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Sur les Scop-TI (Ex Fralib)

autogestion

Lien publiée le 23 février 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://autogestion.asso.fr/cooperatives-de-travail-formes-de-pensee-pratique-politique-exemple-scop-ti-ex-fralib/

Nous publions ici une synthèse d’une présentation faite le 26 août 2017 par Janine Guespin à l’université d’été du PCF à Angers, au double titre d’Espaces Marx et de la commission Economie Sociale et Solidaire du PCF. Cette présentation est une analyse de la Scop-Ti réalisée à partir des thèses qu’elle défend dans son livre
Émancipation et pensée du complexe, Éditions du croquant, collection Espaces Marx, 2015.

Qu’est-ce que la Scop-Ti ?

Un article du Journal Les Echos, du 27 mai 2015 l’explique sous le titre « Les ex-Fralib lancent leur marque d’infusions françaises 1336 » et le sous titre « Les employés avaient bataillé 1.336 jours pour sauver l’ancienne usine Thé Eléphant.•La coopérative prévoit d’ensacher cette année 250 tonnes d’infusions. »

« C’est sous la marque 1336 imprimée sur fonds pastel que sera finalement relancée la production des ex-Fralib. Soit le nombre de jours que les anciens employés d’Unilever revendiquent avoir passé à lutter contre la fermeture de l’usine de production de Thé Eléphant du groupe anglo-néerlandais à Gemenos.

Après un an de travail sur l’approvisionnement des matières premières, la coopérative Scop-TI (pour Thé et Infusion) qu’ils ont créée veut ressusciter la filière française des plantes aromatiques et médicinales. Elle ensachera cette année 250 tonnes d’infusions de dix sortes (menthe, camomille, tilleul et verveine) produites dans le sud du pays ou au Portugal et en Algérie, faute d’alternative tricolore… La nouvelle entreprise, qui sera distribuée dans les épiceries bio et en grande surface, proposera également du thé provenant du Vietnam. Ainsi qu’une activité de sous-traitance pour les marques distributrices

On est loin de l’échelle industrielle qui faisait vivre 182 employés, occupés à produire pour toute l’Europe plus de 6.000 tonnes de sachets de thé et d’infusions avant 2011. Mais le directeur général Olivier Leberquier, qui a conduit le combat pour la survie du site au nom de la CGT, promet « un avenir durable à l’emploi local ». Au lendemain de l’accord de fin de conflit arraché en mai 2014 au groupe anglo-néerlandais, 57 ont choisi de tenter l’aventure en investissant leurs indemnités de licenciement dans la Scop. L’usine de 12.000 mètres carrés est équipée d’un parc de machines d’une valeur de 7 millions d’euros et la Scop bénéficie d’un budget de 2,85 millions d’euros. Chaque salarié avait reçu 100.000 euros de prime en plus des indemnités légales. Vingt viennent d’être réembauchés, neuf de plus le seront d’ici à l’été. L’usine doit produire 1.000 tonnes annuelles pour atteindre l’équilibre. A terme, elle devrait générer 9 millions d’euros de chiffre d’affaires. « C’est maintenant que la vraie lutte commence », a conscience Olivier Leberquier. »

Pour le journal les Echos, en plus du fond pastel, ce qui la différencie de l’usine gérée par Unilever, c’est la quantité produite et le chiffre d’affaires.

J’ai interrogé Gérard Cazorla, le président de la Scop-Ti.

Pour lui, pour comprendre la Scop, il faut d’abord en comprendre la genèse, l’histoire des 1336 jours de lutte commencée début 2011. Comment les salariés ont-ils tenu puis gagné contre le géant Unilever ? Quels ont été les soutiens ? Les diverses instances de la CGT, la confédération des Scops, des institutions comme la communauté de communes de Marseille, la ville d’Aubagne (tant qu’elle a eu un maire communiste), des partis politiques (le PCF, le PS), des associations (comme l’Association Autogestion) et la population avoisinante. Quels ont été les trois piliers de cette lutte ? Lutte juridique, grève et occupation, recherche de soutiens. Et enfin, comment cette lutte est-elle intimement liée au fonctionnement (et aux problèmes) actuel ? Par exemple, le développement des solidarités territoriales, qui ont fait grandir la nécessité de faire un produit autant que possible local et équitable, mais aussi inversement, la métropole marseillaise, socialiste lorsque les terrains ont été acquis, passée à droite, qui fait payer un loyer exorbitant.

C’est tout cela que renferme et évoque la marque 1336 choisie lorsque, à l’issue de ces 1336 jours de lutte, une Scop de 56 sociétaires a pu embaucher ses premiers salariés en mai 2015, et débuter sa production en novembre 2015. Ils sont en ce moment 46 salariés tous sociétaires sauf un.

Mais quel genre de Scop ont ils créé ? Légalement, il n ‘y a que très peu de règles : la règle « une personne, une voix » lors des votes de l’AG est la plus connue ; il y a aussi l’obligation d’avoir des réserves impartageables et d’y verser une partie des bénéfices. Pour le reste, la Scop décide et certaines Scops sont gérées de fait comme des entreprise privées. Mais certainement pas une Scop qui a vu le jour après 1336 jours de lutte menée par la CGT ! Le plus significatif de la rupture avec la « gouvernance » capitaliste est la décision prise en AG après une très large discussion de la répartition des salaires : il y a trois niveaux de salaires selon les qualifications, mais ils vont de 1600 euros nets à 2000 (pour le cadre dirigeant) !

Pour autant, tout n’est pas facile. La nouvelle direction et l’AG ont eu tout à apprendre de la gestion. La survie de l’entreprise dépend pour le moment de la grande distribution, ce qui la fait passer sous les fourches caudines du marché le plus impitoyable, et des banques qui refusent d’aider au nécessaire renflouement de trésorerie. Aussi la Scop développe un réseau de relations auprès de distributions alternatives, AMAPs, associations, collectivités territoriales de gauche, et a lancé une association de solidarité (Fraliberthé) qui fédère tous les citoyens qui souhaitent s’impliquer et aider à la survie de cette forme non capitaliste d’entreprise (les « ambassadeurs » qui diffusent les productions et veillent à leur présence dans la grande distribution). Pour le moment cette forme de diffusion représente 30 % de la production. Les citoyens, conscients de l’atout que représente la vie de la Scop-Ti peuvent donc intervenir au niveau de la distribution et au niveau de la trésorerie.

Nous avons donc deux descriptions de la Scop-Ti. L’une, quantitative, statique, s’intéresse aux coûts et au tonnage, l’autre, dynamique, concerne l’histoire de la lutte et les interactions qui se sont tissées au cours du temps, entre les personnels, et entre les travailleurs et travailleuses et tout leur environnement. La Scop-Ti existe par les liens d’abord syndicaux mais pas seulement : son fonctionnement, ses valeurs se sont forgés dans la lutte, dans les discussions/interactions internes, dans la résolution des contradictions.

Cette histoire nécessite, pour être comprise et racontée, d’utiliser une manière de penser bien différente de celle utilisée non seulement par le journal Les Echos, et la presse dominante en général, mais même par chacun de nous quand on n’y prend pas garde, car elle nous est enseignée dès l’enfance. Cette dernière est la forme de pensée usuelle, dominante dans notre société. La première, que je désignerais comme la pensée dialectique du complexe est donc celle qui permet de dire et comprendre la Scop-Ti.

La forme de pensée fait partie des outils pour lutter contre l’ordre existant

La manière dont nous pensons n’est pas « naturelle ». Elle nous semble telle parce qu’elle nous imprègne depuis la plus tendre enfance, mais la pensée chinoise par exemple est différente, et même en occident, on peut distinguer trois familles de formes de pensée : la forme de pensée actuellement dominante qui est celle qu’on enseigne à l’école, la pensée dialectique issue d’une tradition philosophique qui va d’Héraclite à Hegel, puis Marx et d’autres plus récents, et ce que j’appelle la pensée du complexe qui émane de pratiques scientifiques se développant depuis un demi-siècle dans la plupart des disciplines des sciences exactes ou de sciences humaines voire juridiques.

La pensée dominante est dite cartésienne car elle consiste à diviser tout objet ou processus en ses parties, analysées séparément et immobilisées pour ce faire, qui est donc statique et ne s’intéresse pas aux transformations. Elle est réductionniste car elle implique que l’objet peut être compris par les seules propriétés de l’ensemble de ces parties. Elle est dite linéaire parce qu’elle dit que l’effet est toujours proportionnel à la cause et que causes et effets se succèdent. Elle est dite duale parce que, basée sur le principe du tiers exclu (quelque chose est soit vrai, soit faux), elle construit ses représentations autour du couple, « ou bien, ou bien », et refuse toute contradiction.

C’est ainsi que pour Les Echos, la Scop-Ti se décrit comme une série de propriétés, son statut juridique de Scop, ses clients et ses fournisseurs, son chiffre d’affaires, la forme de ses produits, voire même la couleur de l’emballage…bref, tout sauf l’essentiel.

La pensée dialectique, envisage la totalité dans laquelle est plongée l’objet ou processus et met l’accent sur les transformations, dues aux rapports entre les choses, et parmi ces rapports aux contradictions, non pas les contradictions logiques qui restent absurdes, mais les contradictions réelles. C’est ainsi que la Scop-Ti est définie par une situation de contradiction entre son mode de gestion non capitaliste et la nécessité pour sa survie d’être soumise aux « lois du marché » capitaliste. Cette contradiction n’a pas échappé à la multinationale Unilever qui a tenté pendant plus de trois ans d’en empêcher la réalisation, (et qui a refusé de laisser la marque l’éléphant), ni à la droite qui gère à présent la métropole de Marseille et qui tente de faire capoter cette expérience montrant qu’il y a une vie hors du capitalisme. C’est pour cela inversement que la solidarité citoyenne se développe autour de cette entreprise.

La pensée du complexe est plus récente et n’est pas formalisée. C’est moi qui nomme ainsi la forme de pensée qui est commune à toutes les disciplines qui s’intéressent aux objets ou processus complexes, forme de pensée qui émane donc de pratiques scientifiques, mais aussi de pratiques sociales ou politiques. Un objet ou un processus complexe est formé d’éléments dont les interactions déterminent le comportement et le devenir. Si on pense un processus complexe avec la pensée dominante (comme le fait Les Echos dans notre exemple), on passe à côté de l’essentiel, même si ce qu’on dit n’est pas inexact.

Pour faire bref, je distingue deux étapes dans cette forme de pensée.

La première étape consiste à prendre en considération l’ensemble des interactions qui déterminent les transformations du système considéré. Il s’agit donc d’essayer de comprendre les rapports entre un « tout » et ses parties, l’analyse des seules parties, comme l’analyse du tout seul, ne permettant pas de comprendre le rôle des interactions. Cette démarche est proche de celle de la pensée dialectique, et j’aime utiliser le terme de pensée dialectique du complexe pour souligner à la fois leur proximité et leur complémentarité (la pensée du complexe n’envisage pas prioritairement les contradictions). Pour la Scop-Ti, ce sont toutes les interactions syndicales d’abord, celles des liens de solidarité, mais aussi les interactions avec Unilever dont on nous a dit que la connaissance de ses stratégies a été importante, celles avec les collectivités territoriales et leurs modifications en fonction de la conjoncture politique, et celles avec le système capitaliste global à la fois dans ses réalités économiques et ses défenses idéologiques. Et surtout, la situation actuelle de la Scop-Ti ne peut pas être comprise en dehors de son histoire, de l’histoire des luttes et des transformations. La Scop-Ti n’est pas, comme le croit Les Échos, la somme de ses caractéristiques comptables, elle est un organisme vivant dont les propriétés et les caractéristiques émergent de son histoire et de toutes ses interactions, internes, entre les sociétaires, et externes, positives comme négatives.

La description par Gérard Cazorla de la Scop-Ti montre que cette forme de pensée émane des pratiques de ceux qui travaillent et vivent dans la complexité, car Gérard, pas plus que nous tous, n’a appris les sciences de la complexité à l’école. Cependant, il est utile de prendre conscience de ce mode de pensée, et de sa différence d’avec la pensée dominante pour pouvoir faire comprendre aux interlocuteurs pourquoi une description comme celle des Echos, ne permet pas de comprendre de quoi il s’agit. Pire encore, elle peut empêcher de mettre en œuvre tout le potentiel émancipateur du statut de Scop. En effet, cette habitude de disséquer les processus en leurs parties vues comme indépendantes et statiques est une très forte alliée d’un contenu axé sur TINA (there is no alternative, il n’y a pas d’alternative), autrement dit, de la croyance que le mode de « gouvernance » capitaliste est le seul possible.

Cette première étape de la pensée du complexe n’est difficile que parce qu’elle va à l’encontre des habitudes. La deuxième étape est moins évidente, et peut demander une certaine formation, dont je pense qu’elle vaut la peine. En effet, la pensée du complexe est ce qui est commun aux multiples disciplines qui travaillent avec des objets ou systèmes complexes, dans des domaines aussi différents que la physique ou la psychologie, la biologie ou le droit. Et ce qui est commun, c’est bien plus que la démarche. La plupart des systèmes complexes (définis, je le rappelle, comme des ensembles d’interactions entre des éléments, interactions qui causent les transformations du système), ont des comportements, des modes de transformation, qui se ressemblent et qui ne ressemblent pas aux transformations simples qu’on apprend à l’école. Tous les systèmes complexes ne présentent pas toutes les formes de comportement, et surtout pas toutes à la fois, mais le fait que ces comportements se retrouvent en physique, en biologie, dans les rapports sociaux etc…, suggère fortement que certains d’entre eux pourraient se retrouver dans de nombreux systèmes, et que les rechercher (ce que j’appelle la deuxième étape) pourrait suggérer des solutions à des problèmes difficilement solubles à l’heure actuelle.

Par exemple, on peut réfléchir à la signification de la formation d’un réseau d’interactions. Imaginons des boutons sur une table, qu’on relie deux par deux, au hasard par des fils. Au bout d’un certain nombre de fils, on pourra soulever quasiment tous les boutons à l’aide d’un seul de ces fils. Les interactions créées, par exemple autour des associations comme FraliberthéLes amis de la belle Aude, etc. ne seraient-elles pas une des conditions pour résister durablement à la malveillance délibérée du capitalisme ? Ne tissent-elles pas de nouveaux liens, de nouvelles relations, dont le devenir peut être très intéressant si elles permettent de mettre en relation d’autres coopératives ? A travers ces soutiens citoyens, est peut être en train de se constituer un vaste réseau national, solidaire et alternatif qui pourrait devenir, s’il est soutenu politiquement notamment, un outils d’émancipation important ?

Un autre type d’interactions, qui a une importance particulière, sont les boucles de rétroaction. Comme leur nom l’indique il s’agit d’interactions qui se bouclent sur elles-mêmes. A influence B qui influence A. On parle aussi de causalité circulaire, ce qui fait horreur à la pensée dominante. La plus connue est le thermostat qui maintient la température constante. Une hausse de température a une influence négative sur la chaudière qui s ‘arrête et fait baisser la température, ce qui une influence positive sur la chaudière qui se rallume, etc. Donc, si un thermostat est réglé trop bas, vous aurez beau pousser la chaudière, la température ne remontera pas : la seule façon de le faire est de modifier le réglage du thermostat (ou de le casser). Mais si vous ne savez pas qu’il y a un thermostat, vous êtes démunis. Or cela se produit aussi dans des systèmes sociaux car des boucles de rétroaction qui possèdent un nombre impair de relations négatives (et que l’on nomme boucle de rétroaction négative) se comportent comme un thermostat, c’est à dire stabilisent un processus. S’il y a une boucle de rétroaction négative dans un système et que vous essayez de le modifier, sans modifier cette boucle, vous n’y parviendrez pas et vous ne pourrez pas comprendre pourquoi vous n’y parvenez pas. Le relativement faible nombre d’entreprises qui cherchent à acquérir le statut de Scop, n’est il pas dû, pour une part, à la conviction qu’on a fait acquérir aux ouvriers qu’ils ne sauraient pas faire le « boulot des patrons » ? Si c’est le cas, ce n’est pas la peine de vanter les mérites de la démocratie à l’entreprise, cela ne peut au mieux que renforcer la crainte d’échec. Trouver l’éventuelle boucle de rétroaction qui maintient un système stable n’est pas une démarche habituelle, mais peut s’avérer extrêmement utile pour changer l’état du système (attention cependant, il y a le plus souvent plus d’une cause, et la conscience de leur capacité par les ouvriers est nécessaire mais ne suffit pas à supprimer la lutte des classes).

Mais les boucles de rétroaction positives sont encore plus importantes quoique moins bien connues ; c’est le cercle vicieux ou vertueux, c’est il pleut toujours ou c’est mouilléon ne prête qu’aux riches… La sagesse populaire s’en est bien saisie. Dans un système complexe, la présence d’une boucle de rétraction positive peut indiquer qu’il y a deux états possibles du système, et la boucle maintient le système dans un des deux états. Elle est constituée d’interactions qui se renforcent mutuellement (elle n’est pas forcément positive au sens moral du terme). Ainsi, en dénigrant le système coopératif, Unilever a tenté de le discréditer auprès des travailleurs ; mais ceux-ci ne faisant pas confiance à Unilever, cela a eu, j’imagine, comme conséquence de leur faire prendre encore plus espoir dans la forme coopérative (boucle positive à deux relations négatives).

Rechercher les possibles boucles de rétroaction dans les interactions qui existent au sein d’un système peut être une manière de déceler des forces ou des faiblesses inattendues et de pouvoir s’en servir ou y remédier. Je n’ai pas les moyens de faire ce travail dans l’exemple de la Scop-Ti, mais je suis convaincue qu’il serait utile. Par exemple, ce qui tourne autour de l’adhésion à l’idée ou au travail dans la coopérative pourrait donner lieu à ce genre d’analyse et permettrait peut-être d’aider à résoudre certains problèmes ?

Attention, il ne s’agit pas d’une méthode clefs en mains, mais d’une boite à outils. Plus vous avez d’outils, plus avez de chances de trouver celui dont vous avez besoin pour résoudre votre problème. On sait que certains outils se sont avérés historiquement fondamentaux pour permettre des avancées considérables : la roue par exemple, ou la poulie, mais pas pour planter un clou ! Je considère que la pensée dialectique du complexe fait partie de ces outils conceptuels nouveaux qui doivent aider à prendre à bras le corps les problèmes complexes qui se multiplient actuellement où les interactions sont devenues omniprésentes. Mais il faut le faire a bon escient, et cela demande de l’entraînement, et une certaine connaissance de ces outils.

Il y a bien d’autres comportements inhabituels des systèmes complexes que je ne peux pas illustrer par l’exemple de la Scop-Ti, mais qui peuvent s’avérer utiles dans d’autres cas. Pour en illustrer quelques uns, je prendrais l’exemple de la mayonnaise. On ajoute de l’huile dans l’œuf et les autres ingrédients en battant et, à un moment donné, tout le bol « prend en masse » et le liquide plus ou moins visqueux se transforme en un gel délicieux. Que s’est il passé ? La nature des ingrédients n’a pas changé. On peut les analyser de la manière la plus fine possible un à un et, selon la méthode cartésienne, on ne comprendra pas comment la mayonnaise a pris. Ce qui a changé, c’est la quantité d’huile dans l’émulsion eau/huile qui se forme en battant (l ‘eau venant de l’œuf). Et pour une certaine valeur critique du rapport eau/huile, les interactions entre les molécules du mélange ont changé et ont donné ce gel. La prise de la mayonnaise illustre plusieurs propriétés des systèmes complexes. Le fait qu’une toute petite modification du rapport eau/huile, près d’une valeur critique, entraîne une modification considérable de l’ensemble de l’aspect du système (c’est aussi ce que, en dialectique on nomme le saut qualitatif ou changement de la quantité en qualité). En physique on appelle cela une transitions de phase du 2e ordre, et en mathématiques, une bifurcation. Cela illustre aussi la formation cohérente d’une organisation dans le bol (ce gel) sans que l’une des molécules n’ait donné l’ordre de faire le gel (auto-organisation). C’est aussi ce qu’on appelle une émergence, c’est à dire la formation d’une structure globale nouvelle (niveau de l’ensemble du bol) dont les propriétés ne découlent pas directement des propriétés des constituants, mais de leur organisation (le tout n’est pas égal à la somme des parties) .

Or, ne voit-on pas se produire des comportements du même genre dans des conditions complètement différentes ? les applaudissements synchrones dans une salle de concert lorsque le chef d’orchestre a baissé sa baguette, sont également une auto-organisation, et les révoltes dites « des banlieues » quand une bavure policière vient s’ajouter à une trop longue liste d’humiliations, n’ont elles rien en commun avec la prise de la mayonnaise ? Et la « prise » de l’idée de passage en coopérative, ne se produit-elle pas comme une émergence ?

Émergence, bifurcation, niveau, organisation, auto-organisation ne sont pas les seuls concepts ou comportements inhabituels communs à maints systèmes complexes et qui peuvent être utiles pour éclairer maintes situations concrètes. Il n’est pas question ici de les décrire tous, et encore moins de les expliquer. Ils demandent un certains degré d’investissement, que j’ai essayé d’aider avec mon livre écrit sans mathématiques à l’usage de militants, et je travaille partout où je peux à faire avancer l’idée qu’on doit enseigner cela dès l’école. Car le complexe n’est pas forcément compliqué !