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L’ouverture à la concurrence du ferroviaire, c’est le hold-up du siècle

SNCF

Lien publiée le 23 mars 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://reporterre.net/L-ouverture-du-ferroviaire-a-la-concurrence-c-est-le-hold-up-du-siecle?google_editors_picks=true

De grandes manifestations se déroulent le 22 mars, pour défendre le chemin de fer et pour protester contre l’affaiblissement du service public. Les cheminots sont en pointe dans ce mouvement. Erik Meyer, porte-parole du syndicat Sud Rail, s’explique.

Érik Meyer est porte-parole de Sud Rail.


Reporterre — Deux groupes défendent les chemins de fer en France : les cheminots et les écologistes. Y a-t-il un dialogue entre vous ?

Erik Meyer — Nous partageons avec les écologistes un certain nombre de revendications. Notamment sur le transport de marchandises par rail, qui s’est écroulé suite à l’ouverture à la concurrence – on est passé de 15 % du volume de marchandises transportés par le rail en 2006 à moins de 8 % en 2017, avec un volume global de marchandises transportées qui augmente. Mais aussi sur une politique de développement durable qui prenne mieux en compte les transports à faibles émissions de CO2. Là où nous divergeons, c’est qu’en tant que syndicalistes nous y incluons une forte dimension sociale, ce qui est moins le cas des écologistes et des associations et partis politiques qui se réclament de l’écologie.

Vous avez donc un intérêt commun sur le sujet. Mais concrètement, y a-t-il eu des efforts de part et d’autre pour créer des liens ?

Il y a quelques années, pour défendre l’écotaxe et sur les questions de financement des modes de transport alternatifs, nous avons pu faire des meetings, des déclarations et des cahiers revendicatifs communs. Mais sur le dossier qui nous intéresse actuellement, le pacte ferroviaire, il n’y a pas de lien entre nous. D’ailleurs, on n’entend pas les écologistes sur ce dossier. Ils sont aux abonnés absents.

Les écologistes sont aussi des usagers des transports. Allez-vous vers eux ?

Dans le climat ambiant de stigmatisation des cheminots, où ressortent les vieilles rengaines sur les preneurs d’otages et les défenseurs de leurs privilèges, nous essayons de tenir un discours pédagogique auprès des usagers et de leur expliquer les conséquences de la réforme pour eux. Partout en Europe où le ferroviaire a été ouvert à la concurrence, le prix du billet a augmenté de 15 à 20 % et la qualité de service s’est dégradée, à cause d’une moindre présence humaine dans les gares. Aujourd’hui, en Allemagne il n’y a plus personne dans les gares pour vous renseigner, vous diriger, vous vendre des billets.

Nous avons programmé plusieurs journées de diffusion de tracts explicatifs dans les plus grandes gares du territoire. Tout ça pour essayer de faire prendre conscience aux usagers que la réforme du pacte ferroviaire telle que présentée par Edouard Philippe est un réel désengagement de l’État du service public ferroviaire et que la suppression du statut des cheminots n’est qu’un écran de fumée ou l’arbre qui cache la forêt. Et qu’il serait temps de parler de politique de développement durable, de continuité territoriale, d’aménagement du territoire, plutôt que de stigmatiser les cheminots contre la population.

Jean-Cyril Spinetta, au ministère de la Transition écologique et solidaire, le 15 février dernier.

À propos du rapport Spinetta, les associations environnementales ont fait un travail de décryptage. Elles essaient aussi de faire de la pédagogie. Y a-t-il des liens possibles à ce niveau-là ?

Nous serions demandeurs parce que cela ouvrirait d’autres perspectives de débat et permettrait de recentrer le débat sur les fondamentaux : politique de continuité territoriale, d’aménagement du territoire, etc. Mais à ce jour, nous n’avons eu aucun contact avec elles.

Vous avez rencontré les ministres ces derniers temps. Qu’avez-vous perçu de leur philosophie et de leur vision du ferroviaire ?

Nous sommes dans ce qu’ils appellent une phase de concertation. Sauf qu’il n’y a pas de concertation. Ils appliquent le même schéma « ordonnances » qu’ils ont adopté pour la loi Travail : ils nous reçoivent gentiment, nous font une explication de texte de ce que sera la loi, nous demandent notre avis. Nous le leur donnons, nous formulons nos attentes et nos revendications... et, à la sortie, rien ne bouge. Nous avons l’impression qu’ils attendent le rapport de force pour engager une négociation. Ou, pire, nous avons un président qui veut se la jouer thatchérien et qui est prêt à assumer un conflit long et dur, pour montrer qu’il a les épaules.

« Il y a une volonté délibérée de l’exécutif d’aller au rapport de force. »

La SNCF est un des lieux où le mouvement syndical est le plus fort. Pensez-vous que vous tiendriez plusieurs mois comme avaient tenu les syndicats du charbon dans les années 1980, en Angleterre, face à Margaret Thatcher ?

Quand un conflit commence, on ne sait jamais quand il va se terminer. Mais les ordonnances de la loi Travail ont réellement affaibli les collectifs de travail et les syndicats, avec la création du Comité social et économique (CSE), la suppression des CHSCT et des délégués du personnel, etc. Récemment, le gouvernement a décidé de ne retenir que ce qu’il veut d’un accord sur la formation professionnelle signé par les syndicats et le patronat. Il y a une volonté de l’exécutif de se débarrasser des corps intermédiaires.

A la SNCF, il y a deux blocs : un bloc réformiste – Unsa et CFDT – et un bloc d’opposition – CGT et Sud Rail. Cela faisait très longtemps que les quatre syndicats n’avaient pas été alignés sur un sujet. Le fait qu’ils le soient aujourd’hui est le signe que même le bloc réformiste n’est plus écouté. Si le bloc réformiste partage cette analyse qu’il n’y a pas de négociations, c’est qu’il y a une volonté délibérée de l’exécutif d’aller au rapport de force.

Les déclarations d’Elisabeth Borne pouvaient pourtant être rassurantes quand elle parlait d’améliorer le service public ferroviaire...

Ils sont très doués en communication ! Mais l’ouverture à la concurrence telle que souhaite la mener le gouvernement consiste à donner le bien public aux opérateurs privés, pour qu’ils puissent engranger les subventions publiques. Il prévoit le transfert du personnel, le transfert du matériel, des plans de transport... Tout cela a été repris dans le projet de loi d’habilitation, présenté au Conseil des ministres le 14 mars dernier. Un opérateur privé pourra répondre à un appel d’offres et, avec zéro investissement, engranger les subventions publiques des autorités organisatrices. C’est quand même formidable, comme concept ! Pour nous, c’est le hold-up du siècle !

Édouard Philippe a dit que les 9.000 kilomètres de petites lignes ne seraient pas touchées...

Ce qu’Édouard Philippe a dit, c’est que l’État ne fermera pas les petites lignes. Il va laisser le soin aux régions de le faire !

En 2014, sous Hollande, le pouvoir de décision avait été confié aux régions et la faculté de maintenir, d’entretenir et de rénover les voies à SNCF Réseau. Aujourd’hui, Édouard Philippe transfère tout aux régions qui définiront elles-mêmes quelles lignes elles veulent garder ou non. Cela va créer une véritable fracture territoriale entre les régions riches, qui auront les moyens de garder des lignes, et les pauvres, qui n’auront pas les fonds nécessaires pour investir. Et cela va être doublement la catastrophe, parce que 30 % du trafic ferroviaire de marchandises passe par ces 30 % de petites lignes...

M. Spinetta a dit qu’il prenait l’avion pour aller à Marseille, parce que « trois heures de train c’est trop long ». Qu’est-ce que cette parole révèle sur les gens qui pensent les réformes du train ?

Ce que Macron veut faire, c’est des relations Paris-capitales régionales en train et tout le reste en bus. Ça se voit dans le discours qu’il avait fait lors de l’inauguration du TGV pour Rennes. Quand on parle de supprimer 9.000 km de petites lignes sur 36.000 km, c’est quasiment 30 % du système. Il y a une vraie problématique avec les bus Macron, qui perdent de l’argent : une des façons d’en gagner, c’est d’aller prendre les subventions publiques à travers les transports régionaux.

« La dette de la SNCF ne découle pas du statut des cheminots, mais de la construction du réseau LGV. »

Pourquoi défendre le statut des cheminots ?

La dette de la SNCF ne découle pas du statut des cheminots, mais de la construction du réseau LGV. La SNCF n’a été que l’exécutrice des politiques publiques, et si en 1982 la SNCF est devenue un Epic [Etablissement public à caractère industriel et commercial, NDLR], c’était pour lui permettre de s’endetter avec une garantie de l’État afin de construire le réseau LGV. On parle du "statut des cheminots", mais les salariés de l’automobile peuvent acheter des véhicules à moindre coût, les salariés des banques peuvent emprunter à taux préférentiel, les journalistes ont un crédit d’impôt de 7.650 € par an, donc, chaque catégorie socio-professionnelle a des avantages liés à sa branche, souvent pour compenser de la modération salariale. A la SNCF, c’est la même chose. Quand on dit que le statut coûte cher, si on prend le bilan de l’entreprise, le volume de la masse salariale par rapport au chiffre d’affaires de l’entreprise, il est égal ou inférieur aux grandes entreprises françaises du CAC 40.

Pourquoi y aurait-il une mobilisation au-delà des cheminots ?

Aujourd’hui, tout le monde est attaqué. La santé est attaquée, la RATP est attaquée, le transport aérien, la Poste, la fonction publique, ce n’est pas un train de réformes qui nous est proposé, mais un train de régression sociale pour l’ensemble des salariés, à grande vitesse.

Les cheminots seraient les locomotives de la contestation ?

Si c’était vrai...

Vous en doutez ?

On verra comment ça se passe. Je le souhaite. Mais il est difficile d’agréger tous les intérêts des catégories socio-professionnelles sur un même objectif.

Durant le mouvement d’opposition à la loi Travail, il y avait eu une répression policière extrêmement forte, prenant argument du fait qu’il y avait un « cortège de tête », et en même temps il y a un mouvement depuis quelques années de gens qui vont se confronter à la police. Comment abordez-vous le problème de la gestion de la violence ?

Je me souviens de manifestations il y a dix ans sur la retraite ou autre, c’était des manifestations familiales. Depuis, la violence a appelé la violence et on a aujourd’hui des cortèges de tête qui se forment, des groupuscules qui veulent en découdre avec la police, et les autorités laissent faire pour pouvoir donner une mauvaise image des manifestants. On ne peut que condamner la casse d’un côté, la répression policière de l’autre. Mais comme au moment des manifestations loi Travail, on voit bien que c’est organisé à un certain niveau, il y a des consignes données en amont de laisser se former tout cela, alors qu’on pourrait éviter de laisser s’agréger tous ces groupuscules.

Alors comment faire en tant que syndicalistes ?

On protège les gens qui viennent manifester avec nous et on laisse la police, qui a laissé se former le cortège de tête, se débrouiller avec le cortège de tête.

Y aura-t-il des usagers à la manifestation de ce 22 mars ?

Oui, la FUT-SP, des associations de Paris Normandie, des Hauts-de-France, s’ils arrivent à venir.

Le mouvement important contre la loi Travail a échoué. Aujourd’hui, la mobilisation est-elle un baroud d’honneur ou un nouveau départ ?

Avant les syndicats étaient le symbole de conquêtes sociales, de nouveaux droits pour les salariés. Aujourd’hui, ils sont plutôt le symbole du barrage contre la régression. Il faut tenir. Depuis que le mot "réforme" a été inventé, il n’y a plus d’avancée sociale pour les salariés. On réforme, on réforme, on a une fracture qui se creuse de plus en plus, on produit de plus en plus de richesses de moins en moins bien réparties. On individualise les gens, et ils pensent qu’ils s’en sortiront mieux tout seuls alors que, historiquement, c’est toujours le collectif qui a permis des avancées sociales. Mais un jour ils s’en rendront compte. Et ce jour là, le retournement risque d’être brutal.

Ce jour, le sentez-vous venir ?

On essaye de le provoquer, mais après, il faut que les salariés répondent. Est-ce que les salariés sont prêts à se battre ? A ouvrir les yeux et à dire, "Mais là, on me prend trop pour un con et il faut quand même y aller" ? Je ne sais pas. On verra.

  • Propos recueillis par Marie Astier et Hervé Kempf