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Interview du président destitué de l’université du Mirail
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Pitoyable. Il applaudit à sa propre destitution : aucune dignité. Et hop Lacroix, à la poubelle !
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Daniel Lacroix était le président de l'Université Jean-Jaurès dont la gouvernance a été dissoute par le ministère de l'Enseignement supérieur. Il revient sur la crise qui agite son établissement, les enjeux du projet Idex retoqué par le jury, sa vision de la future université de Toulouse, ses regrets. Entretien.
Comment avez-vous analysé la décision, prise par le ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche, de dissoudre les conseils centraux de l'Université Jean-Jaurès ?
Cette décision, à laquelle je m'attendais, faisait partie des options possibles dans la mesure où la démission des deux-tiers du conseil d'administration n'avait pas été validée en interne. Comme nous n'avons pas réussi à nous entendre, le ministère a pris la main. Cette décision, que je respecte, a l'avantage de nous conduire rapidement à de nouvelles élections.
Permettra-t-elle, selon vous, de construire une gouvernance plus solide ? Je l'espère ! Depuis deux ans, l'instabilité au sein du conseil d'administration, partagé entre deux groupes, ne facilitait pas la gouvernance. Depuis que la question de l'Idex a émergé, les clivages se sont accentués. Le climat est devenu un peu malsain. Les nouvelles élections permettront de clarifier la situation.
Cette sortie de crise représente-t-elle pour vous un soulagement ? Absolument. J'étais tenu de porter le projet de l'Université de Toulouse et de l'Idex jusqu'au bout. Même s'il ne se manifestent pas sur le campus de manière aussi visible, les partisans du projet existent. Ils sont nombreux. Ils représentaient la moitié du conseil d'Administration et les deux tiers du conseil Académique. A partir du moment ou le jury a retoqué le projet, ce que je regrette, il vaut mieux rebattre les cartes. Je me suis endurci pendant l'épreuve, mais cela avait un sens. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Et je n'ai pas vocation à servir de bouc émissaire. Alors oui, je suis soulagé.
Insultes, violences verbales, menaces : la période que vous avez traversée a été particulièrement difficile. Comment l'avez-vous vécue ?
Je suis heureux que cette période très inconfortable soit terminée. Cela a été difficile en effet, même si j'ai reçu de nombreux messages de sympathie et des invitations à tenir bon, au moins jusqu'aux auditions du jury Idex. Peu à peu, la voix que je portais a été étouffée par les clameurs des grévistes, leurs arguments martelés, souvent fallacieux, leurs contrevérités inadmissibles. Il est faux de dire que j'ai trahi mes engagements de campagne. Le jour même de mon élection, après l'échec de l'Idex de 2016, j'avais clairement dit aux partenaires que j'étais prêt à m'investir en faveur de ce dossier. La difficulté, c'est que ce genre de projet conduit à une recomposition des acteurs sur le site et certains ont pu être surpris que je ne sois pas raccord avec mon syndicat. Je le comprends, mais je n'étais pas seul dans ce cas. Une partie des collègues qui s'était présentée aux élections avec moi sous la même bannière s'est reconnue dans ce projet. Certains syndicats l'ont vu autrement. A un moment, les équipes dirigeantes ne sont pas les portes paroles des syndicats mais doivent porter un projet politique.
Des nouvelles élections sont programmées. Envisagez-vous de vous représenter ?
Il faut être raisonnable. Mon mandat aura duré un peu moins de deux ans. J'ai besoin de prendre du recul, de réfléchir. Je n'ai pas ménagé mon engagement, mais j'ai l'impression que la cause de l'Université de Toulouse et de l'Idex a été mal posée. Quand je lis l'avis du jury, je me dis que nous nous sommes peut-être lancés dans une entreprise plus hasardeuse qu'il n'y paraît. Nous pensions avoir rendu un projet viable. Il ne l'est pas. Il faudra d'autres personnes pour rebondir maintenant. A titre personnel, il ne m'est plus possible d'intervenir. Je peux être utile si on me le demande, mais je ne me sens pas en capacité d'emmener une liste.
Qu'est ce qui vous aura le plus marqué pendant ces semaines de grandes tension au sein de l'Université ?
La mauvaise foi. Je peux comprendre que des étudiants s'enflamment, que des personnels soient inquiets et je n'ai d'ailleurs jamais refusé le débat. Mais je ne peux pas accepter la malhonnêteté intellectuelle dans un lieu critique, de réflexions, de production du savoir. Je ne peux pas accepter que certains colportent des mensonges. Cela dit, je connais le Mirail. Les grandes luttes ont toujours abouti à quelques mots d'ordre très simplistes. L'image de cette université, que nous avons essayé de changer depuis des années, s'en trouve ternie. On est retombé à nouveau dans notre caricature. C'est préjudicable à nos étudiants dont les CV sont parfois mis, nous dit-on, au fond des piles car on ne sait pas ce qu'il y a derrière le diplôme. Est ce que la formation a été suivie ou pas ? C'est dommage !
C'est l'image d'une Université régulièrement en grève ?
Oui ! C'est la caricature d'un établissement où l'on peut perdre des mois de cours et avoir quand même les diplômes, où certains secteurs disciplinaires sont des lieux d'agitation sociale. C'est cette idée, en partie fausse, qui prévaut. Je veux vous citer une anecdote qui m'a été racontée par une personne dont le fils s'était renseigné pour suivre des études d'histoire. Les étudiants avec lesquels il a pris contact lui ont dit, je résume, que ce qui était important, c'était moins l'histoire que les luttes, notamment contre le gouvernement. Du coup, il est allé s'inscrire ailleurs. C'est évidemment une caricature, mais il est vrai que certaines disciplines sont très tournées vers la réflexion sociale et politique, comme il est vrai que certains collègues oublient que nous sommes un service public, investi d'une mission de formation, de production de savoir.
Vous voulez dire que le mouvement était très politisé ?
En partie non, car il y avait des inquiétudes, légitimes, du personnel face au projet Idex et ses incertitudes. En partie oui car, assez rapidement, le Nouveau Parti Anticapitaliste, ainsi que des membres de La France Insoumise et candidats aux dernières élections législatives, ont intégré le mouvement étudiant, l'ont récupéré. Quand les jeunes macroniens ont essayé de s'exprimer, ils ont aussitôt été jugés illégitimes, comme si l'université appartenait seulement à certains. C'est anormal !
Quelle est votre analyse sur le rejet de l'IDEX par le jury international ?
Le projet que nous portions, Uniti 2018, était considéré par le jury comme le dernier avatar du projet initial en grande partie formulé par les économistes de Toulouse school of Economics. Le fait que l'Université du Capitole, avec son poids scientifique et sa renommée, se soit retirée du projet était, pour nous, un mauvais point. Il était cependant clair que nous n’arriverions pas à travailler avec elle, car nos modèles étaient vraiment trop différents. En outre, nous n’étions pas assez clairement dans une logique de fusion. Pour autant, cette configuration à quatre (Jean-Jaurès, Paul Sabatier, INP et INSA NDLR) apparaissait nettement dans la feuille de route. Ce que je ne m'explique pas, c'est pourquoi le jury, sachant cela, a accepté de revoir notre dossier. Certes, il y a sans doute eu un appui des tutelles pour que notre projet soit examiné. Mais j’aurais préféré qu’on ait le courage de nous dire que, dans ces conditions, nous allions à l’échec. Nous avons perdu deux ans et nous devons repartir à zéro. C’est regrettable.
Selon vous, quel pourrait-être l’avenir du projet d’Université de Toulouse ?
Nous sommes dans une autre configuration que le Programme d’investissement d’avenir (PIA) et c’est au ministère de nous dire, enfin, ce qu'il souhaite. Nous avons été accompagnés par le CNRS, nettement moins par notre ministère de tutelle. Cela m’a étonné. Croyez-moi, imaginer une université sans cadre juridique, en se disant qu’on verrait plus tard avec le ministère, est un exercice particulièrement difficile. On nous a demandé d'imaginer la construction d'une université en dehors des cadres légaux en essayant de deviner ce qui plairait au jury, qui n'est pas unanime. Si l’Etat nous aide, cela aura pour effet de motiver les troupes sur le terrain. A l'inverse, si on nous explique que nous devons nous débrouiller seuls, sans argent, rebondir sera difficile.
Quel le sentiment le plus marquant du conflit que vous avez traversé ?
L'avenir qu'on a assigné à l'université n'est pas clair. Comment faire face aux évolutions, aux mutations profondes et fortes de la société ? La crise, le chômage, la mondialisation font que notre université est interrogée et doit faire face à de nouveaux besoins qu'elle a du mal à intégrer. Les écoles, les instituts s'en sortent mieux car ils sont sur un modèle plus proche des attentes de la société. Dans certains UFR ou départements, l'immobilisme est tel qu'il y a une forme de déphasage avec ces attentes. Maintenant, j’ai le sentiment que nous allons vers deux types d’universités : d’un côté, des grands regroupements avec une visibilité internationale, une recherche forte ; de l’autre, des établissements tournés vers la masse étudiante, la distribution de diplômes. C'est un peu dommage ! L'ambition que nous avons portée était sans doute un peu trop haute pour notre communauté. Je pensais qu'on pourrait devenir une grande université du Sud de l'Europe sur un modèle proche de celui de Paris 4 et Paris 6, où les Sciences humaines et sociales (SHS) et le domaine des Arts, Lettres et Langues étaient co-porteurs du projet. Au sein d’UT2j, certains ont joué petit bras en regardant leurs propres intérêts. Si nous ne réussissons pas à créer de grandes universités en France, une partie de nos étudiants, les plus ambitieux, les plus brillants et ceux qui ont les moyens, ira ailleurs.