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Les métiers qui devraient créer le plus d’emplois dans les 10 ans
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Par Jean Gadrey
Tous les deux ans, aux États-Unis, le BLS (Bureau of Labor Statistics) fournit des projections d’emplois à dix ans selon les métiers. Je m’y intéresse depuis les années 1990 et elles se sont révélées assez fiables, au moins pour leurs prévisions sur ceux des métiers (« occupations » en anglais) qui sont appelés à croître le plus et le moins. Il y a d’ailleurs des tendances lourdes assez semblables depuis une trentaine d’années. Pour les personnes très courageuses qui s’interrogeraient sur la méthode, les hypothèses (certaines sont discutables mais pas déraisonnables) et les sources, voir cet article très complet.
Les dernières projections datent d’octobre 2017, avec une petite rectification en janvier 2018. Elles portent sur la décennie 2016-2026. On les trouve, avec de très nombreuses données, via ce lien. J’ai traduit les intitulés des métiers, mais il n’y a pas toujours de correspondance claire avec nos propres métiers. Par exemple, on trouve aux États-Unis une distinction entre deux métiers très proches et en forte expansion d’aide aux personnes âgées, handicapées ou malades : « personal care aides » et « home health aides ». Cette distinction ne correspond pas à ce qu’on trouve en France avec d’un côté les auxiliaires de vie (proches des personal care aides) et de l’autre les aides-soignant.e.s (plus qualifié.e.s que les home health aides, qui sont en général non diplômées).
Voici donc le classement des métiers qui, dans les dix ans à venir, devraient créer le plus grand nombre d’emplois dans ce pays de la high-tech, des start-ups, d’Apple, Microsoft et des robots gloutons mangeurs de millions d’emplois dans tous les secteurs si l’on croit aux contes de fées (ou aux histoires de sorcières) de la robotisation généralisée : voir ma série de billets de 2015 sur « le mythe de la robotisation détruisant des emplois par millions ».
Il est clair que l’avenir de l’emploi, en termes quantitatifs, n’est ni dans la high tech ni dans les emplois très qualifiés et bien payés, ni dans des métiers (qui existent, mais pèsent peu dans l’ensemble) où les robots vont manger l’emploi. On trouve certes dans cette liste, en cinquième position, des développeurs d’applications, et, en septième position, des cadres supérieurs, deux métiers payés en moyenne 2,7 fois plus que le salaire médian annuel de 37.000 dollars. S’y ajoutent les infirmier.e.s diplômé.e.s, payées 1,8 fois le salaire médian. Mais c’est tout pour ce qui est des emplois qualifiés bien payés, et dans ces trois cas les robots ne sont pas vraiment aux portes de l’emploi !
Presque tous les autres métiers de cette top liste relèvent des activités de soins aux personnes peu ou faiblement qualifiés et très peu payés (de loin le plus gros « gisement » d’emploi), de la santé, de la restauration et du nettoyage. Les emplois les moins payés sont rémunérés autour de 20.000 dollars par an, soit 1.670 dollars par mois, soit en parités de pouvoir d’achat en 2016 (un dollar = 0,8 euro), 1340 euros en équivalent temps plein comme salaire médian pour ces métiers très gros pourvoyeurs d’emplois.
MÉTIERS EN DÉCLIN
Il y a certes des métiers en déclin. Ils sont assez nombreux dans l’industrie manufacturière, mais aux États-Unis, l’emploi dans l’industrie manufacturière ne représente plus que 7,9 % de l’emploi total, contre plus de 84 % dans les services (salariés et non-salariés). Le reste, c’est l’agriculture et la pêche avec seulement 1,5 %, la construction avec 4,3 % et les activités extractives (en expansion) avec 0,4 %, plus quelques petites activités indépendantes sur lesquelles je passe.
Parmi les métiers non industriels qui devraient perdre le plus d’emploi, il y a ceux du secrétariat ou des assistants administratifs et divers types d’employé.e.s de bureau, de la poste, des télécommunications ou de la presse écrite… MAIS, point essentiel, là où les dix métiers les plus pourvoyeurs d’emplois verraient leur effectif grossir de 3,5 millions, les dix métiers ayant le plus fort déclin ne regrouperaient que 725.000 suppressions de postes. Il est vrai que les hypothèses de croissance économique et de très faible chômage d’ici 2026 semblent optimistes.
Le graphique suivant repose sur des regroupements ou familles de métiers en expansion. Il confirme ce qui précède, pour des catégories plus vastes, et ici on raisonne non plus en nombre d'emplois ajoutés mais en pourcentage d'augmentation entre 2016 et 2026. Traduction : healthcare désigne les soins de santé, personal care les services de soin ou d’aide aux personnes, le reste se comprend.
ET EN FRANCE ?
Il n’existe pas en France de statistique aussi régulière de prospective des métiers, mais il y a eu à quatre reprises des travaux de qualité comparable à ceux du BLS. Le premier a été réalisé par le Commissariat général du plan en 2002 sous la direction de Claude Seibel. Le dernier a été effectué en 2015 par France Stratégie et la DARES pour la période 2012-2022. On y trouve notamment des prévisions qui ressemblent à bien des égards à celles du BLS pour les États-Unis. Voici par exemple la liste des métiers les plus créateurs d’emplois sur la période 2012-2022.
On peut voir dans ces projections, même si elles sont en partie incertaines, des motifs de satisfaction et des motifs d’inquiétude. Je ne me plaindrai pas en particulier du développement attendu des activités de soin aux personnes ayant besoin d’être aidées, et plus généralement de services « du bien-vivre » ayant une incontestable utilité sociale, dans la santé, l’enseignement ou la culture.
Mais trois questions critiques demeurent pour les activités du « care » du haut de la liste, en France comme aux États-Unis. La première est celle de la qualité de ces emplois et de leur reconnaissance professionnelle et salariale, aujourd’hui lamentable alors qu’ils exigent des compétences multiples (voir ce billet dans le cas des aides à domicile). En passant, cela serait favorable à leur mixité. La seconde est la sous-évaluation des besoins de tels services de « care » dans cette prospective, où l’on n’envisage pas d’améliorer les taux d’encadrement des usagers de ces services ni leur accessibilité aux personnes à bas revenus. La troisième est liée aux politiques d’austérité actuelles (et passées), notamment dans le secteur sanitaire et social, qui risquent fort de freiner le développement de ces emplois tel qu’il est anticipé de façon pourtant modeste par France Stratégie.