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La mobilisation étudiante se renforce malgré la répression

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Lien publiée le 27 mars 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://reporterre.net/La-mobilisation-etudiante-se-renforce-malgre-la-repression

Dans une ambiance de Nuit debout, les étudiants se mobilisent contre la sélection à l’université. Malgré la violence de la répression, ils cherchent la convergence des luttes. Reportage à Paris et analyse d’un mois de mouvement estudiantin.

  • Paris, reportage

L’amphi N est noir de monde. En principe, il peut accueillir jusqu’à 1.500 personnes. Jeudi 26 mars, depuis deux heures que l’assemblée générale de l’antenne de Paris 1 à Tolbiac bat son plein, près d’une cinquantaine de personnes restent debout sur les côtés ou assises au beau milieu des escaliers, tant les gradins fourmillent d’étudiants.

L’objet de leur attention ? Les intervenantes et intervenants qui, tour à tour, descendent devant l’estrade et soumettent à la salle une proposition quant à l’organisation de la lutte. La vigueur des débats jure avec l’atonie des chambres parlementaires — au hasard, l’Assemblée nationale. Ici, chaque proposition suscite salves d’applaudissements, roulements de tambour, ou bien huées et imprécations hostiles. Les passions sont déchaînées.

L’antenne de l’université Paris-1 à Tolbiac.

Depuis la mi-février, la lutte s’organise à Tolbiac, initialement contre la loi Vidal de réforme de l’entrée de l’université [Lire ci-dessous]. Ici, « le blocus, c’est du folklore », s’amuse Gaspard [*], rencontré sur une barricade — concrètement, un barrage de tables, de chaises et de banderoles coupant l’accès aux ascenseurs. Son camarade Théo [*] évoque la politisation renforcée des étudiants depuis la loi Travail en 2016 : « 2016 nous a radicalisé, au sens propre. Nous sommes revenus à l’essence de la gauche. »

Mais le mouvement déborde largement le cadre de la protestation contre la loi. Désormais, comme le clame une intervenante de l’AG, il s’agit de rien moins que de « se réapproprier notre espace ». Florian [*], un « autonome », va plus loin : « Ce matin, on a voté l’occupation de la fac. C’est-à-dire qu’on va la faire tourner, à notre manière. Les cours reprendront, mais cette fois coorganisés par les étudiants et les profs. »

« Le gouvernement mène une offensive globale. C’est pour ça que de notre côté, il ne faut plus penser les luttes séparément, mais ensemble » 

Cependant, militantes et militants ne forment pas une voix unanime. L’AG évolue au gré de débats houleux, violents, passionnels. Untel demande la levée du blocus, qui selon lui « crée la scission au sein de la communauté étudiante ». Il récolte une salve d’applaudissements et de huées. Un autre s’efforce de rattacher la lutte actuelle au serment du Jeu de paume et à Mai 68 avant d’entonner Le Chant des partisans. Un immense rire moqueur accueille sa prestation. C’est brutal, mais c’est franc.

Un autre participant, en réponse à une camarade qui reprochait à l’AG son « caractère antidémocratique, parce que seuls s’y expriment les gens qui ont une certaine opinion », donne une définition en creux de la démocratie des AG : « Arrêtez de faire les victimes quand il y a du chahut à chaque prise de parole. C’est pour tout le monde pareil, ça signifie qu’on vous écoute. C’est démocratique, mais c’est pas un parlement avec des députés. »

À Tolbiac.

Toutefois, l’AG regarde au-delà des murs de Tolbiac. Une interrogation, lancinante, rythme les interventions : comment étendre le domaine de la lutte ? Gaspard explique cette stratégie : « Le gouvernement mène une offensive globale. C’est pour ça que de notre côté, il ne faut plus penser les luttes séparément, mais ensemble. » Dans l’amphi, les initiatives fusent en la matière. Une ancienne lycéenne de ZEP propose d’aller soutenir les camarades lycéens. Une autre propose que l’occupation « serve à tout le monde », en organisant par exemple des projections et des soirées avec les autres travailleurs en lutte. L’enjeu : aller chercher les exclus de l’université. Un intervenant le rappelle : « N’oubliez pas que nous, étudiants, sommes des privilégiés. Et que tous ceux qui se mobilisent contre la sélection se mobilisent aussi pour ceux qu’on ne verra jamais à la fac, précisément parce que la sélection les en a éliminés. » Et une autre de conclure : « On est en lutte contre le monde qui va avec la sélection. »


UN MOIS DE MOBILISATION DISRUPTIVE 

- Bordeaux, reportage

La réforme de l’accès à l’université a été menée tambour battant, cet hiver. Déposé le 22 novembre, le projet de loi Vidal (ou loi « relative à l’orientation et à la réussite des étudiants ») a été adopté définitivement le 15 février dernier.

Sa mesure centrale : la suppression de la plateforme internet « admission post-bac », qui encadrait depuis 2009 les candidatures et affectations des lycéens après le baccalauréat. Dès le 15 janvier, un nouveau site a été mis en ligne, et les universités poussées à adopter sa procédure : fixer des « attendus », c’est-à-dire des critères de sélection permettant de départager les étudiants dans les filières à succès, afin de coller aux « capacités d’accueil » de chaque cursus.

À Tolbiac.

Les administrations universitaires ont été les premières à réagir, en votant des motions opposées à ce projet de loi qui vise, selon elles, à instaurer « une sélection brutale, par le recours à des critères opaques, et pour une bonne part cachés, et une orientation forcée ». Les facs réclament au contraire davantage de moyens pour accueillir la génération des baby-boomers de l’an 2000.

Mais il a fallu attendre février, et surtout mars, pour que la mobilisation étudiante prenne successivement dans plusieurs campus. D’abord Rennes, puis Nantes, Toulouse, Poitiers, Paris, Bordeaux, Lille, Dijon, Strasbourg, Grenoble… Blocus, occupation de fac, manifestation, mais aussi « fac autogérée », concours de banderoles : les étudiants se creusent la tête pour peser et contraindre le gouvernement à reculer, malgré leur faiblesse numérique.

Les présidences d’université ont fait appel aux forces de l’ordre pour déloger les étudiants 

Le 6 mars, après un premier blocus la semaine précédente, les étudiants mobilisés de l’université de Bordeaux Victoire (fac de sociologie et de psychologie située en centre-ville) ont cherché à occuper un amphithéâtre, l’« amphi Gintrac ». Dans la soirée, le président de l’université de Bordeaux (et farouche partisan de la réforme) a fait appel aux forces de l’ordre pour les en déloger. Alors que la trentaine d’étudiants s’étaient rassemblés dans le haut de l’amphi, la police les a expulsés avec violence. Un étudiant a passé la nuit à l’hôpital, un autre avait le visage couvert d’ecchymoses. Deux jours plus tard, 500 étudiants galvanisés assistaient à une assemblée générale organisée devant la fac avant de réinvestir « Gintrac », devenu un symbole.

À Bordeaux.

Comme à Bordeaux, les interventions policières se sont multipliées ces dernières semaines à Nantes, Dijon, Grenoble ou encore Strasbourg. À chaque fois, les présidences d’université ont fait appel aux forces de l’ordre pour déloger les étudiants, souvent dans la violence. Jeudi dernier (le 22 mars), un palier à été franchi à Montpellier : l’envoi de la police ayant été refusé par la préfecture au doyen de l’université de droit, c’est une véritable milice constituée d’hommes cagoulés et armés de grosses planches de bois qui a attaqué les étudiants installés dans un amphithéâtre, faisant plusieurs blessés. Le doyen Philippe Pétel, qui a assumé ces agissements, a depuis dû démissionner. En solidarité avec les étudiants de Montpellier, plusieurs manifestations sont organisées cette semaine sur les campus mobilisés. Un peu plus tôt, le 16 mars, c’est le lycée autogéré de Paris qui avait été la cible d’un groupe d’extrême droite.

  • Un témoignage de l’expulsion musclée de l’amphi de la fac de droit de Montpellier, jeudi 22 mars

Face à la répression, les étudiants ne se découragent pas : ils entendent se réapproprier les universités qu’ils occupent, en y programmant des ateliers, des cours (notamment sur Mai 68) parfois tenus par des profs solidaires, des projections, des cantines solidaires, etc. « Structurer le mouvement », « se poser et s’organiser » sont des mots qui reviennent, en contre-pied de l’empressement né de la conscience de vivre une mobilisation rare, de l’« esprit de 68 » qui flotte dans tous les esprits.

« Ne pas retomber dans les pièges de Nuit debout » 

Cinquante ans après, les étudiants s’inspirent de leurs aînés quand ils cherchent à se rapprocher des « travailleurs en lutte » : les ouvriers de l’usine Ford menacée de fermeture à Bordeaux, les postiers en grève, les cheminots qui se battent contre la suppression de leur statut. « Nous, étudiants, on n’a pas les moyens de bloquer la société. On aura plus d’impact si on s’allie aux travailleurs », plaidait ainsi une étudiante en assemblée générale, à Bordeaux.

Mai 1968, il y a 50 ans. Mais aussi Nuit debout et le mouvement d’opposition à la loi El Khomri, il y deux ans. On voit dans la mobilisation d’aujourd’hui comment celles d’hier ont infusé : les cortèges de tête (nés dans les manifs de 2016) se sont institutionnalisés, et donnent lieu à un concours entre villes, appelé « banderole game » sur les réseaux numériques (« Les coups de matraque sont gratuits, la fac devrait l’être aussi », « On n’est pas l’élite, mais on cogite »…). Le fonctionnement des assemblées générales, répété durant des nuits il y a deux ans, est maintenant bien rodé, les tours de parole respectés, la parité et la participation du plus grand nombre recherchées.

Dans le cadre du « banderole game ».

Mais cette fois de manière plus « opérationnelle », afin de « ne pas retomber dans les pièges de Nuit debout », comme l’affirme un étudiant. Les AG sont des centres de décision, où l’on parle stratégie, où l’on se demande comment rassembler au-delà du cercle des mobilisés. Où l’on débat, même avec ceux qui veulent casser le mouvement, donnant lieu à des échanges enrichissants : « Je suis agréablement surpris, c’est plus intéressant que ce que je pensais » ; « Il y a des étudiants qui n’ont pas les moyens de louper une année et de redoubler » ; « Est-ce qu’on pourrait pas trouver un compromis entre nos positions ? » exprimaient ainsi des étudiants venus en AG pour contester le blocus, à Poitiers.

Si le mouvement actuel n’a pas encore atteint la masse critique capable de faire reculer le gouvernement, celles et ceux qui le constituent font preuve de suffisamment d’intelligence collective pour qu’on y voie une bonne nouvelle : il faudra maintenant compter avec cette nouvelle génération de militant.es.