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Enseignante de Tolbiac brutalisée par la sécurité

Tolbiac

Lien publiée le 14 avril 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.facebook.com/clara.sylke.7/posts/217692292336590

Je suis enseignante à Paris I (Sorbonne) et je viens de me faire brutaliser, puis violemment éjecter de mon bureau, dans lequel je travaillais, par le service de sécurité de la fac.

Ils ont vandalisé mon matériel (souris explosée, PC débranché à la volée avec perte de données, écran et tour cognée violemment quand on m'a plaquée sur le bureau)

Ils m'ont volé mon téléphone (me blessant à de multiples endroits au passage : poitrine, mains, bras, jambe), ma carte d'enseignant, les clefs de mon bureau, puis m'ont emmenée de force. Ils m'ont rendu mon téléphone après avoir regardé dans ma carte SSD, dans lequel se trouvent beaucoup d'informations, médicales notamment, et de photographies très personnelles. (pardon aux proches qui ont ainsi vu leur vie exposée au regard de tous)

Je n'ai pourtant pas résisté ni protesté. J'ai simplement refusé de quitter mon poste et je suis restée assise, devant mon bureau, à travailler, jusqu'à ce qu'on éclate le cable de ma souris. C'est ce que les étudiants attendent de moi, et c'est ce que les occupants attendent de moi.

J'ai tenté de parler tranquillement, pacifiquement avec l'administration, sans succès. J'ai eu une secrétaire du directeur au téléphone qui m'a hurlé dessus puis raccroché au nez (et qui, de son propre aveu, ne connaissait rien du sujet).

Ni les étudiants qui occupent les lieux, ni moi-même n'avons porté la main sur un membre de la sécurité - mais la sécurité ne s'est pas gênée pour porter la main sur une enseignante en train d'exercer ses fonctions. Les étudiants ont eu une attitude irréprochable.

Les raisons invoquées sont toujours les mêmes : la fac ne serait pas en mesure d'assurer la sécurité des étages. Le courant est coupé dans les couloirs, certains extincteurs ont été déplacés. Nous savons pertinement que c'est faux : les signaux d'évacuation marchent parfaitement, les escaliers de secours sont fonctionnels, les extincteurs sont toujours là, et la coupure d'électricité est un ordre de la direction de la fac. (j'ai vérifié tout ça moi même, par acquis de conscience) Le personnel de sécurité est le même que d'habitude. Il n'y a pas plus de risque que d'ordinaire : le seul risque est créé par l'administration. La seule raison pour laquelle les étages sont fermés, c'est pour parquer les étudiants dans les amphis du rez-de-chaussée, afin de rendre une attaque de CRS plus simple. Les étudiants, qui sont pacifiques, n'ont pas tenté d'occuper les étages. Ils travaillent, tous les jours, comme je le fais, à rendre cette occupation positive pour tous.

Je n'attendais personnellement rien de l'administration. Je suis enseignante vacataire. J'ai dix ans d'expérience en entreprise dans mon champs d'activité. J'ai dirigé des équipes de 20 personnes, été payée deux fois le salaire moyen pour mon âge. Je suis payée 40€ par heure de cours, chaque heure de cour représentant environ 3h de travail (préparation, corrections, réponse aux mails des élèves) - ça fait 13€ bruts de l'heure. Je gagnerai davantage dans n'importe quel travail. On ne me fournit pas d'ordinateur (c'est mon ordinateur professionnel que j'ai du amener à la fac pour pouvoir travailler dans de bonnes conditions - ce même ordinateur qui est tout ce que je possède et qui a été vandalisé par la sécurité). Je vis en dessous du seuil de pauvreté, comme beaucoup de vacataires. Pourtant, je ne ménage pas mes efforts.

On m'a proposé plusieurs fois, au fil des années, et encore il y a deux mois, des postes dans des établissements privés prestigieux. J'ai toujours refusé. Je suis attachée à mes étudiants, qui sont pour beaucoup de milieux défavorisés - ces milieux qui n'auront bientôt plus accès à la fac, et qui sont pourtant ceux-là même qui sont avides d'apprendre. Chaque année, je récupère des étudiants perdus (beaucoup ne sont pas défavorisés, loin de là), qui ont été mal pris en charge, qui essayent de s'en sortir - et chaque année, je les remonte de 5 de moyenne à 17 de moyenne. Ça demande du temps, et de l'investissement. Mais ce sont des élèves qui ont envie d'apprendre. C'est mon travail.

L'éducation nationale traite très mal ses vacataires. Nous sommes payées avec 6 mois de retard minimum (fin mars pour les heures de septembre). Nous n'avons pratiquement pas de protection sociale. Nous ne sommes, pour beaucoup, pas payés en cas de fermeture de la fac. Nous avons d'autres travaux à côté - caissier, serveur, intérimaire... Je suis gérante d'une petite entreprise, pour ma part. (au RSI. Si vous saviez... On en parlera un autre jour.)

Sauf que, faute de pouvoir accéder à mon bureau, je n'ai accès ni à mes données d'enseignante, ni à mes données d'entreprise, dont beaucoup sont stockées sur mon lieu de travail. Je passe 5 jours sur 7 à la fac, ce qui me permet d'aider les étudiants en difficulté même quand je ne suis pas sensée travailler. Nous sommes beaucoup d'enseignants dans ce cas. Nous faisons ce métier parce que nous aimons enseigner.

Nous rejetons massivement la loi ORE, parce qu'en tant que professionnels de l'éducation, nous savons ou elle va. Nous ne pouvons déjà plus travailler dans de bonnes conditions depuis longtemps (bon dieu, j'ai des TDs de 35 élèves ! Vous réalisez ? Comment je peux aider 35 personnes en 2h par semaine ?), bientôt ce sera pire.

Vous, parents, quand vous voyez votre enfant galérer parce qu'il a un prof de TD peu présent, rappelez vous que c'est souvent parce que ce prof de TD est probablement serveur dans un bar le soir et qu'il n'a pas le temps de faire mieux. Parce que la fac n'a pas les moyens de nous payer mieux que le smic, et encore... quand on a de la chance.

Si je n'ai pas accès à mon bureau, non seulement je ne peux pas faire mon travail (que j'essayais de faire quand on m'a agressée), mais je ne peux pas non plus avancer dans mon entreprise, sur laquelle je bosse depuis six ans. Le contrat que je négociais depuis un mois va capoter, et je vais devoir déposer le bilan dans les jours/semaine qui viennent. Après ça, je n'enseignerai plus à Tolbiac. Certains étudiants, je pense, me regretteront.

Rappelez vous de ça. Rappelez vous que certains enseignants prennent des coups, des risques, et s'endettent, pour pouvoir aider vos enfants. Pour les sauver de ce qui arrive. Oh, peut être pas la majorité. Mais beaucoup plus que ce que vous pensez.

Et quand c'est gens là ont le bras en sang et leur vie privée décortiquée pour avoir simplement voulu exercer leur travail, eh bien c'est dommage, pour vous, pour eux, pour nous tous. Mais c'est le symbole du monde vers lequel nous nous dirigeons.

J'ai passé beaucoup de temps dans Tolbiac. J'ai vu des CRS, j'ai vu des étudiants pleins d'idée et de bonne volonté, organiser des conférences, des amphi. Nous avons voulu, avec mes collègues, proposer des grands cours de formation pour nos étudiants d'informatique, bénévolement, mais ça ne s'est pas fait faute de support logistique. La fac ne nous donne pas accès aux salles.

Je dois probablement être trop "d'extrême gauche" (hum ? euh...) pour comprendre. En tout cas moi je ne lance de projectiles sur personnes - ni sur la sécurité, ni sur les gens d'extrême droite. (je n'en ai pas vu beaucoup blessés d'ailleurs.) Je n'ai pas touché un cheveux de qui que ce soit, même quand j'étais plaquée sur mon bureau, la main tordue à angle droit. Je donne des cours, du soutien, je prépare l'enseignement.

Alors si c'est ce que vous attendez de moi, rendez-moi l'accès à mon bureau. Sans me frapper, cette fois-ci.

Clara Lehenaff,
Professeur d'Informatique à Paris I - Pierre Mendès