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La rébellion du peuple nicaraguayen

Nicaragua

Lien publiée le 4 mai 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://alencontre.org/ameriques/amelat/nicaragua/la-rebellion-du-peuple-nicaraguayen.html

Par Monica Baltodano

Le gouvernement de Daniel Ortega et Rosario Murillo fait face à profond malaise social, ayant pour épicentre parmi les étudiants universitaires. Bien qu’il soit souvent comparé à d’autres gouvernements bolivariens [allusion au Venezuela, à la Bolivie], le gouvernement nicaraguayen est loin d’être un gouvernement de gauche. Durant ces années au pouvoir, Ortega n’a pas hésité à s’allier avec la droite, les anciens contre-révolutionnaires et la classe représentant le «monde des affaires». Et cela d’un point de vue paternaliste et autoritaire, dans le cadre d’une gestion familiale de l’Etat qui rencontre aujourd’hui de nouveaux obstacles.

Depuis le 18 avril 2018, le Nicaragua est secoué par la répression déclenchée par le gouvernement de Daniel Ortega et Rosario Murillo contre les étudiants universitaires et la population civile. Au moment où j’écris ces lignes, nous avons compté plus de 40 morts et des douzaines de blessés. A ces derniers, il faut ajouter des centaines de détenus et une quinzaine de personnes disparues. La répression a été déclenchée dans le but de contenir les manifestations de protestation contre un décret exécutif qui a augmenté les cotisations des travailleurs et des employeurs à l’Institut de sécurité sociale (INSS) tout en abaissant les allocations des retraité·e·s de 5%. Cependant, la réforme n’a été que l’étincelle qui a enflammé la prairie qui s’assèche depuis plusieurs années, ce qui explique le haut niveau de mobilisation atteint.

Les raisons de la fatigue

Il est important de rappeler que Daniel Ortega a été réélu en vertu des lois en vigueur en 2011, puis il a réformé la Constitution et en 2017 a commencé un troisième mandat avec son épouse Rosario Murillo comme vice-présidente. En raison de sa forme et de son contenu, le gouvernement a accumulé les désaveux et les rejets. Parmi les caractéristiques de l’«orteguismo», il convient de mentionner les suivantes.

• L’«orteguismo» s’est révélé être une véritable dictature institutionnelle qui se maintient grâce des fraudes flagrantes: depuis 2008, il contrôle d’une main de fer tous les pouvoirs de l’Etat – exécutif, judiciaire, électoral, Conseil électoral suprême et Parlement. Toute tentative de constitution de forces d’opposition, en particulier celles qui récupèrent la tradition sandiniste, a été écrasée.

• Il n’y a pas de liberté de mobilisation et d’expression. La répression est pratiquée avec des gangs de choc, ou directement par la police. Presque tous les médias ont été achetés par la famille dirigeante.

• La corruption s’affirme en toute impunité. Le cas le plus emblématique est celui du président du Conseil électoral suprême (connu sous le nom de Conseil de la fraude), Roberto Rivas, un magnat avec des jets privés, des villas et des demeures luxueuses au bord de l’océan, ainsi que des propriétés en Espagne et au Costa Rica, auxquels les Etats-Unis ont appliqué la Magnitsky Global Law [loi adoptée par le Congrès américain fin 2012 afin de sanctionner financièrement et de refuser tout visa à des personnes impliquées dans des opérations de «corruption» politique]. Face à cela, Ortega, au lieu de le démettre de ses fonctions, le maintient avec privilèges et immunité, dans une décision rejetée par de nombreux «ortguistes».

• Harcèlement des organisations. Les femmes, les écologistes et les militants des droits de l’homme font partie des prisonniers politiques qui sont faussement accusés de crimes de droit commun, comme c’est le cas de Marvin Vargas, coordinateur des Cachorros de Sandino [structure qui réunit des militaires démobilisés traumatisés suite à l’affrontement militaire entre 1979 et 1990 face à la contre-révolution], qui est en prison depuis huit ans.

• Suppression de facto des autonomies. Les universités, les municipalités, les régions autonomes subissent le même processus. Les étudiants en ont eu assez de ne pas disposer de la liberté d’organisation parce que les recteurs et de nombreux enseignants agissent en tant que commissaires politiques du gouvernement.

• La règle du secret et le renfermement sur lui-même de l’Etat. Ortega et Murillo ne parlent qu’à leurs alliés (le grand capital). Cette configuration n’est même pas mise en œuvre en s’appuyant sur leurs propres forces, car ces dernières sont soumises à la condition humiliante d’une dépendance économique et de la peur. Même les sandinistes n’ont pas le droit de parler. Seule la famille présidentielle peut parler et faire des déclarations.

• Livraison du pays à des intérêts étrangers. Le cas le plus brutal est la loi 840 (Loi sur la concession du canal inter-océanique, qui attribue une concession à un consortium basé à Hongkong pour des dizaines d’années, avec la possibilité d’exproprier des terres de paysans) pour construire le canal inter-océanique avec le capital chinois, projet aujourd’hui des plus incertains. Le couple présidentiel a aussi étendu ce type de concessions dans les secteurs minier, forestier et de la pêche, sans aucune consultation avec les personnes touchées.

• Concentration de la richesse et des politiques clientélaires et assistantialistes. Bien plus que les taux de croissance macroéconomique, ce qui s’est développé, ce sont les fortunes des banquiers, avec des taux de profit les plus élevés de la région. Le Nicaragua reste le pays le plus pauvre de la région après Haïti, malgré toute l’aide vénézuélienne reçue au fil des ans.

Manifestation en 2013 contre la concession accordée pour le canal
inter-océanique

Un malaise qui s’est accumulé

Le malaise de la population s’est traduit par une augmentation de l’abstention électorale. Mais les origines de la rébellion remontent à la résistance face au canal il y a quatre ans. Pour faire face à la menace de dépossession, s’est organisé le mouvement paysan le plus fort des 20 dernières années. Quelque 100 marches ont été réprimées par un déploiement disproportionné de forces antiémeutes pour empêcher qu’elles puissent se développer à l’échelle nationale. Le massacre de La Cruz de Río Grande [assassinat de deux adolescents par l’armée le 12 novembre 2017] a accru l’indignation et la participation à l’occasion de la Journée des droits de l’homme qui est organisée le 10 décembre de chaque année. Il en va de même à l’occasion de la Journée internationale de la femme où s’exprime l’opposition à l’augmentation des féminicides et à l’impunité des meurtriers. Ainsi, une «rage digne» augmentait.

Dans les premiers jours d’avril 2018, un terrible incendie dans la Réserve biologique d’Indio Maíz a mobilisé pour la première fois des étudiants de l’Université centraméricaine, motivés par l’inaction du gouvernement. La complicité du gouvernement avec les colons qui envahissent les réserves ou les terres des indigènes comme celles du Rio Coco [le long du fleuve du même nom] – terrorisant les populations afin de prendre possession de leurs terres – a déjà été dénoncée. Ces crimes ont été signalés et documentés devant la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH). Le gouvernement a organisé des contre-marches (avec des groupes de choc) et militarisé la zone touchée par l’incendie. Cela a empêché les journalistes indépendants et les ONG du Groupe Cocibolca (Fundación del Río et Popol Na) de se rendre dans cette région.

Quelques jours plus tard, par un calcul erroné, le gouvernement a imposé la réforme du système de sécurité sociale. Mais il était déjà connu que les fonds de l’INSS avaient été utilisés pour des investissements risqués, et que l’institution avait gonflé la masse salariale et les privilèges de certains fonctionnaires, ce qui avait déjà généré des critiques et des troubles.

Tout d’abord, ce sont les étudiant·e·s qui, avec la présence de quelques retraité·e·s, se sont mobilisés pacifiquement et ont dû faire face à une répression brutale, clairement dirigée contre les journalistes et certains des leaders les plus visibles, comme ceux du mouvement féministe. Des groupes de choc armés de tuyaux, de chaînes et de matraques électriques les ont battus tout en s’emparant des appareils photo et des téléphones portables. Pourtant, tout a été filmé et diffusé sur les réseaux sociaux, bien que le gouvernement ait fermé conjointement trois chaînes de télévision privées (100% noticias, canal 23, et canal 12) et que les stations locales n’aient plus pu émettre. Cette censure a provoqué une réaction dans de nouveaux secteurs, y compris parmi des dirigeants d’entreprise organisés au sein du Conseil supérieur de l’entreprise privée (COSEP), qui cette fois n’avait pas passé un accord avec le gouvernement pour ce qui était de la réforme de l’INSS, comme c’était généralement le cas dans d’autres domaines.

Cette répression a rapidement fait monter les protestations dans les principales villes, mais aussi dans les petites villes, incorporant des secteurs populaires: les retraité·e·s, les chômeurs et chômeuses, les travailleurs indépendants, les ouvriers, et surtout les jeunes gens pauvres des villes. Les marches dans les villages les plus reculés où la police ne pouvait pas se rendre étaient calmes. Dans la petite ville de Niquinohomo, lieu de naissance d’Augusto César Sandino, environ 1000 manifestants ont enlevé le foulard rouge et noir du Front sandiniste de libération nationale (FSLN) couvrant le monument du héros national et l’ont recouvert d’un foulard bleu-blanc-bleu [couleurs du drapeau nicaraguayen]. Mais à Managua et dans les principales villes, la police a lancé des gaz lacrymogènes, tiré des balles en caoutchouc et réelles, et a ouvertement utilisé des fusils de chasse dans le cadre d’une action conjointe, flagrante, avec des civils organisés en groupes de choc.

Pour la première fois depuis 2007, des étudiants d’universités étroitement contrôlées par le gouvernement par le biais de leurs organisations telles que l’Union nationale des étudiants nicaraguayens (UNEN) ont adhéré au mouvement. Le mouvement dans les universités agraires et d’ingénierie après quelques jours a été désarticulé: la police est entrée dans leurs locaux, a tiré sur les jeunes alors qu’ils fuyaient et en a arrêté des dizaines, répétant cette procédure dans les quartiers qui étaient solidaires des protestations. Tous ceux qui ont été arrêtés ont été portés disparus et plus de 15 d’entre eux ont été rendus, morts. D’autres détenus ont été libérés 4 jours plus tard, torturés, à moitié nus, pieds nus et rasés, abandonnés sur les routes, ce qui viole les normes élémentaires du respect des droits de l’homme. Dans l’Université Polytechnique (UPOLI), nichée entre des quartiers populaires, la police n’a pas pu expulser les étudiants: la population a construit des barricades pour protéger des centaines de jeunes qui se sont réfugiés dans les salles de classe et qui ont conservé cet endroit comme bastion de lutte jusqu’à aujourd’hui.

Dans les endroits les plus réprimés, les gens se sont rapidement dirigés vers la construction de barricades, tout en exprimant leur rage en abattant les soi-disant «arbres de vie» (d’immenses structures métalliques qui reproduisent les formes de la peinture de Gustav Klimt), qui avaient été multipliés par Rosario Murillo comme symbole de pouvoir et expression de conceptions ésotériques variées. Entre-temps, il est prouvé par de nombreux témoignages que le pouvoir a allumé des incendies dans les bureaux du gouvernement et pillé des magasins et des supermarchés (les témoignages sont nombreux à ce propos).

Complot impérialiste?

Il est très important que les forces de la gauche, du centre-gauche et les gens progressistes partout dans le monde comprennent qu’Ortega n’est pas Hugo Chávez, et que le Nicaragua n’est pas le Venezuela de Chavez, et qu’il ne devrait pas y avoir de traduction mécanique du mouvement vénézuélien contre Maduro dans ce qui se passe aujourd’hui au Nicaragua. Le régime d’Ortega a déjà commencé à dire qu’il s’agit d’un «coup d’Etat mou», derrière lequel se trouvent l’ambassade des Etats-Unis, la CIA et la droite mondiale. Mais au Nicaragua, la droite économique et politique gouverne aux côtés d’Ortega. C’est le modèle des «partenariats public-privé» que la droite mondiale, le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale (BM) et les grandes entreprises et les investisseurs applaudissent. Actuellement, 96 % du PIB du Nicaragua provient du secteur privé. C’est-à-dire que ce gouvernement a fini par anéantir ce qui restait de la propriété sociale, sous forme étatique et de coopératives, et a laissé le pays sans richesse publique.

Que la gauche mondiale ne se laisse pas tromper par le fait que ce gouvernement est de gauche. Il n’en reste plus rien. Par exemple, les relations autrefois étroites de deux révolutions (Cuba et Nicaragua) sont maintenant pour le gouvernement d’Ortega et Murillo des relations officielles entre Etats amis, limitées à la célébration d’anniversaires, de vœux d’anniversaire et de protocole discret [pour rappel, le gouvernement cubain soutient le gouvernement Ortega-Murillo contre les protestataires].

Ici, la droite et le gouvernement sont la même chose. Ortega et les banquiers forment l’alliance qui gouverne le Nicaragua depuis plus d’une décennie. Il n’y a pas de médias «impérialistes» ici, pas de grands réseaux comme RCTV [Venezuela], O Globo [Brésil], parce que, comme nous l’avons dit, presque tous appartiennent à Ortega et à ses partenaires. Ici, la plupart des fonds américains sont surtout reçus par le gouvernement, pour sa complicité avec le programme de sécurité de Donald Trump, qui écrase et réprime les immigrants. Ici, l’argent est du côté du gouvernement et de ses alliés. Ceux qui protestent le font avec leurs propres ressources, comme ce fut le cas du mouvement paysan qui, depuis quatre ans, a financé ses marches.

Il n’y a pas non plus de grands partis de droite à la tête des mobilisations. Parce que l’«orteguismo» a d’abord fait un pacte avec les partis traditionnels de droite, qui ont ensuite été réduits parce qu’ils ont assumé ouvertement la représentation des intérêts des secteurs riches. Quels seraient les partis de droite [qui auraient organisé la protestation] si la droite est au pouvoir, si ce sont les banquiers et les hommes d’affaires qui légifèrent et cogouvernent le pays? Ici, les entrepreneurs ont été et sont les principaux partenaires du gouvernement d’Ortega. Les millionnaires, ne s’inquiètent pas que le gouvernement prétende être de gauche, socialiste ou sandiniste, tant qu’il leur garantit la stabilité pour leurs intérêts.

«Qu’ils dégagent!»

Le combat est-il toujours en cours?

Après une semaine de marches et de manifestations, il ne s’agit plus de réformer l’INSS. En fait, Ortega a abrogé le décret pour arrêter les mobilisations. Mais avec tant de morts et de blessés, beaucoup de Nicaraguayens ne se contentent pas d’avoir arrêté la réforme. Ils veulent que la répression cesse, que les principaux chefs de police soient démis de leurs fonctions, que le principe constitutionnel du droit d’organisation et de manifestation soit rétabli, que les médias fermés soient rouverts, que les militaires retournent dans leurs casernes et que justice soit rendue à propos des assassinats et des tortues. Bien sûr, il y a ceux qui pensent que le mandat d’Ortega est le produit de la fraude et que le problème continuera tant qu’il n’y aura pas d’élections équitables. En fait, pendant les manifestations, c’était le cri le plus fort: qu’ils s’en aillent!

Le dimanche 22 avril, un Ortega entouré des propriétaires des entreprises de la Zone franche est apparu pour annoncer l’ouverture d’un dialogue. Et il a fait appel à la Conférence épiscopale et aux hommes d’affaires comme médiateurs, essayant par tous les moyens d’ignorer les véritables acteurs de ce formidable mouvement citoyen. Mais jusqu’à ce jour, ils n’ont pas été en mesure de le faire. La Conférence épiscopale et le COSEP ont fait valoir que les secteurs en difficulté, en particulier les paysans et les étudiants, devraient être inclus dans le dialogue.

Comme nous le savons, le peuple nicaraguayen a été fortement démobilisé face à l’arbitraire du gouvernement. Mais en ces jours d’avril, le peuple, en particulier les jeunes, est passé en un seul moment d’une revendication sociale à des revendications en faveur de la démocratie et des libertés civiles et politiques, cela suite au malaise accumulé et de la répression. La répression a provoqué une telle indignation que la peur a disparu et le pouvoir des secteurs populaires mobilisés a été rapidement redécouvert.

Cependant, un mouvement de cette nature a la faiblesse de ne pas avoir un leadership visible immédiatement. Ce que nous avons vu, c’est le peuple rebelle et des milliers de visages et de personnes. Il n’y a pas de chefs de parti ou de caudillos dans ces manifestations. Seuls les étudiants et les personnes mobilisées qui élaborent leurs propres revendications.

Par exemple, le COSEP, dans ce qui semble être une prise de distance par rapport au gouvernement, a proposé qu’une marche sans répression puisse être organisée comme condition pour la poursuite du dialogue. La capacité conflictuelle de la jeunesse «autoconvoquée» a transformé la marche du 23 avril en une véritable mobilisation populaire. Ils ont modifié l’itinéraire pour que la marche se rende à l’UPOLI, le centre qui est devenu l’emblème de la résistance. Ainsi, les manifestants ont parcouru une distance de 7 kilomètres qui a formé un immense fleuve estimé à 100’000 personnes. Des milliers d’entre elles marchent à leur propre rythme et par leurs propres moyens. En même temps, des marches massives ont eu lieu dans d’autres villes, municipalités et communautés.

Y a-t-il une perspective de continuité? Apparemment, les protestations vont continuer. Publiquement, on parle de dialogue. Il n’y a pratiquement pas de discussion sur les conditions pour le faire. Mais en ce qui concerne le mouvement populaire, il sera urgent d’organiser, comme l’écrivait Rubén Darío, «les forces dispersées». Mais presque certainement, cette organisation ne sera pas partisane, et encore moins électorale. Ce qui s’est passé dans l’histoire récente des pactes et des compromis a rendu les Nicaraguayens sceptiques.

Le défi est de construire un mouvement citoyen puissant, d’exiger des changements dans les règles actuelles de la politique et dans la direction du pays. Le gouvernement aura tendance, comme il l’a fait, à intensifier la répression, forte, mais sélective et secrète. Lors du recul, nous allons connaître une répression ciblée. C’est pourquoi la solidarité avec ceux et celles qui subissent la répression sera décisive, même si de nombreuses personnes veulent s’organiser pour écarter le couple présidentiel du pouvoir et les tenir responsables de ce qui s’est passé.

La politique nicaraguayenne a été historiquement influencée par l’ingérence, en particulier par les Etats-Unis. Les politiciens ont historiquement contesté le soutien et la bénédiction des gringos. Aujourd’hui, le défi est de pouvoir concevoir notre propre pays sans intervention extérieure.

Mais tout le monde ne le pense pas ainsi. C’est pourquoi les différentes expressions de la gauche doivent se battre aux côtés du peuple, et parier que les résultats ne seront plus les mêmes: plus de capitalisme, plus de bradage du pays et d’extractivisme qui détruit les ressources et s’en prend à la nature. Que le Nicaragua ne soit pas le règne des capitaux étrangers… qu’il appartienne aux Nicaraguayens. Il s’agit d’être capable de construire une masse critique qui ne se contente pas de changer les figures du gouvernement, mais qui ouvre la possibilité d’un modèle de société différent.

Les défis de la gauche

Au Nicaragua, le terme «gauche» est discrédité par un Ortega qui se dit de gauche, anti-impérialiste et révolutionnaire. Malheureusement, la même chose se produit avec le terme sandiniste. De nos jours, nous avons vu des jeunes qui ont brûlé le drapeau rouge et noir. Non pas parce qu’ils ne reconnaissent pas Sandino [Augusto Sandino, 1895-1934], ou la lutte héroïque des sandinistes des années 1960 et 1970, mais parce qu’ils rejettent l’actuel FSLN.

Pour ceux d’entre nous qui, depuis l’adolescence, luttent sous les principes, les valeurs et le programme du sandinisme de Carlos Fonseca [1946-1976, fondateur du Front sandiniste en 1961], ce n’est pas sans douleur. Mais nous devons comprendre que ces jeunes gens identifient ce drapeau au gouvernement qu’ils détestent. Il serait absurde de penser que c’est pour cela qu’ils sont de droite. Il y en a déjà beaucoup qui comprennent que pour l’«orteguismo», le sandinisme a fini par n’être qu’un drapeau électoral vidé d’un contenu réel de changement. Aujourd’hui, le drapeau sandiniste est l’héritage de toute la nation, puisque Sandino est l’un des symboles les plus importants de l’identité nicaraguayenne. Entre-temps, des milliers de sandinistes, de différentes générations, dont certains sont déjà «vieux», accompagnent ces luttes à partir de différentes tranchées, ce qui apporte de l’espoir. Le rêve du Père Fernando Cardenal [1934-2016, jésuite, il fut responsable de la campagne d’alphabétisation en 1980] s’est réalisé: «Je rêve de ce jour où les jeunes retournent dans la rue pour faire l’histoire.» (Article publié sur le site de la revue Nueva Sociedad, en fin avril 2018; traduction A l’Encontre)

Monica Baltodano, ex-commandante du FSLN, joua un rôle fort important durant l’étape insurrectionnelle de 1978-79 contre la dictature somoziste. Elle créa le «Mouvement pour le sauvetage du sandinisme» (MPRS) et fut députée durant la législature 2007-2011. En 2009, elle prit ses distances avec la délégation parlementaire du MRS («Mouvement de rénovation du sandinisme»). Elle a rejoint d’autres membres historiques du sandinisme, en tant qu’opposante radicale au régime Ortega-Murillo