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Blumkine et la révolution russe
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http://www.zones-subversives.com/2018/02/blumkine-et-la-revolution-russe.html
Les épisodes révolutionnaires peuvent apparaître comme des aventures, à la fois collectives et individuelles. La trajectoire de Blumkine permet d'incarner la Révolution russe.
L’imaginaire contestataire se nourrit d’épisodes historiques, notamment laRévolution russe. L’écrivain Christian Salmon évoque le bolchevisme originel avant la trahison stalinienne dans Le projet Blumkine. Entre récit autobiographique et recherche historique, Christian Salmon évoque la trajectoire de Iakov Blumkine, militant bolchevique assassiné sur ordre de Staline.
De la révolution à l’espionnage
Christian Salmon témoigne de sa passion pour la Révolution russe pendant les années 1980. Il participe à un groupe de recherche sur le sujet. « Du bolchevisme, je retenais surtout son époque génie, la première mais aussi peut-être la dernière révolution prolétarienne de l’Histoire », précise Christian Salmon. Mais la période stalinienne avec les procès et les goulags reste rejetée.
Iakov Blumkine est un agent secret soviétique, presque devenu un véritable mythe. Né en 1900, il grandit dans la ville portuaire d’Odessa. « Jeté à la rue très tôt, il découvre en même temps les luttes sociales et le monde des bandits de la Moldavanka, l’élite juive d’Odessa et les combats de rue », décrit Christian Salmon. Iakov se tourne vers le Parti des socialistes révolutionnaires qui organise des actions directes contre le régime tsariste. La révolte de 1905 ouvre un climat contestataire avec ses débats politiques et son agitation sociale. « Il y a la paysannerie et la prolétariat. Grèves. Occupations. Manifestations. Les brochures du parti bolchevique », décrit Christian Salmon.
Le bandit Michka le Jap incarne la rue qui défit les autorités. Il vole les riches pour donner aux pauvres. Il devient une figure romantique du crime. Il participe à des expropriations anarchistes. Odessa incarne la ville du crime organisée. Même si aucune bande criminelle n’y figure avant 1917.
En février 1917, les grèves et les manifestations se multiplient dans les principaux centres industriels. Les soldats se mutinent et refusent de tirer sur la foule. Les ouvriers s’emparent des armes et des points stratégiques de la capitale Petrograd. Le tsar abdique. Le parlementarisme de la Douma abrite un gouvernement provisoire. Un contre pouvoir émerge avec les soviets qui permettent l’auto-organisation des classes populaires.
En février 1917, Blumkine vit à Odessa. Il participe à la propagande pour la participation au premier soviet. Il travaille comme électricien au dépôt de tramway. Il mène l’attaque contre la banque d’Etat avec Michka le Jap pour financer les socialistes révolutionnaires. Il intègre ensuite le Conseil militaire de l’armée. Âgé de 17 ans, il commande déjà quarante mille baïonnettes.
La Tcheka est créée sous le contrôle des socialistes révolutionnaires. Ces services de renseignements reprennent le modèle du fameux MI-6 britannique. « Les hommes en blouson de cuir, une petite centaine au début, incarnaient le bras armé de la Révolution dans une période de confusion où il était parfois difficile de distinguer où finissait l’action politique et où commençait le banditisme », observe Christian Salmon. Les anarchistes de la Garde Noire mènent des attaques et des expropriations dans des villas abandonnées.
Des socialistes révolutionnaires au trotskisme
Les bolcheviks au pouvoir signent le traité de Brest-Litovsk qui est censé assurer la paix avec l’Allemagne. Pourtant, l’ambassadeur de l’Allemagne en Russie espère un essoufflement des soviets et parie sur la famine. Il veut également s’appuyer sur les conflits internes qui traversent le parti bolchevique. Il prépare un coup d’Etat contre les soviets.
Les socialistes révolutionnaires s’opposent aux bolcheviks au pouvoir. Ils reprochent à Lénine et Trostky de sacrifier les paysans au profit des ouvriers. Ils dénoncent également les renoncements et la trahison du traité de Brest-Litovsk. Blumkine décide d’assassiner l’ambassadeur d’Allemagne, notamment pour couper les liens entre la Russie et ce pays impérialiste. Le 6 juillet 1918, il rencontre l’ambassadeur et l’assassine avant de fuir en provoquant une explosion.
Les socialistes révolutionnaires multiplient les attentats contre des personnalités politiques. Ils tentent même d’assassiner Lénine. Le chef d’Etat lance alors la terreur rouge. Les socialistes révolutionnaires doivent fuir les capitales. Blumkine se cache sous un uniforme de l’armée rouge.
Blumkine décide de se rendre au bureau de la Tcheka pour s’expliquer sur ses actes. Il revendique toujours l’assassinat de l’ambassadeur allemand. Mais le contexte a changé. Le traité de Brest-Litovsk vole en éclat après la défaite de l’Allemagne au cours de la Première guerre mondiale. Surtout, une révolution prolétarienne éclate en Allemagne, avec l’émergence de conseils ouvriers. Dans ce contexte, Blumkine est prêt à se rapprocher du pouvoir bolchevique pour participer à la révolution mondiale.
Les divergences profondes au sujet de l’Allemagne n’ont plus lieu d’être. Même si Blumkine assume toujours ses désaccords avec le pouvoir bolchevique. « Je reste membre du parti des socialistes révolutionnaires et je suis toujours en désaccord avec la politique du pouvoir bolchevique », déclare Blumkine à la Tcheka. Léon Trotski décide de rencontrer Blumkine qui rallie les bolcheviks. Les socialistes révolutionnaires l’accusent de trahison et tentent à plusieurs reprises de l’assassiner.
Blumkine se rend en Perse et participe au congrès de Bakou. Il se met au service de Trotski et ne cesse de lutter contre les armées blanches. Mais, en 1925, il se reconvertit dans la vie civile. Il occupe la fonction de « consultant économiste ». En bon trotskiste, il préconise la militarisation du travail.
En 1929, Trotski est exilé à Constantinople. Depuis la mort de Lénine en 1924, le fondateur de l’armée rouge perd de l’influence et du pouvoir. Staline décide d’éloigner la menace en exilant Trotski dans une ville quadrillée par les espions. Blumkine rencontre souvent Trotski même si leurs propos restent un mystère. Le renversement de Staline est peut-être évoqué.
De l’histoire à la littérature
Le livre de Christian Salmon semble original. Il mêle recherches historiques et extrapolations littéraires. Ce livre permet surtout de présenter une figure méconnue de la révolution russe. Un personnage romanesque dont la trajectoire épouse celle d’un espoir révolutionnaire qui sombre en terreur bureaucratique.
Blumkine possède toutes les qualités du personnage de roman. A la frontière de la criminalité et de la politique, il devient ensuite un espion redoutable. Chacune des ses expéditions, chacun de ses faits d’armes peut faire l’objet d’un véritable roman. Mais cette dimension romanesque ne doit pas faire perdre l’indispensable recul critique. Blumkine se rapproche des socialistes révolutionnaires. C’est alors un jeune homme attiré par l’action, le crime et l’aventure. Il découvre que la révolution devient la plus belle des aventures. Mais, il semble nécessaire de prendre de la distance sur ces faits d’arme. Staline lui-même s’est révélé comme un efficace criminel qui multiplie les expropriations au profit du parti bolchevique. Le goût de l’aventure peut façonner un personnage sympathique, mais pas forcément un modèle historique.
Ensuite, le livre de Christian Salmon laisse penser que Blumkine reste davantage attiré par l’action que par la théorie révolutionnaire. Il rejoint les socialistes révolutionnaires, mais pas vraiment pour leurs réflexions politiques. Il ne retient de ce courant que la valorisation de l’illégalisme et de l’action directe. Mais la critique de l’autoritarisme des bolcheviks n’apparaît pas clairement. Seule la position sur l’Allemagne est présentée comme un point de clivage entre les deux courants.
A travers cette figure de Blumkine, c’est bien l’imaginaire révolutionnaire que semble interroger Christian Salmon. La révolte découle surtout de conditions matérielles insupportables. Mais l’imaginaire et le désir peuvent également jouer un rôle important. Les aventures des révolutionnaires peuvent inciter à épouser leurs luttes. L’esthétique de manifestations et l’imaginaire révolutionnaire peuvent alimenter le désir de la révolte. Les romans, mais aussi le cinéma, peuvent favoriser un imaginaire contestataire.
Même si Christian Salmon s’attache à une personnalité particulière. Il manque sans doute une dimension collective. L’héroïsation et la personnalisation peuvent participer à dépolitiser les enjeux. Une personnalité permet de s’identifier, mais elle doit s’inscrire dans un contexte plus large de révolte. Le mythe du héros solitaire ou de l’espion débrouillard ne débouche pas vers l’action collective. L’imaginaire révolutionnaire doit permettre de s’identifier à des personnages pour mieux s’inscrire dans un mouvement collectif de révolte.
Source : Christian Salmon, Le projet Blumkine, La Découverte, 2017
Extrait publié sur le site Mediapart
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Vidéo : Que faire de la révolution d'Octobre 17, publiée sur le site Mediapart le 4 octobre 2017
Vidéo : Christian Salmon, Fiction littéraire contre Storytelling : formes, valeurs, pouvoirs de la littérature aujourd'hui, mise en ligne le 17 février 2014
Sylvain Chardon, Essai : Le Projet Blumkine, publié dans L’Anticapitaliste n° 398 le 28 septembre 2017
Sylvain Boulouque, Perpétuer la légende de la Révolution russe, publié sur le site Nonfiction le 3 novembre 2017
À la recherche de Blumkine, publié sur le site Communisme, violence, conflits le 19 septembre 2017
Christophe Vuilleumier, La Révolution russe a un siècle, publié sur le site Aimer lire
Mathieu Léonard, 1917-2017 : Que lire ?, Entretien avec l’historien Eric Aunoble, publié dans le journal CQFD n°158 en octobre 2017
Radio : émissions avec Christian Salmon diffusées sur France Culture
Radio : émissions avec Christian Salmon diffusées sur France Inter
0 target="_blank">Le blog de Christian Salmon mis en ligne sur le site Mediapart
Eric Dupin, Et si la politique avait complètement disparu ?, publié sur le site Slate le 29 juin 2013
Michel Abescat, Christian Salmon : “Plus les politiques passent à la télévision, plus ils deviennent transparents”, publié dans le magazine Télérama le 27 novembre 2014
Jean-Marie Durand et Serge Kaganski, Christian Salmon : "L'homme politique est peut-être en train de disparaître", publié dans le magazine Les Inrockuptibles le 28 avril 2013
Mona Chollet, Le sixième continent, publié sur le site Périphéries