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"Tolbiac la rouge" se rêve en nouveau Notre-Dame-des-Landes
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Quand une zone à défendre s'éteint, une autre tente de s'installer.
POLITIQUE - Et si l'avertissement était vrai? "J'ai peur que Tolbiac se transforme en une Zad universitaire", prévenait il y a moins d'une semaine le président de Paris I Panthéon-Sorbonne Georges Haddad, qui avoue depuis être complètement dépassé par la situation. Alors un tantinet surjouée pour mieux alerter l'exécutif sur les tensions qui s'y accumulent, la menace d'un enkystement du blocage étudiant sur le centre Pierre-Mendès-France, dans le 13e arrondissement, grandit en effet de jour en jour.
En deux semaines d'occupation, "la Commune libre de Tolbiac" a pris ses marques pour durer sur le modèle de sa grande soeur de Notre-Dame-des-Landes, où une poignée de militants enracinés ont réussi à faire capoter un projet d'aéroport de plusieurs centaines de millions d'euros. Un cas d'école qui fait rêver dans les rangs des adversaires de la réforme Parcoursup, point de départ d'un printemps étudiant dont nul ne sait quels fruits il donnera.
Tandis que les forces de l'ordre se battent pied à pied en Loire-Atlantique pour expulser les derniers activistes du bocage nantais, une autre "zone à défendre" est en train de naître en plein Paris, sous les yeux du gouvernement. L'évacuation réclamée mardi par la direction de Paris I, et écartée pour l'heure par la Préfecture de police, n'a fait qu'attiser les braises d'une contestation bouillonnante. Et a offert au site de Tolbiac la publicité politique qui lui manquait pour tenter de s'imposer comme le point de fixation de la révolte estudiantine.
Autogestion et "professionnels de l'occupation"
Une simple visite guidée de "Tolbiac la rouge" suffit pour se convaincre que l'analogie avec Notre-Dame-des-Landes n'a rien d'une vue de l'esprit. Même principe d'auto-organisation, même fonctionnement autonome et horizontal, mêmes tâches partagées, même modus operandi. "Le point commun avec la Zad, c'est l'autogestion. On ne prend aucune décision sans consulter les autres. On n'a pas de porte-parole", résume au HuffPost un occupant se faisant appeler Martin. "On est autogéré sur tous les aspects: ménage, surveillance, cuisine... on a un potager. Les magasins nous donnent de la nourriture, on fait les fins de marché. La CGT est venu nous porter les reste d'un repas", confirme Olivier.
Comme sur les zones à défendre, les occupants se composent d'un public hétéroclite mêlant étudiants du crû, étudiants extérieurs et adultes étrangers à la faculté. "Des professionnels de l'occupation" venus en renfort pour "former" les étudiants grévistes, confie une source à la direction de Paris I qui estime la population occupante entre 40 et 300 personnes selon les jours et les nuits. Car il s'agit bien là d'une occupation 7 jours sur 7, 24h sur 24.
"C'est NDDL à la fac", sourit le politologue Insoumis Thomas Guénolé qui est venu constater sur place "un effort d'organisation remarquable". "On observe le même ancrage de la gauche radicale, une ambiance bon enfant doublée d'une détermination et d'une méthodologie rigoureuses qui ressemblent trait pour trait à Notre-Dame-des-Landes", relève l'essayiste qui a opéré un tour de France des facultés en grève.
De "Tolbiac la rouge" à la Commune libre
De tous les établissements en lutte, seul le site de Tolbiac a pour l'heure emprunté son mode d'organisation aux "zones à défendre". Un choix, délibéré ou pas, qui doit beaucoup à la configuration du site et à la tradition estudiantine de "Tolbiac la rouge". "Une Zad est plus facile à défendre à Tolbiac qu'ailleurs", relève le spécialiste des mouvements lycéen et étudiant Robi Morder, lui-même militant politique et associatif marqué à gauche. "Tolbiac, avec ses tours et ses ascenseurs, est un espace confiné facile à bloquer, contrairement au campus de Nanterre, plus excentré et ouvert. Tolbiac accueille aussi les premiers cycles, c'est un lieu où il y a beaucoup de monde et où les traditions militantes se perpétuent, avec des variantes, d'une génération à l'autre", analyse-t-il en comparant la faculté au site de Renault Boulogne-Billancourt du temps du mouvement ouvrier.
Particularité de Tolbiac, la faculté s'est longtemps démarquée par la forte présence du mouvement autonome, courant anticapitaliste post-soixantehuitard qui s'est depuis diversifié dans différents modes d'action, dont l'occupation et les Zad. Thomas Guénolé a lui aussi constaté sur place une "culture zadiste" nourrie de l'expérience de "militants volants".
Reste à savoir si la Zad de Tolbiac a vocation à durer, comme expérimentation alternative façon Larzac, ou si elle n'est qu'un moyen au service d'un projet contestataire: faire plier le gouvernement. Sur ce point, les avis divergent y compris parmi les occupants. "Il y a une division entre le mouvement autonome, qui voudrait une nouvelle Zad, et les personnes militant dans des partis politiques, qui considèrent que l'occupation n'est pas une fin en soi mais un outil de mobilisation, un lieu de convergence des travailleurs et des cheminots, par exemple", confie Cécile, 24 ans, étudiante en histoire à Paris 7. "On veut créer un centre de convergence des luttes. On ne veut pas simplement une fac bloquée avec des chaises devant les portes", renchérit son camarade Raphaël face à l'influence du mouvement autonome. Une divergence idéologique et stratégique qui entraîne "des débats très virulents" et qui pèse jusque sur les votes des assemblées générales. Selon une source universitaire, le blocage illimité du centre PMF ne l'a emporté que d'une courte avance lors de son vote en AG.
Le danger d'une intervention policière
Ces désaccords naissants annoncent-ils un possible essoufflement du mouvement? Si le contexte de fronde sociale alimente la "Commune libre" en renforts et soutiens, la proximité des vacances et des examens sont des obstacles dont les activistes de Notre-Dame-des-Landes n'ont pas eu à se soucier. "Notre-Dame-des-Landes, c'est un modèle et un exemple tout proche. Seulement voilà: Notre-Dame-des-Landes, ce n'est pas une université", prévient Robi Morder qui voit mal comment Tolbiac pourrait tenir sur la durée, à moins de dégarnir d'autres facultés pour faire du site parisien un "pôle de référence" de la contestation universitaire.
Parallèlement, la direction de Paris I redoute plus que jamais "l'incident grave" dans des locaux qu'elle n'a plus les moyens de sécuriser. Sur place, elle compte un responsable de la sécurité, deux pompiers, et une équipe de 6 à 12 vigiles "avec des renforts en cas de besoin". Des forces bien maigres pour contrôler un espace de 20.000 mètres carrés. Un agent de sécurité a déjà été frappé par une bouteille de vinaigre. "Tolbiac, c'est une rave party de minimum 100 personnes. Et ce ne sont pas les agents de sécurité qui vont couper la musique. Ils vont juste vérifier que personne ne s'électrocute", résume une source universitaire qui estime que la balle est désormais dans le rang de l'exécutif.
Le gouvernement est-il prêt à prendre le risque de laisser mûrir ce foyer de contestation où des affrontements avec des militants d'extrême droite ont déjà eu lieu, où un député a été agressé et où la découverte de cocktails molotov a entraîné l'ouverture d'une enquête judiciaire? Le pari est risqué, d'autant que la France insoumise ne se prive pas de souffler sur les braises d'un nouveau mai 68 que Jean-Luc Mélenchon appelle de ses voeux. "La France insoumise ne déclenche pas de mouvements étudiants. Elle aide et soutient les mouvements qui se lancent", corrige Thomas Guénolé, dans la droite lignée du député des Bouches-du-Rhône. Non sans préciser que l'école insoumise qu'il codirige produira bientôt un tutoriel de "conseils aux étudiants pour gérer des mobilisations".
Reste qu'une intervention policière pour déloger les squatteurs pourrait s'avérer plus dangereuse encore. Ne serait-ce qu'en raison de la configuration des lieux et du réflexe de solidarisation des enseignants avec les étudiants. "Il faudra rentrer dans le bâtiment, monter dans les étages... Ce sera militaire avec les risques de dérapage et de bavures que l'on connait", prévient Robi Morder. L'évacuation musclée de Tolbiac en 2016 lors de la contestation anti-loi Travail avait ainsi déjà fortement marqué les esprits, comme un écho à la bataille rangée qui sévit à Notre-Dame-des-Landes. "Sauf qu'ici, ça ne se passera pas dans le bocage nantais mais au coeur de Paris où des renforts peuvent affluer aisément", insiste Robi Morder en prédisant une situation "potentiellement explosive et incontrôlable"