[RSS] Twitter Youtube Page Facebook de la TC Articles traduits en castillan Articles traduits en anglais Articles traduits en allemand Articles traduits en portugais

Newsletter

Ailleurs sur le Web [RSS]

Lire plus...

Twitter

Bicentenaire de Marx, Lisons-le

Marx

Lien publiée le 29 avril 2018

Tweeter Facebook

Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

200 ans après sa naissance, lire Marx.

Le 5 mai 1818 naissait Karl Marx. Écoutons-le. Les textes en italique et bleu ont été insérés pour faciliter la lecture, le reste se retrouve dans les œuvres de Marx, références données en notes de bas de page.

Commençons par écarter une croyance : je ne suis pas dogmatique, ne serait-ce que par ce que je pense l’histoire comme lieu des changements. Toute ma vie j’ai travaillé à améliorer ma théorie, à en revoir les détails. L’expérience des révolutions de 1848 puis de la Commune de Paris m’ont conduit à affiner mes projets. Je ne suis pas dogmatique. Je ne suis pas marxiste. Le Manifeste explique lui-même que l’application des principes dépendra partout et toujours des circonstances historiques données, et que par suite il ne faut pas donner trop d’importance aux mesures révolutionnaires énumérées à la fin du chapitre II. Ce passage serait à bien des égards rédigé tout autrement aujourd’hui.1

  • Marx philosophe

J’ai d’abord été philosophe. Mes premières études m’ont permis de fréquenter les philosophes grecs, auxquels j’ai consacré une thèse sur la Différence de la philosophie naturelle chez Démocrite et Épicure2Puis je dois confesser une dette vis-à-vis de Hegel, et sa phénoménologie dont j’ai retenu la méthode dialectique. De ces études philosophiques je suis passé à l’analyse et à l’action politique, persuadé que jusqu’ici les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de différentes manières ; ce qui importe, c’est de le transformer.3

    • Ne confondons pas le réel et ce que nous en pensons

Pour penser nous utilisons des mots. Nous oublions que le langage est un filtre entre nous et le monde, nous croyons penser le monde, mais nous le parlons. Le langage est aussi vieux que la conscience – il est la conscience réelle, pratique, aussi présente pour les autres hommes que pour moi-même, et comme la conscience, le langage naît du seul 

Couleurs papoues.jpg

Les papous perçoivent par la langue un autre nuancier que le nôtre (dr)

besoin, de la nécessité du commerce avec d’autres hommes.4  La production des idées, des représentations et de la conscience est d’abord directement et intimement mêlée à l’activité matérielle et au commerce matériel des hommes, elle est le langage de la vie réelle. Les représentations, la pensée, le commerce intellectuel des hommes apparaissent ici encore comme l’émanation directe de leur comportement matériel. Il en va de même de la production intellectuelle telle qu’elle se présente dans la langue de la politique, celle des lois, de la morale, de la religion, de la métaphysique, etc. de tout un peuple. Ce sont les hommes qui sont les producteurs de leur représentations, de leurs idées, etc., mais les hommes réels, agissants, tels qu’ils sont conditionnés par un développement déterminé de leurs forces productives et des rapports qui y correspondent, y compris les formes les plus larges que ceux-ci peuvent prendre. La conscience ne peut jamais être autre chose que l’être conscient et l’être des hommes est leur processus de vie réel.5

Voilà pourquoi, tout en ayant appris la philosophie de l’histoire avec Hegel, je l’ai dépassé en cherchant à connaître le monde tel qu’il est et non sa représentation ou son idée. Ma méthode dialectique, non seulement diffère par la base de la dialectique hégélienne, mais elle en est même l’exact opposé. Pour Hegel, le mouvement de la pensée, qu’il personnifie sous le nom de l’idée, est le démiurge de la réalité, laquelle n’est que la forme phénoménale de l’idée. Pour moi, au contraire, le mouvement de la pensée n’est que la

hegel_portrait_by_schlesinger_1831

Hegel (1770-1831)

réflexion sur le mouvement réel, transporté et transposé dans le cerveau de l’homme. J’ai critiqué le côté mystique de la dialectique hégélienne, il y a près de trente ans, à une époque où elle était encore à la mode. Mais bien que, grâce à son quiproquo, Hegel défigure la dialectique par le mysticisme, ce n’en est pas moins lui qui en a le premier exposé le mouvement d’ensemble. (…) Chez lui la dialectique marche sur la tête, il suffit de la remettre sur les pieds pour lui trouver la physionomie tout à fait raisonnable.6

    • Un humanisme social

Il faut donc partir de la réalité. Nous sommes des êtres humains socialisés, historiques, et en fait l’individu tel que nous le pensons est le résultat d’une situation historique : l’époque qui engendre ce point de vue, celui de l’individu isolé, est précisément celle où les rapports sociaux (revêtant de ce point de vue un caractère général) ont atteint le plus grand développement qu’ils aient connu. L’homme est au sens le plus littéral, non seulement un “vivant de la cité” (politikon zoon), mais un animal qui ne peut s’isoler que dans la cité7. L’essence humaine n’est pas une abstraction inhérente à l’individu isolé. Dans sa réalité, elle est l’ensemble des rapports sociaux.8 En cela la question des droits de l’homme ne peut en rester à des principes abstraits. Les Déclarations de 1789 et 1793 ont pensé un individu sur le modèle du contrat commercial. Constatons avant tout le fait que les « droits de l’homme », distincts des « droits du citoyen, » ne sont rien d’autre que les droits du membre de la société bourgeoise, c’est-à-dire de l’homme égoïste, de l’homme séparé de l’homme et de la communauté. (…)L’application pratique du droit de liberté, c’est le droit de propriété privée. Mais en quoi consiste ce dernier droit ?

« Le droit de propriété est celui qui appartient à tout citoyen de jouir et de disposer à son gré de ses biens, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie. » (Constitution de 1793, art. 16.)

Le droit de propriété est donc le droit de jouir de sa fortune et d’en disposer « à son gré », sans se soucier des autres hommes, indépendamment de la société; c’est le droit de l’égoïsme. C’est cette liberté individuelle, avec son application, qui forme la base de la société bourgeoise. Elle fait voir à chaque homme, dans un autre homme, non pas la réalisation, mais plutôt la limitation de sa liberté. (…) Aucun des prétendus droits de l’homme ne dépasse donc l’homme égoïste, l’homme en tant que membre de la société bourgeoise, c’est-à-dire un individu séparé de la communauté, replié sur lui-même, uniquement préoccupé de son intérêt personnel et obéissant a son arbitraire privé.9

    • La liberté n’est qu’un vain mot si elle n’a pas de contenu réel

Ne vous en laissez pas imposer  par le mot abstrait de liberté. Liberté de qui ? Ce n’est pas la liberté d’un simple individu, en présence d’un autre individu. C’est la liberté qu’a le capital d’écraser le travailleur. Comment voulez-vous encore sanctionner la libre concurrence par cette idée de liberté quand cette liberté n’est que le produit d’un état de choses basé sur la libre concurrence ? Nous avons fait voir ce que c’est que la fraternité que le libre-échange fait naître entre les différentes classes d’une seule et même nation. La fraternité que le libre-échange établirait entre les différentes nations de la terre ne serait guère plus fraternelle. Désigner par le nom de fraternité universellelibertc3a9l’exploitation à son état cosmopolite, c’est une idée qui ne pouvait prendre origine que dans le sein de la bourgeoisie. Tous les phénomènes destructeurs que la libre concurrence fait naître dans l’intérieur d’un pays se reproduisent dans des proportions plus gigantesques sur le marché de l’univers.10

C’est seulement dans la communauté avec d’autres que chaque individu a les moyens de développer ses facultés dans tous les sens ; c’est seulement dans la communauté que la liberté personnelle est possible. (…) Dans la communauté réelle, les individus acquièrent leur liberté simultanément ) leur association grâce à cette association et en elle.11

    • Dénoncer la condition réelle des femmes.

Rien de plus grotesque, d’ailleurs, que l’indignation vertueuse qu’inspire à nos bourgeois la prétendue communauté officielle des femmes en système communiste. Les communistes n’ont pas besoin de l’introduire, elle a presque toujours existé. Nos bourgeois, non contents d’avoir à leur disposition les femmes et les filles de leurs prolétaires, sans parler de la prostitution officielle, se font le plus grand plaisir de débaucher leurs épouses réciproques. Le mariage bourgeois est, en réalité, la communauté des femmes mariées. Tout au plus pourrait-on donc accuser les communistes de vouloir mettre à la place d’une communauté des femmes hypocritement dissimulée une communauté franche et officielle. Il est évident, du reste, qu’avec l’abolition des rapports de production actuels, disparaîtra la communauté des femmes qui en découle, c’est-à-dire la prosti­tution officielle et non officielle.12

  • Le matérialisme historique

Exposant mes thèses avec Engels dans Le manifeste du parti communiste, je parlais d’une « conception matérialiste de l’histoire », ce qui pris ensuite le nom de matérialisme historique. Je le résumais à grands traits dans La Préface à la contribution à la critique de l’économie politique en 1859 :

Dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de production qui correspondent à un degré de développement déterminé de leurs forces productives matérielles. L’ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la base concrète sur laquelle s’élève une superstructure juridique et politique et à laquelle correspondent des formes de conscience sociales déterminées. Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de vie social, politique et intellectuel en général. Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être; c’est inversement leur être social qui détermine leur conscience.

Homme de besoin, c’est par le partage social du travail, l’interdépendance des métiers, que nous produisons nos moyens de vivre.Cette conception matérialiste consiste à montrer que les conditions matérielles, liées à la satisfaction des besoins explique les formes idéologique par lesquelles on en prend conscience. Par exemple, ce n’est pas le Code noir qui produit par le droit l’esclavage, mais c’est une société qui produit une part des richesses par l’esclavage qui croit le justifier par le droit. Reste à comprendre comment l’histoire change.
À un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la mat hist blpsociété entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n’en est que l’expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s’étaient mues jusqu’alors. De formes de développement des forces productives qu’ils étaient ces rapports en deviennent des entraves. Alors s’ouvre une époque de révolution sociale. Le changement dans la base économique bouleverse plus ou moins rapidement toute l’énorme superstructure.

On l’a vu notamment dans la révolution française : sur le plan matériel, la classe bourgeoise augmentait en puissance économique, mais sur le plan du droit la noblesse dominait. La révolution française met fin à cette situation.

Lorsqu’on considère de tels bouleversements, il faut toujours distinguer entre le bouleversement matériel – qu’on peut constater d’une manière scientifiquement rigoureuse – des conditions de production économiques et les formes juridiques, politiques, religieuses, artistiques ou philosophiques, bref, les formes idéologiques sous lesquelles les hommes prennent conscience de ce conflit et le mènent jusqu’au bout. Pas plus qu’on ne juge un individu sur l’idée qu’il se lait de lui-même, on ne saurait juger une telle époque de bouleversement sur sa conscience de soi; il faut, au contraire, expliquer cette conscience par les contradictions de la vie matérielle, par le conflit qui existe entre les forces productives socia­les et les rapports de production. Une formation sociale ne disparaît jamais avant que soient développées toutes les forces productives qu’elle est assez large pour contenir, jamais des rapports de production nouveaux et supérieurs ne s’y substituent avant que les conditions d’existence matérielles de ces rapports soient écloses dans le sein même de la vieille société.

C’est pourquoi l’humanité ne se pose jamais que des problèmes qu’elle peut résoudre, car, à y regarder de plus près, il se trouvera toujours, que le problème lui-même ne surgit que là où les conditions matérielles pour le résoudre existent déjà ou du moins sont en voie de devenir.

the_people27s_war_book3b_history2c_cyclopaedia_and_chronology_of_the_great_world_war_28191929_281459545115929

À grands traits, les modes de production asiatique, antique, féodal et bourgeois moderne peuvent être qualifiés d’époques progressives de la formation sociale économique. Les rapports de production bourgeois sont la dernière forme contradictoire du processus de production sociale, contradictoire non pas dans le sens d’une contradiction individuelle, mais d’une contradiction qui naît des conditions d’existence sociale des individus; cependant les forces productives qui se développent au sein de la société bourgeoise créent en même temps les conditions matérielles pour résoudre cette contradiction. Avec cette formation sociale s’achève donc la préhistoire de la société humaine. Fidèle à Hegel, je pense que l’histoire avance en dépassant les contradictions. L’état du capitalisme produit une contradiction entre l’état de fait du progrès technique qui suppose un partage, une socialisation mondiale des échanges, et la privatisation économique.

La conséquence de ce matérialisme historique, c’est que la liberté n’est qu’apparente.Les circonstances font les hommes tout autant que les hommes font les circonstances.13Mon point de vue d’après lequel le développement de la formation économique de la société est assimilable à la nature et à son histoire, peut moins que tout autre rendre l’individu responsable de rapports dont il reste socialement la créature, quoi qu’il puisse faire pour s’en dégager.14

Dans la marche de l’histoire au profit, le capitalisme ne peut que changer sans cesse les conditions de travail. Il insécurise Tous les rapports sociaux stables et figés, avec leur cortège de conceptions et d’idées traditionnelles et vénérables, se dissolvent ; les rapports nouvellement établis vieillissent avant d’avoir pu s’ossifier. Tout élément de hiérarchie sociale et de stabilité d’une caste s’en va en fumée, tout ce qui était sacré est profané, et les hommes sont enfin forcés d’envisager leur situation sociale, leurs relations mutuelles d’un regard lucide.15

    • La lutte des classes

En 1847-1848, je résumais avec mon ami Friedrich Engels le Manifeste du parti communiste qui posait les principes de l’analyse matérialiste de l’histoire pour servir de théorie pour l’action. De ces premières lignes, je ne retranche rien :

L’histoire de toute société jusqu’à nos jours est l’histoire de luttes de classes.

Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de jurande et compagnon, bref oppresseurs et opprimés, en opposition constante, ont mené une lutte ininterrompue, tantôt ouverte, tantôt dissimulée, une lutte qui finissait toujours soit par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, soit par la disparition des deux classes en lutte.

Dans les premières époques historiques, nous constatons presque partout une structuration achevée de la société en corps sociaux distincts , une hiérarchie extrêmement diversifiée des conditions sociales. Dans la Rome antique, nous trouvons des patriciens, des chevaliers, des plébéiens, des esclaves; au moyen âge, des seigneurs, des vassaux, des maîtres, des compagnons, des serfs et, de plus, dans presque chacune de ces classes une nouvelle hiérarchie particulière. La société bourgeoise moderne, élevée sur les ruines de la société féodale, n’a pas aboli les antagonismes de classes. Elle n’a fait que substituer de nouvelles classes, de nouvelles conditions d’oppression, de nouvelles formes de lutte à celles d’autrefois. Cependant, le caractère distinctif de notre époque, de l’époque de la bourgeoisie, est d’avoir simplifié les antagonismes de classes. La société entière se scinde de plus en plus en deux vastes camps ennemis, en deux grandes classes qui s’affrontent directement : la bourgeoisie et le prolétariat.

  • La critique du capitalisme
    • Le salaire comme exploitation

Au début, le montant du salaire est déterminé par le libre accord entre l’ouvrier libre et le capitaliste libre. Mais on s’aperçoit par la suite que l’ouvrier est forcé de laisser déterminer son salaire, tout comme le capitalisme est forcé de le fixer aussi bas que possible. La liberté des parties contractantes a fait place à la contrainte. Il en est de même du commerce et de tous les autres rapports de l’économie politique.16 La première des lois, c’est que la concurrence réduit le prix de toute marchandise au minimum de ses frais de production. Ainsi le minimum du salaire est le prix naturel du travail. Et qu’est-ce que le minimum du salaire ? C’est tout juste ce qu’il faut faire pour produire les objets indispensables à la sustentation de l’ouvrier, pour le mettre en état de se nourrir tant bien que mal.17

    • La prolétarisation de toutes les classes intermédiaires est inéluctable

Petits industriels, petits commerçants et rentiers, petits artisans et paysans, tout l’échelon inférieur des classes moyennes de jadis, tombent dans le prolétariat; en partie parce que leur faible capital ne leur permettant pas d’employer les procédés de la grande industrie, ils succombent à la concurrence avec les grands capitalistes; d’autre part, parce que leur habileté est dépréciée par les méthodes nouvelles de production. De sorte que le prolétariat se recrute dans toutes les classes de la population.18

    • La loi du profit

La science économique classique se trompe. L’excédent de valeur, ou plus-value, réalisé lors de la vente de la marchandise apparaît au capitaliste comme un excédent du prix de vente sur la valeur et non comme un excédent de la valeur sur le coût de la production, de sorte que pour lui la plus-value contenue dans la marchandise ne se réalise pas par la vente, mais naît de la vente elle-même. 19Or parce que le salaire versé est inférieur au prix il se dégage un profit qui n’a d’autre source que l’exploitation du travail : L’ouvrier reçoit des moyens de subsistance en échange de sa force de travail, mais le capitaliste en échange de ses moyens de subsistances, reçoit du travail, l’activité productrice de l’ouvrier, la force créatrice au moyen de laquelle l’ouvrier non seulement restitue ce qu’il consomme, mais donne au travail accumulé [le capital] une valeur plus grande que celle qu’il possédait auparavant.20

    • L’aliénation

Le paradoxe de l’économie capitaliste, c’est qu’elle détourne le progrès des sciences et des arts pour l’exploitation. Quand le capital s’empara de la machine, son cri fut travail des femmes, travail des enfants ! Ce moyen puissant de diminuer les labeurs de l’homme se transforma aussitôt en moyen d’augmenter le nombre des salariés ; il courba tous les membres de la famille, sans distinction d’âge et de sexe, sous le bâton du capital. Le travail forcé pour le capital usurpa la place des jeux de l’enfance et du travail libre pour l’entretien de la famille.21 Par conséquent, Si la machine est le moyen le plus puissant d’accroître la productivité du travail, c’est-à-dire de raccourcir le temps nécessaire à la production des marchandises, elle devient comme support du capital dans les branches d’industrie dont elle s’empare d’abord le moyen le plus puissant de prolonger la journée de travail au-delà de toute limite naturelle.22 De là ce paradoxe économique que le moyen le plus puissant de raccourcir le temps de travail devient par un revirement étrange le moyen le plus infaillible de transformer la vie entière du travailleur et de sa famille en temps disponible pour la mise en valeur du capital.23 La facilité même du travail devient une torture en ce sens que la machine ne délivre pas l’ouvrier du travail mais dépouille le travail de son intérêt.24 Rien ne l’arrête, le temps de travail s’étend infiniment. La journée de travail comprend 24 heures pleines, déduction faite des quelques heures de repos sans lesquelles la force de travail refuse absolument de rependre son service. Il est évident par soi-même que le travailleur n’est rien autre chose sa vie durant que sa force de travail, et qu’en conséquence tout son temps disponible est de droit et naturellement temps de travail appartenant au capital et à la capitalisation.25 Il lésine sur le temps des repas et l’incorpore, toutes les fois qu’il le peut, au procès même de la production, de sorte que le travailleur rabaissé au rôle de simple instrument, se voit fournir sa nourriture comme on fournit du charbon à la chaudière, de l’huile et du suif à la machine. Il réduit le temps du sommeil, destiné à renouveler et à rafraîchir la force vitale.26

En quoi consiste l’aliénation du travail ?

D’abord dans le fait que le travail est extérieur à I’ouvrier, c’est‑à‑dire qu’il n’appartient pas à son essence, que donc, dans son travail, I’ouvrier ne s’affirme pas, mais se nie, ne se sent pas à l’aise, mais malheureux ; il n’y déploie pas une libre activité physique et intellectuelle, mais mortifie son corps et ruine son esprit. En conséquence, I’ouvrier ne se sent lui-­même qu’en dehors du travail et dans le travail il se sent extérieur à lui‑même. Il est à l’aise quand il ne travaille pas et, quand il travaille, il ne se sent pas à l’aise. Son travail n’est donc pas volontaire, mais contraint, c’est du travail forcé. Il n’est les-temps-modernes-5donc pas la satisfaction d’un besoin, mais seulement un moyen de satisfaire des besoins en dehors du travail. Le caractère du travail apparaît nettement dans le fait que, dès qu’il n’existe pas de contrainte physique ou autre, le travail est fui comme la peste. Le travail extérieur à l’homme, dans lequel il se dépouille, est un travail de sacrifice de soi, de mortification. Enfin le caractère extérieur à l’ouvrier du travail apparaît dans le fait qu’il n’est pas son bien propre, mais celui d’un autre, qu’il ne lui appartient pas, que dans le travail l’ouvrier ne s’appartient pas lui‑même, mais appartient à un autre.27

En partant de l’économie politique elle-même, en utilisant ses propres termes, nous avons montré que l’ouvrier est ravalé au rang de marchandise, et de la marchandise la plus misérable, que la mi­sè­re de l’ouvrier est en raison inverse de la puissance et de la grandeur de sa production, que le résultat nécessaire de la concurrence est l’accumulation du capital en un petit nombre de mains, donc la restauration encore plus redoutable du monopole ; qu’enfin la distinction entre capitaliste et propriétaire foncier, comme celle entre paysan et ouvrier de manufacture, disparaît et que toute la société doit se diviser en deux classes, celle des propriétaires et celle des ouvriers non propriétaires.28 L’ouvrier devient d’autant plus pauvre qu’il produit plus de richesse, que sa production croît en puissance et en volume. L’ouvrier devient une marchandise d’autant plus vile qu’il crée plus de marchandises. La dépréciation du monde des hommes augmente en raison directe de la mise en valeur du monde des choses. Le travail ne produit pas que des marchan­dises; il se produit lui-même et produit l’ouvrier en tant que marchandise, et cela dans la mesure où il produit des marchandises en général.29

    • La mondialisation ne date pas d’hier

Poussée par le besoin de débouchés de plus en plus larges pour ses produit, la bourgeoisie envahit le globe entier. Il lui faut s’implanter partout, mettre tout en exploitation, établir partout des relations.

Par l’exploitation du marché mondial, la bourgeoisie donne un caractère cosmo­polite à la production et à la consommation de tous les pays. Au grand regret des réactionnaires, elle a enlevé, à l’industrie sa base nationale. Les vieilles industries nationales ont été détruites et le sont encore chaque jour. Elles sont évincées par de nouvelles industries, dont l’implantation devient une question de vie ou de mort pour toutes les nations civilisées (…)30 Mais c’est par la guerre et le colonialisme que le capitalisme s’impose.

1414314903_jaures

Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage

Grâce au rapide perfectionnement des instruments de production, grâce aux communications infiniment plus faciles, la bourgeoisie entraîne dans le courant de la civilisation jusqu’aux nations les plus barbares. Le bon marché de ses produits est l’artillerie lourde qui lui permet de battre en brèche toutes les murailles de Chine et contraint à la capitulation les barbares les plus opiniâtrement hostiles à tout étranger. Sous peine de mort, elle force toutes les nations à adopter le mode bourgeois de production; elle les force à introduire chez elles ce qu’elle appelle civilisation, c’est-à-dire à devenir bourgeoises. En un mot, elle se façonne un monde à son image.31

  • L’émancipation des travailleurs
    • Les luttes partielles peuvent servir de point d’appui

Un bon exemple concerne la lutte pour la réduction du temps de travail. Lutte décisive par ce qu’elle concerne les conditions les plus élémentaires de la vie des prolétaires, mais aussi décisive parce s’attaquer au temps de travail c’est s’attaquer au cœur de l’exploitation capitaliste. L’histoire de la réglementation de la journée de temps de travail dans quelques branches de la production (…) démontre jusqu’à l’évidence que le travailleur isolé, le travailleur en tant que vendeur “libre” de sa force de travail, succombe sans résistance possible, dès que la production capitaliste a atteint un certain degré. Par conséquent la création d’une journée de travail normale est le résultat d’une guerre civile longue, opiniâtre et plus ou moins dissimulée entre la classe capitaliste et la classe ouvrière.32

    • La loi de l’État vaut mieux que les contrats partiels

Qu’est-ce qui pourrait mieux caractériser le mode de production capitaliste que cette nécessité de lui imposer par des lois coercitives et au nom de l’État les mesures sociales les plus simples ?33 En cela la méthode révolutionnaire française a aussi ses avantages particuliers. Elle dicte du même coup à tous les ateliers et à toutes les fabriques, sans distinction, une même limite de la journée de travail (…).34

    • Le communisme est le mouvement réel de l’histoire en marche.

Le communisme n’est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état actuel.35

On a pu noter que j’attribuai un rôle particulier au prolétariat : celui qui n’a rien à perdre à tout à gagner, et constituant la majorité – les 9/10°, ceux qui n’ont rien – il libèrera l’humanité tout entière. Tous les mouvements ont été, jusqu’ici, accomplis par des minorités ou dans l’intérêt de minorités. Le mouvement prolétarien est le mouvement autonome de l’immen­se majorité dans l’intérêt de l’immense majorité. Le prolétariat, couche inférieure de la société actuelle, ne peut se mettre debout, se redresser, sans faire sauter toute la superstructure des couches qui constituent la société officielle.36

    • Le passage à la conscience pour soi, les prolétaire doivent reconnaître leur condition

Le rôle du mouvement communiste c’est de prendre 

appui sur les luttes par lesquelles les prolétaires peuvent prendre conscience de leurs intérêts communs. Les ouvriers commencent par former des coalitions contre les bourgeois pour défendre leurs salaires. Ils vont jusqu’à constituer des associations permanentes pour être prêts en vue des rébellions éventuelles. Çà et là la lutte éclate en émeutes. Parfois, les ouvriers triomphent ; mais c’est un triomphe éphémère. Le résultat véritable de leurs luttes est moins le succès immédiat que l’union grandissante des travailleursCette union est facilitée par l

manifeste-parti-communiste

’accroissement des moyens de communication qui sont créés par une grande industrie et qui permettent aux ouvriers de localités différentes de prendre contact. Ce qui importe c’est de donner au prolétariat un mouvement cohérent, un parti communiste, parti de classe : Cette organisation des prolétaires en classe, et donc en parti politique, est sans cesse de nouveau détruite par la concurrence que se font les ouvriers entre eux. Mais elle renaît toujours, et toujours plus forte, plus ferme, plus puissante. Elle profite des dissensions intestines de la bourgeoisie pour l’obliger à reconnaître, sous forme de loi, certains intérêts de la classe ouvrière: par exemple le bill de dix heures en Angleterre.37

    • L’internationalisme nécessaire

La victoire du prolétariat sera sera [donc] le signal de tous les peuples opprimés.38 Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !39

    • Il est nécessaire de revenir sur la propriété

Vous êtes saisis d’horreur parce que nous voulons abolir la propriété privée. Mais, dans votre société actuelle, la propriété privée est abolie pour les neuf dixièmes de ses membres; si cette propriété existe, c’est précisément parce qu’elle n’existe pas pour ces neuf dixièmes. Vous nous reprochez donc de vouloir abolir une forme de propriété qui a pour condition nécessaire que l’immense majorité de la société soit frustrée de toute propriété.40 Comme l’a montré Proudhon dans sa Philosophie de la Misère, que j’ai par ailleurs bien critiquée, jusqu’ici, l’économie politique prenait pour point de départ la richesse que le mouvement de la propriété privée est censé engendrer pour les nations et en tirait une apologie de la propriété privée. Proudhon part du point opposé, que l’économie politique masquait sous des sophismes ; il part de la pauvreté engendrée par le mouvement de la propriété privée (…). La première critique de la propriété privée part naturellement (…) de l’essence contradictoire de cette propriété : ce fait, c’est la pauvreté, c’est la misère.41

  • La religion

De la critique de la religion, on a retenu souvent sans la comprendre ma phrase « c’est l’opium du peuple ». Ma lecture de Feuerbach m’a fait comprendre comment cette illusion était à la fois une médication et une illusion : un opium. La misère religieuse est, d’une part, l’expression de la misère réelle, et, d’autre part, la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit d’une époque sans esprit. C’est l’opium du peuple.

Le véritable bonheur du peuple exige que la religion soit supprimée en tant que bonheur illusoire du peuple. Exiger qu’il soit renoncé aux illusions concernant notre propre situation, c’est exiger qu’il soit renoncé a une situation qui a besoin d’illusions.42

    • La laïcité est nécessaire

Sous sa forme particulière, dans le mode spécial à son essence, comme État, l’État s’émancipe de le religion en s’émancipant de la religion d’État, c’est-à-dire en ne reconnaissant aucune religion, mais en s’affirmant purement et simplement comme État. L’homme s’émancipe politiquement de la religion en la rejetant de la sphère du droit public dans le droit privé.43

    • Le développement de la science libère

Dans ma Thèse sur Démocrite et Épicure, fidèle au philosophe du Jardin, j’avais découvert l’intérêt des sciences. En reconnaissant la rationalité de la nature, nous cessons d’être sous sa dépendance. Elle n’est plus une cause d’effroi pour notre conscience… C’est seulement en donnant libre cours à la nature que la raison consciente, considérant la nature comme raison elle-même, se l’approprie entièrement.44

  • L’écologie

Pour autant nous ne devons pas perdre de vue que l’usage capitaliste de la science et des techniques est prédateur. En tant que matérialiste, je sais que l’être humain n’est pas hors sol, en dehors de l’environnement. En travaillant, nous sommes liés à la nature.

L’ouvrier ne peut rien créer sans la nature, sans le monde extérieur sensible. Elle est la matière dans laquelle son travail se réalise, au sein de laquelle il s’exerce, à partir de laquelle et au moyen de laquelle il produit.45

1Le manifeste du parti communiste première partie (ici, édition libre ), Préface de 1872

2In Philosophie éditions de la Pléiade, Œuvres III

3Thèses sur Feuerbach

4L’idéologie allemande

5L’idéologie allemande

6Le Capital, postface à la seconde édition allemande

7Le Capital Livre premier Tome I

8Thèses sur Feuerbach, VI° thèse

9La question juive

10Discours sur le libre échange (1848) disponible sur le site marxists.org

11L’idéologie allemande

12Le manifeste du parti communiste première partie (ici édition libre)

13L’idéologie allemande

14Le Capital Livre premier Tome I

15Le manifeste du parti communiste première partie (ici édition libre)

16La Sainte famille

17Discours sur le libre échange

18Le manifeste du parti communiste première partie (ici édition libre)

19Salaire, prix et profit

20Le capital, Livre premier, section IV, Chapitre 15

21Le capital, Livre premier, section IV, Chapitre 15

22Le capital, Livre premier, section IV, Chapitre 15

23Le capital, Livre premier, section IV, Chapitre 15

24Le capital, Livre premier, section IV, Chapitre 15

25Le capital, Livre premier, chapitre 10

26Le capital, Livre premier, section 3, chapitre X

27Manuscrits de 1844, édition GF p. 112

28Manuscrits de 1844, (édition libre)

29Manuscrits de 1844, (édition libre)

30Le manifeste du parti communiste première partie (ici, édition libre )

31Le manifeste du parti communiste première partie (ici, édition libre )

32Le capital, livre premier, section 3, chap. 10

33Le capital, livre premier, section 4, chap. 9

34Le capital, livre premier, section 3, chap. 10

35L’idéologie allemande

36Le manifeste du parti communiste première partie (ici, édition libre )

37Le manifeste du parti communiste première partie (ici, édition libre )

38Le manifeste du parti communiste première partie (ici, édition libre )

39Le manifeste du parti communiste première partie (ici, édition libre )

40Le manifeste du parti communiste première partie (ici, édition libre )

41Le Capital, postface de la seconde édition

42Critique de la philosophie du droit de Hegel 1843

43La question juive

44Philosophie épicurienne, cahier V

45Manuscrits de 1844 (édition libre)