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Les enseignants décryptent l’algorithme "ubuesque" de Parcoursup
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Macron a promis la publication de l'algorithme national de Parcoursup. Mais l’avenir des étudiants se jouera plutôt dans la pléthore de variantes locales, estampillées "outils d’aide à la décision". "Opaques" pour les uns, "incompréhensibles", pour les autres, ces algorithmes locaux sont "un vrai moyen de sélection" à l'entrée de l'université.
Lors d’un discours sur l’Intelligence artificielle au Collège de France le 29 mars dernier, Emmanuel Macron a lourdement insisté : il est impératif que les algorithmes utilisés par l’Etat soient rendus publics. Premier concerné : celui de Parcoursup, afin de rendre plus transparent le processus d’intégration des étudiants. C’est de ce logiciel dont dépendent, pour la première fois cette année, toutes les formations qui, sélectives ou non, recrutent après le bac. Mais du côté enseignants, cette annonce n’a pas soulevé l’enthousiasme : "Publier cet algorithme au niveau national ne sert à rien, se désole Thomas Alam, maître de conférences en sciences politiques à l’Université de Lille II. Les critères ajoutés par chaque université, chaque filière, seront absents. Le véritable enjeu est dans les algorithmes locaux, dont le contenu est aujourd’hui totalement opaque". De fait, dans l’enseignement supérieur, nombreuses sont les voix qui s’élèvent contre un algorithme qui permettrait une "sélection déguisée" des candidats à l’entrée de l’université.
"Projet de formation motivé", "fiches Avenir" et bulletins
De quoi parle-t-on exactement ? Dans beaucoup de filières, où le nombre de candidats excède celui des places, les commissions d’examen des voeux, composées par les chefs d’établissement, devront examiner des milliers de dossiers reçus, puis les ordonner entre "oui", "oui si" et "en attente" (le non étant réservé exclusivement aux filières dites "sélectives"). Pour faciliter le traitement de cette tâche dantesque, le ministère de l’Enseignement supérieur a mis à disposition un "outil d’aide à la décision", présenté aux équipes lors de journées de formation fin mars.
"L’outil de décision", c’est le petit nom donné aux algorithmes locaux qui sont censés aider les enseignants-chercheurs dans leur classement. Sur le principe, il est le même pour tous. Il permet de rentrer les différents critères qui compteront dans la détermination des dossiers des futurs étudiants.
Que se cache-t-il donc derrière ce paramétrage ? Une somme de critères assez difficile à appréhender, supposée rendre "plus humain" le recrutement dans les universités. Ces éléments sont censés mêler des éléments quantitatifs et qualitatifs. Dans la feuille de route transmise par le ministère aux enseignants lors des journées de formation, quatre grands critères sont définis. D’abord le "projet de formation motivé", à travers la lettre de motivation. Ensuite, les "fiches Avenir" remplies par les professeurs principaux des élèves et les proviseurs. Après, les notes des élèves en fonction de leur bulletin de Première et de Terminale (certaines filières pouvant remonter jusqu’au collège) et enfin les notes du bac, indexées sur les épreuves anticipées passées l’année précédente.
Des signalements pour chercher des "marqueurs sociaux"
Certains dossiers figurant désormais entre les mains des algorithmes locaux sont également accompagnés de marqueurs bien spécifiques : "C", lorsqu’un candidat a changé de série en cours de scolarité dans le secondaire. "P" quand il a au moins redoublé une fois en première. "T" lorsqu’il a redoublé au moins une fois sa Terminale. Mais aussi… "O", quand le candidat a suivi ou suit une “option européenne, internationale ou bi-nationale" et “E", si le candidat suit une "scolarité à l’étranger après avoir obtenu son bac français". Pour Thomas Alam, ces signalements sont bien la preuve d’une recherche de "marqueurs sociaux" pour différencier les candidats : "Les lycées français à l’étranger sont réputés pour être plus exigeants que les autres. Pour quelle raison choisit-on de signaler la provenance de ces lycéens si ce n’est pas pour souligner cet élément ?"
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Extrait du document "Paramétrer l'aide à la décision pour les formations de licence".
Des critères différents pour chaque université... et pour chaque filière
Reste-t-il alors simplement à pondérer chacun de ces éléments ? Absolument pas. C'est là que les "spécificités locales" entrent en jeu car il revient aux formations d’établir les différentes pondérations auxquelles seront soumis les dossiers. "Nous quittons le registre national pour nous orienter vers un système où chaque filière représentera en elle-même un îlot de sélection", se désespère Christel Coton, maîtresse de conférence en sociologie à l’université de Paris I et responsable de sa filière Administration économique et sociale (AES). Concrètement, cela signifie que la licence de droit à l’université du Capitole, à Toulouse, n’aura pas les mêmes critères d’entrée que celle de l’université Jean-Moulin à Lyon. Et attention : dans ce classement supposément "objectif" - puisque réalisé à l’aide d’un algorithme - il ne peut pas y avoir de candidats ex-aequos.
"Nous quittons le registre national pour nous orienter vers un système où chaque filière représentera un îlot de sélection"
Prenons dans un premier temps l’exemple du bulletin de notes. Avant d’obtenir la moyenne définitive d’un élève, l’enseignant doit dans un premier temps renseigner plusieurs "moyennes intermédiaires" : une pour les notes du bac, une pour les notes de Première, et une troisième pour les notes de Terminale. Il leur est aussi possible de créer des moyennes intermédiaires en fonction des disciplines. En théorie, cela doit permettre de valoriser une matière en lui apportant un coefficient plus élevé. Par exemple, une Commission de première année de licence de mathématiques peut choisir d’isoler les domaines scientifiques.
Qu’en est-il de celles qui ne découlent pas directement d’une discipline enseignée au lycée ? Par défaut, le français peut faire figure de distinction dans le classement. "Il ne suffit pas ‘d’avoir un bon niveau d’expression écrite’, comme on l’a vu dans certains attendus nationaux pour réussir dans une filière", objecte un enseignant-chercheur faisant partie de l'Observatoire de la sélection universitaire. Ce groupement informel, opposé à la réforme, veut en dévoiler les coulisses par l’intermédiaire des réseaux sociaux. Au-delà du processus de notation en lui-même, l’Observatoire pointe ses problèmes philosophique : "On sait parfaitement que certains lycéens notent plus facilement que d’autres. Nous pouvons être tentés de mettre une note plus favorable à un établissement connu pour son exigence, pour mettre tout le monde sur un pied d’égalité. C’est déjà discutable. Mais que faire des milliers des lycéens dont on ignore les critères de notation ?"
La "capacité à réussir" notée de 1 à 20
Passons à un deuxième critère. Les enseignants-chercheurs doivent également se pencher sur les "fiches Avenir". Sont déterminés par le prof principal : la méthode de travail d’un élève, son autonomie, son engagement, son esprit d’initiative et sa capacité à s’investir. Au proviseur est laissée la lourde tâche de déterminer la cohérence du projet du lycéen et… de donner son avis sur sa capacité à réussir ! Une fois dans l’algorithme, ces appréciations écrites doivent être transformées en note comprise entre 0 et 20, "20 étant le maximum possible donné à la modalité 'Très satisfaisant' ou 'Très cohérent'", indiquent les documents du Ministère de l’enseignement supérieur. (Il est également possible de noter le tout sur 15 et non pas sur 20, mais nous vous passerons ces joyeuses considérations mathématiques.)
Il revient aussi à l’enseignant-chercheur de décider, en fonction des coefficients, quels éléments de la "fiche Avenir" il préfère mettre en valeur. L’autonomie peut par exemple être moins valorisée que la méthode de travail, comme le montre l’exemple ci-dessous :
Extrait du document "Paramétrer l'aide à la décision pour les formations de licence".
Ici encore, nouveau problème: "Dans certains lycées, les professeurs principaux n’ont pas joué le jeu. Ils ont décidé de mettre ‘Très satisfaisant’ à chacun de leurs élèves, nous explique un membre de l’Observatoire de la sélection universitaire. C’est normal, ils ont envie qu’ils réussissent ! Ce qui signifie que si on décide de faire entrer les fiches avenir dans nos critères de notation, nous allons désavantager les élèves dont les professeurs ont scrupuleusement respecté les consignes du Ministère".
La "sélection sociale" par la lettre de motivation
Troisième et dernier élément à renseigner dans l’algorithme local : l’examen du projet de formation motivé. Exit, comme sur APB, les indications des préférences des étudiants en fonction des établissements : "Comment savoir si un étudiant veut venir si on ignore où notre filière se situe dans ses voeux ?"s’agace un enseignant. Sur Parcoursup, la réponse se trouve dans les lettres de motivation en 1.500 signes remplies par les élèves. "Mais elles peuvent avoir été rédigées par quelqu’un d’autre, du professeur au parent ! se désespère Christel Coton. On avantage les élèves dont l’entourage est suffisamment disponible et cultivé pour écrire ces billets. C’est de la sélection sociale". Quid, de plus, des cas où ces lettres de motivation ont été écrites par des officines privées ? Pour l’Observatoire de la sélection universitaire, la réponse est simple : de toute manière, ces lettres ne seront pas lues : "Vous pensez vraiment qu’il est humainement possible de lire 3000 candidatures et de rentrer manuellement chacune des notes demandée par l’algorithme ? Dans beaucoup de filières, la ‘partie qualitative’ passera à la trappe. Et que restera-t-il, sinon une sélection par les notes à l’entrée de l’université ?"
"Vous pensez qu'il est humainement possible de lire 3000 candidatures et de rentrer manuellement chacune des notes ?"
Des cours de soutien très incertains pour les "oui si"
Le processus de sélection passé, trois situations s’offrent alors aux étudiants : en cas de statut "en attente", le lycéen n’est pas accepté, sauf désistement. En cas de "oui", il pourra s’inscrire dans cette filière l’année prochaine. Enfin, en cas de “oui si", le sort du futur étudiant est beaucoup plus en suspens. S'il veut être définitivement accepté, il devra suivre un module d'accompagnement dans la matière qui lui fait défaut. Mais là encore, kamoulox : plusieurs universités avançant le manque de moyens en personnel et/ou financiers, expliquent ne pas pouvoir organiser ces cours de soutien. Certaines, comme la faculté de Poitiers, ont donc décidé de tout simplement abandonner l’option "oui si" de leur classement. A la place, il y aura simplement deux choix : "oui" ou “en attente". Et l’opposition est encore plus féroce dans d’autres établissements. A Lille II par exemple, où travaille Thomas Alam, huit sections (sciences politiques, anthropologie et culture, information et communication, japonais, espagnol et plus récemment administration économique et sociale) ont refusé d’organiser les commissions de classement.
"Tout le monde se regarde en chien de faïence pour savoir ce que feront les premiers avec leur barème"
Celles ayant décidé de se conformer à la réforme ne sont pas en reste : nombreuses sont les filières dont les critères de notation n’ont pas encore été énoncés, près d’une semaine après le rendu des dossiers des lycéens : "Beaucoup d’entre nous ignorent encore quels seront leurs propres critères de notation, déplore Guillaume Mazeau, maître de conférence en Histoire moderne à Université Paris-1 Panthéon Sorbonne et membre d’une commission d’examen des voeux. Quel que soit l’établissement, tout le monde se regarde en chien de faïence, pour savoir ce que feront les premiers à décider de leur barème". Il faudra faire vite, car les algorithmes locaux ne pourront rendre leur verdict sur Parcoursup que jusqu'au 18 mai prochain. Révélations des résultats aux lycéens : 4 jours plus tard, le 22.