-cinq jours de rétention sortent dans un état détérioré. Donc le doublement, voire le triplement, puisque dans certains cas cela pourrait aller jusqu’à cent trente-cinq jours, va indubitablement entraîner des risques de gestes de désespoir. La rétention est un lieu d’enfermement qui produit des effets traumatiques importants. On est dans un milieu carcéral, avec des policiers, des verrous, des caméras, de la surveillance. Et cela concerne des gens qui sont à un moment délicat de leur parcours.

Les trois pays qui expulsent le plus après la France ont pourtant une durée de rétention maximale parmi les plus longues : dix-huit mois contre un mois et demi actuellement en France… Y a-t-il une «exception française» ?

Nous, ce qu’on constate, c’est que la France expulse le plus. Indépendamment des durées de rétention des uns et des autres, ce qu’il faut regarder c’est la logique d’enfermement et d’expulsion. Pour nous, c’est un dispositif qui s’emballe, avec des enfermements massifs et abusifs : dans les centres de rétention où la Cimade intervient, les juges libèrent 40 % des personnes qui ont été enfermées. Ils sanctionnent une pratique illégale des préfectures.

L’important, ce n’est pas tant la durée que l’acharnement à vouloir enfermer. L’un des objectifs du gouvernement c’est de montrer qu’on expulse plus qu’avant, le ministère de l’Intérieur se prévaut beaucoup de l’augmentation du nombre d’expulsions depuis quelques semaines. Le risque c’est que cela se fasse au prix d’une maltraitance et d’abus.

Vous avez basé les chiffres que vous présentez sur les données Eurostat 2016. La France n’y inclut pas les données d’Outre-Mer, que vous avez réintégrées au calcul du nombre d’éloignements forcés de France. Pourquoi ?

Il est important qu’on prenne en compte ce qui se passe en Outre-Mer, qui est un peu le point aveugle des politiques migratoires. Quand il y a des débats publics, on en parle peu. Ce sont des territoires de dérogation importante du droit, on a des procédures et un cadre juridique plus contraint et déjà dérogatoire. A Mayotte, en matière d’enfermement et de rétention, on a un nombre très important d’enfants qui sont enfermés et expulsés, et de personnes qui sont expulsées avant même qu’elles aient pu faire valoir leur droit, car le processus (arrestation, enfermement, expulsion) est trop rapide.

Le gouvernement le justifie comme «à situation exceptionnelle, politique exceptionnelle», à Mayotte, ou en Guyane, où les personnes franchissent facilement la frontière depuis le Brésil ou le Surinam. Nous disons qu’il ne doit pas y avoir d’application de politique exceptionnelle mais que les droits fondamentaux des personnes doivent être pris en compte dans les politiques publiques.

Comment fluidifier, rendre plus efficace, le système sans enfermer davantage ou plus longtemps ?

La solution de la Cimade est simple : fermeture de tous les lieux de privation de liberté des personnes étrangères au motif qu’elles n’avaient pas le bon papier au bon moment. Nous sommes contre la logique de la rétention. Il y a d’autres façons de penser la politique migratoire, en pensant d’abord que ce n’est pas forcément un problème, que la question de l’éloignement n’est pas forcément centrale.

Enfermer dans un système quoi qu’on en dise carcéral, ce n’est pas digne d’une France qui se présente comme celle des droits de l’homme. Aujourd’hui, ce dispositif est une caution pour une communication sur une politique migratoire qui se donnerait les moyens de fonctionner. Mais il dysfonctionne : sur les 50 000 personnes enfermées chaque année, la moitié est libérée, une partie est expulsée vers des pays européens et ces personnes reviendront quelques semaines après. On est sur un dispositif qui de toute façon ne fonctionne pas. On nous renvoie qu’il n’y aurait pas d’autre moyen, mais le système montre ses limites. Il va bien falloir réfléchir, à terme, à d’autres façons de penser les politiques migratoires.

Plus largement, au-delà de la question de la durée de rétention, comment jugez-vous les dispositions du projet de loi, par exemple sur le droit d’asile, qu’il est censé, dit le gouvernement, renforcer ?

Ce projet de loi n’est pas équilibré. Le centre de gravité penche résolument vers une logique de contrôle, de tri et d’expulsion. Il est avant tout d’abord répressif. Sur l’asile en particulier, on nous explique que ce sera mieux. Certes il y a des améliorations, par exemple sur l’allongement de la durée du titre de protection subsidiaire [de un à quatre ans, ndlr], ce qui est évidemment une avancée.

Mais on est aussi dans une logique de réduction de la durée d’instruction de la demande d’asile, où on contrevient à un certain nombre de droits, par exemple quand on réduit le délai de recours après un rejet de la demande par l’Ofpra [Office français de protection des réfugiés et apatrides, ndlr], ou quand on généralise la visioaudience. Cela met les gens dans une situation particulière, face à un écran, au moment où elles doivent convaincre sur leur situation. On s’assoit sur les garanties et les droits de la défense. Nous disons oui à une instruction plus rapide mais pas au détriment de la qualité de traitement des dossiers. On craint que cela ne soit le cas.