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Nicolas Offenstadt, prof à Tolbiac : "Les étudiants des facs occupées mènent une juste lutte"

Lien publiée le 11 avril 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.nouvelobs.com/education/20180409.OBS4848/nicolas-offenstadt-prof-a-tolbiac-les-etudiants-des-facs-occupees-menent-une-juste-lutte.html

L'historien Nicolas Offenstadt donne un cours alternatif ce mardi matin dans la fac occupée. Il explique pourquoi à "l'Obs".

Historien engagé et maître de conférences à Tolbiac, Nicolas Offenstadt soutient ouvertement les étudiants de la fac occupée Paris-I-Panthéon-Sorbonne dans leur mobilisation contre la loi orientation et réussite des étudiants (ORE), parfois rebaptisée "loi Vidal" ou "Parcoursup" – du nom de la nouvelle plateforme d'admission post-bac.

Pour lui, l’occupation d'universités à travers le pays est loin d’être anecdotique. "Je suis profondément opposé à toute forme de sélection à l’entrée de l’université", déclare à "l'Obs" cet universitaire, qui dispensera ce mardi matin un "cours alternatif" aux élèves grévistes. Entretien.

La fronde dans les universités s’étend partout en France depuis quelques semaines. Son ampleur est-elle sous-estimée par le pouvoir ? A titre personnel, pourquoi la soutenez-vous ?              

Je suis profondément opposé à toute forme de sélection à l’entrée de l’université. D’autant plus que c’est un âge où les choix sont encore bien incertains. Il faudrait au contraire tout faire pour que les futurs étudiants ne soient pas sous pression, mais puissent s’orienter souplement. Or, on voit bien que diverses réformes essayent d’introduire une sélection, sous différentes modalités plus ou moins hypocrites. Au lieu de bâtir des systèmes de sélection injustes et absurdes, ne faut-il pas mieux organiser un financement en fonction des besoins, qui sont évidents ? 

L’accent mis sur la sélection dans cette réforme de l’accès à l’université accroît-il, selon vous, les inégalités entre les élèves ? Quelle alternative préconisez-vous ?

Je suis partisan d’une toute autre politique universitaire, à l’opposé de tout ce qui est fait depuis des années au détriment de la formation des étudiants et de la qualité de l’institution dans son ensemble. Il convient d’abord de penser l’université comme un service public, au sens le plus complet du terme, ce qui veut dire valoriser son caractère national et non pas une pseudo-concurrence entre des établissements qui ne sont pas faits pour cela. Ce qui signifie encore que la formation est autant celle de personnalités citoyennes disposant d’un savoir humaniste et critique que celle de jeunes professionnels.

Faire de l’université un lieu purement utilitariste et producteur d’immédiateté ne peut conduire qu’à des sociétés faibles, soumises et tendues.            

Enfin, cela implique de maintenir des logiques vraiment publiques en termes de financement, de gouvernance et de choix et non pas chercher à faire pénétrer des logiques (et des institutions) libérales et entrepreneuriales dans un monde qui n’a rien à voir avec cela.  

Ce mardi matin, vous allez dispenser aux étudiants grévistes un cours alternatif sur "l’exploration urbaine, nouveau terrain pour les luttes sociales ?". Pourquoi ? 

D’abord parce que les étudiants des facs occupées mènent une juste lutte, parce qu’il faut encourager leurs capacités critiques et enfin parce que je pense qu’une lutte et une occupation doivent être l’occasion de réflexivité, d’interrogation sur ses actions, d’où un thème qui permette de réfléchir sur les occupations alternatives des espaces urbains contemporains, au-delà de l’immédiateté.

Bon nombre d'"explorateurs urbains" affirment vouloir desserrer les contraintes spatiales de nos villes d’aujourd’hui, celle du capitalisme qui rend tout marchand et des pensées sécuritaires. De même il est utile de réfléchir à ce que peuvent apporter les historiens et les spécialistes des sciences sociales aux usages des lieux vides, abandonnés, ou occupés de manière alternative, et surtout à la compréhension et l’analyse de ces usages.  

TRISTAN REYNAUD/SIPA

Sur place, les étudiants se sont baptisés "Commune libre de Tolbiac". Ce clin d’œil à l’histoire fait-il sens ?              

Toute construction d’un rapport politique au passé est un choix. Il n’y aucun sens préétabli qui serait à valider. Ici, ce peut être une inscription dans les révoltes du mouvement ouvrier français (on pense d’abord à la Commune de Paris en 1871), mais aussi un clin d’oeil, volontaire ou involontaire, à toutes les prises de pouvoir progressistes qui ont essayé des modèles alternatifs, notamment après la Première Guerre mondiale.

Ce type d’appellation sous-tend aussi souvent l’idée d’un pouvoir qui ne soit pas autoritaire comme ont pu l’être ceux du bloc de l’Est avec au départ des idéaux d’un autre ordre.  

Vous avez vous-même été étudiant en histoire à Tolbiac, dans ces locaux bâtis quelques années après Mai-68… Quels souvenirs en conservez-vous ? Y avez-vous jadis fait grève en tant qu’étudiant ?              

J’ai été socialisé politiquement dans la lutte contre la sélection, contre la réforme Devaquet qui a justement échoué devant la mobilisation étudiante en 1986. J’ai encore les slogans en tête. Nous avons lutté avec beaucoup de sérieux, et de drames, avec la mort de Malik Oussekine qui reste gravée dans ma mémoire.

Tolbiac était très mobilisé déjà et je me rappelle combien nous avons été heureux de rencontrer Cohn-Bendit dans une des manifs, nous avions nous aussi, ainsi, l’impression de faire le lien avec les luttes passées.

J’ai beaucoup aimé ces années à Tolbiac, le milieu étudiant y était très ouvert, divers et nous échangions bien au-delà de nos disciplines d’origine, ces rencontres ont beaucoup contribué à ma formation générale.            

Vendredi soir, certains de vos étudiants en grève ont été visés par des projectiles. Un épisode qui fait écho à l’agression violente survenue à Montpellier. Comment analysez-vous ces descentes dans les facs conduites par l’extrême droite ?              

La violence physique fait partie du répertoire de l’extrême droite depuis bien longtemps. Les nouveaux mouvements actualisent son usage selon les enjeux. C’est congruent avec le reste de leur discours politique. C’est aussi, classiquement, un moyen publicitaire pour des groupes marginaux.

Propos recueillis par Charlotte Cieslinski