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Tartuffes à l’Odéon
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://lundi.am/TARTUFFES-A-L-ODEON
Lundi 7 mai, le théâtre de l’Odéon organisait sa commémoration de mai 68. La soirée s’annonçait trépidante : "Performances historiques" et prises de paroles de figures de la culture. Sur son site, l’Odéon rappelait son rôle clef dans le soulèvement-d-il-y-a-40-ans : « À l’occasion du cinquantième anniversaire de mai 68, il faut redire l’importance de l’Odéon qui, du 15 mai au soir au 14 juin au matin, fut la principale tribune du “tout est possible”. Là, sur la scène, partout dans le théâtre, une communauté de jeunes gens tenta d’inventer une utopie et de la vivre. Ce fut l’espace, contradictoire et expérimental, de la prise de la parole. »
Nous publions ici le communiqué que nous ont envoyé d’autres "jeunes gens" qui, s’étant invités à la petite sauterie, n’ont pas eu l’occasion de goûter au contradictoire et à l’expérimental mais aux gaz lacrymogènes de la police.
Le Théâtre de l’Odéon a souhaité revenir sur l’importance de l’occupation du lieu cinquante ans plus tôt, en organisant un événement sur « l’Esprit de mai » ce lundi 7 mai 2018. Nous ne reviendrons pas sur l’absurdité du déroulement de la soirée, dont d’autres ont déjà rendu compte (cf. Libération), mais seulement sur l’escalade répressive dans laquelle s’est lancée la direction du théâtre, au point d’en appeler aux CRS pour protéger la cérémonie – si bien que certains ont pu croire à une mise en scène immersive extrêmement réaliste ! Lorsqu’il a dû s’expliquer devant les spectateurs – car il s’agissait d’un spectacle, et payant, de surcroît – Braunschweig, tremblotant, s’est justifié par le fait que nous n’avions « pas payé nos places ». Son malaise manifestait un malentendu plus profond : nous n’étions pas là comme spectateurs passifs de l’ « Esprit de mai », nous étions là pour l’incarner en intervenant. Les invités officiels étaient ce qu’on appelle les « intellectuels de gauche » et l’on peut mesurer leur probité politique selon le moment où ils ont eu le courage de quitter la salle qui accueillait ce spectacle obscène.

D’abord, nous nous sommes heurté.e.s aux vigiles qui nous ont refusé l’entrée du théâtre, car nous n’avions « pas réservé ». Ceux d’entre nous qui avaient leurs billets et attendaient l’entracte pour intervenir ont été raccompagnés vers la sortie manu militari. Puis ce fut le tour des policiers. Appelés par le théâtre qui craignait un débordement, ils ont interpellé, après moult gazage, quatre de nos amis. Enfin ce furent les CRS, bien plus nombreux que nous, dont il ne fallait pas s’inquiéter, nous disait-on, puisqu’ils n’étaient pas là pour nous – gentils dix-huitards – mais pour protéger le théâtre d’une « potentielle attaque du black bloc ». Cette surenchère prouve bien le grotesque de cette soirée, qui trahissait sans vergogne l’un des principes mêmes de mai 68 qu’elle prétendait commémorer : l’intolérance à l’égard des violences policières, notamment quand elles s’exercent à l’encontre de manifestants.
Deux de nos amis ont passé deux et trois jours en garde-à-vue, alors qu’ils n’ont commis qu’une effraction minime – ouvrir une porte déverrouillée et sauter par-dessus une grille. Il semblerait que leurs affaires personnelles, dont leurs téléphones, aient été fouillées pour établir un lien avec les manifestations récentes à Paris ou à Notre-Dame-des-Landes. Le délire inquiet du théâtre et du gouvernement à propos du black bloc dit bien leur incapacité à comprendre la réalité politique actuelle, il ne s’agit pas d’être ou de ne pas être « des black blocs » comme nous l’ont maladroitement demandé les policiers lors des contrôles. Comme en soixante-huit, ce n’est pas le groupe qu’on diabolise qui menace le gouvernement, mais la compréhension grandissante qui l’entoure et le protège.
Parmi les officiels de la soirée, Elisabeth Roudinesco, prompte à faire la leçon, nous a reproché de ne pas être « à la hauteur de soixante-huit ». Nous ne serions « pas assez violents politiquement ». La différence serait que le « peuple » était alors à gauche et soutenait les étudiant.e.s, alors qu’il est maintenant à droite et que les étudiant.e.s ne sont pas assez politisé.e.s. Certes, cinquante ans après, la société est structurellement différente. Mais ne s’agit-il pas toujours d’une communauté étudiante politisée, soutenue de près ou de loin par les travailleurs.euses précaires ? Faut-il rappeler que c’est par les occupations que le mouvement a gagné le peuple ? Que nous courons tous les jours entre les gares, les universités, les postes, les rues, et que nous appelons à courir avec nous ? Les foyers insurrectionnels naissent partout ; refuser de les voir, c’est justement ne pas être à la hauteur de 2018. Lorsqu’il lui a été demandé ce que nous aurions dû faire pour être ses dignes héritier.e.s ce soir-là, elle a répondu que nous aurions dû contacter la direction deux jours plus tôt pour obtenir une place dans le tour de parole. Belle leçon de violence politique et de subversion !
Derrière le mépris affiché par cette vraie soixante-huitarde, il y a surtout méprise quant à nos objectifs. Nous ne voulons pas répéter soixante-huit comme une pauvre pièce de théâtre, à la manière d’Antoine de Baeque et de son hôte si courageux. Nous croyons que persiste dans son souvenir une puissance politique féconde qu’il nous appartient de réinvestir. Nous constatons que la commémoration de l’Odéon s’inscrit dans un vaste processus étatique de neutralisation – décliné dans les programmes scolaires, les musées, les discours du gouvernement, etc. – qui vise en fait à désarmer l’héritage révolutionnaire que nous voulons sauvegarder. Tout se passe comme si l’on commémorait pour convaincre que mai 68 est bien passé, que son esprit n’est plus qu’une chose inoffensive, bref, que l’histoire est terminée. Or, il suffit de descendre dans la rue les jours de manifestation pour comprendre que rien n’est fini. Le refus de reconnaître l’existence d’une nouvelle énergie contestataire correspond à une violence répressive. Il est infâme de célébrer l’effervescence politique passée en niant celle du présent.
Nous refusons la célébration d’un « esprit de mai » sénile et embourgeoisé. Nous appelons tous celles et ceux qui souhaitent fêter les cinquante ans de soixante-huit - intellectuels ou non - à nous rejoindre dans la rue et dans les occupations. Car c’est ici que l’esprit de mai est vivant et fécond.




