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Tarnac: dernières déclarations
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://lundi.am/Tarnac-dernieres-declarations
Jeudi 12 avril, le tribunal de grande instance de Paris a finalement statué sur la culpabilité des 8 prévenus dans l’affaire de Tarnac. 5 prévenus ont été intégralement relaxés, Julien Coupat et Yildune Lévy ont été condamné pour refus de prélèvement ADN mais dispensés de peine. Grand perdant, Christophe Becker a écopé de 4 mois de prison et 500 euros d’amende avec sursis : les juges ont estimé qu’il ne pouvait pas ignorer héberger dans une armoire de son appartement, trois cartes d’identité égarées.
Nous voulions publier les déclarations finales des prévenus à leurs juges, celles-ci n’ayant été retranscrites que très aléatoirement dans la presse et sur twitter. Malheureusement, si nous sommes parvenus à mettre la main sur les 14 pages de notes manuscrites de Julien C., nous n’avons pas été en mesure de les déchiffrer. Sollicités, Benjamin R. nous a répondu qu’il se trouvait déjà sous les cocotiers, photo à l’appui et Yildune L. nous a quant à elle renvoyé vers ses avocats. Seul Mathieu B. a eu la gentillesse de nous transmettre un document lisible que nous reproduisons ci-dessous.
Madame la juge, mesdames du tribunal, messieurs les procureurs,
Parfois, pour comprendre une réalité humaine ou une situation complexe, il suffit d’un petit détail, d’une toute petite anecdote, a priori anodine, pour que tout à coup, ce qui semblait confus ou obscur s’éclaircisse et devienne compréhensible.
Hier après midi, madame la présidente, après que l’audience fut levée, vous m’avez fait une remarque qui tourne dans ma tête depuis. Vous m’avez dit : « M. Burnel, je n’ai, dans ma vie, jamais rencontré de personnes plus mal élevées que vous et M. Coupat. » Ce qui était en cause et semblait justifier à vos yeux ce jugement, c’est que lors de la plaidoirie de Me Timozko, nous avons eu l’outrecuidance de le lui souffler « 48 » lorsqu’il s’est trompé à propos des déclarations du témoin N°3 : il avouait avoir rédigé son procès-verbal 48h après l’heure indiquée et non 36.
Vous n’avez jamais rencontré de personnes plus mal élevées que M. Coupat et moi, ces êtres maladroits ou désinvoltes, auxquels les parents n’ont semble-t-il pas appris à suffisamment se taire lorsqu’un adulte en robe parle à côté d’eux. Quel drôle de monde que celui dans lequel vous semblez vivre madame la présidente.
Vous l’avez beaucoup répété, les parties civiles ainsi que Messieurs les procureurs l’ont souligné eux aussi : cette audience a été « exceptionnelle ». C’est pour ma part le premier procès auquel je participe, je n’ai donc aucun élément de comparaison. Mais ce que j’y ai vu ne m’est apparu en rien exceptionnel, je dirais même que ça m’a semblé parfaitement banal. Différentes parties, qui ne sont pas d’accord, ont débattu, argumenté, palabré, c’est ce qui se passe depuis toujours dans toutes les agrégations humaines. C’est banal, et normal. Ce que vous avez tous trouvé exceptionnel, c’est donc cette banalité. C’est que vous avez trouvé hors du commun, en somme, c’est que nous ne rentrions pas dans ce tribunal en baissant les yeux et en faisant toutes sortes de courbettes. Que nous ne nous soyons pas soumis à tout le petit rituel théâtral de soumission qui fait habituellement votre quotidien.
Pour tout vous dire mesdames, jusqu’au premier jour de ces audiences, nous n’étions pas certains de l’utilité de venir. Nous n’étions pas certains qu’il y ait grand sens à participer davantage à ce mauvais sketch que certains appellent la justice. Je crois que dans le fond, ce qui nous a convaincu de venir malgré tout, c’était une sorte de curiosité. Nous connaissions certes la maison mais nous n’étions jamais entré dans cette chambre.
Pour être encore plus honnêtes, nous n’y avons pas découvert grand chose que nous ne soupçonnions. Un rituel, du théâtre, des robes, des dorures et toute cette petite mise en scène pittoresque. Chacun dans son rôle joue sa petite musique, sa petite indignation, son petit sérieux, ses petits articles de loi, voire sa grande et juste autorité. Dans le fond, je crois, madame la présidente, que ce que vous avez toléré pendant ces trois semaines tout en nous le reprochant, et ce que vous avez condamné hier soir comme de la mauvaise éducation, c’est que nous ayons été les seuls, dans cette salle, à ne pas jouer un rôle, à ne pas faire comme si, à ne pas jouer à la justice. Nous nous sommes contentés de nous défendre. Avec une certaine vigueur sûrement, et un peu de maladresse tout autant, mais nous nous sommes simplement défendus. Comme c’est exceptionnel ! L’étonnement de toutes les parties quant à cette liberté que vous nous auriez laissée ou que nous nous serions arrogée en dit tellement long sur ce que vous considérez tous comme « normal ».
« Vous êtes les deux personnes les plus mal élevées que j’ai rencontré dans ma vie. » Pourquoi cette phrase m’a-t-elle abasourdi. J’y pense depuis hier soir et je crois que je sais maintenant pourquoi. Car dans le fond, ce jugement quant à la qualité de notre éducation appelle une question : qui êtes-vous pour nous juger ? D’où émane cette mystérieuse souveraineté qui vous autorise à qualifier nos existences ? De quelle incroyable vertu faut-il être paré pour « juger » ses semblables. J’y reviendrai.
Ce qu’il s’est passé tout au long de ces audiences et que les moins inspirés des journalistes ont pris pour de la légèreté, de la puérilité, de l’insolence ou de l’arrogance, c’est que nous sommes parvenus à suspendre, à destituer, temporairement, un certain régime d’énonciation, un certain ordre du discours, une certaine idée de la justice. Nous n’avons pas proclamé de grands discours, nous n’avons pas pris la posture de la rupture, nous avons seulement parlé lorsque cela nous semblait nécessaire. Nous nous sommes agacés de paroles ou de démonstrations aberrantes, nous avons ri lorsque le contexte était drôle ou grotesque, nous avons été doctes lorsque cela paraissait nécessaire. Nous n’avons pas joué, et c’est bien cela qui vous a perturbé.
Il y a bien eu quelques plumitifs de journaux en mal de lecteurs qui se sont crus autorisés, eux aussi, à nous juger, à distribuer les bonnes et mauvaises notes. Ils se sont crus au cirque. Le pouce levé ou baissé selon la qualité estimée du spectacle. « Comment osent-ils être aussi arrogants envers Madame la présidente ? Comment osent-ils lui couper la parole de manière intempestive ? » À nous 8 nous avons risqué une bonne centaine d’années de prison et nous en risquons encore quelques dizaines. Vous êtes indécents.
Que s’est-il passé, en réalité, tout au long de ces audiences et que vous qualifiez d’exceptionnel ? Un petit décalage, un tout petit décalage. Vous aviez quelques attentes. Vous vous attendiez à voir ce fameux groupe de Tarnac. Un gourou, une secte, des « militants politiques », des « anarcho-autonomes », des professionnels de l’émeute ou des théoriciens de la révolution violente, que sais-je. Mais finalement, vous vous êtes retrouvés face à nous : Manon Glibert, Julien Coupat, Benjamin Rosoux, Elsa Hauck, Bertrand Deveaux, Christophe Becker, Yildune Lévy… et nous sommes apparus banals, normaux. Vous nous avez d’ailleurs posé des questions tout à fait singulières à la barre : Manon joue-t-elle du pipeau ou de la flûte traversière ? Benjamin, son IEP, c’était à Paris ? Ah non, Rennes. Et vous vous en sortez financièrement avec les 750 euros de votre contrat aidé ?
Ce minuscule décalage, nous l’avons certainement provoqué mais c’est en vous qu’il s’est opéré. Vous avez compris, je crois, au long de ces trois longues semaines d’audience, que ce qu’il y avait de plus singulier chez des révolutionnaires c’est ce qu’ils recèlent d’infiniment commun.
M. Le procureur, lors de son réquisitoire, nous a dit qu’il avait entendu la singularité de nos situations. Avec une empathie bien caractéristique, il a décrit certains d’entre nous comme « flétris » par ces dix années de lutte contre l’antiterrorisme. Nous n’avons pas besoin d’empathie, nous ne nous sommes d’ailleurs jamais plaints. Ce que nous avons fait pendant ces dix années, c’est ce que nous savons faire : nous battre. C’est ce que les gens comme nous savent faire : se battre, résister.
Il s’agissait de se tenir à un refus central et souverain : celui de ne pas accepter d’être écrasés. Les forces coalisées contre nous étaient massives et puissantes. Il nous a fallu trouver les ressources, le temps, la force et les complicités.
Nous nous sommes tenus à cette infime mais irréductible vérité : vous ne nous écraserez pas. Le nous ici, ne se limite pas à nous 8, bien évidemment mais à tous ceux qui étaient indirectement visés par cette opération politique, médiatique et juridique. Nous et nos amis, qui sont nombreux. Quelle que soit l’issue de ce procès, nous n’en ressortirons pas flétris M. le procureur, mais plus forts, plus forts qu’en y entrant, plus forts qu’il y a dix ans.
Il a été fait référence, à plusieurs reprises lors de ces audiences, à des écrits ou affiches. On a voulu nous prendre en défaut : « vous dites qu’elle n’est pas à vous, mais vous l’avez bien lue cette affiche M. Deveaud ? » On a voulu que nous nous cachions derrière notre petit doigt. « Quelles sont ces vilaines pensées pour lesquelles le tribunal pourrait vous condamner ? Quel est le texte inscrit sur cette affiche de 1980, si terrible qu’on n’ose le lire à haute voix ? ». Je vais la lire : [1]
« Si nous cassons les banques, c’est que nous avons reconnu l’argent comme cause centrale de tous nos malheurs. Si nous cassons des vitrines, ce n’est pas parce que la vie est chère mais parce que la marchandise nous empêche de vivre à tout prix. Si nous cassons des machines, ce n’est pas parce que nous voulons défendre l’emploi mais attaquer l’esclavage salarié. Si nous attaquons la salope policière, ce n’est pour la faire sortir des facultés mais pour la faire sortir de notre vie. Le spectacle a voulu nous voir redoutables. Nous entendons bien être pires »
Ce pourrait être un programme.
À de nombreuses reprises lors de ces audiences, les juges ainsi que l’accusation, se sont félicités qu’un certain nombre d’éléments clefs à charge, aient pu être écartés grâce à la défense.
Mais cela n’est pas arrivé par l’opération du saint esprit. Le démontage méticuleux du dossier, le « travail médiatique », les dizaines de demandes d’actes toutes refusées, l’attaque bille en tête de la logique antiterroriste, ce n’est pas advenu par magie.
Si la qualification terroriste est tombée, si l’association de malfaiteur est à terre, et si la d104 restera dans les annales de la justice, c’est que nous avons travaillé d’arrache-pied. Cette destruction méticuleuse des charges contre nous, nous ne l’avons pas entreprise assis confortablement dans de beaux salons dorés entourés de batteries de juristes et de professionnels de la communication. Non, cette défense nous l’avons menée tard la nuit, entre deux biberons, tôt le matin, avant d’aller travailler. (…) Oh comme ils ont été puérils ces prévenus lors de ces journées d’audience.
La partie civile nous a qualifié d’enfants gâtés lors de sa plaidoirie. Elle ignorait certainement que la majeure partie d’entre nous vient de milieux extrêmement modestes. Nous savons donc parfaitement ce que nous ne devons qu’à nous-mêmes.
Je crois Madame la présidente que vous n’allez pas être en capacité de nous juger. Vous allez bien évidemment rédiger de nombreuses pages en vous appuyant sur tout un tas d’articles de loi. Il y aura une entête, des tampons et des signatures. Il y aura des condamnations, peut-être des relaxes mais je crois que ce ne sera pas un jugement au sens où on l’entend habituellement. La possibilité de juger, fondamentalement, est un attribut divin. Il faut pouvoir sonder les âmes, être supérieur moralement, il faut être infaillible et surtout le plus distant possible, dans les cieux, de ceux que l’on prétend juger. Juger sauf à être Dieu, c’est toujours quelque part un peu usurper. Pour pouvoir nous juger, donc, il faudrait que plusieurs conditions soient réunies et qui ne le sont pas. Pour pouvoir nous juger, il faudrait d’abord que nous nous considérions nous-mêmes comme « jugeables », que nous soyons disposés à nous sentir coupables, à nous amender du mal que nous aurions commis à l’encontre de « la société ». Je suis ici parce que j’ai refusé de donner mon ADN lors d’une GAV pour des faits dont j’ai été intégralement relaxé. Où pourrais-je trouver en moi la moindre once de culpabilité ? Pour pouvoir nous juger, il faudrait aussi que vous ayez le sentiment, l’impression, la conviction, de « défendre la société ». Je n’ai pas la capacité de lire dans vos âmes mais je suis absolument persuadé qu’aucune d’entre vous n’en est aujourd’hui convaincue. Ce qui a suspendu, gelé, destitué le protocole et le rituel de justice pendant ces trois semaines, c’est qu’il y a eu un élément terriblement humain qui s’est immiscé et qui vous a très certainement troublé. Vous avez dû accepter de sortir de la forme institutionnelle pour maintenir superficiellement son déroulé. Lorsque vous me dites hier, « Je n’ai jamais rencontré de personnes aussi malpolis de toute ma vie », je ne vous crois pas madame la présidente. Je pense que vous mentez. Seulement, vous tentez de maintenir quelques formes, quelques distances, sans lesquelles vous n’auriez d’autre choix que d’ôter votre robe et de nous inviter à prendre un goûter avec vous aux Deux Palais.
Je ne suis pas sans savoir, madame la juge, que les tribunaux sont censés apprécier avec nuance les situations singulières de chacun. C’est d’ailleurs le garde fou intellectuel qui empêche que l’on nomme cet endroit un abattoir.
Mais comment allez-vous pouvoir me juger, moi, madame la juge ? De votre aveu, comme de l’aveu du procureur, nous aurions subi quelques griefs, nous avons enduré quelques épreuves depuis que la police antiterroriste est venue nous arrêter il y a dix ans. Combien valent-elles ces « flétrissures » ? M. Le procureur a requis 1000 euros avec sursis contre moi, quelle blague. Si vous avez grand cœur, vous allez retrancher, dans votre jugement, le prix de nos sandwichs et de nos billets de train ? « Allez, hop, allons-y pour 750 euros ».
En réalité, madame la présidente, si vous étiez véritablement en mesure de me juger, vous me taperiez dans le dos et vous me diriez « M. Burnel, vous et vos amis vous êtes magnifiquement battus, cela impose le respect. Je suis vraiment désolée pour tout ce qu’a fait mon institution. Ce n’est pas une condamnation que vous méritez mais nos plus plates excuses. ». Mais vous ne le pouvez pas. Vous ne pouvez pas me relaxer, le délit est constitué. Et M. le procureur vous a d’ailleurs avertie : si vous relaxez pour les ADN, vous établirez une jurisprudence qui sera très préjudiciable au bon déroulé de la collecte d’ADN par la police en France.
C’est une des asymétries criantes de cette audience, vous êtes finalement moins libre que nous. Nous, nous pouvons ne pas jouer au jeu de la justice, pas vous. Même si humainement, vous savez que tout cela est une farce, vous y êtes tenue, institutionnellement, symboliquement. Vous ne pouvez pas réellement nous juger, vous pouvez seulement essayer de sauver l’institution.
[1] Lors des débats, les juges avaient tenté de mettre en difficulté certains prévenus en les confrontant au contenu hautement subversif de certains livres, tracts ou affiches perquisitionnés chez eux. La présidente s’était refusée à lire publiquement le contenu de celle-ci.