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"Elle subit un harcèlement sexuel, le dénonce et est licenciée pour faute grave"
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Aux prud'hommes, Fatima conteste son licenciement. Elle décrit les agissements outranciers de son collègue contre lequel elle a porté plainte.
Les conflits qui animent les prud'hommes reflètent quotidiennement notre histoire sociale. L'audience en bureau de jugement est publique. Régulièrement, une journaliste de L'Express assiste aux débats.
Paris, conseil des prud'hommes, section départage, le 15 décembre 2017 à 9h30.
L'affaire est entendue en départage car les conseillers du bureau de jugement ne sont pas parvenus à se mettre d'accord sur la décision. Le juge départiteur est entouré d'une conseillère et d'un conseiller. Face à eux, la salariée est représentée par une avocate, son ex-employeur par un avocat. Une représentante de l'association violence faite aux femmes (AVFT) est également présente pour une intervention volontaire.
Le juge: "C'est un dossier dans lequel il est question de harcèlement sexuel, dans un parc de stationnement. Maître, vous avez la parole."
L'avocate de Fatima (1): "Les faits commencent en 2013. Un salarié protégé, délégué du personnel, arrive dans le parc de stationnement où travaille la salariée. Son attitude est déplacée, il multiplie les remarques à caractère sexuel. Ma cliente essaye de faire en sorte que cela ne l'impacte pas. Mais fin 2014, un nouveau responsable arrive et ferme les yeux sur tout ce qui se passe. Les allusions à connotation sexuelle vont crescendo. Ma cliente travaille le matin, son collègue l'après-midi mais il se trouve systématiquement avant le début de son service pour la harceler. Il veut lui faire la bise, elle refuse. Il se colle à elle, se lèche les lèvres ostensiblement en la regardant, entre dans les vestiaires quand elle s'y trouve. Il fait une danse orientale face à elle et lui lance des bonbons dans le décolleté! Le fait déclencheur est le jour où elle reçoit des propos misogynes en arabe: elle quitte son lieu de travail en pleurs. Elle est choquée. Le surlendemain, elle reçoit une lettre de convocation préalable à licenciement. Nous sommes fin juin 2015. Elle va voir le médecin du travail, dépose une main courante relatant ce qui s'est passé et se rend à l'entretien avec un délégué. Ma cliente dénonce précisément les faits de harcèlement sexuel et le salarié qui l'accompagne fait lui-même état des faits dont il a été témoin. Résultat: ma cliente est licenciée pour faute grave le 16 juillet 2015."
Le juge: "A-t-elle contesté?"
L'avocate de Fatima: "Elle conteste et écrit également au P-DG de la société propriétaire de ces parcs de stationnement et à la secrétaire d'État en charge des droits des femmes. Celle-ci l'oriente vers d'autres institutions. Sur le harcèlement sexuel, j'ai un faisceau de preuves recevables. La situation s'envenime avec un changement de supérieur hiérarchique: le nouveau rit aux blagues du salarié, donc la situation se dégrade. De plus, on a des témoins directs. Le premier décrit cette danse orientale. Le deuxième indique que le salarié en question a "des propos vulgaires avec les femmes". J'ajoute que ce personnage est coutumier du fait car il a précisément fait l'objet d'une mutation pour des raisons semblables. Une autre victime a déposé plainte en janvier 2013. Les deux salariées n'avaient aucune connexion entre elles."
Le juge: "Qu'en dit l'inspection du travail?"
L'avocate de Fatima: " Rien. Il n'y a pas eu d'enquête."
Le juge: "Vos éléments de droit sur le licenciement?"
L'avocate de Fatima: "Il y a double nullité sur le licenciement. La salariée était en arrêt de travail qualifié d'accident par le médecin du travail. Nous venons de plaider devant le tribunal des affaires sociales [TASS]: première nullité. Deuxième nullité: situation de harcèlement."
Le juge (à l'avocat de l'employeur): "Sur cet aspect?"
L'avocat de l'employeur: "C'est une société de 950 salariés. Si madame a été licenciée, c'est que l'employeur a mesuré le poids du dossier. Le reste a été reconstitué artificiellement. Cette salariée compte 15 ans d'ancienneté, elle est régulièrement augmentée. Mais en 2015, elle a un coup de sang. Elle insulte son collègue en le traitant de "sale connard" devant d'autres collègues et des clients. Elle lui balance le présentoir sur le comptoir. Il est 14h10, elle est en dehors de son temps de travail. C'est inacceptable. Au cours de l'entretien préalable, elle a reconnu les faits. L'employeur a une obligation de sécurité vis-à-vis de tous ses salariés."
Le juge: "On verra si c'est une faute grave. Mais la salariée est tout de même arrêtée pour accident du travail."
L'avocat de l'employeur: " C'est une preuve aménagée. J'entends aujourd'hui qu'il y a eu une audience au TASS, je n'étais pas au courant. La salariée a des attestations. Tant mieux si elle a des amis, mais ils ne travaillent pas au même endroit. Le délégué qui l'a accompagnée lors de l'entretien préalable admet ensuite qu'il a été instrumentalisé. [Le juge sourit]. C'est un salarié protégé et il mentirait? Il a fait une deuxième attestation: il n'y a eu aucun fait de harcèlement. De plus, la salariée attend d'être licenciée pour saisir la secrétaire d'État. Elle instrumentalise l'association qui est devant vous aujourd'hui. Le 24 août, elle porte plainte: "il jouait avec sa braguette, il me collait". Evidemment que c'est choquant. Mais si c'est choquant, on n'attend pas. L'association préconise d'en parler le plus tôt possible. Elle ne l'a pas fait. Est-ce que le tribunal correctionnel a fait quelque chose? Non. L'affaire est classée. Le dossier est vide. Un de nos salariés dans le sud de la France a été licencié pour harcèlement. Cela signifie que la société ne le tolère pas. Dernier point: "il s'est pointé derrière moi, torse nu". Pourquoi le responsable d'alors, avec lequel elle avait de bons rapport n'a-t-il jamais rien fait? Personne ne dit qu'il y a un problème. C'est curieux. On découvre cette histoire montée après le licenciement pour les besoins de la cause. "
Le juge: "Une collègue a porté plainte dans un autre parc...."
L'avocat de l'employeur: "C'est plus compliqué que cela. C'est une histoire de rancoeur dans une section syndicale. La dame en question a retiré sa plainte, donc juridiquement, cela n'existe plus."
Le juge (à l'intervenante volontaire): "Vous avez la parole."
L'intervenante au nom de l'AVFT: "Il n'y a aucune instrumentalisation de l'association. Nous avons une méthodologie rigoureuse. Nous n'intervenons que si nous sommes convaincus. C'est le cas. On nous reproche de ne pas avoir écrit à la société, mais la salariée était déjà licenciée. Nous ne sommes pas un service d'enquête. La société dit que la dénonciation est trop tardive pour être crédible? Les femmes harcelées ont une contrainte économique. La salariée ne s'est pas tue. Le harceleur lui répond quoi? "Je suis délégué du personnel, je suis intouchable, les autres sont des copains". L'inspection du travail s'est étonnée qu'une société de cette taille n'ait pas mené une enquête, qu'elle n'ait pas mis en place un protocole par rapport au harcèlement. Elle ne met pas tous les moyens pour protéger ses salariées. Nous demandons 2 500 euros pour préjudice moral, 2 000 euros pour harcèlement sexuel et l'affichage de la décision dans tous les parkings."
10h30. Le juge: "Le conseil est éclairé. Jugement le 1er février 2018."
Verdict: le conseil déclare que la faute grave motivant le licenciement n'est pas constituée. Le licenciement pour arrêt maladie en raison d'un accident du travail est nul. La société est condamnée à payer à la salariée: 1 768 euros de rappel de salaire sur mise à pied et 176,80 euros de congés payés afférents, 4 824 euros d'indemnités compensatrice de congés payés et 482,40 euros de congés payés afférents, 8 840 euros d'indemnité légale de licenciement, 43 416 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul, 450 euros de prime de fidélité et 2 000 euros d'article 700. Le fondement juridique de la nullité du licenciement est l'accident du travail et non le harcèlement sexuel pour lequel la salariée avait pourtant demandé des dommages et intérêts.
Harcèlement sexuel: 2 ans d'emprisonnement et 30 000 euros
Le harcèlement sexuel est un délit. La loi du 6 août 2012 en a donné une double définition précise, selon qu'il s'agit de faits répétés ou d'un acte unique assimilé au harcèlement sexuel. Tout salarié ayant commis des agissements de ce type peut être sanctionné, du simple avertissement au licenciement. Sur le plan pénal, le harcèlement sexuel est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende (des peines doublées par rapport à la situation précédant la loi de 2012). Des circonstances aggravantes peuvent porter les peines à trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende. Il reste la question cruciale: celle des preuves, souvent difficiles à obtenir par les victimes. Le défenseur des droits a récemment plaidé pour que les enregistrements du harceleur à son insu ne soient plus considérés comme une preuve déloyale au tribunal.
(1) Le prénom a été modifié.