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Tolbiac: le point sur l’affaire

Tolbiac

Lien publiée le 25 avril 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://reporterre.net/Tolbiac-le-point-sur-l-affaire

L’évacuation de la faculté de Tolbiac, vendredi dernier au matin, a engendré une grande confusion. Des témoins affirmaient qu’un homme avait été gravement blessé. Les autorités démentaient. Reporterre a mené l’enquête.

Disons-le tout net : après trois jours d’enquête, les témoignages décrivant comment la police aurait causé un blessé grave lors de l’évacuation de la faculté de Tolbiac, vendredi 20 avril, se révèlent fallacieux.

Et reprenons le fil de l’enquête que Reporterre a menée depuis ce vendredi matin agité, pour s’approcher de la réalité.

Après plus de trois semaines d’occupation par des étudiants et des personnes de passage, la faculté de Tolbiac, érigée en « commune libre », était devenue la tête de pont du mouvement étudiant de refus de la réforme d’entrée à l’université dite « Parcours sup ». Onze jours après le début d’une intervention militaire violente sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes (plus de 272 blessés chez les défenseurs et près de soixante chez les gendarmes, dont quatre graves par leurs propres armes), et au lendemain d’une manifestation interprofessionnelle marquée elle aussi par des violences policières, le gouvernement lance l’évacuation de la faculté de Tolbiac.

L’opération, menée par des CRS et des membres en civil des brigades anticriminalité (BAC), se déroule le vendredi 20 avril, à partir de 5 h du matin : un communiqué rapidement publié par la préfecture de police assure qu’« à 6 heures, plus aucun étudiant ne se trouvait dans les locaux. L’évacuation, qui a concerné environ 100 personnes, s’est déroulée dans le calme et sans aucun incident ».

Le témoin affirme qu’il veut faire une déposition devant un avocat 

« Calme » ? Le terme indigne les occupants. Une grande partie d’entre eux se regroupent devant la faculté, rue de Tolbiac. Ils sont rejoints par de nombreux soutiens, et vont rester toute la matinée et une partie de l’après-midi, dans une protestation animée. Des journalistes viennent, à l’invitation de la présidence de l’université, constater les traces laissées par l’occupation, tandis que d’autres interrogent les occupants sur ce qui s’est passé. C’est notamment le cas d’un journaliste de Reporterre, qui connait bien le terrain pour y être venu plusieurs fois durant l’occupation. Il recueille des témoignages des occupants, qui sont dans un état de choc et d’agitation. Les paroles, à l’inverse du communiqué de la préfecture, font état de brutalités, de gazages, d’injures, de quelques blessures.

Nous entendons notamment un témoignage précis d’une personne sans domicile fixe (SDF), se faisant appeler « Désiré », et qui vit dans la faculté depuis une semaine, participant activement à l’occupation. Voici la scène qu’il décrit : « On s’échappait par les toits, à l’arrière du bâtiment, pour descendre dans une petite rue à côté. Les gars de la BAC étaient à nos trousses. Un camarade a voulu enjamber le parapet pour se laisser glisser le long du mur. Un “baqueux” lui a chopé la cheville. Ç’a l’a déséquilibré, et le camarade est tombé du haut du toit, en plein sur le nez. On a voulu le réanimer. Il ne bougeait pas. Du sang sortait de ses oreilles… »

Alors que l’évacuation de Tolbiac agite une partie des médias et des réseaux sociaux, nous publions en début d’après-midi ce premier témoignage, en mentionnant aussi le démenti de la préfecture de police, publié par tweet à 13 h 30. La rumeur enfle dans l’après-midi, d’autres médias - Marianne, Le Média, Paris Luttes - parlent de « coma », d’« étudiant entre la vie et la mort », des expressions reprises et amplifiées par de nombreux tweets. Reporterre ne reprend pas ces termes : aucun de nos témoins n’en a fait mention.

Pendant qu’à la rédaction deux journalistes suivent les réseaux sociaux et appellent les uns et les autres pour tâcher d’en savoir plus, notre reporter retourne à Tolbiac. Désiré lui confirme son témoignage, lui montrant même une déclaration qu’il a écrite, et affirmant qu’il veut faire une déposition devant un avocat — un rendez-vous est pris pour le samedi après-midi, disent des étudiants.

Nous recueillons le témoignage d’un second SDF, qui affirme avoir lui aussi vu le geste du policier et la chute du fuyard. Un troisième témoin confirme à Reporterre leur description du corps, qu’il aurait vu à terre. Le blessé, tombé sur le visage, aurait du sang qui sort par la bouche, le nez et les oreilles. Les deux premiers témoins disent avoir tenté de le réanimer, en vain, et avoir appelé les pompiers. Nous publions ces témoignages samedi matin, ainsi que le démenti de la préfecture diffusé vendredi soir : il indique qu’il « n’y a eu aucun blessé grave », et qu’« à 6 h 11, un jeune homme a été conduit par la brigade des sapeurs-pompiers de Paris à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière pour une douleur au coude ».

Tout au long de la journée de samedi, nous actualisons l’article en continu, pour intégrer les vérifications que nous faisons et les démentis officiels. Tous vont dans le même sens : les faits allégués par les témoins ne sont pas confirmés.

A l’université Paris III, dite Censier.

En fin d’après-midi samedi, nous apprenons que Désiré ne s’est pas rendu chez l’avocat. Et quand nous nous rendons à Censier, où une partie des occupants de Tolbiac se sont repliés, pas moyen de retrouver ni Désiré ni les deux autres témoins. On nous dit par ailleurs que Jim [*] a aussi vu la tache de sang, que Jack [*] a vu la camionnette de nettoyage. Sauf que ni l’un ni l’autre ne répond au téléphone ni ne se manifeste les jours suivants. Des syndicats et d’autres personnes cherchent aussi de leur côté : rien ne vient confirmer les propos de Désiré. Quant aux sapeurs-pompiers,ils renvoient à la préfecture.

La rue Baudricourt est bloquée par la police : impossible de s’approcher du lieu où se serait déroulée la chute.

« Désiré est perdu dans sa tête » 

Par ailleurs, la préfecture de police et l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) démentent qu’il y ait eu des « blessés graves ». Mais, de discussions de Reporterre avec des médecins, il ressort que le terme désigne des cas où le pronostic vital est engagé. Se pourrait-il qu’une personne ait chuté, se soit blessée, mais pas de façon grave ?

Dimanche et lundi, nous poursuivons l’enquête selon différents axes, en parallèle :

  • enquête de voisinage dans les immeubles proches de la faculté d’où l’on peut voir le lieu où la personne aurait été blessée. Les témoignages recueillis disent qu’aucun véhicule de secours ou de nettoyage n’a été aperçu à cette heure matinale ;
  • vérification d’informations qui nous sont spontanément présentées — et qui s’avèrent invérifiables ; nous échangeons aussi avec des journalistes d’autres médias qui travaillent sur la même affaire ;
  • appels téléphoniques à des étudiants et à de supposés témoins : ils n’ont rien à dire ou sont injoignables, tandis que l’on apprend que Désiré a de nouveau fait faux-bond à un rendez-vous juridique.

Nous rencontrons enfin, séparément, un étudiant, Paul [*] et Loriane [*], une militante. Les deux ont suivi l’occupation depuis le début et ont rencontré plusieurs fois Désiré depuis vendredi. Paul avait aussi vu, dès avant le 20 avril, le second SDF prétendument témoin. Pour Paul, « Désiré est perdu dans sa tête », tandis que son camarade, le second SDF, cherchait à se faire valoir. Quant à Loriane, elle a retrouvé chez Désiré les traits de la mythomanie.

On peut conclure que les témoignages ne sont pas fiables. Il n’y a pas eu de blessé grave à Tolbiac le 20 avril. Avec une nuance : ils pourraient être très exagérés. Il y aurait bien eu une chute, mais qui n’a pas empêché la victime de s’enfuir, malgré sa douleur au coude. Et c’est quelques centaines de mètres plus loin, rue Patay, comme nous l’a indiqué la préfecture, que le « jeune homme » aurait été recueilli par les pompiers, qu’il aurait appelés lui-même.

Il reste une solution pour lever définitivement les doutes. La préfecture de police a installé vers le 30 mars une caméra rue Baudricourt, tournée vers la faculté de Tolbiac, et qui visualisait l’endroit où l’incident aurait eu lieu. Il serait souhaitable de diffuser ce que cette caméra a enregistré vendredi 20 avril entre 5 h 30 et 6 h 30 du matin.