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Guénolé - "Mai 2018" : le nouveau Mai 68 a commencé

Lien publiée le 10 avril 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.marianne.net/debattons/tribunes/mai-2018-le-nouveau-mai-68-commence

Thomas Guénolé

Politologue et essayiste. Coresponsable de l’école de la France insoumise. Auteur de : Antisocial(Plon).

Le nouveau Mai 68 a commencé. S’il réussit à vaincre Emmanuel Macron, il entrera à son tour dans l’Histoire, sous le nom de « Mai 2018 ». C’est possible. C’est affaire de méthode et de détermination collective.

Une réécriture mensongère de Mai 68 se répand en ce moment dans les médias mainstream. Au fil des couvertures, débats et interviews, on nous dépeint Mai 68 comme une « révolution des mœurs », individualiste, consumériste, limitée à la libération sexuelle et à du gauchisme de salon. C’est un mensonge. En réalité, le vrai Mai 68 fut une grève générale, lors de laquelle plus de 10 millions de salariés du privé et du public bloquèrent l’économie du pays, avec le soutien d’étudiants qui voulaient, à leurs côtés, se révolter contre le système en place. Mis à genoux par ce grand blocage économique, le gouvernement du général De Gaulle capitula. Il concéda donc une avalanche de conquêtes sociales : augmentation du salaire minimum de plus d'un tiers (!), augmentation générale des salaires de 10%, baisse réelle du temps de travail à 40 heures hebdomadaires, obtention de nouvelles libertés syndicales en entreprise, et ainsi de suite.

Cinquante ans après, l’accumulation de mouvements sociaux simultanés est aujourd’hui spectaculaire. Il y a les grèves des cheminots contre la transformation du service public ferroviaire en grand marché. Il y a les grèves d’Air France pour augmenter décemment les salaires. Il y a les grèves du ramassage d’ordures pour obtenir la création d'un service public national des déchets. Il y a les grèves chez Carrefour contre la suppression de milliers d’emplois. Il y a les grèves dans le secteur de l’électricité et du gaz, pour arrêter sa transformation en grand marché et rétablir un grand service public. Il y a les occupations de facs par des étudiants, notamment à Tolbiac, Nanterre, Montpellier, Brest, Grenoble ou encore Strasbourg. Il y a les mobilisations dans les EHPAD et les hôpitaux contre la destruction de la santé publique par l’austérité. Et ainsi de suite. Cette accumulation suffit à démontrer qu’objectivement, les conditions d’un « Mai 2018 » sont réunies.

Cela étant, maintenant que « Mai 2018 » est lancé, il s’agit à présent qu’il gagne.

GERARD JULIEN / AFP

Faire de grandes manifs est utile. Car comme leur nom l’indique, elles permettent de manifester quelque chose. Lorsqu’elles sont massives, elles manifestent la force et la détermination de la mobilisation. Lorsqu’elles incluent des gens de syndicats variés, elles manifestent un front commun intersyndical. Lorsqu’elles rassemblent à la fois des fonctionnaires et des salariés du privé, elles manifestent une « union sacrée » pour l’intérêt général. Lorsqu’elles unissent des gens en lutte à la fois collective et chacun dans ses propres revendications, elles manifestent un front commun interprofessionnel. Lorsqu’elles sont soutenues par des forces politiques diversifiées, elles manifestent l’unité des forces de progrès sur ce combat.

Si les manifs sont utiles, elles sont absolument insuffisantes.

Pour autant, si les manifs sont utiles, elles sont absolument insuffisantes. Et si l’essentiel de l’énergie de la mobilisation s’y déploie, « Mai 2018 » échouera. A cela une raison simple : en elles-mêmes, les manifs n’empêchent absolument pas un gouvernement de passer en force l’intégralité de ses réformes. Elles ne bloquent pas l’économie du pays, elles ne paralysent pas les infrastructures, elles n’empêchent pas le bon fonctionnement des facs… Autrement dit, quand on se contente de faire de grandes manifs, on offre sur un plateau au gouvernement en place l’occasion de se donner à peu de frais une image de courageuse fermeté. Il lui suffit pour cela de maintenir ses réformes alors que bis repetita, en fait, il ne prend aucun vrai risque. L’expérience de l’échec des grandes manifs contre les réformes de Nicolas Sarkozy et de François Fillon dans les années 2000 l’a amplement prouvé.

Seule exception : si une grande manif atteint le seuil symbolique du million de participants, a priori le gouvernement prend peur et recule.

A contrario, ce qui force invariablement un gouvernement à capituler, c’est le blocage de l’économie du pays. Car un gouvernement ne peut absolument pas endurer plus d’un mois ou deux de grande paralysie économique. À cela deux raisons. D’une part, il voit rapidement l’opinion publique le juger coupable du blocage, ce qui fait s’effondrer sa cote de confiance et sa cote de popularité, comme par exemple en 1995. D’autre part, le blocage de l’économie pousse le patronat à faire pression sur lui, pour qu’il cède et que l’économie puisse donc redémarrer, comme par exemple en 1936 ou en Mai 68.

Ce qui force invariablement un gouvernement à capituler, c'est le blocage de l'économie du pays.

Somme toute, là est le cœur de l’affaire. Si notre classe dirigeante se mettait en grande grève, le peuple pourrait sans problème en changer, car les volontaires ne manquent pas. Mais si une grande masse de salariés provoque une grève de blocage de l’économie, les élites, elles, n’ont pas de peuple de rechange. Elles sont donc condamnées à céder face aux revendications, pour que l’économie reparte. En d’autres termes, à la condition unique de tenir suffisamment longtemps, en réalité le rapport de force nous est favorable. Et c’est la classe dirigeante qui est en position de faiblesse.

Corollairement, si les mouvements sociaux choisissent de faire front commun dans leurs revendications, et s’ils tiennent suffisamment longtemps, cela provoquera vraisemblablement, comme en Mai 68, des grandes victoires sociales via de nouveaux accords de Grenelle.

Un raisonnement similaire vaut pour le mouvement étudiant. Concrètement, les facs ne peuvent évidemment pas faire redoubler une promotion entière. Elles ne peuvent pas avoir une année académique sans diplômés. Et elles ne peuvent pas se permettre plus d’un ou deux mois de blocage de leur fonctionnement normal. Sachant cela, pour les étudiants en lutte contre la clochardisation austéritaire des facs, et contre la sélection sur dossier (c’est-à-dire selon le milieu social des parents), le seul enjeu, c’est de tenir suffisamment longtemps pour que le gouvernement, sous la pression des dirigeants des facs, soit obligé de capituler.

Se pose la question des descentes de police dans les facs, ou dans les lieux occupés au titre de mouvements sociaux, pour venir disperser les étudiants et les grévistes. Réponse : toute intervention policière a nécessairement une fin. Une fois que l’intervention policière est finie, l’on peut donc revenir, recommencer, réoccuper. Quant aux éventuelles violences policières, il faut les filmer et les diffuser : plus cette réponse deviendra systématique, plus ce sera dissuasif.

Lorsque le gouvernement finit par capituler, le paiement des jours de grève doit être exigé et la mise en place d'examens adaptés aux circonstances également.

Se pose également la question, fondamentale, des jours de salaire perdus par les grévistes, ou celle du risque pour la scolarité des étudiants, à mesure que les mouvements se prolongent. Dans les deux cas la réponse est la même : lorsque le gouvernement finit par capituler, le paiement des jours de grève doit être exigé (dans le cas des grévistes), et la mise en place d’examens adaptés aux circonstances doit être exigée (dans le cas des étudiants). Cela peut être obtenu à une condition unique, encore la même : tenir suffisamment longtemps pour que le gouvernement cède.

Toujours est-il que l’accumulation de grèves et de blocages de facs commence à nous approcher d’un blocage de l’économie. Cependant, il y manque encore une grève : celle des raffineries et des routiers, pour que le blocage s’étende au manque d’essence et à la circulation routière. Cela produirait immédiatement un blocage du pays beaucoup plus fort, ce qui permettrait que le gouvernement cède beaucoup plus vite. D’où une victoire rapide, ce qui serait préférable et plus agréable à vivre pour tout le monde.

Il manque encore une grève : celle des raffineries et des routiers.

La France insoumise l’a rappelé le 7 avril, lors de son Assemblée représentative, par la voix de Jean-Luc Mélenchon : nous sommes là pour aider. Ce sont les mouvements sociaux eux-mêmes qui agissent, par les grèves, par les manifs, et par toutes mobilisations qu’ils décident. Les Insoumis, eux, sont là pour les aider, les soutenir, pousser dans leur sens. C’est pour cela que nous avons dénoncé fermement l’unanimisme anti-grèves des reportages à charge des grands journaux télévisés, et l’unanimisme anti-grèves des éditorialistes de l’audiovisuel tant privé que public. C’est pour cela que notre école de formation a diffusé un tutoriel consacré aux caisses de solidarité avec les grévistes. C’est pour cela que la France insoumise participe à, ou soutient, de grandes mobilisations unitaires, que ce soit notamment le 14 avril à Marseille ou le 5 mai pour « la Fête à Macron ».

Pour conclure, cette adresse Insoumise à tous ceux qui luttent : nous sommes de votre côté. Nous sommes là pour vous aider. Et nous ne vous abandonnerons jamais.