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Yldune Lévy: "Oui, des perspectives révolutionnaires sont possibles"

Lien publiée le 14 avril 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.nouvelobs.com/justice/20180412.OBS5103/yldune-levy-relaxee-dans-l-affaire-tarnac-oui-des-perspectives-revolutionnaires-sont-possibles.html

EXCLUSIF. Relaxée dans l’affaire Tarnac, Yldune Lévy, la principale prévenue, a reçu "l’Obs" dans le bureau de son avocate, Me Marie Dosé. Elle réagit au jugement du tribunal correctionnel et livre sa vision déterminée de l'engagement.

C'est peut-être l'épilogue d'une affaire hors norme. Le tribunal correctionnel de Paris a relaxé jeudi 12 avril la quasi-totalité des huit prévenus dans l'affaire dite de Tarnac. Parmi eux, Yldune Lévy et Julien Coupat. Initialement poursuivis pour terrorisme, accusés lors de leur arrestation en 2008 d'être des membres actifs de la "mouvance anarcho-autonome" par la ministre de l'Intérieur de l'époque, Michèle Alliot-Marie, ils étaient jugés pour des délits de droit commun.

Ils ont été relaxés notamment pour le sabotage d'une ligne SNCF et une association de malfaiteurs, et reconnus coupables d'avoir refusé un prélèvement biologique – mais dispensés de peine. "L'audience a permis de comprendre que 'le groupe de Tarnac' était une fiction et qu'il avait été regroupé sous cette dénomination des personnes qui ne se connaissaient pas entre elles", a notamment expliqué la présidente Corinne Goetzmann.

"Ce sont dix années de procédure qui ont été balayées en trois semaines d'audience", a commenté Me Marie Dosé, l'avocate d'Yldune Lévy. Pour cette dernière, ce délibéré est la preuve qu'il "ne faut jamais cesser de se battre contre toutes les machines à broyer de l'antiterrorisme". Rencontre.

Après dix ans de procédure, vous êtes relaxée des principales accusations contre vous (dégradation d’une ligne SNCF, association de malfaiteurs). Qu’avez-vous ressenti à la lecture du jugement ?

Yldune Lévy. S’il y a un enseignement à retenir, c’est qu’il ne faut jamais lâcher. Toujours continuer à se battre, quelle que soit la situation. Qu’on soit au fin fond des geôles de l’Etat, en grève contre une libéralisation de l’économie, en lutte à Notre-Dame-des-Landes… Ce qui est en train de se jouer, là, c’est notre avenir à tous. Alors qu’on a été confronté à dix ans d’autisme judiciaire, nous n’avons jamais lâché. Et où qu’on soit, quelle que soit la situation dans laquelle on est, oui, la lutte paie.

Me Marie Dosé. Un tiers d’une vie consacré à une procédure judiciaire, ce n’est pas nécessairement du temps perdu. Se battre n’est jamais du temps perdu, ça dépasse un combat personnel. Mais il est évident qu’il y a quelque chose de suspendu dans une vie, d’empêché ou de suspendu.

Y.L. Oui, ça suspend l’existence. Ça vous vole la capacité à vous projeter dans le temps. Une partie de ma vie a été suspendue, mais il n’y a pas eu de neutralisation politique, alors que c’est un des objectifs de ces procédures contre des militants. C’est une guerre d’usure. Ce qui s’est joué dans notre affaire, c’est la possibilité de lutter en France. Et nous avons su lutter, que ce soit dans cette bataille judiciaire, dans la rue, dans les mouvements sociaux…

Vous êtes désormais suspendue à la possibilité d’un appel du parquet, qui peut intervenir dans les dix jours ? 

Y.L. Le parquet a toujours fait appel dans cette affaire. Il n’a cessé de nous pourchasser jusqu’en Cour de Cassation. Je ne compte plus les fois où mon entourage m’a dit "ça va s’arrêter, c’est n’importe quoi". Quand on a retrouvé la trace de ce retrait de carte bancaire, effectué à Paris à l’heure à laquelle j’étais, selon la police, en train de commettre un sabotage en Seine-et-Marne, je me suis dit que tout allait s’arrêter, enfin. Mais non. Même lorsque j’étais en prison, il y a eu un référé détention. On est venu me libérer pour me maintenir en prison deux heures plus tard. En termes de disposition mentale, c’est compliqué. Disons que tant que ce n’est pas réellement terminé et acté, je ne peux pas imaginer l’étape d’après.

M.D. Il est difficile de raisonner lorsqu'on se retrouve, comme dans cette procédure, face à un parquet qui perd la raison depuis des années. Après un réquisitoire somme toute pathétique, cette audience de trois semaines, ce jugement de 140 pages, et tout l’argent que cet acharnement a coûté au contribuable… Après ce fiasco-là, il serait indécent que le parquet interjette appel. Mais il s’est accroché si longtemps sur la qualification terroriste en multipliant les appels et les pourvois qu’il convient de rester prudents.

Yldune Lévy, vous étiez extrêmement méfiante envers l’institution judiciaire avant ce procès. La façon dont il s’est déroulé et ce jugement ont-ils changé votre regard ?

Y.L. Ce jugement n’a été rendu possible que parce que nous nous sommes battus, et parce que quelque chose s’est soulevé en France. Il faut tout de même se rappeler de nos arrestations en novembre 2008, et de la façon dont les médias les ont relayées... Tout le monde a alors hurlé au loup et avec les loups. Nous pouvions rester dix ans en prison, tout le monde s’en foutait. Et s’il n’y avait pas eu des dizaines de comités de soutien, des centaines de personnes qui, quelles que soient leurs sensibilités politiques, s’étaient levées et avaient dit "là, c’est non", l’issue aurait peut-être été différente. Si la présidente du tribunal [Corinne Goetzmann] a pu mettre autant de moyens dans ce procès – trois semaines d’audience, un déplacement sur les lieux –, c’est aussi grâce à tout ça.

Le jugement met en évidence les nombreuses "erreurs, insuffisances, imprécisions" de l’enquête. Il critique notamment l’utilisation excessive, dans cette procédure, d’informations fournies par les services de renseignement…

Y.L. C’est la question du lien entre le renseignement et le judiciaire qui est posée. Aujourd’hui, toutes les interdictions de manifester sont basées sur des notes blanches, sur du renseignement pur. C’est ça, une police politique. Où va-t-on ? L’antiterrorisme est un paradigme qui contamine l’ensemble du droit. Et ce n’est pas une opération contre des personnes en particulier. Yldune Lévy ou Julien Coupat, ils n’en ont rien à faire. L’antiterrorisme, c’est une opération contre la population dans son ensemble : c’est le vieil adage "en taper un pour en effrayer cent". C’est une technique de gouvernement qui visait à nous isoler de la population, à nous désigner comme des monstres. D’ailleurs, et c’est une des choses les plus belles dans cette affaire, c'est que loin de nous isoler, elle a permis des rencontres, partout !

Marie Dosé, espérez-vous que ce jugement fera date ?

M.D. Le tribunal vient rappeler que les juridictions de jugement sont là pour garder leur indépendance. Toujours. Tout le temps. Un indice n’est pas une charge, une charge n’est pas une preuve. Le renseignement et la Sous-direction antiterroriste (Sdat) se contentent d’indices et d’hypothèses, pas la juridiction de jugement. Ce tribunal a donc joué son rôle : examiner à la loupe les assertions de la police antiterroriste. Ce qui est dit, c’est : "L’instruction n’est pas là pour cautionner le travail des services de renseignement mais pour le mettre à l’épreuve. Jamais un renseignement ne fondera une déclaration de culpabilité." Il était temps de l’entendre et de le lire : la présidente n’a pas raté son rendez-vous avec l’histoire judiciaire.

Durant ces trois semaines d’audience, Yldune Lévy, votre défense a été plus en retenue que celle des sept autres prévenus. Au dernier jour de votre procès, vous avez tout de même eu ces mots : "Vivre et lutter sont intimement liés." Pour quoi luttez-vous ?

Y.L. J’essaie souvent d’expliquer pourquoi le terme de "militant" politique me pose problème, même si je comprends ceux qui l'utilisent. Il pose selon moi une séparation entre la lutte et la vie. Je pense que la façon dont on vit, dont on fait les choses, est en elle-même une façon de lutter. Je crois à une perspective révolutionnaire, c’est-à-dire une transformation de l’ordre des choses. Et ce n’est pas quelque chose que j’ai appris par je ne sais quel bouquin théorique ou par je ne sais quelle aventure amoureuse : ma formation d’archéologue me permet de mesurer que ce qu’on nous présente, c’est-à-dire le capitalisme et l’Occident, ne sont pas la seule possibilité d’organisation à travers l’espace et le temps. Il est nécessaire de s’engager, de se mettre en mouvement partout où nous nous trouvons. Nous ne sommes pas séparés du monde.

A la sortie de la salle d’audience, vous avez déclaré : "On nous dit toujours en marche, mais en marche vers quoi ? Moi, je choisirai d’être en marche vers l’avenir, vers le bouleversement de l’ordre des choses, et faisons en sorte que mai 2018 ne soit pas une triste commémoration de plus dont on a tant l’habitude en France." C’est à cette "perspective révolutionnaire" que vous avez fait référence ?

Y.L. On va dans le mur à tous les niveaux : social, politique, économique, écologique... C’est évident. Et oui, il y a d’autres possibilités pour le futur que celle qu’on nous présente comme une fatalité. Prenons l’abandon de l’aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Qu’est-ce que ça a rouvert ? La possibilité d’une victoire politique. Dans ma déclaration, j’ai également cité les facs occupées, les piquets de grève.

C’est ce que j’ai voulu dire aux gens, plutôt que de dire si j’étais ou non soulagée, si j’étais ou non contente. J’ai voulu leur dire qu’il faut rester debout quoi qu’il arrive. Que c’est très dur, mais qu’il faut se battre. Et qu’une des seules armes qu’on a contre leur folie c’est d’être ensemble, nombreux et nombreuses, multiples, de déjouer les représentations, et d’agir par tous les moyens. 

Propos recueillis par David Le Bailly et Agathe Ranc