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Affronter le néolibéralisme et le nationalisme

Kouvelakis

Lien publiée le 13 mars 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.contretemps.eu/macedoine-grece-neoliberalisme-nationalisme/

Entretien entre N. Slavevski et S. Kouvélakis

La tension créée par le différend entre la Grèce et la République de Macédoine et les complexités de la politique intérieure dans les deux pays ont jusqu’à présent entravé le dialogue transfrontalier entre la gauche radicale grecque et macédonienne.

En Macédoine, le parti social-démocrate au pouvoir, successeur du parti unique de l’ère yougoslave, met en œuvre des politiques néolibérales tout en poursuivant une intégration plus profonde dans le bloc occidental. En Grèce, Alexis Tsipras et Syriza ont renié leurs engagements initiaux pour devenir les exécutants les plus fidèles de la thérapie de choc imposée au pays par la coalition d’airain qui lie ses créanciers à sa propre bourgeoisie.

Il existe cependant des forces dans les deux pays qui combattent cette voie désastreuse, en s’opposant à la fois au nationalisme et à la destruction néolibérale de la démocratie et des droits sociaux. Dans cet entretien, Stathis Kouvélakis et Nikola Slavevski discutent de la tension nationaliste croissante et de l’implication croissante des Etats-Unis dans la région ainsi que de la façon dont la gauche radicale devrait y répondre.

Nikola Slavevski, est diplômé de l’école des Beaux-Arts de Skopje et membre du comité central de Levica (La gauche) de la République de Macédoine

Stathis Kouvélakis enseigne la philosophie politique au King’s College de Londres, il est membre d’Unité Populaire en Grèce.

Commençons par une question sur la perception par l’opinion publique dans votre pays des négociations en cours entre le gouvernement grec et la République de Macédoine sur le « différend sur le nom ». En annonçant le changement du nom de l’aéroport de Skopje (d’« Alexandre le Grand » à « Aéroport international de Skopje »), le premier ministre macédonien Zoran Zaef a également déclaré qu’il acceptait un nom composite, avec une indication géographique à côté de «Macédoine». Un consensus plus large est-il possible autour d’une telle proposition ? Un tel accort pourrait-il obtenir la majorité qualifiée au Parlement nécessaire pour tout changement constitutionnel ?

Le président actuel de l’opposition de droite a récemment visité Washington, où il a rencontré Trump, une confirmation supplémentaire que le VMRO-DPMNE ne s’est jamais opposé à la politique étatsunienne. Les élites politiques de la République de Macédoine sont soumises à l’impérialisme parce qu’elles ont besoin d’un soutien international pour maintenir leur domination. Je pense que si les intérêts étatsuniens dictent un changement constitutionnel, il y aura une majorité qualifiée au parlement. L’impérialisme occidental a besoin que cette question soit résolue pour permettre l’intégration de la République de Macédoine dans l’OTAN, et, de ce fait, elle sera résolue. Quant au changement de nom de l’aéroport de Skopje, je pense que c’était une bonne décision. L’aéroport a été nommé « Alexandre le Grand » en 2006 comme un acte de provocation du gouvernement VMRO dans le contexte de l’escalade de tension du moment.

Cela nous amène à la question cruciale de l’OTAN. Il est tout à fait clair que la raison pour laquelle les négociations entre la Grèce et la République de Macédoine ont repris à un rythme intensif est de permettre à celle-ci d’adhérer à l’OTAN, et, par la suite, à l’UE. Il y a même des échéances précises pour le bouclage des négociations, à savoir le prochain sommet de l’OTAN les 11 et 12 juillet précédé d’un sommet de l’UE à Sofia le 17 mai consacré à son élargissement dans les Balkans. Comment évaluez-vous l’élargissement de l’OTAN, auquel la gauche radicale grecque s’oppose catégoriquement ?

L’OTAN n’est rien d’autre qu’un outil de répression impérialiste. L’OTAN est un pacte de guerre et d’agression, l’OTAN est une relique du passé. Levica s’oppose à l’intégration de notre pays dans l’OTAN. Nous ne voulons en aucun cas participer à la répression des autres peuples. Rejoindre l’OTAN n’apportera rien de positif à la population, puisque nous devrons consacrer 2% du budget aux dépenses militaires. Cet argent pourrait plutôt être utilisé pour des programmes sociaux, de santé ou d’éducation.

Pensez-vous que la question de l’adhésion à l’UE devrait être dissociée de l’adhésion à l’OTAN? Quel rôle l’UE a-t-elle joué jusqu’ici dans la politique intérieure de votre pays ?

L’intégration de l’UE est distincte de l’intégration à l’OTAN, il existe des pays de l’UE qui ne sont pas membres de l’OTAN. Le rôle de l’UE dans la région est important mais la diplomatie de l’UE est « soft », l’outil de l’impérialisme occidental ici est la diplomatie étatusienne. Quoi qu’il en soit, nous soutenons l’intégration européenne, mais l’UE doit être restructurée car elle est fondée sur les intérêts capitalistes et impérialistes des pays du centre. L’Union des peuples européens doit être fondée sur l’égalité et le développement équilibré, et non sur les intérêts capitalistes. Pour parvenir à une telle intégration, nous avons avant tout besoin d’une coopération régionale dans la péninsule balkanique.

Dans les médias grecs, il est constamment question des « vues irrédentistes » de la République de Macédoine attribuées aux passages de la constitution. Cette accusation a-t-elle un fondement ? Le type de nationalisme promu par les gouvernements VMRO-DPMNE et l’utilisation de symboles de l’Antiquité sont-ils l’expression d’un tel irrédentisme ?

Au moment de l’indépendance de la République de Macédoine, on a pu entendre, dans le contexte du nationalisme grandissant de l’époque, certaines déclarations de la part du parti de droite VMRO-DPMNE selon lesquelles ils tiendraient leur prochain congrès à Thessalonique. Les déclarations de ce type sont caractéristiques du nationalisme dans les Balkans, mais elles ne constituent pas une réelle menace pour les frontières existantes dans la région. Depuis cette époque, VMRO-DPMNE a connu de multiples scissions et s’est transformée en un parti populiste. Il a utilisé le nationalisme pour assurer sa domination, mais comme il est apparu dans les transcriptions des conversations qui ont vu le jour lors du scandale des  mises sur écoute, VMRO-DPMNE avait en fait accepté des positions similaires à celles de la SDSM sur la question du nom.

Ce qu’il importe toutefois de comprendre, c’est pourquoi VMRO-DPMNE et la droite ont eu besoin de cette «antiquisation» de l’identité macédonienne. Il est clair que les nations sont un concept moderne, elles apparaissent la formation des Etats-nations. Il est également clair que les forces de droite ont besoin des mythes à la gloire de de l’État national. Mais la construction de l’identité nationale macédonienne est très atypique. Cette identité n’a pas été construite par la droite mais par la gauche parce que la gauche était républicaine et ne voulait pas que le processus de libération de la domination ottomane aboutisse à l’annexion par l’une des monarchies des Balkans. Elle s’est donc engagée sur la voie de la revendication macédonienne d’abord en tant que question de souveraineté, puis en tant que question nationale.

D’un point de vue historique, la nation macédonienne a été créée en 1944 avec la fondation de la République démocratique de Macédoine, rebaptisée plus tard République socialiste de Macédoine, au sein de la fédération yougoslave. Mais cette fédération était un Etat ouvrier socialiste, pas un Etat national. De ce fait, la droite ne pouvait pas créer un mythe national à partir d’un Etat socialiste, et l’Etat existant lui paraissait dépourvu de gloire. Pour créer le mythe nécessaire à leur récit, ils se sont alors tournés vers l’Antiquité.

En ce qui concerne les vues irrédentistes de la République de Macédoine, je pense que c’est une pure exagération qui n’a rien à voir avec la réalité. Si nous regardons la situation économique, notre économie dépend du capital grec. Si cet État veut continuer à exister, il a besoin de capitaux grecs, et le capital grec y trouve son intérêt en raison de la main-d’œuvre bon marché. Quant à l’aspect militaire, la République de Macédoine dispose de très faibles capacités. Son armée ne compte pas plus de 5.000 soldats, et leur équipement militaire est médiocre. Il n’y a pas de bases militaires à proximité des frontières, et c’est d’une façon générale la plus faible puissance militaire des Balkans. La Grèce dispose d’une capacité militaire incomparablement supérieure.

La classe capitaliste macédonienne est incapable de maintenir l’ordre social sans l’aide du capital grec et international. Par conséquent, son intérêt et celui de l’Etat macédonien n’est pas d’affronter l’Etat grec mais de construire une alliance avec lui. Le discours sur les « tendances irrédentistes » n’est donc que propagande visant à maintenir la méfiance nationaliste entre les deux peuples.

Ce qu’il faut souligner c’est que l’intérêt des travailleur.se.s de la République de Macédoine est de rejoindre la classe ouvrière grecque dans une lutte commune pour leurs droits. Les travailleur.se.s dans les deux Etats ne mènent pas une lutte différente, leur combat est commun.

La situation politique dans votre pays a connu un changement important après l’éclatement du scandale des écoutes illégales, dans lesquel les dirigeants du gouvernement VMRO-DMNE ont été impliqués. Une importante mobilisation populaire a suivi, conduisant aux élections de 2016 et à la défaite du VMRO-DPMNE. Ces scandales ont révélé l’étendue du pillage de l’État par les politiciens au pouvoir et de la corruption qui a accompagné l’imposition de politiques néolibérales particulièrement brutales. Après les élections de 2016, une nouvelle coalition s’est formée autour du parti social-démocrate SDSM et des partis représentant la minorité albanaise. Quelle est votre évaluation de la politique menée par le gouvernement actuel dirigé par Zoran Zaef ?

Après la formation du nouveau gouvernement les gens ont pu respirer, la peur qui existait au temps du gouvernement VMRO-DPMNE a disparu, mais les institutions de l’Etat n’ont pas été réformées. De nouveaux scandales touchent les membres de la Commission électorale nationale et les indemnités qu’ils sont touchés. Un autre scandale est survenu concernant l’indemnisation des frais de voyage des députés, comme à l’époque des gouvernements VMRO-DPMNE.

S’agissant de l’économie, ce sont les mêmes politiques néolibérales qui sont mises en œuvre. Le SDSM tente de se présenter comme un parti de gauche en se livrant à des manipulations avec le salaire minimum, qui est passé de 10800 à 12000 denars (200 €). Mais une faille juridique supplémentaire a également été ouverte, permettant aux patrons d’enfreindre la loi. De cette façon, le SDSM se présente comme un parti qui se soucie des travailleur.se.s sans avoir besoin d’affronter les capitalistes. Le gouvernement a promis une nouvelle politiques fiscale basée sur la taxation progressive mais en réalité rien n’a changé, ils ne veulent pas et ne se confronteront pas au pouvoir du capital.

Pouvez-vous nous dire comment le parti Levica (La gauche) a été formé et quels sont ses principaux objectifs ?

Après plusieurs années de mobilisations et de luttes sociales, Levica a été formé en 2016 par des membres du Mouvement pour la justice sociale Lenka et le mouvement de gauche Solidarité, deux réseaux militants de base rejoints par des personnes qui n’étaient pas membres de ces organisations. Il a été conçu comme une tentative de combler le vide sur la partie gauche du spectre politique, et de répondre à la nécessité d’un parti ouvrier, puisque les travailleurs n’avaient aucune organisation politique pour représenter leurs intérêts sur la scène politique et dans la société. L’objectif principal de Levica est de représenter l’intérêt des travailleur.se.s et des couches pauvres de la population, d’organiser les travailleur.se.s dans leur lutte et de transformer la société dans un sens socialement plus juste.

Voyez-vous des possibilités de collaboration entre Levica et les forces de la gauche radicale grecque qui s’opposent à la montée nationaliste actuelle ?

Il ne s’agit pas simplement de possibilités. La coopération entre Levica et les forces de la gauche radicale grecque est une nécessité. La coopération entre les forces de gauche dans les Balkans est nécessaire pour constituer une plateforme balkanique qui unira la gauche dans la région. Les peuples balkaniques se sont trop souvent tournés les uns contre les autres sous l’influence des forces nationalistes et, pendant qu’ils s’adonnent à ces haines ils se font piller par leurs élites.

Seule l’action commune des forces antinationalistes permettra aux peuples de voir que celles et ceux qui se trouvent de l’autre côté de la frontière ne sont pas des ennemis, mais des personnes confrontées à des problèmes similaires, et que ces problèmes nécessitent souvent une action commune pour être résolus. Nous comptons vivement sur la coopération future avec nos camarades grec.que.s pour mener à bien cette tâche.